Une mémoire de mammouth
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Une mémoire de mammouth

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Une mémoire de mammouth

À propos de ce livre

De son éblouissement d'enfant devant ses premiers fossiles à l'un des astéroïdes qui tournent en rond entre Mars et Jupiter, Yves Coppens égraine 14 milliards d'années d'histoire du monde, des roches, des êtres vivants et de l'homme comme autant de premières gorgées de paléontologie. On y croise les tout premiers habitants de la Terre, de l'Europe, de la France, les derniers néandertaliens et des mammouths en veux-tu en voilà?! Entre petite et grande préhistoire, ce livre suit avec bonheur le fil d'une vie dédiée à sa passion. « Comme les trente-six histoires qui sont racontées dans ce livre concernent des épisodes de mon existence, et que mon existence n'a guère été séparée de la paléontologie et des disciplines qui lui tournent autour, toutes ces sciences naturelles et humaines se retrouveront partout dans le texte sous la forme de gouttes de science et de gouttes d'histoire… Comme il paraît par ailleurs que j'ai une bonne mémoire, ce que l'on appelle "une mémoire d'éléphant", si on paléontologise cette jolie expression, elle devient sans peine "une mémoire de mammouth". » Y. C. Yves Coppens est le découvreur mondialement connu de nombreux fossiles humains célèbres, dont Lucy. Il est paléontologue, professeur au Muséum national d'histoire naturelle, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine. Il est l'auteur de Pré-ambules, Le Genou de Lucy, L'Histoire de l'homme, Pré-textes, Pré-ludes, Des pastilles de préhistoire, Origines de l'homme, origines d'un homme et Le Savant, le Fossile et le Prince, qui ont été de très grands succès. 

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PREMIÈRE PARTIE

L’HISTOIRE HUMAINE

I

L’étonnement

CHAPITRE 1

Le bébé de Moussoro

Un bout du berceau de l’humanité

(7 millions d’années)

