Histoire socialiste de la France Contemporaine
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Histoire socialiste de la France Contemporaine

Tome VIII : Le rĂšgne de Louis Philippe 1830-1848

Jean Jaures

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Tome VIII : Le rĂšgne de Louis Philippe 1830-1848

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À propos de ce livre

Jean JAURES dĂ©crit dans "Histoire socialiste de la France contemporaine" la RĂ©volution française Ă  l'aube de l'Ă©mergence d'une nouvelle classe sociale: la Bourgeoisie. Il apporte un soin particulier Ă  dĂ©crire les rouages Ă©conomiques et sociaux de l'ancien rĂ©gime.C'est du point de vue socialiste que Jean JaurĂšs veut raconter au peuple, aux ouvriers et aux paysans, les Ă©vĂšnements qui se sont dĂ©roulĂ©s de 1789 Ă  la fin du XIXĂšme siĂšcle.Pour lui la rĂ©volution française a prĂ©parĂ© indirectement l'avĂšnement du prolĂ©tariat et a rĂ©alisĂ© les deux conditions essentielles du socialisme: la dĂ©mocratie et le capitalisme mais elle a Ă©tĂ© en fond l'avĂšnement politique de la classe bourgeoise.Mais en quoi l'Ă©tude de Jean JaurĂšs est une histoire socialiste?L'homme doit travailler pour vivre, il doit transformer la nature et c'est son rapport Ă  la transformation de la nature qui va ĂȘtre l'Ă©quation primordiale et le prisme par lequel l'humanitĂ© doit ĂȘtre Ă©tudiĂ©e. De cette exploitation de la nature va naĂźtre une sociĂ©tĂ© dans laquelle va Ă©merger des rapports sociaux dictĂ©s par la coexistence de plusieurs classes sociales: les forces productives. Ce nouveau systĂšme ne peut s'Ă©panouir qu'en renversant les structures politiques qui l'en empĂȘchent.La rĂ©volution française est nĂ©e des contradictions entre l'Ă©volution des forces productives "la bourgeoisie" et des structures politiques hĂ©ritĂ©es de la noblesse fĂ©odale.Il ne faut pas se mĂ©prendre "L'histoire socialiste" n'est pas une lecture orientĂ©e politiquement mais peut ĂȘtre aperçu comme une interprĂ©tation Ă©conomique de l'histoire. Il s'agit d'un ouvrage complexe. L'histoire du socialisme demande du temps et de la concentration mais c'est une lecture primordiale et passionnĂ©e de la RĂ©volution française.L'Histoire socialiste de 1789-1900 sous la direction de Jean JaurĂšs se compose de 12 tomes, Ă  savoir: Tome 1: Introduction, La Constituante (1789-1791)Tome 2: La LĂ©gislative (1791-1792)Tome 3: La Convention I (1792)Tome 4: La Convention II (1793-1794)Tome 5: Thermidor et Directoire (1794)Tome 6: Consulat et Empire (1799-1815)Tome 7: La Restauration (1815-1830)Tome 8: Le rĂšgne de Louis Philippe (1830-1848)Tome 9: La RĂ©publique de 1848 (1848-1852)Tome 10: Le Second Empire (1852-1870)Tome 11: La Guerre franco-allemande (1870-1871), La Commune (1871)Tome 12: Conclusion: le Bilan social du XIXe siĂšcle.

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2020
ISBN
9782322197330
Édition
1
Sujet
History
Sous-sujet
World History

Tome VIII

LE RÈGNE DE LOUIS PHILIPPE

1830-1848

par EugÚne FOURNIÈRE

PremiĂšre partie

La révolution bourgeoise

Du 30 juillet 1830 au 4 mars 1831

Chapitre premier

La révolution confisquée.

