Devenir différents, rester près : réinventer la présence à distance
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Devenir différents, rester près : réinventer la présence à distance

15 entretiens avec des personnalités publiques

  1. 284 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
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Devenir différents, rester près : réinventer la présence à distance

15 entretiens avec des personnalités publiques

À propos de ce livre

En ces temps de pandémie mondiale, la multiplication des canaux de communication et le foisonnement des technologies numériques ont changé nos façons de faire et nos rapports à l'autre. Les changements apportés par les relations à distance font dorénavant partie d'une réalité à laquelle nous sommes tous confrontés, que ce soit dans l'exercice du télétravail ou de l'enseignement et l'apprentissage à distance. Mais comment les humains s'adaptent-ils face à la mutation des rapports sociaux?? Comment vivent-ils la distance dans ce nouveau contexte?? Comment perçoivent-ils la densification des activités et l'accélération du temps?? Quel héritage et quelle compréhension garderont-ils de cette accélération du recours au numérique?? Comment cette nouvelle façon de vivre à distance et en société contribue-t-elle réellement à transformer nos pratiques et notre regard sur le monde??Quinze personnalités issues de milieux différents (santé, éducation, économie, politique, services sociaux, justice, environnement, etc.) tentent de répondre à ces questions en nous livrant leurs perceptions d'un monde en mutation. Leurs perspectives à la fois divergentes et complémentaires permettent d'expliciter les nouveaux enjeux de la présence et de la distance qui nous concernent désormais à titre d'individu ou de société.

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Partie
A
Penser la distance
Entretien
1
Rose-Marie Charest
Psychologue, conférencière, auteure et communicatrice, ancienne présidente de l’Ordre des psychologues du Québec
Rose-Marie CHAREST
Bien que formée à la pratique de la psychologie clinique, Rose-Marie Charest développe rapidement une passion pour la communication capable de toucher un plus grand nombre que la seule pratique traditionnelle. Dès lors, elle deviendra également auteure et conférencière. Celle qui a été présidente de l’Ordre des psychologues de 1998 à 2015 quittera ainsi cette fonction pour déployer ses énergies à alimenter sa carrière de communicatrice. En plus d’avoir publié plusieurs livres, elle est connue du grand public pour sa participation régulière à différentes émissions de radio et de télévision. Dans ses conférences, elle allie ses connaissances en psychologie à son impressionnante expertise pour favoriser l’implication de l’individu dans la recherche de son propre bonheur et de celui des autres. Ayant fait de la santé psychologique son cheval de bataille, elle montre ainsi que celle-ci est d’abord et avant tout la responsabilité partagée du milieu, des acteurs et de la personne elle-même.
<http://www.rosemariecharest.com>
Comment « vivez-vous la distance » à l’heure actuelle ?
Lorsque la pandémie a débuté, j’intervenais principalement dans la cadre de conférences, de formations et de séminaires. À ce moment, je me suis dit : c’est fini. Asseoir 300 personnes dans une salle pour que je donne une conférence ne sera désormais plus possible. Cela a eu pour conséquence de vider mon agenda pendant deux semaines. On annulait tout ce qu’on avait dans l’année à venir et puis tout à coup, cela s’est mis à se « rebooker », comme on dit. Puis vraiment, j’ai travaillé très, très fort, mais… à distance. J’ai travaillé avec Zoom, j’ai travaillé avec Teams, puis là, cela a été un gros stress technologique avec la multiplication des plateformes et des fonctions auxquels il fallait s’adapter. Mais bon, c’est comme si j’avais remplacé la présence sur le plan professionnel par la distance et cela même en clinique. Vous savez qu’on fait maintenant de la thérapie par Zoom. Je n’aurais jamais pensé faire cela un jour. Je fais très peu de clinique, mais quand même, ce que je fais actuellement, je le fais par Zoom. Donc, cela m’a demandé une adaptation sur le plan professionnel. Est-ce que j’y ai vu des avantages ? Oui, d’une certaine façon, parce qu’on peut joindre des gens qu’on ne joindrait pas autrement. Actuellement, j’ai en thérapie une dame de Rivière-du-Loup qui ne viendrait pas normalement à Montréal. Puis, quand j’ai animé un colloque la semaine dernière, il y avait des gens de partout au Québec, qui étaient tous branchés. On m’a dit qu’on n’a jamais eu une aussi grande participation, mais puisque les gens n’ont pas besoin de se déplacer, tout le monde peut participer. Donc, oui, il y a certains avantages. Par contre, je suis devenue psychologue parce que j’aimais travailler avec des gens et donc leur présence, évidemment, me manque. J’ai très hâte à un retour à la normalité. Je ne sais pas si cela va revenir à la normale, mais je pense que oui. Si les spectacles reprennent, je suis à peu près certaine que les conférences en personne vont aussi reprendre Quant à moi, j’ai décidé qu’en septembre, je recommencerai à faire du bureau en présence. Il se peut qu’il y ait des gens qui préfèrent continuer à distance. Je vais respecter cela, mais je vais favoriser la présence.