C’était au Tchad en 1960.
Invité par l’Institut équatorial de recherches et d’études géologiques et minières de Brazzaville (IEREGM) et par sa Mission hydrogéologique de Fort-Lamy, en mission du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) auquel j’appartenais, j’étais en effet arrivé au Tchad en janvier 1960.
Mais remontons un tout petit peu le temps pour comprendre pourquoi j’avais été invité en Afrique équatoriale. Chercheur, comme je l’ai dit, mais sans murs, j’avais été affecté à Paris à l’Institut de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle, et c’est là que je venais d’étudier des collections de vertébrés fossiles du Tchad, récemment découvertes par deux hydrogéologues de la Mission de Fort-Lamy, Jacques Barbeau et Jean Abadie. J’étais donc envoyé sur le terrain pour « expertiser » leurs gisements et en prospecter les environs dans l’espoir d’en trouver d’autres. J’avais reçu de la Mission de Fort-Lamy (dont j’étais d’ailleurs devenu officiellement prospecteur) un camion (Dodge Power Wagon), du matériel de brousse (couchage, cuisine, transmission, fouilles), et obtenu la collaboration d’une demi-douzaine de jeunes Africains, dont un chauffeur et un cuisinier. J’étais avec ma jeune femme, Françoise, accompagné, pour l’initiation au désert et le repérage des sites à visiter, par un des découvreurs, Jacques Barbeau, et par sa femme, Simone.
Nous nous étions donc, ainsi équipés – deux camions et une douzaine de personnes –, lancés vers un premier objectif, le poste militaire de Koro-Toro, à environ 700 kilomètres de notre base. Comme cet itinéraire nous faisait passer, en quelques jours, d’une savane claire à une steppe à cram-crams et puis, plus franchement, de cette steppe à un désert, j’ai vécu ce premier contact avec l’Afrique profonde dans un mélange de bonheur intellectuel (il y a longtemps que j’en rêvais), de bonheur humain (tous les gens rencontrés étaient fraternels), de bonheur professionnel (il y avait des sites archéologiques tout le long de la piste), mais aussi d’une certaine angoisse (ce passage progressif de peu d’arbres à plus d’arbres du tout). Mon émerveillement n’en était pas moins total. Et puis, après deux mois de grenouillage dans ces immenses étendues du Borkou, du Djourab et du Bodélé, finalement trop vite passés, l’angoisse avait disparu et tout était redevenu serein et séduisant et c’est à regret que nous avions dû prendre, ma femme, ma petite équipe et moi, le chemin du retour ; nous étions cette fois seuls, sans notre collègue géologue, et riches d’une belle moisson d’ossements fossiles de quelques millions d’années et de tessons de poteries de quelques milliers, riches aussi d’une première fréquentation de ce désert si attachant et d’une rencontre pleine de chaleur avec les populations goranes (dites aussi « touboues »), nomades, de cette ceinture sahélienne de l’Afrique tropicale.
En « redescendant » donc de Koro-Toro vers Fort-Lamy et en approchant de l’agglomération de Moussoro (appelée aussi Barh el-Ghazal), un beau soir, juste avant la nuit, nous aperçûmes, promenant son chien au bord de la piste (vision surréaliste en un tel lieu !), un militaire décontracté, souriant et intrigué lui aussi par l’apparition apocalyptique que nous représentions. J’arrêtai bien sûr mon Dodge, qui transpirait la poussière et la brousse au point que certains Africains, dans les rares villages traversés, m’avaient demandé ce que je vendais. Ils m’avaient pris, me disaient-ils, pour un kawadji (un marchand de café, autrement dit un commerçant ambulant) ! J’avais toute mon équipe dans la caisse du camion (je conduisais désormais), au milieu de mon matériel et de quelques fûts de 200 litres d’essence et d’eau et au milieu, bien sûr, de mes récoltes, protégées par une bâche qui avait été verte ; si l’on ajoute à ce tableau la présence de mes tôles indispensables pour les ensablements et celle de quelques gourdes en peau de chèvre pendouillant sur les flancs du vieux camion comme sur ceux d’un chameau, sans oublier, dans la cabine, cerise sur le gâteau, ma femme et moi-même, qui avions pris, comme nos amis africains, la couleur grise du fech-fech de la route (limon pulvérulent), on aura une petite idée du spectacle que nous offrions ce jour-là à ce compatriote.
