Tome VIII
LE RĂGNE DE LOUIS PHILIPPE
1830-1848
par EugĂšne FOURNIĂRE
PremiĂšre partie
La révolution bourgeoise
Du 30 juillet 1830 au 4 mars 1831
Chapitre premier
La révolution confisquée.
Les menĂ©es orlĂ©anistes et lâinertie de Lafayette. â Le manifeste et lâintervention des saint-simoniens. â Les deux centres de la RĂ©volution : lâHĂŽtel de Ville vaincu par lâHĂŽtel Laffitte. â Les 221 offrent le pouvoir au duc dâOrlĂ©ans. â Louis-Philippe, Ă lâHĂŽtel de Ville, joue la comĂ©die rĂ©publicaine. Le « fidĂšle sujet » de Charles X lance le peuple sur Rambouillet. â Tout est perdu, fors lâĂ©tiquette.
La bataille est terminĂ©e. Les Suisses et la garde royale se sont enfuis par les Champs-ĂlysĂ©es. A qui sera la victoire ? Ou plutĂŽt qui en disposera ? Le peuple, qui vient de verser son sang Ă flots pendant ces trois terribles journĂ©es ? Non, cette fois encore son heure nâest pas venue. Le moment dâagir est venu pour le petit groupe dâhommes dâĂtat qui ont observĂ© de loin la bataille, aprĂšs lâavoir allumĂ©e, volontairement ou non ; Ă prĂ©sent que nul retour offensif du roi Charles X et de ses troupes nâest plus Ă craindre, les voici accrus en nombre et en audace, assez forts dĂ©sormais pour sâinterposer entre le peuple et sa victoire et faire que ce peuple encore armĂ© ne se laisse pas entraĂźner Ă garder sa souverainetĂ© reconquise. Il fallait quâil se souvĂźnt de la RĂ©volution pour renverser un trĂŽne, mais non jusquâĂ proclamer la RĂ©publique.
Deux hommes, entre autres, ont entrepris de limiter la RĂ©volution : Laffitte et Thiers. Ils devanceront les rares partisans de la RĂ©publique et, dâune main aussi preste quâhabile, ils noueront lâintrigue qui doit placer le duc dâOrlĂ©ans sur le trĂŽne. Le 30 juillet donc, les rĂ©volutionnaires victorieux peuvent, dĂšs le matin, lire sur tous les murs une proclamation oĂč Charles X est proclamĂ© dĂ©chu et la RĂ©publique dĂ©clarĂ©e impossible, car « elle nous brouillerait avec lâEurope ». Lâaffiche continue en Ă©numĂ©rant les mĂ©rites du duc dâOrlĂ©ans qui « Ă©tait Ă Jemmapes », qui « ne sâest jamais battu contre nous » et qui sera « un roi-citoyen ».
Thiers a rĂ©digĂ© cette affiche avec la collaboration de Mignet. Il annonce au peuple lâacceptation du duc dâOrlĂ©ans « sans avoir consultĂ© le prince quâil nâa jamais vu », avoue M. Thureau-Dangin dans son Histoire de la Monarchie de Juillet. Lâhistorien orlĂ©aniste nâinsiste dâailleurs pas autrement sur cette « audacieuse initiative », dont le succĂšs effacera les pĂ©rils et recouvrira lâimmoralitĂ©. Il sâagit Ă prĂ©sent de dĂ©cider le duc, et sans retard. LâHĂŽtel de Ville est plein de rĂ©publicains qui entourent Lafayette et le pressent de proclamer la RĂ©publique. Le peuple est tout prĂȘt Ă se donner aux premiers qui se dĂ©clareront.