Les menĂ©es orlĂ©anistes et l’inertie de Lafayette. — Le manifeste et l’intervention des saint-simoniens. — Les deux centres de la RĂ©volution : l’HĂŽtel de Ville vaincu par l’HĂŽtel Laffitte. — Les 221 offrent le pouvoir au duc d’OrlĂ©ans. — Louis-Philippe, Ă  l’HĂŽtel de Ville, joue la comĂ©die rĂ©publicaine. Le « fidĂšle sujet » de Charles X lance le peuple sur Rambouillet. — Tout est perdu, fors l’étiquette.
La bataille est terminĂ©e. Les Suisses et la garde royale se sont enfuis par les Champs-ÉlysĂ©es. A qui sera la victoire ? Ou plutĂŽt qui en disposera ? Le peuple, qui vient de verser son sang Ă  flots pendant ces trois terribles journĂ©es ? Non, cette fois encore son heure n’est pas venue. Le moment d’agir est venu pour le petit groupe d’hommes d’État qui ont observĂ© de loin la bataille, aprĂšs l’avoir allumĂ©e, volontairement ou non ; Ă  prĂ©sent que nul retour offensif du roi Charles X et de ses troupes n’est plus Ă  craindre, les voici accrus en nombre et en audace, assez forts dĂ©sormais pour s’interposer entre le peuple et sa victoire et faire que ce peuple encore armĂ© ne se laisse pas entraĂźner Ă  garder sa souverainetĂ© reconquise. Il fallait qu’il se souvĂźnt de la RĂ©volution pour renverser un trĂŽne, mais non jusqu’à proclamer la RĂ©publique.
Deux hommes, entre autres, ont entrepris de limiter la RĂ©volution : Laffitte et Thiers. Ils devanceront les rares partisans de la RĂ©publique et, d’une main aussi preste qu’habile, ils noueront l’intrigue qui doit placer le duc d’OrlĂ©ans sur le trĂŽne. Le 30 juillet donc, les rĂ©volutionnaires victorieux peuvent, dĂšs le matin, lire sur tous les murs une proclamation oĂč Charles X est proclamĂ© dĂ©chu et la RĂ©publique dĂ©clarĂ©e impossible, car « elle nous brouillerait avec l’Europe ». L’affiche continue en Ă©numĂ©rant les mĂ©rites du duc d’OrlĂ©ans qui « Ă©tait Ă  Jemmapes », qui « ne s’est jamais battu contre nous » et qui sera « un roi-citoyen ».
Thiers a rĂ©digĂ© cette affiche avec la collaboration de Mignet. Il annonce au peuple l’acceptation du duc d’OrlĂ©ans « sans avoir consultĂ© le prince qu’il n’a jamais vu », avoue M. Thureau-Dangin dans son Histoire de la Monarchie de Juillet. L’historien orlĂ©aniste n’insiste d’ailleurs pas autrement sur cette « audacieuse initiative », dont le succĂšs effacera les pĂ©rils et recouvrira l’immoralitĂ©. Il s’agit Ă  prĂ©sent de dĂ©cider le duc, et sans retard. L’HĂŽtel de Ville est plein de rĂ©publicains qui entourent Lafayette et le pressent de proclamer la RĂ©publique. Le peuple est tout prĂȘt Ă  se donner aux premiers qui se dĂ©clareront.
La Tribune, dont le directeur, Auguste Fabre, est rĂ©publicain, pousse tant qu’elle peut Ă  la solution rĂ©publicaine. Dans son numĂ©ro du 29 juillet, elle dit bien qu’ « on entend encore dans Paris le cri de vive la Charte », mais elle ajoute aussitĂŽt que « les braves citoyens qui poussent ce cri n’y attachent pas une signification bien nette, puisqu’il est suivi sur leurs lĂšvres du cri : Plus de roi ! Vive la libertĂ© !
 » Et suggĂ©rant la chose sans se risquer Ă  lĂącher le mot, la Tribune ranime les vieux souvenirs en ressuscitant le vocabulaire de la RĂ©volution. « C’est, dit-elle, le cri de vive la libertĂ© ! vive la nation ! qui doit se trouver dans toutes les bouches, comme sur toutes les poitrines les couleurs du 14 juillet, de Fleurus, d’Arcole et d’HĂ©liopolis. »
La rĂ©volution avait deux centres : l’hĂŽtel Laffitte et l’HĂŽtel de Ville. Les rĂ©publicains avaient conduit le peuple au combat, et le peuple Ă©tait encore sous les armes. Ils occupaient l’HĂŽtel de Ville, mais l’indĂ©cision de Lafayette y rĂ©gnait, nulle rĂ©solution n’était possible qui n’eĂ»t pas eu l’assentiment du populaire hĂ©ros des deux mondes.