Notre promeneur se présenta donc : « Adjudant-chef Cheyron » ; je nous présentai bien sûr à mon tour et il nous invita à rejoindre le campement de Méharistes qu’il commandait et qui bivouaquait à quelques centaines de mètres de là. Quel bonheur et quelle détente inattendue ! Nous eûmes d’abord un thé à la menthe sur un superbe kilim (tapis de prière), étalé sur le sable, puis une douche réconfortante (un seau en jute équipé d’un robinet, monté sur des piquets en trépied, sous une tente pour la pudeur), un dîner d’une fraîcheur que nous avions oubliée et une nuit courte, mais somptueuse sous les étoiles, juste ponctuée par les « blatèrements » heureux des chameaux assoupis. Inutile de préciser que la soirée ne pouvait pas avoir été plus chaleureuse, entre gens jeunes (j’avais 25 ans, Jacques Cheyron 35 !), heureux de vivre, amoureux du pays et de leur métier, curieux de nature et étonnés de se rencontrer de manière aussi insolite. Et puis il y avait entre nous, comme toujours entre « broussards », la même fraternité qu’entre marins, et celle-là, je l’avais aussi connue. Notre amitié naissante a été en outre scellée, de manière tant généreuse et élégante qu’inattendue, à notre départ au petit matin ; j’avais eu, en effet, l’imprudence d’admirer, la veille, au thé, la beauté du tapis aux couleurs éclatantes sur lequel nous étions assis ; je le retrouvai roulé et solidement fixé à un des flancs de mon camion ! Voilà qui était Jacques Cheyron !
Réinvité l’année suivante et à nouveau en mission du CNRS, je me suis retrouvé à Fort-Lamy, et puis en brousse, dans les mêmes régions avec la même équipe et le même camion. Ma femme m’accompagnait encore, mais Jacques Barbeau, plus. Nous empruntâmes, comme l’année précédente, le long axe de pistes Fort-Lamy-Koro-Toro par Moussoro. Et comme, le premier jour de ce parcours, il était déjà tard quand nous arrivâmes aux abords de cette étape, nous décidâmes, un peu fatigués et paresseux pour installer le campement, d’y passer la nuit à la case de passage. Une case de passage est, comme son nom l’indique, un abri (maison, tente), couvert, mais ouvert à tout voyageur souhaitant un toit pour se protéger du vent, de la pluie, de la chaleur ou du froid… la case de passage de Moussoro était une petite maison en potopote (terre sèche), divisée en quelques pièces, pour plusieurs voyageurs, un luxe ! Et, ô surprise, nous y fûmes « reçus » par le baroudeur Cheyron, excité comme une puce, méconnaissable de douceur et d’attendrissement. Dans une des pièces de la case, en effet, une bien jolie dame, aux traits fins et à la peau café au lait, princesse libyenne, nous précisa-t-il, venait de le faire père ! Un petit trognon tout mat, tout juste pondu, s’agitait sous nos yeux ravis, dans un couffin de paille. La maman, vêtue d’un long pagne léger aux multiples couleurs, était là, accroupie, calme et tout sourire, le papa était bien là, lui aussi, mais, debout et pas calme du tout. Quant à nous, nous étions quelque peu surpris décidément par nos rencontres avec Cheyron, imprévues et, de toute façon, imprévisibles ! Et puis, prenant le bébé dans les bras, avec la tendresse et la maladresse d’un papa tout neuf, il nous précisa que c’était une fille et qu’elle s’appelait (déjà) Christine. Trouvant que nous « tombions » particulièrement bien, il décida, sur-le-champ, de faire de nous les parrain et marraine du fruit bien frais de ses amours exotiques. C’était le 7 janvier 1961. Et nous en fûmes enchantés !