La Tribune, dont le directeur, Auguste Fabre, est rĂ©publicain, pousse tant quâelle peut Ă la solution rĂ©publicaine. Dans son numĂ©ro du 29 juillet, elle dit bien quâ « on entend encore dans Paris le cri de vive la Charte », mais elle ajoute aussitĂŽt que « les braves citoyens qui poussent ce cri nây attachent pas une signification bien nette, puisquâil est suivi sur leurs lĂšvres du cri : Plus de roi ! Vive la libertĂ© !⊠» Et suggĂ©rant la chose sans se risquer Ă lĂącher le mot, la Tribune ranime les vieux souvenirs en ressuscitant le vocabulaire de la RĂ©volution. « Câest, dit-elle, le cri de vive la libertĂ© ! vive la nation ! qui doit se trouver dans toutes les bouches, comme sur toutes les poitrines les couleurs du 14 juillet, de Fleurus, dâArcole et dâHĂ©liopolis. »
La rĂ©volution avait deux centres : lâhĂŽtel Laffitte et lâHĂŽtel de Ville. Les rĂ©publicains avaient conduit le peuple au combat, et le peuple Ă©tait encore sous les armes. Ils occupaient lâHĂŽtel de Ville, mais lâindĂ©cision de Lafayette y rĂ©gnait, nulle rĂ©solution nâĂ©tait possible qui nâeĂ»t pas eu lâassentiment du populaire hĂ©ros des deux mondes.
En outre des communistes, hĂ©ritiers de la tradition de Babeuf, membres des sociĂ©tĂ©s secrĂštes, et qui se trouvaient naturellement au premier rang des combattants, il y avait une Ă©cole socialiste, celle des disciples de Saint-Simon. Quelle fut lâattitude de ceux-ci pendant les trois journĂ©es et, ensuite, dans le moment de trouble et dâincertitude oĂč chaque parti tentait de dĂ©gager la solution de son choix ? Ăcoutons-les parler eux-mĂȘmes. Ăcoutons Laurent (de lâArdĂšche) dans la notice sur Enfantin quâil a placĂ©e en tĂȘte des Ćuvres de Saint-Simon :
« Les apĂŽtres du progrĂšs pacifique avaient une rude Ă©preuve Ă traverser, dit-il. Lâancien rĂ©gime engageait un combat Ă mort avec la RĂ©volution. Les disciples de Saint-Simon ne devaient pas se laisser entraĂźner dans cette lutte sanglante, bien quâils eussent la conviction dâĂȘtre les adversaires les plus rĂ©solus et les plus redoutables du passĂ© fĂ©odal et clĂ©rical qui sâĂ©tait fait provocateur. Ils nâoubliĂšrent pas, en effet, que leur mission nâĂ©tait pas de dĂ©truire, mais dâĂ©difier. Bazard, lâancien membre de la vente suprĂȘme du carbonarisme, sâentendit Ă merveille avec Enfantin, lâancien combattant de Vincennes, pour inviter les saint-simoniens Ă se tenir Ă lâĂ©cart de cette querelle fratricide. »
Dans la circulaire, adressĂ©e le 28 juillet « aux Saint-Simoniens Ă©loignĂ©s de Paris », les chefs de la doctrine sâĂ©crient : « Enfants, Ă©coutez vos pĂšres, ils ont su ce que devait ĂȘtre le courage dâun libĂ©ral, ils savent aussi quel est celui dâun saint-simonien. » Saint-Simon fut-il lĂąche pour avoir traversĂ© « la crise terrible de la RĂ©volution française avec ce calme divin qui eĂ»t Ă©tĂ© lĂąchetĂ©, crime, pour tout autre que lui ? » Non. Les saint-simoniens, en prĂ©sence des Ă©vĂ©nements qui se dĂ©roulent, doivent ĂȘtre calmes, mais non pas inactifs. La pĂ©riode de la propagande nâa pas encore fait place Ă celle de lâorganisation.
Pourtant, des saint-simoniens dĂ©sobĂ©irent. Si incomplĂšte que fĂ»t la rĂ©volution qui sâopĂ©rait, ils estimaient quâelle les rapprochait davantage de leur idĂ©al que le rĂšgne de la CongrĂ©gation, Hippolyte Carnot, Jean Reynaud, Talabot, notamment, firent le coup de feu sur les barricades. Quant Ă ce dernier, il ne dut point, dâailleurs, faire grand mal aux soldats de Charles X, car, nous apprend Laurent, il avait chargĂ© son fusil la cartouche renversĂ©e, « de telle sorte quâil ne put pas mĂȘme la dĂ©charger en lâair en revenant ».
