
- 140 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
La Concubine des montagnes
À propos de ce livre
Sur la route qui ramène Dalia dans son village, les souvenirs refont surface. Le fleuve, les champs de blé, sa vie de jeune femme, la mort de son mari et le choix, terrible: quitter la maison familiale et abandonner son fils, ou épouser le frère de son défunt mari. Dans le silence des montagnes, la voix de Dalia s'élève et livre le récit d'une vie où la loi du Kanun rythme inexorablement le destin des femmes. Et Nadia, la femme de son petit- fils, l'écoute, fascinée par ce monde de traditions que la modernité est en train d'engloutir. Luan Rama tisse avec délicatesse les fils d'un monde aujourd'hui disparu pour faire revivre les coutumes et les mythes des montagnes albanaises.
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Literatura general1.
« Dalia…, ai-je murmuré doucement.
Elle s’est tournée vers moi avec son sourire et sa bienveillance habituelle.
– Oui ?
Je me suis approchée d’elle et l’ai prise dans mes bras. Sentant que cette étreinte était différente des autres, elle a frissonné, comme si elle avait eu un mauvais pressentiment. Peut-être était-ce mon regard qui l’effrayait.
– Oui ? a-t-elle répété devant mon visage inquiet.
– Mara nous a quittés, lui ai-je dit, ou, plus exactement, chuchoté.
Mes mots l’ont abasourdie et elle n’a pas répondu. Elle a murmuré quelque chose du bout des lèvres, comme pour elle-même. Peut-être juste les mots « c’est fini », puisqu’elle savait qu’elle souffrirait à l’idée qu’un jour, qui sait, elle aurait vent de sa mort ou Mara de la sienne.
Elle a levé la tête doucement et a dit à voix basse :
– Quand ça ?
– Il y a deux jours. Je ne voulais pas te le dire hier, je ne sais pas, mais… Quelqu’un m’a appelée de Kukës1. »
Une larme a coulé sur sa joue, mais elle n’a pas fait de geste pour l’essuyer. Je sentais qu’en elle tout son être sanglotait. Elle a fermé les yeux et basculé sa tête en arrière, restant ainsi muette dans une profonde douleur. Elle semblait éprouver elle aussi une sorte de mort… Une demi-mort de son propre corps.
Mara venait d’avoir quatre-vingts ans, alors qu’elle, allait bientôt entrer dans sa quatre-vingt-troisième année. Je savais qu’elles s’aimaient énormément et qu’elles pensaient beaucoup l’une à l’autre. Elle disait toujours « Moi et Mara… Mara et moi… Quand nous étions avec Mara… Mara m’avait raconté que… » Elle en parlait comme si Mara était sa sœur ou son enfant, mais non, Mara était la femme de son mari. Elle était la femme de la maison. Elles avaient aimé le même homme, dormi avec le même homme, eu des enfants avec lui, elles avaient versé des larmes aux mêmes moments et s’étaient réjouies ensemble. Elles avaient pleuré la mort du même homme dix ans plus tôt, une journée glaciale et enneigée. Cela était-il vraiment possible ?
Je regardais le visage de Dalia, ses grands yeux châtains, et j’imaginais sa vie, leur vie dans les montagnes, à une autre époque, alors que tout était régi par la loi du Kanun, le code coutumier, et que les jeunes femmes n’avaient pas la main sur leur propre vie, dictée par les lois des montagnes. Cela se passait ainsi, et elles ne pouvaient rien y faire.
Je l’ai laissée là , dans son mutisme. La pluie battait les carreaux de la fenêtre. Dalia observait l’eau qui ruisselait et la faisait voyager vers d’autres temps, dans d’autres eaux. La rivière du village, les ruisseaux, la fonte des neiges, les avalanches.
1.  Ville dans le nord de l’Albanie.
2.
Dans l’après-midi, je suis entrée à nouveau dans la chambre. Elle était toujours sur le divan, submergée par le chagrin, dans un grand silence. Peut-être dans ses souvenirs. Peut-être qu’elle dort ? ai-je pensé. Je ne voulais pas la réveiller.
Un rayon de soleil tombait sur ses cheveux blancs, comme s’ils étaient faits de lait. Une lueur dans le ciel qui s’ouvrait, avec ces nuages qui brillaient si paisiblement. Sa longue chevelure qu’elle n’avait de toute sa vie jamais coupée. Elle aimait se faire des tresses qu’elle laissait souvent tomber sur sa poitrine et qu’elle touchait même quand elle dormait, ce qui donnait à son visage un côté juvénile malgré ses quatre-vingt-trois ans. On n’entendait rien, pas même sa respiration.
