I. PriÚre de résidence
Ă reine voici donc aprĂšs la longue route,
Avant de repartir par ce mĂȘme chemin,
Le seul asile ouvert au creux de votre main,
Et le jardin secret oĂč l'Ăąme s'ouvre toute.
Voici le lourd pilier et la montante voûte ;
Et l'oubli pour hier, et l'oubli pour demain ;
Et l'inutilité de tout calcul humain ;
Et plus que le péché, la sagesse en déroute.
Voici le lieu du monde oĂč tout devient facile,
Le regret, le dĂ©part, mĂȘme l'Ă©vĂ©nement,
Et l'adieu temporaire et le détournement,
Le seul coin de la terre oĂč tout devient docile,
Et mĂȘme ce vieux cĆur qui faisait le rebelle ;
Et cette vieille tĂȘte et ses raisonnements ;
Et ces deux bras raidis dans les casernements ;
Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle.
Voici le lieu du monde oĂč tout est reconnu,
Et cette vieille tĂȘte et la source des larmes ;
Et ces deux bras raidis dans le métier des armes ;
Le seul coin de la terre oĂč tout soit contenu.
Voici le lieu du monde oĂč tout est revenu
AprÚs tant de départs, aprÚs tant d'arrivées.
Voici le lieu du monde oĂč tout est pauvre et nu
AprÚs tant de hasards, aprÚs tant de corvées.
Voici le lieu du monde et la seule retraite,
Et l'unique retour et le recueillement,
Et la feuille et le fruit et le défeuillement,
Et les rameaux cueillis pour cette unique fĂȘte.
Voici le lieu du monde oĂč tout rentre et se tait,
Et le silence et l'ombre et la charnelle absence,
Et le commencement d'éternelle présence,
Le seul rĂ©duit oĂč l'Ăąme est tout ce qu'elle Ă©tait.
Voici le lieu du monde oĂč la tentation
Se retourne elle-mĂȘme et se met Ă l'envers.
Car ce qui tente ici c'est la soumission ;
Et c'est l'aveuglement dans l'immense univers.
Et le déposement est ici ce qui tente,
Et ce qui vient tout seul est l'abdication,
Et ce qui vient soi-mĂȘme et ce qui se prĂ©sente
N'est ici que grandesse et présentation.
C'est la révolte ici qui devient impossible,
Et ce qui se présente est la démission.
Et c'est l'effacement qui devient invincible.
Et tout n'est que bonjour et salutation.
Ce qui partout ailleurs est une accession
N'est ici qu'un total et sourd abrasement.
Ce qui partout ailleurs est un entassement
N'est ici que bassesse et que dépression.
Ce qui partout ailleurs est une oppression
N'est ici que l'effet d'un noble Ă©crasement.
Ce qui partout ailleurs est un empressement
N'est ici qu'héritage et que succession.
Ce qui partout ailleurs est une rude guerre
N'est ici que la paix d'un long délaissement.
Ce qui partout ailleurs est un affaissement
Est ici la loi mĂȘme et la norme vulgaire.
Ce qui partout ailleurs est une Ăąpre bataille
Et sur le cou tendu le couteau du boucher,
Ce qui partout ailleurs est la greffe et la taille
N'est ici que la fleur et le fruit du pĂȘcher.
Ce qui partout ailleurs est la rude montée
N'est ici que descente et qu'aboutissement.
Ce qui partout ailleurs est la mer démontée
N'est ici que bonace et qu'Ă©tablissement.
Ce qui partout ailleurs est une dure loi
N'est ici qu'un beau pli sous vos commandements.
Et dans la liberté de nos amendements
Une fidélité plus tendre que la foi.
Ce qui partout ailleurs est une obsession
N'est ici sous vos lois qu'une place rendue.
Ce qui partout ailleurs est une Ăąme vendue
N'est ici que priĂšre et qu'intercession.
Ce qui partout ailleurs est une lassitude
N'est ici que des clefs sur un humble plateau.
Ce qui partout ailleurs est la vicissitude
N'est ici qu'une vigne Ă mĂȘme le coteau.
Ce qui partout ailleurs est la longue habitude
Assise au coin du feu les poings sous le menton,
Ce qui partout ailleurs est une solitude
N'est ici qu'un vivace et ferme rejeton.
Ce qui partout ailleurs est la décrépitude
Assise au coin du feu les poings sur les genoux
N'est ici que tendresse et que sollicitude
Et deux bras maternels qui se tournent vers nous.
Nous nous sommes lavés d'une telle amertume,
Ătoile de la mer et des rĂ©cifs salĂ©s,
Nous nous sommes lavés d'une si basse écume,
Ătoile de la barque et des souples filets.
Nous avons dĂ©lavĂ© nos malheureuses tĂȘtes
D'un tel fatras d'ordure et de raisonnement,
Nous voici désormais, Î reine des prophÚtes,
Plus clairs que l'eau du puits de l'ancien testament.
Nous avons gouverné de si modestes arches,
Voile du seul vaisseau qui ne périra pas,
Nous avons consulté de si pauvres compas,
Arche du seul salut, rein...