En outre des communistes, hĂ©ritiers de la tradition de Babeuf, membres des sociĂ©tĂ©s secrĂštes, et qui se trouvaient naturellement au premier rang des combattants, il y avait une Ă©cole socialiste, celle des disciples de Saint-Simon. Quelle fut l’attitude de ceux-ci pendant les trois journĂ©es et, ensuite, dans le moment de trouble et d’incertitude oĂč chaque parti tentait de dĂ©gager la solution de son choix ? Écoutons-les parler eux-mĂȘmes. Écoutons Laurent (de l’ArdĂšche) dans la notice sur Enfantin qu’il a placĂ©e en tĂȘte des Ɠuvres de Saint-Simon :
« Les apĂŽtres du progrĂšs pacifique avaient une rude Ă©preuve Ă  traverser, dit-il. L’ancien rĂ©gime engageait un combat Ă  mort avec la RĂ©volution. Les disciples de Saint-Simon ne devaient pas se laisser entraĂźner dans cette lutte sanglante, bien qu’ils eussent la conviction d’ĂȘtre les adversaires les plus rĂ©solus et les plus redoutables du passĂ© fĂ©odal et clĂ©rical qui s’était fait provocateur. Ils n’oubliĂšrent pas, en effet, que leur mission n’était pas de dĂ©truire, mais d’édifier. Bazard, l’ancien membre de la vente suprĂȘme du carbonarisme, s’entendit Ă  merveille avec Enfantin, l’ancien combattant de Vincennes, pour inviter les saint-simoniens Ă  se tenir Ă  l’écart de cette querelle fratricide. »
Dans la circulaire, adressĂ©e le 28 juillet « aux Saint-Simoniens Ă©loignĂ©s de Paris », les chefs de la doctrine s’écrient : « Enfants, Ă©coutez vos pĂšres, ils ont su ce que devait ĂȘtre le courage d’un libĂ©ral, ils savent aussi quel est celui d’un saint-simonien. » Saint-Simon fut-il lĂąche pour avoir traversĂ© « la crise terrible de la RĂ©volution française avec ce calme divin qui eĂ»t Ă©tĂ© lĂąchetĂ©, crime, pour tout autre que lui ? » Non. Les saint-simoniens, en prĂ©sence des Ă©vĂ©nements qui se dĂ©roulent, doivent ĂȘtre calmes, mais non pas inactifs. La pĂ©riode de la propagande n’a pas encore fait place Ă  celle de l’organisation.
Pourtant, des saint-simoniens dĂ©sobĂ©irent. Si incomplĂšte que fĂ»t la rĂ©volution qui s’opĂ©rait, ils estimaient qu’elle les rapprochait davantage de leur idĂ©al que le rĂšgne de la CongrĂ©gation, Hippolyte Carnot, Jean Reynaud, Talabot, notamment, firent le coup de feu sur les barricades. Quant Ă  ce dernier, il ne dut point, d’ailleurs, faire grand mal aux soldats de Charles X, car, nous apprend Laurent, il avait chargĂ© son fusil la cartouche renversĂ©e, « de telle sorte qu’il ne put pas mĂȘme la dĂ©charger en l’air en revenant ».
DominĂ©s par le caractĂšre religieux qu’Enfantin avait donnĂ© Ă  leur doctrine, les saint-simoniens avaient bien renoncĂ© Ă  se battre, mais non Ă  agir dans le sens de la rĂ©volution. Dans la soirĂ©e mĂȘme du 29 juillet, le dernier coup de fusil Ă  peine tirĂ©, des rĂ©unions populaires se forment, notamment au restaurant Lointier, rue de Richelieu. Dans la rĂ©union Lointier, Carnot et Laurent se joignent Ă  leurs anciens amis les rĂ©publicains, entre autres Buchez et Rouen, et protestent vivement contre la propagande qu’y font les amis du duc d’OrlĂ©ans.