Pour ce qui est de la distance sur le plan personnel, je suis vraiment une privilégiée. De ce fait, je fais en sorte de ne pas trop me plaindre. Il y a des gens pour qui cela a été très dur. Le hasard a voulu que, au moment où la pandémie a été déclarée, j’avais deux condos côte à côte. J’en prêtais un à ma fille parce qu’elle attendait des jumeaux et que sa maison était alors en construction. On a donc créé une bulle, même si on avait chacun notre appartement. Quand la pandémie s’est déclenchée, les bébés avaient 8 mois, alors que maintenant, ils ont plus de 2 ans et demi. Ils sont restés là parce que tout a été ralenti. La construction aussi, évidemment, et j’ai fait en sorte de les aider. Je n’ai pas été si seule parce que j’étais avec eux et je n’ai donc pas été privée de la présence de mes petits-enfants, contrairement à d’autres. Je comprends à quel point cela doit être terrible, cela doit manquer aux uns comme aux autres. J’apprécie la chance que j’ai eue de voir ma fille, mon gendre et mes petits-enfants, quotidiennement. En outre, je me qualifie comme une fille d’amitié. J’ai d’ailleurs un important réseau d’amis depuis toujours. Je suis veuve, et lorsqu’on me demande si je trouve difficile de vivre seule, je réponds que j’ai aimé vivre en couple. Pour autant, je ne trouve pas compliqué de vivre seule si j’ai accès à mes amis, si j’ai accès à mon réseau. Raison pour laquelle je suis impatiente de reprendre des contacts. J’ai gardé tous les contacts possibles et imaginables par Zoom. On en a fait, des Zoom, mais j’ai un réel besoin de présence. Ça me manque énormément. Comme tout le monde sur le plan personnel, j’ai très hâte de voir mon monde.
Quel est votre regard sur le concept d’espace (espace privé, espace public), surtout après les périodes de confinement qui ont conduit à l’envisager autrement ?
