Excel m'a tuer
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Excel m'a tuer

L'hôpital fracassé

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
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L'hôpital fracassé

À propos de ce livre

Voici le témoignage choc d'un médecin qui nous dit qu'on ne peut plus bien soigner à l'hôpital. Les établissements de soins ne sont plus en mesure d'assurer des conditions d'accueil décentes. Ce livre est le cri d'alarme d'un psychiatre qui voit le système de santé s'effondrer et devenir déshumanisant, pour les patients comme pour les soignants. L'hôpital est au bord du gouffre. C'est le triste constat de Bernard Granger, qui montre combien le règne de la bureaucratie et les politiques technocratiques ont détruit le système de santé. Les soignants s'épuisent à la tâche et désertent les établissements publics. Il est urgent de trouver des solutions : la santé des Français est en jeu. Bernard Granger est professeur de psychiatrie à l'université Paris-Cité, responsable de l'unité de psychiatrie de l'hôpital Cochin. Très engagé dans la défense de l'hôpital public, il est membre de la commission médicale d'établissement et du conseil de surveillance de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Il a publié La Psychiatrie d'aujourd'hui et, avec Daria Karaklic, Les Borderlines. 

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2022
Imprimer l'ISBN
9782415002435

CHAPITRE 1

Naissance d’un monstre

La bureaucratie n’est pas née d’hier. Elle a une longue histoire et viendrait de loin, de Chine peut-être, comme les nouilles et la poudre. On en trouve des traces dans les plus anciennes civilisations, mais nous nous limiterons ici à la période moderne, où elle a sans doute atteint une expansion inégalée.
Dans Les Employés, paru en 1838, Balzac écrit :
« La bureaucratie, pouvoir gigantesque mis en mouvement par des nains, est née ainsi. […] Les Bureaux se hâtèrent de se rendre indispensables en se substituant à l’action vivante par l’action écrite, et ils créèrent une puissance d’inertie appelée le Rapport. […] La France allait se ruiner malgré de si beaux rapports, et disserter au lieu d’agir. Il se faisait en France un million de rapports écrits par année ; aussi la bureaucratie régnait-elle ! […] Enfin elle inventait les fils lilliputiens qui enchaînent la France à la centralisation parisienne, comme si, de 1500 à 1800, la France n’avait rien pu faire sans trente mille commis. »
Balzac a donc vu comment la graine bureaucratique a germé en France. Il en a décelé immédiatement les tares congénitales : la manie du rapport, la paralysie due à la centralisation et la ruine comme résultat inéluctable. Pour compléter le tableau, ajoutons l’organisation incessante de réunions, ne serait-ce que pour fixer la date de la prochaine réunion. Le refus de participer à une réunion est vécu comme le dernier outrage par les bureaucrates, ou comme le signe d’une rébellion à mater toutes affaires cessantes.
Balzac n’était pas le seul à avoir pressenti les ravages de la bureaucratie. Comme le rappelle le sociologue Michel Crozier :
« Tocqueville a déjà démontré que cette administration omniprésente, qui s’occupe de tout et qui sait toujours mieux que les citoyens ce qui leur convient, étouffe leurs initiatives, diminue leur intérêt pour le bien public et engendre constamment par son agitation brouillonne les problèmes qu’elle devra finalement résoudre. […] Ne pouvant tout contrôler, elle s’acharne à développer des règlements, ajoutant la méfiance au contrôle et forçant tout le monde à l’irrégularité1. »