DominĂ©s par le caractĂšre religieux quâEnfantin avait donnĂ© Ă leur doctrine, les saint-simoniens avaient bien renoncĂ© Ă se battre, mais non Ă agir dans le sens de la rĂ©volution. Dans la soirĂ©e mĂȘme du 29 juillet, le dernier coup de fusil Ă peine tirĂ©, des rĂ©unions populaires se forment, notamment au restaurant Lointier, rue de Richelieu. Dans la rĂ©union Lointier, Carnot et Laurent se joignent Ă leurs anciens amis les rĂ©publicains, entre autres Buchez et Rouen, et protestent vivement contre la propagande quây font les amis du duc dâOrlĂ©ans.
Puis avec Charles Teste et FĂ©lix Lepelletier Saint-Fargeau et deux saint-simoniens revĂȘtus de leur uniforme de lâĂcole polytechnique, ils sâen vont joindre sur la place de la Bourse un corps de volontaires de la Charte, composĂ© dâenviron quinze cents hommes et commandĂ© par un polytechnicien, afin de les dĂ©cider Ă se prononcer contre les menĂ©es des orlĂ©anistes. Ils rĂ©digĂšrent Ă la hĂąte, sur le comptoir du magasin de librairie de Ch. Teste, une trĂšs brĂšve proclamation qui commençait et finissait par ces mots : Plus de bourbons ! Lue aux volontaires, cette proclamation fut acclamĂ©e. Le bruit en vint Ă la rĂ©union Lointier qui dĂ©cida de stipuler, dans lâadresse envoyĂ©e Ă Lafayette et aux hommes de lâHĂŽtel de Ville, que toute candidature bourbonienne serait Ă©cartĂ©e.
Mais cela, de mĂȘme que la dĂ©marche de Bazard auprĂšs de Lafayette dont nous aurons Ă parler tout Ă lâheure, câest de lâaction officieuse. Les saint-simoniens se doivent de commenter lâĂ©vĂ©nement qui a donnĂ© la victoire au peuple. DĂšs le 30 juillet, Bazard et Enfantin, dans une proclamation aux Français affichĂ©e sur les murs de Paris, glorifient lâinsurrection victorieuse. Cela est pĂ©nible de les entendre crier aux Parisiens : « Gloire Ă vous ! » lorsquâon sait que lâavant-veille ils ont blĂąmĂ© ceux des disciples qui voulaient aller faire le coup de fusil aux cĂŽtĂ©s du peuple.
Le lecteur ne sâest pas mĂ©pris : Bazard et Enfantin nâĂ©taient pas des lĂąches. Mais, comme tous les sectaires, qui veulent enfermer le monde et son mouvement dans la conception particuliĂšre qui les domine eux-mĂȘmes, ils refusent de participer Ă une rĂ©volution qui nâest pas la leur, de combattre avec des hommes qui cherchent encore ce que, disciples de Saint-Simon, ils prĂ©tendent avoir trouvĂ©. Pour que cette faute de nos aĂźnĂ©s ait sa pleine utilitĂ© historique, pour que la leçon quâelle contient ne soit pas perdue pour nous, pour que nul acte dans le sens du progrĂšs gĂ©nĂ©ral de lâhumanitĂ© ne nous laisse indiffĂ©rents dĂ©sormais, pour que nulle marche en avant ne nous surprenne et ne nous oblige Ă lâhumiliation de lâapprouver sans y avoir pris part, Ă©coutons les saint-simoniens au lendemain dâun combat oĂč ils ne parurent pas et dâoĂč ils Ă©loignĂšrent ceux qui les suivaient :
« Français ! sâĂ©crient-ils, enfants privilĂ©giĂ©s de lâhumanitĂ©, vous marchez glorieusement Ă sa tĂȘte !
« Ils ont voulu vous imposer le joug du passĂ©, Ă vous qui lâaviez dĂ©jĂ une fois si noblement brisĂ© ; et vous venez de le briser encore, gloire Ă vous !
