Devant l'histoire en crise
eBook - ePub

Devant l'histoire en crise

Raymond Aron et Leo Strauss

  1. 360 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Devant l'histoire en crise

Raymond Aron et Leo Strauss

À propos de ce livre

Que nous apprend l'histoire? Est-il vrai que trop d'histoire empêche d'agir et de juger? Ne serait-elle qu'un bric-à-brac d'exemples et d'alibis? Quels rapports la philosophie politique peut-elle entretenir avec le passé? Ces questions vitales sont au coeur de la discussion que nouent Raymond Aron (1905-1983) et Leo Strauss (1899-1973) et qui prend pour point de départ les réflexions de Max Weber sur les limites de l'historicisme et le polythéisme des valeurs. Suivant des directions à la fois opposées et complémentaires, Aron et Strauss jettent les bases d'une véritable philosophie du jugement politique, à l'épreuve de la crise des années 1930, de la Seconde Guerre mondiale et des affrontements idéologiques subséquents.Au croisement de l'épistémologie de l'histoire et de la théorie politique, Sophie Marcotte Chénard reconstruit ici le dialogue qu'ont entretenu ces deux figures majeures du XXe siècle. Elle montre surtout la subtilité de leurs positions respectives et explore les leçons qu'il faut aujourd'hui en tirer.

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PREMIÈRE PARTIE

L’Histoire en crise

Chapitre I

L’historicisme comme concept polémique et politique

Avant de revêtir une signification pratique, voire existentielle, durant la période de l’entre-deux-guerres, le concept d’historicisme a connu une histoire non linéaire, polémique, incertaine. L’historicisme, parfois traduit par historisme, désigne simultanément une tradition de pensée qui se déploie en Allemagne à partir de la fin des années 1700, une méthode d’étude du passé, une doctrine relativiste et une philosophie qui dispose en son centre la notion d’«historicité». Mais cela n’est que la surface du problème. Que signifie la notion d’historicité ou encore de «conscience historique» (historisches Bewußtsein)? Sur ce point, la littérature contemporaine sur l’historicisme ne fait que confirmer notre diagnostic de départ, à savoir la difficulté de fournir une définition précise de ces notions et de leurs origines.

Les équivoques de l’historicisme

Une première confusion est liée à l’usage peu orthodoxe qu’en a fait Karl Popper dans le monde anglo-saxon. Dans The Poverty of Historicism, Popper emploie le terme pour désigner les philosophies qui postulent un devenir de l’histoire auquel les êtres humains sont inéluctablement et nécessairement soumis1. Tout en participant à la diffusion et à l’usage du concept dans la tradition anglo-américaine, Popper a également contribué dans une large mesure à en obscurcir la signification puisqu’il associe l’historicisme aux philosophies d’inspiration marxiste et à l’idée d’une direction déterminée du processus historique, par opposition à la représentation, plus courante en Allemagne, de l’historicisme comme méthode de connaissance du passé ou encore comme doctrine du relativisme historique.
En outre, Popper a alimenté la confusion en introduisant une différence entre «historisme» et «historicisme». Jusqu’au début du 20e siècle, on traduisait le terme allemand Historimus par historisme pour désigner un courant général de pensée orienté vers la théorie de la connaissance historique. Afin de se distinguer de cette tradition allemande, Popper a opté pour l’usage du terme, à l’époque plus marginal, d’historicisme (Historizismus)2. De manière pour le moins malencontreuse, c’est précisément ce second terme qui a progressivement remplacé le premier, créant une confusion entre son sens usuel et la façon dont Popper en fait usage. La plupart des auteurs contemporains s’entendent maintenant pour considérer les deux termes comme équivalents et font indifféremment usage de l’un ou de l’autre. Dans le cadre de cet ouvrage, nous nous en tiendrons au terme plus commun d’historicisme, qui correspond par ailleurs à la manière dont il est le plus souvent utilisé par Strauss et Aron.
Une seconde équivoque provient de la relation entre le concept d’historicisme et la notion d’histoire. Nous entendons ici l’histoire dans sa double signification allemande de Geschichte et Historie, c’est-à-dire en tant qu’elle désigne les événements du passé en eux-mêmes et leur reconstruction par le moyen du récit historique3. Cette distinction revêt un caractère fondamental dans la pensée allemande, notamment à partir du 19e siècle alors que se dessine une opposition de plus en plus grande entre la science historique et l’histoire vécue. L’histoire peut être définie de manière succincte comme une discipline ayant pour objet l’étude méthodique du passé, fondée sur un intérêt pour ce qui a eu lieu et qui n’est plus, et orientée par un effort afin de donner un sens à ce qui est advenu par le moyen de l’organisation des faits historiques à l’intérieur d’un récit historique4. Le concept d’historicisme dérive de celui d’histoire, mais ne s’y réduit pas, puisqu’il désigne un rapport au passé qui se place sous le signe d’une philosophie. Nous pourrions même dire que la notion d’historicisme est liée à l’idée philosophique de l’histoire. L’historicisme apparaît lorsque l’écriture de l’histoire, c’est-à-dire la pratique concrète de l’historien professionnel, s’accompagne d’une réflexion sur les conditions et les finalités de l’enquête historique. Les multiples sens de l’historicisme ne peuvent être saisis qu’en nous situant au niveau de cette réflexion sur l’arrière-plan philosophique de l’expérience historique.
Un troisième obstacle rend plus ardue la tâche de définir précisément ce que recouvre le concept polémique d’historicisme, à savoir l’indétermination quant à la manière de circonscrire la tradition historiciste allemande. Considère-t-on que l’histoire de l’historicisme commence avec la première apparition du terme? La tradition historiciste prend-elle son essor avec la philosophie de Hegel ou plutôt avec le rejet de la conception hégélienne de l’histoire? Doit-on considérer certains auteurs tels que Vico ou Montaigne comme des «précurseurs» de cette tradition? Un examen des contributions récentes sur le sujet permet de relever des divergences majeures entre les interprétations de la ­tradition historiciste. Friedrich Meinecke, l’un des représentants les plus connus de l’historicisme allemand au 20e siècle, considère Leibniz, Voltaire et Montesquieu, de même que Burke, Lessing, Herder et Goethe, non seulement comme des précurseurs, mais comme les figures centrales de l’historicisme5. D’autres, tels que Georg Iggers et Frederick Beiser, identifient les travaux des philosophes Johann Martin Chladenius et Wilhelm von Humboldt, de même que ceux de l’historien Leopold von Ranke, comme marquant le début de cette tradition6. Nous trouvons également des interprètes qui concentrent leur attention sur la philosophie néokantienne de l’histoire en tant qu’elle représenterait le cœur de la problématique historiciste, alors que d’autres soutiennent que c’est dans le premier tiers du 20e siècle que se déploie pleinement la «crise» de l’historicisme7.
Dans la plupart de ces histoires, le concept d’historicisme est abordé sous l’angle des questions méthodologiques générées par une préoccupation pour le statut de la connaissance historique. La présente enquête ne vise pas à contester ces reconstructions ou à proposer une nouvelle lecture de l’émergence de l’historicisme. Elle vise plutôt à les compléter en tirant l’historicisme vers le 20e siècle et vers le champ de la philosophie politique8. Dans la période de l’entre-deux-guerres, alors que l’historicisme s’est déjà déployé pleinement dans le champ des études historiques et des sciences humaines, le problème de l’histoire migre vers la philosophie politique. Il s’agit de voir quels sont les effets de la doctrine historiciste sur le développement de la philosophie politique au 20e siècle. En quoi cette crise engage-t-elle à reconsidérer la façon dont on justifie le jugement politique? Et ultimement, à quel type de philosophie politique cette crise nous conduit-elle? En comprenant pourquoi la crise de l’historicisme devient un problème pratique, nous pourrons donner un sens aux réponses proposées par Strauss et Aron.