Il y a un espace physique et un espace mental aussi. Et, ce que la pandémie a fait, cela s’est passé beaucoup sur le plan de l’espace mental. Et une des choses, c’est l’intrusion de la vie publique dans notre vie privée. Premièrement, parce que les consignes sanitaires, auxquelles je crois et que j’appuie totalement, venaient quand même gérer ce qui se passait dans notre vie privée. Comme on vit dans un pays libre, on n’avait pas l’habitude de ça. C’est assez traumatisant psychologiquement de briser la frontière entre le public et le privé. J’ai toujours assez maintenu ça. On a quand même besoin de protéger notre intimité, notre espace personnel de liberté, de garder quelque chose pour soi. On a besoin de faire une différence entre notre vie privée et notre vie publique, bien que ce ne soit pas nécessaire que le mur soit étanche si on décide soi-même de le traverser. Il y avait aussi un autre type d’intrusion. À titre d’exemple, mes patients ne sont jamais entrés dans ma maison, avant cette année. C’est sûr, ils n’entraient pas, mais je savais que j’étais chez moi en train de faire de la thérapie et eux, chez eux, en train de se confier à moi, parfois au sujet de leurs proches. Il y a un mélange des genres, je devrais dire, qui s’est produit, et cela, en matière d’espace… Évidemment, je n’ai pas vécu de situations traumatisantes, comme plusieurs personnes ont dû en vivre, comme celles où des couples avec enfants à la maison étaient en télétravail. Cela a dû être une situation extrêmement difficile pour plusieurs. D’ailleurs, pour beaucoup de familles, pour beaucoup de couples, cela a été source de tensions énormes. Pour moi, l’espace physique, c’est aussi important. L’espace physique, c’est quelque chose d’important pour nous sentir libres aussi dans nos comportements, mais bien sûr cela affecte, en outre, nos pensées. Une autre chose : je trouve, par rapport à l’espace, que nous nous sommes sentis comme jamais, probablement, citoyens du monde. Par ailleurs, vu à quel point les frontières auxquelles on a toujours cru, celles de notre pays, de notre ville, de notre région – bien que ces frontières aient été de plus en plus poreuses –, étaient moins déterminées que l’on pensait, on n’avait jamais réalisé à quel point quelque chose qui se passe en Inde ou en Chine peut arriver chez nous peu de temps après. Et il n’y a pas juste les personnes qui voyagent ; les virus aussi.
Pour l’espace mental, c’est beaucoup en fonction du cadre auquel on se réfère. J’ai l’impression qu’en vieillissant, mon espace mental grandit. Lorsque j’étais jeune psychologue, par exemple, j’avais absolument besoin de me définir par rapport à une approche, par rapport à un modèle théorique. En vieillissant, j’ai une plus grande liberté d’utiliser des concepts qui découlent des différents modèles théoriques, des différents auteurs, chercheurs, avec la liberté de dire, oui, ça, c’est un concept utile, puis je peux lier cela à autre chose. Et cette liberté-là, de faire ce mélange-là, c’est très, très fructueux. Et quand on est limité dans notre espace mental, quand on sent qu’on n’a pas la fluidité, qu’on n’a pas la possibilité d’aller chercher des réponses ailleurs, on est moins efficace et on est moins heureux. Cela, c’est pour la clinique, mais pour les conférences aussi, j’aime me sentir libre de créer du contenu, d’adapter des concepts aux réalités propres aux groupes auxquels je m’adresse. Sur mon site Internet, j’ai des exemples de conférences, et lorsque les gens me disent qu’ils voudraient telle conférence, je les invite à en discuter pour que je puisse élaborer un contenu pertinent pour eux. Puis, je vais préparer un plan de conférence pour vous. C’est cela que je trouve riche dans mon travail de psychologue : pouvoir toujours créer du nouveau contenu, à partir d’un cadre. Je dis tout le temps que j’aurais aimé être une artiste, mais je n’en suis pas une. Comme je suis psychologue, j’ai décidé que j’allais pratiquer de façon créative, c’est-à-dire qu’avec chaque organisme pour lequel je prépare une conférence, je vais toujours chercher ce qui est propre à chacun. Je me demande toujours ce qui le caractérise et comment je peux parler à chaque participant pour qu’autant que possible, il sente que c’est à lui que je parle. J’adore faire cela. Quand les gens, évidemment, me disent : « Pouvez-vous nous laisser un texte de votre conférence ? », je leur réponds par la négative parce que pour me sentir libre, il ne faut pas que