« Gloire Ă vous qui, les premiers, avez dit aux prĂȘtres chrĂ©tiens, aux chefs de la fĂ©odalitĂ©, quâils nâĂ©taient plus faits pour guider vos pas. Vous Ă©tiez plus forts que vos nobles et toute cette troupe dâoisifs qui vivaient de vos sueurs, parce que vous travailliez ; vous Ă©tiez plus moraux et plus instruits que vos prĂȘtres, car ils ignoraient vos travaux et les mĂ©prisaient ; montrez-leur que si vous les avez repoussĂ©s, câest parce que vous savez, vous ne voulez obĂ©ir quâĂ celui qui vous aime, qui vous Ă©claire et qui vous aide, et non Ă ceux qui vous exploitent et se nourrissent de vos larmes ; dites-leur quâau milieu de vous il nây a plus de rangs, dâhonneurs et de richesses pour lâoisivetĂ©, mais seulement pour le travail ; ils comprendront alors votre rĂ©volte contre eux ; car ils vous verront chĂ©rir, vĂ©nĂ©rer, Ă©lever les hommes qui se dĂ©vouent pour votre progrĂšs. »
Ces paroles ne furent pas comprises, le peuple ne les accueillit que par lâindiffĂ©rence la plus complĂšte. Il nâavait pas vu au rude combat des trois jours ces hommes qui se proposaient pour organiser sa victoire. Aux rĂ©dacteurs de lâaffiche qui lui disaient : « Nous avons partagĂ© vos craintes, vos espĂ©rances », il eĂ»t pu rĂ©pondre, sâil ne les avait profondĂ©ment ignorĂ©s : « Mais vous nâavez partagĂ© ni nos travaux, ni nos pĂ©rils.
Car la vĂ©ritĂ©, les saint-simoniens lâavaient exprimĂ©e Ă leur mesure dans la circulaire du 28 juillet lorsque, parlant de ceux qui se battaient, ils avaient dit : « Ce sont des hommes qui cherchent avec ardeur ce que nous avons trouvĂ©. » Le peuple et le parti libĂ©ral cherchaient en effet Ă achever la RĂ©volution française, Ă en finir avec les vestiges de fĂ©odalitĂ© conservĂ©s et restaurĂ©s par NapolĂ©on, puis par les Bourbons. GuidĂ©s par lâenseignement de Saint-Simon, Bazard et Enfantin affirmaient avoir trouvĂ© la formule du monde nouveau : suppression de lâhĂ©rĂ©ditĂ© dans lâordre Ă©conomique comme la RĂ©volution lâavait opĂ©rĂ©e dans lâordre politique ; substitution du rĂ©gime industriel au rĂ©gime fĂ©odal et militaire ; prĂ©dominance de lâindustrie sur la propriĂ©tĂ© fonciĂšre ; organisation dâune hiĂ©rarchie Ă©conomique et sociale fondĂ©e uniquement sur la capacitĂ© et sanctionnĂ©e par lâamour. VoilĂ lâordre nouveau que les saint-simoniens apportaient. Leur voix se perdit dans le tumulte des compĂ©titions rĂ©publicaines et orlĂ©anistes, et leur action fut moins remarquable encore que celle de certains libĂ©raux qui intriguaient pour crĂ©er un courant en faveur du duc de Reichstadt.
La propagande faite en faveur du duc dâOrlĂ©ans exaspĂ©ra les rĂ©publicains rĂ©unis Ă lâHĂŽtel de Ville : « Sâil en est ainsi, sâĂ©criaient-ils, la bataille est Ă recommencer, et nous allons refondre des balles. » Ă vrai dire, il sâĂ©tait formĂ© autour de Lafayette, Ă lâHĂŽtel de Ville, un bureau de renseignements plutĂŽt quâun centre dâaction, quâun gouvernement. Câest que Lafayette, qui dâailleurs toute sa vie reçut lâimpulsion et jamais ne la donna, Ă©tait Ă lâĂąge oĂč lâinitiative hardie est le plus rare. BĂ©ranger, aussi populaire que lui, croyait encore moins que lui Ă la possibilitĂ© de la RĂ©publique. Il nây croyait mĂȘme pas du tout.