L’hôpital public est un terrain d’observation privilégié du phénomène bureaucratique. L’opium des directions hospitalières actuelles est « le projet ». Quand un directeur ne sait plus quoi vous répondre et cherche à se débarrasser de vous, il ordonne : « Écrivez-moi un projet ! » Tout est projet : projet médical, projet managérial, projet social, projet de soins, projet d’établissement, projet financier, projet de pôle, projet de département, projet de service, projet de chefferie de service, projet pédagogique, projet des représentants des usagers, et le dernier-né projet psychologique. Aucun projet ne se réalise comme prévu, ni même connaît un début de réalisation pour certains, car c’est une littérature de fiction qui donne l’impression d’avoir été rédigée sous l’emprise de stupéfiants.
Et que dire de ces rapports annuels d’activité, enquêtes administratives, rapports d’étapes, feuilles de route, plans stratégiques, boîtes à outils, états prévisionnels, plans locaux de santé, plans globaux de financement pluriannuels, stratégie nationale de santé, pilotages de la transformation (là où il faudrait plutôt une transformation du pilotage), retours d’expérience (RETEX, dans ce verbiage bourré de sigles et d’acronymes dont plus personne ne finit par connaître la signification) ? Qui s’intéresse à ces fadaises ? Qui lit ces documents destinés à une étagère empoussiérée puis à la déchèterie ?
En 2014, sous le titre Oui-Oui fait de la stratégie, j’avais écrit ce petit texte ironique sur le plan stratégique de l’AP-HP alors en préparation.
Tous les personnels de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) viennent de recevoir de la part de la direction générale le Livre Vert, plan stratégique de l’AP-HP 2015–2019. Il s’agit d’un opuscule de 44 pages, décrivant en quatre parties les grands axes stratégiques du groupe hospitalier francilien dans les années à venir.
Après un « préambule méthodologique » et une introduction, il détaille la vision par l’administration centrale de l’AP-HP des sujets à développer : le « parcours patient de demain », la place de l’AP-HP comme « acteur des révolutions médicales et numériques » en partenariat avec les universités, l’amélioration de « la performance sociale et managériale », enfin la construction d’un « projet financièrement responsable ».
La couverture annonce « une AP-HP Ouverte, Unie, Innovante ». À la première lecture, cette série d’épithètes sonne un peu faux. Mais, les plus perspicaces d’entre vous auront tout de suite remarqué que les initiales de ces trois adjectifs dissonants forment l’adverbe OUI. Je dirais même que, de façon subliminale, cette blague de potache nous évoque le sympathique Oui-Oui.
La lecture de ce document nous dévoile un chef-d’œuvre digne des plus grands écrivains français. Il égale ou même surpasse Blaise Pascal par la profondeur de sa réflexion, pour ne pas dire son mysticisme, Bossuet par la hauteur de son inspiration et la portée de son regard, Voltaire par le classicisme de son expression, Chateaubriand par l’élégance de son style, Victor Hugo par la noblesse de ses sentiments et Saint-John Perse par sa lumineuse beauté.
Nous pressentons que toutes les exceptionnelles et puissantes cervelles de l’avenue Victoria*1 ont été mobilisées pour donner ce qu’elles avaient de meilleur. Le résultat est en effet impressionnant.