j’écrive un texte d’avance. Évidemment, j’ai un plan, j’ai un plan détaillé. Je me prépare, mais si j’ai une intuition ou que je sens quelque chose à un moment donné pendant la conférence, il faut que j’aie la liberté de pouvoir le dire. D’ailleurs, j’ai une drôle de stratégie parce que ceux qui veulent absolument qu’on leur laisse quelque chose, je leur dis : « D’accord, je vous laisserai quelque chose, mais après avoir donné la conférence. » À ce moment-là, je ferai des messages clés à partir de ce que j’ai dit. Donc, le sentiment d’être libre comme ça, c’est un espace mental dont moi j’ai besoin pour pouvoir être efficace. Pour pouvoir être heureuse aussi dans le travail que je fais, pour pouvoir vraiment rejoindre les gens. Une autre chose qui est extrêmement importante, que je mets en lien avec l’espace mental, ce sont les préjugés. Je ne vais sûrement pas affirmer que je n’ai pas de préjugés parce que je suis convaincue que tout le monde en a, mais je vais affirmer que je travaille fort à en avoir le moins possible parce que je veux me donner la liberté de découvrir chaque personne que je rencontre. Et si je veux avoir cette liberté, il ne faut pas que je sois dans un carcan de quelque nature qu’il soit qui me ferait croire que je sais qui est cette personne à partir de certaines caractéristiques. J’aime bien être à ma position où je m’adresse aux autres, je le fais beaucoup dans la vie, mais je me mets aussi dans l’autre position où je me regarde aller. J’ai beaucoup d’autocritique, mais cela ne me gâche pas la vie. Et hier, justement, je voyais mes deux petites-filles, je leur disais qu’elles étaient belles avec leur petite robe d’été. À un moment donné, je me suis dit, si c’étaient des garçons, est-ce que je leur dirais si souvent que cela qu’ils sont beaux ? Est-ce que je leur dirais qu’ils sont beaux aussi souvent que je dis à mes petites-filles qu’elles sont belles ? Et je ne suis pas certaine, je pense que je vais avoir une réflexion là-dessus parce que je pense qu’il y a des conditionnements, et que malgré moi j’agis en fonction de stéréotypes.
Comment votre perception du temps (d’un temps vécu différemment en contexte de pandémie), a-t-elle modifié votre rapport à vous et aux autres ?
La pandémie nous a apporté du temps et on a justement appris à prendre le temps. Ainsi, malgré la distance, j’ai donné encore plus de conférences, puisque je n’avais jamais à me rendre ni à Québec, ni à Saint-Hyacinthe, ni à Trois-Rivières ou ailleurs. J’ai donc eu beaucoup de temps de disponible. Et, ce qui m’a frappée, c’est à quel point on a quand même besoin d’une certaine organisation du temps. Se lever un matin et se dire « Ah ! Aujourd’hui, je n’ai rien à l’agenda », c’est génial si on décide qu’on en fait une journée de liberté. Mais si on se dit : « Je n’ai rien à l’agenda, puis je verrai ce que je ferai de ma journée », mais qu’on passe la journée à se dire « Il faudrait bien que je fasse cela », puis qu’on ne le fait pas, cela devient très inconfortable. Pendant une grande partie de ma vie, j’ai eu la peur de manquer de temps. Il y a une chanson que j’ai adorée, et je me suis dit : « Ah ! que j’aime ça ». Il s’agit de la chanson « Il est toujours plus tard qu’on pense… » de Fred Pellerin. Je me rappelle, j’avais donné une entrevue à René Homier-Roy, puis il m’avait dit : « Si je vous faisais jouer une chanson, laquelle ? ». Et j’ai choisi Plus tard qu’on pense parce que j’ai eu l’impression de regarder l’heure toute ma vie et de me dire « Ah non ! Il n’est pas déjà 11 h, je pensais qu’il était 10 h ». Évidemment, cela signifie que la vie est intéressante, qu’on ne s’ennuie pas. Mais j’ai trouvé, pendant la pandémie, que d’avoir à revenir davantage de l’intérieur vers l’extérieur pour organiser le temps était en fait quelque chose de très enrichissant à apprendre. Ainsi, me dire « c’est moi qui établis les priorités de ma journée » plutôt que « j’ai un horaire de travail très serré » était très formateur, et j’ai beaucoup aimé ça. En fait, j’ai vraiment pris goût à prendre mon temps et c’est possible que cela influence beaucoup ma façon d’organiser mes horaires. Personnellement, je veux travailler très longtemps et le mot retraite n’entre pas dans mon vocabulaire. Je veux travailler très longtemps, mais le rythme, c’est moi qui le décide.
Pensez-vous que la multiplication des canaux de communication nous a permis collectivement de mieux vivre nos relations avec les autres ? Pourquoi ? Comment ?