BĂ©ranger Ă©tait le poĂšte de la bourgeoisie libĂ©rale. Sa pensĂ©e, comme son art, Ă©tait juste-milieu. Il avait trop chantĂ© la gloire de NapolĂ©on Ier pour nâavoir pas un faible pour le jeune NapolĂ©on II ; il avait trop chantĂ© la libertĂ©, chansonnĂ© les nobles et les prĂȘtres, pour nâavoir pas un faible pour la RĂ©publique. Mais NapolĂ©on II Ă©tait prisonnier de son grand-pĂšre, ou plutĂŽt de Metternich, Ă SchĆnbrunn, et la bourgeoisie nâĂ©tait pas rĂ©publicaine. BĂ©ranger avait Ă©tĂ© aperçu dans un groupe dâorlĂ©anistes Ă la salle Lointier ; il sâĂ©tait retirĂ© dĂšs que la majoritĂ© de la rĂ©union avait manifestĂ© sa prĂ©fĂ©rence pour la RĂ©publique, et sâĂ©tait rendu en hĂąte auprĂšs de Lafayette, pour joindre ses efforts Ă ceux de RĂ©musat et dâOdilon Barrot en faveur du duc dâOrlĂ©ans. Il fut certainement de ceux qui empĂȘchĂšrent Lafayette de signer lâordre de maintenir lâarrestation du duc de Chartres (fils aĂźnĂ© du duc dâOrlĂ©ans) opĂ©rĂ©e par la municipalitĂ© de Montrouge au moment oĂč le jeune prince tentait dâentrer dans Paris. Cet ordre avait Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par Pierre Leroux, qui Ă©tait le seul rĂ©publicain du journal le Globe, oĂč Cousin, Guizot, RĂ©musat avaient la haute main. Celui-ci avait achevĂ© de paralyser Lafayette en lui disant : « Prenez-vous la responsabilitĂ© de la RĂ©publique ? »
Tandis que les rĂ©publicains se dĂ©battaient Ă lâHĂŽtel de Ville contre lâinertie flottante de celui qui Ă©tait pour eux un drapeau, non un chef ; tandis que les dĂ©putĂ©s libĂ©raux rĂ©unis chez Jacques Laffitte amusaient lâHĂŽtel de Ville et lâamadouaient, car il Ă©tait hĂ©rissĂ© de fusils encore fumants, â Thiers se rendait en hĂąte au chĂąteau de Neuilly afin dâobtenir lâadhĂ©sion formelle du duc dâOrlĂ©ans Ă tout ce qui se faisait en son nom dans Paris.
Il y trouva deux femmes : Madame AdĂ©laĂŻde, sĆur du prince, et Marie-AmĂ©lie, duchesse dâOrlĂ©ans. Quant au duc, il se cachait dans son chĂąteau du Raincy, attendant les Ă©vĂ©nements, sans doute aussi parce que Neuilly Ă©tait trop proche de Saint-Cloud, oĂč sâĂ©taient retirĂ©es les troupes royales aprĂšs le combat. Laffitte lâavait, en effet, invitĂ© Ă se mettre hors de portĂ©e des entreprises que la cour pouvait tenter sur lui.
Marie-AmĂ©lie accueillit fort mal le nĂ©gociateur, ou plutĂŽt les nĂ©gociateurs, car Thiers sâĂ©tait fait accompagner du peintre Ary Scheffer, ami de la famille dâOrlĂ©ans. Elle accabla Scheffer de reproches pour avoir osĂ© penser que le duc dâOrlĂ©ans accepterait la couronne des mains de ceux qui lâenlevaient Ă son infortunĂ© parent. Les deux ambassadeurs Ă©taient assez embarrassĂ©s de leur personnage, lorsque parut madame AdĂ©laĂŻde qui leur fit un bref discours quâon peut encore abrĂ©ger, et fixer dans ce seul mot : « RĂ©ussissez ». Et elle envoya immĂ©diatement un exprĂšs au Raincy pour avertir son frĂšre que la rĂ©union des dĂ©putĂ©s allait lui offrir le pouvoir.