Cependant, nous nous posons quelques questions. D’abord, pourquoi petit Livre « Vert » ? C’est que le Rouge était déjà pris bien sûr. Pourquoi ensuite des majuscules un peu partout ? C’est que probablement la typographie ne fait pas partie des connaissances de base enseignées dans nos écoles d’administration.
Ce petit document est très en deçà toutefois du monumental projet régional de santé de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France. Apparu sur la scène littéraire en 2012, ce dernier comporte plus de 600 pages et se compose de trois parties.
Un plan stratégique constitue la première. Il est organisé autour de huit principes (prévention, réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, maîtrise des risques sanitaires, organisation des soins, parcours de santé, amélioration de la qualité des prises en charge et de l’efficience du système de santé, renforcement des capacités d’observation de la santé en région : la démocratie sanitaire, créativité des acteurs locaux).
Suivent trois schémas (prévention, organisation des soins, médico-social) et quatre programmes (télémédecine, gestion du risque, accès à la prévention et aux soins, accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie).
C’est un des sommets de la prose bureaucratique, l’Himalaya de la pensée sanitaire. […]
Voici quelques phrases du Petit Livre Vert qui resteront à jamais gravées dans les mémoires des humbles producteurs de soins, mais qui frapperont aussi l’esprit des fins lettrés que compte encore notre pays. La première aurait pu être écrite par Stendhal tellement elle est directe et limpide : « L’AP-HP est une grande institution. »
Plus loin, nous découvrons la suite logique de cette affirmation peu contestable : « Une grande institution a toujours besoin d’avoir une stratégie. »
Même si la phrase est quelque peu osée, reconnaissons qu’elle justifie à elle seule l’entreprise rédactionnelle de ce plan stratégique qui nous projette dans un avenir radieux.
Pour ne pas lasser le lecteur de ce billet, je terminerai ce court recueil de citations par une phrase dépourvue de verbe principal mais non d’ambition, qu’il faut lire bien calé dans son fauteuil pour ne pas tomber à la renverse :
« Une stratégie répondant à des besoins de santé territoriaux, mais pouvant aussi conforter l’AP-HP comme étant, au niveau mondial, l’un des pôles de santé les plus innovants, d’un point de vue scientifique comme organisationnel, qu’il s’agisse des unités qui composent ses hôpitaux, ses groupes hospitaliers, ou encore son siège. »
Tout est dit en quelques mots, avec une ravissante légèreté.
Nous sommes appelés par les auteurs de cet exploit à amender leur plan et à soumettre à notre formidable administration quelques idées personnelles, au cas, bien improbable, où nous en aurions. J’avoue impossible de toucher à une seule virgule de ce texte admirable tellement sa rédaction et son équilibre touchent à la perfection.
Tout au plus, je suggérerais de reprendre le plan stratégique 2010-2014 et d’en changer tout simplement le millésime. En effet, l’ordre des rubriques et les termes utilisés peuvent être différents d’un plan à l’autre, mais un examen objectif de ces deux recueils de géniaux aphorismes montre que leur fond est rigoureusement le même. Quelque archéologue hardi pourrait également exhumer des profondeurs de la Terre l’avant-dernier plan stratégique. On ne sait jamais, il pourrait nous réserver d’immenses surprises et servir lui aussi de prose de substitution.
Ces propos impertinents sur le petit livre vert ont connu un certain succès, mais ont été peu goûtés par la direction générale, qui est devenue toute… rouge.