Il y a eu du positif et du négatif. Il y a du positif parce qu’on garde des contacts plus fréquents avec les gens. Personnellement, je n’aurais pas le temps d’appeler tout le monde à qui j’envoie des textos dans une journée, donc c’est une richesse. Cependant, c’est pour le meilleur et pour le pire puisque parfois, on envoie un texto, puis finalement, on aurait bénéficié d’une bonne conversation d’une demi-heure avec cette personne et on se prive ainsi de rapprochement. Il y aussi une inquiétude, on en parlait tout à l’heure, c’est qu’il n’y ait plus de frontières entre différentes activités : vous êtes au travail, vous recevez un texto de votre ado qui ne veut pas aller à l’école, puis vous êtes à la maison et vous recevez un courriel à 22 h le soir d’un collègue qui se préoccupe de quand vous allez sortir un article. Cela est assurément une source de stress. De plus, pour les personnes qui ressentent une anxiété sociale, cela permet de vivre de l’évitement des contacts sociaux et donc, à partir de ce moment-là, elles risquent de se retirer de plus en plus. Le fait d’avoir à confronter un contact en personne les aide. Certes, c’est juste une minorité de nous qui a des troubles d’anxiété sociale, mais en chacun de nous, il y a un petit peu de timidité, de stress par rapport à la rencontre de l’autre. Mon inquiétude, c’est que cela finisse par éloigner les gens. Quand on me dit que les jeunes sont beaucoup sur les réseaux sociaux, cela ne dit rien. Il faut savoir ce qu’ils en font, des réseaux sociaux. S’ils utilisent cela pour organiser des projets, des rencontres, c’est un moyen qui est à leur disposition. Par contre, pendant la pandémie, ce n’était pas possible de se rencontrer et, honnêtement, j’étais comme tout le monde, très contente que cela existe, particulièrement en pensant aux ados. C’est épouvantable quand on est adolescent de ne pas pouvoir avoir des contacts avec ses pairs, avec les gens de son âge, et tout cela. Donc, au moins, ils ont pu avoir cela. Un autre point, c’est que le sentiment d’efficacité personnelle contribue à notre bonheur. En tout cas, pour moi, c’est quelque chose de très important : me sentir efficace, sentir que dans une journée, j’ai réglé plusieurs dossiers et que j’ai réglé plusieurs choses. La technologie a augmenté de beaucoup notre efficacité, et personnellement, je traite beaucoup plus de choses dans une journée que je pourrais en traiter autrement. Toutefois, le pendant de ça, quand on y pense comme il faut, on a le même cerveau ou à peu près, avec le même nombre de neurones que nos grands-parents avaient. Or ce cerveau-là traite 100 fois plus d’informations que celui de nos grands-parents traitait. Mon grand-père se levait le matin et regardait [dehors] s’il allait pleuvoir ou non afin de savoir s’il allait pouvoir planter son jardin aujourd’hui, puis il lisait son journal. C’était la quantité d’information qu’il devait traiter. Aujourd’hui, par contre, vous vous levez, vous regardez votre cellulaire, vous avez tout de suite une dizaine de nouvelles qui apparaissent, peut-être que vous avez des courriels qui sont rentrés et tout cela. Le fait de traiter une grande quantité d’informations a un impact sur la charge mentale. On n’est donc pas seulement fatigué de ce qu’on fait, on est fatigué de ce qu’on traite aussi.
Puis, quand je vous disais tout à l’heure qu’on est citoyen du monde, c’est aussi cela, les technologies ont fait en sorte que je peux écrire quelque chose qui va se rendre en Russie dans la seconde. Certes, cela aide à sortir de sa petitesse, mais je dirais que c’est pour le meilleur et pour le pire parce qu’il y a une espèce de narcissisme qui peut s’installer là-dedans et où chacun peut penser que son idée, son opinion à lui mérite d’...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Page de titre
  3. Page de copyright
  4. Préface
  5. Remerciements
  6. Liste des sigles
  7. Introduction
  8. Partie A: Penser la distance
  9. Partie B: Vivre la distance
  10. Partie C: Planifier la distance
  11. Conclusion
  12. Notices biographiques