Elle tenait entre ses mains quelques vieilles photographies qu’elle avait, semble-t-il, ressorties et dans lesquelles elle s’était perdue. Dans ces nombreux clichés, les morceaux de vie, inoubliables, d’une vie commune, difficile, douloureuse et belle à la fois. Une couleur monochrome avait gagné quatre ou cinq photographies. C’étaient les traces du temps, une empreinte de la vie. Un noir passé, jauni, et au fil des années, les visages s’étaient quelque peu délavés. Ils étaient cependant tous là , scellés, imposants ou souriants, la vie saisie au vol. Ses êtres chers, Mara, Rexha, Kalia. Leur lumière avait fait vibrer son cœur aussi longtemps qu’ils s’y étaient trouvés, au plus profond d’elle-même, là où la matière devient insaisissable. Ils étaient vivants, morts-vivants, ils murmuraient depuis l’au-delà , riaient, pleuraient, et elle perdait alors toute notion du temps. C’est ainsi qu’elle retournait vers eux.
Elle, Mara, toutes les deux devant la maison de leur mari, au bord du fleuve, sur le terrain, dans une atmosphère de noces. Elle et une ribambelle d’enfants dans la cour. L’eau froide qui s’écoulait et ces deux-là qui riaient. Elles riaient à la vie.
L’une d’entre elles, désormais, s’en était allée. Impossible de se saluer, elles étaient loin, loin l’une de l’autre. Les temps avaient finalement changé, même si elles pensaient que la vie ne les séparerait pas, que seule la mort le pourrait. Mais non, elles s’étaient séparées de leur vivant, vingt ans plus tôt, lorsque les deux enfants de Dalia, déjà en âge d’être des hommes, l’avaient emmenée vivre à leurs côtés – mon beau-père et son frère vivaient à Tirana depuis des années.
En quittant la maison, le village, le fleuve à côté, les terres ensemencées de blé, l’image de cette haute montagne qui s’élevait au-dessus de leurs têtes, elle s’était dit qu’elle reviendrait vite, mais elle n’était revenue que trois fois en vingt ans. L’autre, la femme de son mari, sa sœur et son amie la plus chère, était restée là -bas, loin, dans un silence qui la tourmentait à chaque instant, dans le village au pied de la montagne. Peut-être écoutait-elle le glouglou du fleuve qu’elles avaient écouté toute leur vie durant.
Les fleuves continuent de s’écouler, ai-je pensé, les fleuves sont comme les hommes : ils proviennent des sources, ils grandissent et partent fougueusement puis se déversent paisiblement quelque part dans la mer. Les fleuves dorment, se réveillent, se tarissent et gonflent à nouveau avec la fonte des neiges, puis débordent bruyamment ; ils se séparent en branches pour se réunir à nouveau. La vie de ces femmes ressemblait à deux petits ruisseaux autrefois descendus des montagnes, qui s’étaient croisés pour ne former qu’un fleuve qui s’écoule. Une rivière de sang, de larmes, de désirs. Une rivière d’ivresse et de rêves partagés.
Elle dort, ai-je pensé à nouveau. Je voulais la laisser ainsi, au milieu de ses souvenirs, dans sa solitude, blessée par la perte du grand amour.
« Ces pierres, là -bas, dans le village, me manquent beaucoup, m’avait-elle dit un jour.
– Alors allons-y, avais-je répondu.
– Eh, avait-elle soupiré. Et tes enfants, les enfants de Mema ? Comment puis-je m’éloigner d’eux, comment puis-je me séparer d’eux maintenant, même si mon village, ma terre, me manquent beaucoup. J’ai souvent l’impression que la vie est un rêve. Alors quand je ne rêverai plus, c’est certain que je serai morte… »
*
Cela fait un moment que Dalia dort. Peut-être que… Je l’observe un instant avant d’aller dans ma chambre. J’essaie de comprendre son univers, d’entrer au plus profond de son être, de son âme, de sa vie et de sa jeunesse. Je m’allonge sur le lit et, j’ignore pourquoi, au même moment, je me dédouble et me retrouve avec sa silhouette de jeune femme. Qu’aurais-je fait alors ? Aurais-je accepté de partager ma vie avec le frère de mon mari et, surtout, de nouer une relation si proche et si forte avec sa femme ? Comment partager un homme avec une autre femme ? Comment dormir sereinement quand, de l’autre côté du mur, mon compagnon dort avec une autre femme, fait l’amour avec elle ? Impossible !
J’éteins la lumière de la lampe. Cela se passait ainsi autrefois, au crépuscule des temps, à l’époque des sociétés polygames. De tels liens étaient naturels et faisaient partie intégrante de l’harmonie humaine. La religion, les croyances n’ont-elles pas instauré une société humaine monogame ? Que s’est-il passé pour que l’homme en vienne à penser à sa propriété, humaine et terrestre ? Pourquoi, depuis des siècles, est-ce l’homme qui décide pour la femme ? Et maintenant ? Cela se poursuit sans nul doute sous une autre forme, même si la femme a tenté de se réveiller et de s’affranchir de la soumission, comme en Europe.