Mais nous dûmes quitter, à l’aube du lendemain, le trio touchant que nous venions de découvrir, pour poursuivre notre chemin à la découverte d’autres personnages moins frais, vers le grand nord du pays. Notre mission de trois mois avait élargi ses espaces de recherches jusqu’à l’oasis de Faya-Largeau, au charme subtil – des maisons blanches sans étages sous des palmiers dattiers au vert puissant, toujours agités, recouvrant de fines rigoles d’eau claire et de petits jardins-mouchoirs de poche au vert tendre –, et jusqu’aux oasis de l’Angamma au charme sauvage – des palmiers doums au milieu de nulle part. Ma récolte fut superbe, couronnée cette fois par la découverte d’un crâne humain fortement fossilisé qui allait s’appeler Tchadanthropus uxoris et jouer bientôt le rôle de père fondateur et fédérateur de la jeune république du Tchad. Après une bonne douzaine de semaines, de janvier à mars de cette année 1961, nous voici donc regagnant le petit fort (crénelé) d’opérette de Koro-Toro avant de nous engager sur la longue piste nord-sud empruntant le cours bien sec de la rivière des gazelles pour rejoindre Fort-Lamy, sur les bords du Logone ; nous avons dû passer, bien sûr, par Moussoro, dont la case de passage bien vide n’avait plus ses locataires charmants du mois de janvier.
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Figure 3. Le bébé de Moussoro, dans les bras de son père, 1961. (Photographie : collection privée, avec l’accord gracieux de la famille.)
J’ai revu Jacques Cheyron de temps en temps à Fort-Lamy, quand, en perm, il descendait de son désert pour quelques jours de détente. Je me rappelle l’avoir aperçu un jour au bar de l’Air Hotel ; il y bavardait avec quelqu’un et ne m’avait pas vu. Pour m’amuser et le provoquer, je me suis installé sur le tabouret voisin en le bousculant volontairement un peu ; sa réaction a été immédiate ; comme je m’y attendais, j’ai évité le coup de poing qui m’était destiné. Dans certains lieux « chauds », à l’époque de la présence militaire française (troupes de marine, paras, légion), il fallait savoir être, en effet, au moins vigilant. L’Air Hotel n’était pas de ces lieux-là, mais une fois certains comportements acquis, ils deviennent réflexes. Jacques était donc un dur, mais aussi tendre que rude, plein de chaleur et le cœur sur la main. Le jour du coup de poing rentré, la soirée s’est bien sûr poursuivie, joyeuse et festive.
UNE GOUTTE D’HISTOIRE. Le Tchad est un pays d’Afrique centrale d’environ 1,3 million de kilomètres carrés (1 700 kilomètres nord-sud, 1 000 kilomètres est-ouest), qui s’étend du 7e au 24e degré de latitude Nord, autrement dit de la savane au désert, et du 13e au 24e degré de longitude Est, pays aux frontières avec la Libye, le Soudan, la République centrafricaine, le Cameroun, le Nigeria et le Niger ; c’est donc un grand pays, à la fois lien stratégique entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’équateur, mais sans accès à la mer. Sa capitale N’Djamena (Fort-Lamy à l’époque de cette petite histoire), au confluent du Logone et du Chari, compte aujourd’hui presque le million d’habitants. Quant à son lac fameux, au sud-ouest du pays, grand de 300 000 kilomètres carrés il y a 3 000 ans, il n’en faisait plus que 20 000 dans les années 1960, et en fait à peine plus de 1 000 aujourd’hui (j’en ai étudié et démontré la régression et la vitesse de celle-ci, grâce aux marqueurs que constituent les sites préhistoriques, tandis qu’Al Gore, prix Nobel de la paix 2007, prenait la régression du lac Tchad comme exemple de l’action de l’homme sur le changement climatique !). Partie du berceau tropical et « concentrique » de l’humanité, le Tchad a donc été peuplé de préhumains pendant des millions d’années (Toumaï, 7 millions d’années), puis d’humains pendant d’autres millions d’années, pour « finir », à partir de 10 000 ans, par abriter les peintres et graveurs du Néolithique saharien (Tibesti, Ennedi) et par voir se succéder, en fonction des changements climatiques (naturels, monsieur Al Gore), de grands foyers de culture ; citons le monde sao (de 1000 avant Jésus-Christ à 1000 après), l’empire du Kanem-Bornou, le royaume du Ouaddaï, le royaume du Baguirmi, etc. Dans ses frontières actuelles depuis 1880, il est devenu partie de l’Afrique équatoriale française (AEF) en 1920. C’est ainsi que je l’ai trouvé en 1960, mais il était alors au bord de l’indépendance, prononcée en août de cette année-là. Pour ceux comme Cheyron ou moi, qui travaillions alors dans le nord du pays, ce que l’on appelle le BET (Borkou, Ennedi, Tibesti), l’administration militaire française a été maintenue quelques années après l’indépendance officielle, avant qu’elle ne passe la main à l’armée tchadienne. Ayant conduit mes expéditions dans ce pays de 1960 (janvier) à 1966 (décembre), j’ai connu les deux administrations. Elles ont été pour moi, toutes les deux, du même grand soutien, de la même grande qualité.