Puis avec Charles Teste et FĂ©lix Lepelletier Saint-Fargeau et deux saint-simoniens revĂȘtus de leur uniforme de l’École polytechnique, ils s’en vont joindre sur la place de la Bourse un corps de volontaires de la Charte, composĂ© d’environ quinze cents hommes et commandĂ© par un polytechnicien, afin de les dĂ©cider Ă  se prononcer contre les menĂ©es des orlĂ©anistes. Ils rĂ©digĂšrent Ă  la hĂąte, sur le comptoir du magasin de librairie de Ch. Teste, une trĂšs brĂšve proclamation qui commençait et finissait par ces mots : Plus de bourbons ! Lue aux volontaires, cette proclamation fut acclamĂ©e. Le bruit en vint Ă  la rĂ©union Lointier qui dĂ©cida de stipuler, dans l’adresse envoyĂ©e Ă  Lafayette et aux hommes de l’HĂŽtel de Ville, que toute candidature bourbonienne serait Ă©cartĂ©e.
Mais cela, de mĂȘme que la dĂ©marche de Bazard auprĂšs de Lafayette dont nous aurons Ă  parler tout Ă  l’heure, c’est de l’action officieuse. Les saint-simoniens se doivent de commenter l’évĂ©nement qui a donnĂ© la victoire au peuple. DĂšs le 30 juillet, Bazard et Enfantin, dans une proclamation aux Français affichĂ©e sur les murs de Paris, glorifient l’insurrection victorieuse. Cela est pĂ©nible de les entendre crier aux Parisiens : « Gloire Ă  vous ! » lorsqu’on sait que l’avant-veille ils ont blĂąmĂ© ceux des disciples qui voulaient aller faire le coup de fusil aux cĂŽtĂ©s du peuple.
Le lecteur ne s’est pas mĂ©pris : Bazard et Enfantin n’étaient pas des lĂąches. Mais, comme tous les sectaires, qui veulent enfermer le monde et son mouvement dans la conception particuliĂšre qui les domine eux-mĂȘmes, ils refusent de participer Ă  une rĂ©volution qui n’est pas la leur, de combattre avec des hommes qui cherchent encore ce que, disciples de Saint-Simon, ils prĂ©tendent avoir trouvĂ©. Pour que cette faute de nos aĂźnĂ©s ait sa pleine utilitĂ© historique, pour que la leçon qu’elle contient ne soit pas perdue pour nous, pour que nul acte dans le sens du progrĂšs gĂ©nĂ©ral de l’humanitĂ© ne nous laisse indiffĂ©rents dĂ©sormais, pour que nulle marche en avant ne nous surprenne et ne nous oblige Ă  l’humiliation de l’approuver sans y avoir pris part, Ă©coutons les saint-simoniens au lendemain d’un combat oĂč ils ne parurent pas et d’oĂč ils Ă©loignĂšrent ceux qui les suivaient :
« Français ! s’écrient-ils, enfants privilĂ©giĂ©s de l’humanitĂ©, vous marchez glorieusement Ă  sa tĂȘte !
« Ils ont voulu vous imposer le joug du passĂ©, Ă  vous qui l’aviez dĂ©jĂ  une fois si noblement brisĂ© ; et vous venez de le briser encore, gloire Ă  vous !
« Gloire Ă  vous qui, les premiers, avez dit aux prĂȘtres chrĂ©tiens, aux chefs de la fĂ©odalitĂ©, qu’ils n’étaient plus faits pour guider vos pas. Vous Ă©tiez plus forts que vos nobles et toute cette troupe d’oisifs qui vivaient de vos sueurs, parce que vous travailliez ; vous Ă©tiez plus moraux et plus instruits que vos prĂȘtres, car ils ignoraient vos travaux et les mĂ©prisaient ; montrez-leur que si vous les avez repoussĂ©s, c’est parce que vous savez, vous ne voulez obĂ©ir qu’à celui qui vous aime, qui vous Ă©claire et qui vous aide, et non Ă  ceux qui vous exploitent et se nourrissent de vos larmes ; dites-leur qu’au milieu de vous il n’y a plus de rangs, d’honneurs et de richesses pour l’oisivetĂ©, mais seulement pour le travail ; ils comprendront alors votre rĂ©volte contre eux ; car ils vous verront chĂ©rir, vĂ©nĂ©rer, Ă©lever les hommes qui se dĂ©vouent pour votre progrĂšs. »
Ces paroles ne furent pas comprises, le peuple ne les accueillit que par l’indiffĂ©rence la plus complĂšte. Il n’avait pas vu au rude combat des trois jours ces hommes qui se proposaient pour organiser sa victoire. Aux rĂ©dacteurs de l’affiche qui lui disaient : « Nous avons partagĂ© vos craintes, vos espĂ©rances », il eĂ»t pu rĂ©pondre, s’il ne les avait profondĂ©ment ignorĂ©s : « Mais vous n’avez partagĂ© ni nos travaux, ni nos pĂ©rils.