*1. Le siège de l’AP-HP se situe avenue Victoria à Paris.
note

CHAPITRE 2

Le temps dilaté

La plus belle réussite de la bureaucratie est sans doute son aptitude à dilater le temps. La réalisation des « projets » a souvent des retards de plusieurs années, quand ils ne sont pas abandonnés en cours de route. Ce qui dans la vraie vie se fait en une heure, prend dans la vie bureaucratique un trimestre, un semestre ou une année. Pour justifier son existence, chaque échelon, et il s’en crée de nouveaux en permanence, met son grain de sel, un grain de sable en réalité, contredit l’échelon inférieur, avant d’être contredit par l’échelon supérieur. Tout acte, même le plus simple, comme une commande d’agrafes, nécessite l’intervention de plusieurs services ou bureaux, et de plusieurs agents, dont on découvre parfois l’existence à cette occasion. Leur signature est indispensable, mais se fait souvent attendre ou ne se donne pas sans demande d’explications. De guerre lasse, il vaut mieux aller acheter soi-même les agrafes à la papeterie du coin.
Un autre exemple qui montre cette capacité à dilater le temps : le changement de dictaphone. Dans la vraie vie, on va dans un magasin et on achète le dictaphone. Si le magasin n’est pas trop loin de votre bureau, une heure suffit. Dans la vie hospitalière, il faut attendre environ trois mois. Ayant évoqué cette question avec un collègue historien, il m’a dit que dans son cas, cela pouvait prendre quinze jours seulement, sachant qu’il occupe un poste élevé à l’université. Il ajoute que pour ceux qui n’ont pas cette chance, le délai peut être beaucoup plus long, et même le dictaphone ne jamais arriver. Après la réception du nouveau dictaphone, il s’agit de commander des cassettes, d’une durée de 30 et 60 minutes. Refus de l’encadrement de pôle vertement notifié à la secrétaire, pardon, l’aide médico-administrative (AMA) : « Uniquement de 15 minutes, c’est moins cher, et de toute façon, tu ne tapes que des lettres de quelques lignes. »
Nous avons disposé d’un local pour installer un nouvel hôpital de jour, mais il fallait le meubler. La commande de mobilier a été faite sans délai, mais un an plus tard, les meubles n’étaient toujours pas livrés. Il a fallu aménager le local comme on a pu avec des meubles de récupération.
La messagerie électronique est une machine à perdre son temps. L’ancienne montagne de papier a été remplacée par une avalanche de mails. Ce moyen de communication est d’un emploi plus immédiat et plus rapide, avec une multitude de correspondants possibles, souvent superflus. Cela ne coûte rien d’en diffuser à tout propos, pour annoncer l’arrivée d’un nouveau sous-chef de bureau, rappeler que demain il y a une manifestation sur la voie publique, véhiculer les états d’âme de la direction générale, indiquer que jeudi prochain on va purger les robinets, qu’après-demain les groupes électrogènes seront essayés à 14 heures 30, que la circulation sera bloquée pendant quinze jours devant le pavillon Tartampion pour travaux, etc. Et que dire de la revue de presse quotidienne, véritable bulletin paroissial sur les apparitions médiatiques de nos chers dirigeants. Pendant la crise de la Covid-19, quasiment tous les jours, et parfois même plusieurs fois par jour, nous recevions sur notre messagerie électronique des messages ayant pour objet « DGS – urgent ». Quand la Direction générale de la santé vous écrit, c’est sérieux. Au début, on regarde, puis à la fin on jette directement à la corbeille. Il s’agit le plus souvent de mails portant sur la commande des vaccins ou nous informant de décisions lues la veille dans le journal.
Les aberrations de fonctionnement se multiplient comme des lapins. On pourrait en écrire des volumes entiers. En voici d’autres.
Les psychologues titulaires sont rarement remplacés après un départ à la retraite ou une démission. À leur place, on engage des psychologues contractuels, dont le contrat doit être périodiquement renouvelé, avant une hypothétique titularisation ou l’obtention d’un contrat à durée indéterminée, selon des règles arbitraires d’ailleurs. Lorsqu’il faut renouveler leur contrat, on nous adresse par voie électronique un dossier d’évaluation d’une quinzaine de pages, aux questions plus fouillées les unes que les autres. Après de timides et courtoises protestations, nous avons pu obtenir un questionnaire abrégé de trois pages, aux questions tout aussi superflues. Pourquoi ne pas considérer que si un chef de service demande le renouvellement d’un psychologue, c’est qu’il en est satisfait et que cela devrait suffire ? Non, il faut que les bureaucrates justifient leur existence par ces questionnaires éreintants.
Il est arrivé qu’un médecin disposant d’un...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Avant-propos
  5. CHAPITRE 1 - Naissance d'un monstre
  6. CHAPITRE 2 - Le temps dilaté
  7. CHAPITRE 3 - La langue de la nouvelle barbarie
  8. CHAPITRE 4 - La fausse monnaie des indicateurs
  9. CHAPITRE 5 - L'illusion du codage
  10. CHAPITRE 6 - Le règne de l'irresponsabilité
  11. CHAPITRE 7 - Les trois âges de l'hôpital
  12. CHAPITRE 8 - La rareté médicale
  13. CHAPITRE 9 - La psychiatrie, première victime
  14. CHAPITRE 10 - Guerre froide
  15. CHAPITRE 11 - Un encadrement pris en tenaille
  16. CHAPITRE 12 - La torture au quotidien
  17. CHAPITRE 13 - Maltraitance institutionnelle
  18. CHAPITRE 14 - La protection des harceleurs
  19. CHAPITRE 15 - Redonner du souffle
  20. CONCLUSION - Réhumaniser l'hôpital
  21. Notes bibliographiques
  22. Sommaire
  23. Du même auteur