UNE GOUTTE DE SCIENCE. Le Tchad est donc un bout du berceau de l’humanité ! L’histoire de notre famille (pour être correct, je devrais dire sous-famille, les homininés) commence sans doute vers 10 millions d’années en Afrique tropicale ; les fossiles qui illustrent ses débuts (les préhumains, de 10 à 3 millions d’années, date de naissance des premiers humains) ont été jusqu’ici découverts en Afrique du Sud, au Malawi, en Tanzanie, au Kenya, en Éthiopie et au Tchad. Ce « berceau en rond » ou « berceau concentrique », ainsi appelé (par mes « soins ») car il jouxte, du sud au nord, la forêt équatoriale, dessine en effet un arc de cercle qui commence en Afrique du Sud et se termine, pour le moment, en Afrique centrale. Au Tchad, en effet, l’expédition de Michel Brunet a mis au jour le plus ancien préhumain que, pour le moment, l’on connaisse, Sahelanthropus tchadensis, dit « Toumaï », vieux de 7 millions d’années. Ce fossile est connu par un crâne superbe et un fémur qui pourrait lui être attribué. Le crâne, très bien étudié, a montré qu’il était « posé » sur un corps redressé ; le fémur, quant à lui, raconte qu’il était plutôt fait pour grimper. Contrairement donc à ce que disait André Leroi-Gourhan : « Il faut se résigner, notre histoire a commencé par les pieds ! », cette association crâne-fémur, si elle est juste, ferait dire plutôt : « Il faut se réjouir, notre histoire a bel et bien commencé par la tête ! » L’étude du préhumain Lucy (3,2 millions d’années) nous avait, en effet, déjà montré cela : Lucy, merveilleusement redressée de la tête au fémur (et par suite bipède), ne l’était plus du genou aux pieds (où elle avouait son arboricolisme). Or il s’est écoulé 4 millions d’années entre Toumaï et Lucy ! Le début de notre histoire, comme beaucoup de débuts, est ainsi un feu d’artifice d’essais anatomiques et comportementaux, constituant autant de branches (appelées « radiations »), signant le beau potentiel évolutif (imaginatif) de notre (sous-)famille.
En 1965, sur le terrain tchadien, j’avais adopté deux très jeunes gazelles (Gazella dorcas), un petit mâle et une petite femelle. J’avais appelé le mâle Yayo, nom du site où j’avais découvert en 1961 le premier fossile humain du Tchad, Tchadanthropus uxoris, et j’avais appelé la petite femelle Ménalla, un des sites sur lesquels je travaillais cette année-là. Et il se trouve que c’est à Ménalla que, plus de trente-cinq années plus tard, Michel Brunet a récolté Toumaï ! Toumaï et tchadanthrope, désormais le plus ancien et le plus récent fossile humain de ce pays, encadrent un troisième « larron », un préhumain de 3,5 millions d’années, Australopithecus bahrelghazali, dit « Abel », découvert aussi par l’expédition de Michel Brunet.
Toumaï pourrait donc être une des premières branches de notre arbre familial (bipède arboricole) ; Abel, une des espèces de ces préhumains que l’on nomme australopithèque, est à la fois meilleur bipède, mais toujours arboricole ; porteur de traits dérivés pour son âge (verticalité de la symphyse, par exemple, sans plan alvéolaire), il pourrait s’inscrire dans la lignée du genre Homo ; quant au tchadanthrope, un faisceau de traits (front fuyant, deux frontaux, grands sinus, grandes orbites, bourrelet sus-orbitaire), présents, mais rares (surtout groupés ainsi) chez l’homme moderne, pourrait en faire un des derniers Homo erectus.
Le Tchad est devenu ainsi un très important « bout » de notre berceau.
Et puis les années passèrent. J’ai quitté le CNRS et le Jardin des Plantes en 1969 pour rejoindre l’enseignement supérieur et le musée de...

Table des matières

  1. Couverture
  2. Titre
  3. Copyright
  4. Dédicace
  5. Introduction
  6. OUVERTURE - L'histoire de l'univers, de la Terre, de la vie et de l'homme
  7. PREMIÈRE PARTIE - L’histoire humaine
  8. DEUXIÈME PARTIE - L’histoire naturelle
  9. Postface
  10. Sommaire
  11. Du même auteur chez Odile Jacob