Aux sources du problème de l’histoire

Comprendre pourquoi l’Allemagne devient le pays par excellence de l’historicisme requiert de comprendre comment l’histoire devient un concept fondamental dans la pensée allemande moderne. Ici, les lumières de l’histoire conceptuelle sont utiles. L’historien Reinhart Koselleck fait remarquer que le concept d’histoire est aux Allemands ce que le concept de révolution est aux Français: une notion centrale, revendiquée de toutes parts et sans cesse mobilisée, et dont la signification est par conséquent à la fois ambiguë et contestée9.
Il faut dans un premier temps revenir aux racines étymologiques du terme d’histoire. L’histoire en son sens originel grec, historein, renvoie à un mode d’enquête, à une investigation sur ce qui a eu lieu ou ce qui est en train de se produire. En langue allemande, l’origine du mot «histoire» peut être retracée à partir du terme en ancien haut allemand scehan, duquel est dérivée la racine du verbe geschehen (advenir), qui signifie «événement, hasard, déroulement10». En moyen haut allemand, le terme est défini comme «ce qui advient par quelqu’un, action, œuvre11». Dès le 13e siècle, une distinction est établie entre Geschichte et Historie, le premier terme renvoyant à l’événement historique en tant que tel, le second au récit historique. Selon l’interprétation qu’en donne Koselleck, une fusion des deux termes se serait opérée dans la littérature historique et philosophique à partir du 18e siècle, voyant le terme de Geschichte l’emporter pour ­désormais désigner simultanément les événements passés et la connaissance que nous en prenons par le moyen du récit historique.
La thèse de Koselleck est que cette fusion moderne des notions de Geschichte et d’Historie donne naissance à ce qu’il nomme un «collectif-singulier12». Il entend par là que le terme d’histoire, auparavant employé de manière singularisée, c’est-à-dire toujours comme «histoire de» quelque chose (Geschichte der…) ou comme histoire spécifique à un objet, devient un concept réflexif et général sous lequel peuvent être rangés les récits historiques particuliers13. La création de ce collectif-singulier histoire revêt une signification nouvelle tant au plan théorique que pratique. En effet, le nouveau concept ainsi formé suppose que la variété des histoires ...

Table des matières

  1. INTRODUCTION
  2. PREMIÈRE PARTIE
  3. DEUXIÈME PARTIE
  4. CONCLUSION
  5. BIBLIOGRAPHIE
  6. REMERCIEMENTS