Les 221 sâĂ©taient rĂ©unis au Palais-Bourbon, dans la salle des sĂ©ances, sous la prĂ©sidence de Laffitte. De leur cĂŽtĂ©, les pairs sâĂ©taient Ă©galement rassemblĂ©s au Luxembourg. La Chambre (on peut lui donner ce nom, bien quâelle eĂ»t dĂ©clarĂ© nâĂȘtre pas en sĂ©ance) refusa de se prononcer sur la communication que lui fit M. de Sussy, de la part de Charles X, concernant la rĂ©vocation des ordonnances et la dĂ©signation du duc de Mortemart, un libĂ©ral haĂŻ de la cour, comme prĂ©sident du conseil. Puis, sur la proposition du gĂ©nĂ©ral SĂ©bastiani, qui, nous apprend Louis Blanc, protestait le matin mĂȘme que la France nâavait point dâautre drapeau que le drapeau blanc, elle offrit la lieutenance-gĂ©nĂ©rale du royaume au duc dâOrlĂ©ans et vota le rĂ©tablissement de la cocarde tricolore. La rĂ©union des pairs, qui venaient dâacclamer les hĂ©roĂŻques rĂ©solutions de fidĂ©litĂ© royaliste proposĂ©es par Chateaubriand, vota sans trop de rĂ©sistance la proposition SĂ©bastiani.
Le duc dâOrlĂ©ans, averti du vote des dĂ©putĂ©s et des pairs, et aussi de lâattitude des rĂ©publicains de lâHĂŽtel de Ville, Ă©tait rentrĂ© Ă pied, dans la nuit, au Palais-Royal, tandis que les dĂ©lĂ©guĂ©s de la Chambre allaient Ă sa recherche. Câest lĂ que le duc de Mortemart, envoyĂ© par Charles X, le rejoignit. Remarquons ceci : la premiĂšre personne que voit Louis-Philippe, ce nâest ni un rĂ©publicain de lâHĂŽtel de Ville ni mĂȘme un de ses partisans de lâentourage de Laffitte, mais lâenvoyĂ© du roi. Si celui-ci reprend lâoffensive et triomphe de la rĂ©volution, il ne pourra imputer Ă son parent des dĂ©marches et des actes quâil nâa pas mĂȘme autorisĂ©s dâun signe. Si la rĂ©volution est victorieuse, rien Ă risquer non plus, puisque ceux qui sont Ă la tĂȘte de cette rĂ©volution travaillent pour lui bien mieux que sâil venait les gĂȘner de sa collaboration. Nous le verrons, trois jours plus tard, alors quâil a acceptĂ© officiellement la fonction de lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, et virtuellement la candidature au trĂŽne, prendre encore ses sĂ»retĂ©s au cas dâun retour de Charles X.
DâaprĂšs le duc de Valmy, qui lâa publiĂ©e dans un ouvrage ultra-royaliste, car ce petit-fils de Kellermann fut un dĂ©vot de lĂ©gitimitĂ©, voici le texte de la lettre que Louis-Philippe remit non cachetĂ©e au duc de Mortemart pour Charles X, et que le duc emporta dans un pli de sa cravate :
M. de⊠dira Ă Votre MajestĂ© comment lâon mâa amenĂ© ici, par force : jâignore jusquâĂ quel point ces gens-ci pourront user de violence Ă mon Ă©gard, mais sâil arrivait (mots rayĂ©s), si, dans cet affreux dĂ©sordre, il arrivait quâon mâimposĂąt un titre auquel je nâai jamais aspirĂ©, que Votre MajestĂ© soit convaincue (mot rayĂ©), bien persuadĂ©e que je nâexercerais toute espĂšce de pouvoir que temporairement et dans le seul intĂ©rĂȘt de notre maison. Jâen prends ici lâengagement formel envers Votre MajestĂ©. Ma famille partage mes sentiments Ă cet Ă©gard.
FidÚle sujet. »
« Palais-Royal, juillet 31, 1830. »
Cette lettr...