Je retourne voir Dani allongé sur le lit.
« Dani !
– Quoi ?
– Est-ce que tu pourrais vivre toi aussi avec deux femmes ?
– C’est quoi cette question ? répond-il en riant. Dors maintenant !
– Je pensais à Dalia.
Il m’observe dans la luminosité de la lune et rit à nouveau. Il m’embrasse. Je ferme les yeux. Cet amour pour Mara me fascine de plus en plus. C’est quelque chose de sublime, qui dépasse l’idée de propriété, de jalousie, d’orgueil féminin. C’est une vertu extraordinaire.
– En vrai, que peut faire une femme pour aimer la femme ou l’amante de son mari, si on peut le dire ainsi ?
– Je ne sais pas… Dans tous les cas, cela doit être naturel.
– Naturel ? Comment ça ?
– Il me vient à l’esprit l’histoire de l’actrice Juliette Drouet avec Victor Hugo. Ils s’aimaient beaucoup et elle a même abandonné le théâtre pour se consacrer exclusivement à lui. Quand on a voulu arrêter Victor Hugo et qu’il s’est enfui avec sa femme, Adèle, dans une ville côtière en Angleterre à Guernesey, à Hauteville House, Juliette l’a suivi. Adèle connaissait leur histoire. Lorsqu’il est revenu de son exil, plusieurs années plus tard, Adèle a fini par accepter l’amante d’Hugo. Elle a pris le parti de vivre avec elle, un étage au-dessus de leur appartement. Ils étaient ensemble, tous les trois.
– Quelle histoire !
– Quand Hugo recevait ses amis, aux côtés d’Adèle dans son bureau se tenait également Juliette. Des années plus tard, Adèle est morte. Alors Juliette est descendue à l’étage du dessous pour prendre soin de son amant éternel.
– Quel amour ! Je ne connaissais pas cette histoire.
Dani m’a regardée un instant puis m’a embrassée.
– Dors maintenant ! »
Comment puis-je dormir ? Mara, Juliette, Dalia viennent à moi, et plus je les vois, plus cette expérience d’amour dédoublé me semble naturelle, réelle, et même crédible. Je veux comprendre comment certaines amours peuvent refuser d’appartenir à quiconque pour demeurer libres et faire l’expérience de la vie, puisque tout est éphémère dans ce monde.
Soudain, je sens le bras de Dani sur mon corps. Il dort et malgré tout, cette caresse sur mon corps suffit à le réveiller, à éveiller ses sens du désir, de la luxure et du sexe.
3.
Dalia était chez nous depuis trois semaines. D’ici quelques jours, elle se rendrait chez son autre fils, dans la banlieue de Tirana.
Elle aimait être chez nous, car beaucoup de monde y venait. Les amis de mon mari, des artistes et, par-dessus tout, mes amies toujours enjouées. Elle avait plaisir à discuter avec elles, savoir ce que nous faisions, comment nous vivions, ce qu’était le monde pour nous. Elle posait des questions sur nos amours, elle découvrait notre liberté.
Elle appréciait cette vie sincère, même dans une période sombre où tout était compliqué, où les files d’attente pour acheter le lait, la viande, les œufs étaient longues. Elle comparait évidemment nos vies à la sienne, à l’époque où elle vivait, au temps de sa jeunesse, lorsqu’elle n’avait jamais traversé le village pour voir la ville de Kukës, sauf quand elle avait dû se rendre à Tirana pour aller vivre dans la maison de l’oncle de mon mari. Quand elle venait nous voir, pour elle, c’était comme une fête.
Le soir, tard, nous discutions souvent toutes les deux. Je lui posais des questions sur sa vie et je découvrais petit à petit une existence dramatique et en même temps, un grand cœur. Elle restait souvent sur le balcon, elle aimait beaucoup regarder les gens. Peut-être se disait-elle qu’il y avait une histoire en chacun d’entre eux ou qu’ils avaient leur propre vie. Peut-être avait-elle la sensation de marcher, elle aussi, parmi eux.
Elle m’aimait beaucoup. « Ah, ce que j’aimerais vivre avec vous, mais je ne peux pas. J’ai des enfants en bas âge là -bas… », me disait-elle. L’après-midi, quand je revenais du travail, je la trouvais à nouveau sur le balcon. Il faisait chaud et à l’ouest, le soleil tombait directement et do...
Table des matières
- Couverture
- 4e de couverture
- Copyright
- Titre
- Chapitre 1
- Chapitre 2
- Chapitre 3
- Chapitre 4
- Chapitre 5
- Chapitre 6
- Chapitre 7
- Chapitre 8
- Chapitre 9
- Chapitre 10
- Chapitre 11
- Chapitre 12