Car la vĂ©ritĂ©, les saint-simoniens l’avaient exprimĂ©e Ă  leur mesure dans la circulaire du 28 juillet lorsque, parlant de ceux qui se battaient, ils avaient dit : « Ce sont des hommes qui cherchent avec ardeur ce que nous avons trouvĂ©. » Le peuple et le parti libĂ©ral cherchaient en effet Ă  achever la RĂ©volution française, Ă  en finir avec les vestiges de fĂ©odalitĂ© conservĂ©s et restaurĂ©s par NapolĂ©on, puis par les Bourbons. GuidĂ©s par l’enseignement de Saint-Simon, Bazard et Enfantin affirmaient avoir trouvĂ© la formule du monde nouveau : suppression de l’hĂ©rĂ©ditĂ© dans l’ordre Ă©conomique comme la RĂ©volution l’avait opĂ©rĂ©e dans l’ordre politique ; substitution du rĂ©gime industriel au rĂ©gime fĂ©odal et militaire ; prĂ©dominance de l’industrie sur la propriĂ©tĂ© fonciĂšre ; organisation d’une hiĂ©rarchie Ă©conomique et sociale fondĂ©e uniquement sur la capacitĂ© et sanctionnĂ©e par l’amour. VoilĂ  l’ordre nouveau que les saint-simoniens apportaient. Leur voix se perdit dans le tumulte des compĂ©titions rĂ©publicaines et orlĂ©anistes, et leur action fut moins remarquable encore que celle de certains libĂ©raux qui intriguaient pour crĂ©er un courant en faveur du duc de Reichstadt.
La propagande faite en faveur du duc d’OrlĂ©ans exaspĂ©ra les rĂ©publicains rĂ©unis Ă  l’HĂŽtel de Ville : « S’il en est ainsi, s’écriaient-ils, la bataille est Ă  recommencer, et nous allons refondre des balles. » À vrai dire, il s’était formĂ© autour de Lafayette, Ă  l’HĂŽtel de Ville, un bureau de renseignements plutĂŽt qu’un centre d’action, qu’un gouvernement. C’est que Lafayette, qui d’ailleurs toute sa vie reçut l’impulsion et jamais ne la donna, Ă©tait Ă  l’ñge oĂč l’initiative hardie est le plus rare. BĂ©ranger, aussi populaire que lui, croyait encore moins que lui Ă  la possibilitĂ© de la RĂ©publique. Il n’y croyait mĂȘme pas du tout.
BĂ©ranger Ă©tait le poĂšte de la bourgeoisie libĂ©rale. Sa pensĂ©e, comme son art, Ă©tait juste-milieu. Il avait trop chantĂ© la gloire de NapolĂ©on Ier pour n’avoir pas un faible pour le jeune NapolĂ©on II ; il avait trop chantĂ© la libertĂ©, chansonnĂ© les nobles et les prĂȘtres, pour n’avoir pas un faible pour la RĂ©publique. Mais NapolĂ©on II Ă©tait prisonnier de son grand-pĂšre, ou plutĂŽt de Metternich, Ă  SchƓnbrunn, et la bourgeoisie n’était pas rĂ©publicaine. BĂ©ranger avait Ă©tĂ© aperçu dans un groupe d’orlĂ©anistes Ă  la salle Lointier ; il s’était retirĂ© dĂšs que la majoritĂ© de la rĂ©union avait manifestĂ© sa prĂ©fĂ©rence pour la RĂ©publique, et s’était rendu en hĂąte auprĂšs de Lafayette, pour joindre ses efforts Ă  ceux de RĂ©musat et d’Odilon Barrot en faveur du duc d’OrlĂ©ans. Il fut certainement de ceux qui empĂȘchĂšrent Lafayette de signer l’ordre de maintenir l’arrestation du duc de Chartres (fils aĂźnĂ© du duc d’OrlĂ©ans) opĂ©rĂ©e par la municipalitĂ© de Montrouge au moment oĂč le jeune prince tentait d’entrer dans Paris. Cet ordre avait Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par Pierre Leroux, qui Ă©tait le seul rĂ©publicain du journal le Globe, oĂč Cousin, Guizot, RĂ©musat avaient la haute main. Celui-ci avait achevĂ© de paralyser Lafayette en lui disant : « Prenez-vous la responsabilitĂ© de la RĂ©publique ? »
Tandis que les rĂ©publicains se dĂ©battaient Ă  l’HĂŽtel de Ville contre l’inertie flottante de celui qui Ă©tait pour eux un drapeau, non un chef ; tandis que les dĂ©putĂ©s libĂ©raux rĂ©unis chez Jacques Laffitte amusaient l’HĂŽtel de Ville et l’amadouaient, car il Ă©tait hĂ©rissĂ© de fusils encore fumants, — Thiers se rendait en hĂąte au chĂąteau de Neuilly afin d’obtenir l’adhĂ©sion formelle du duc d’OrlĂ©ans Ă  tout ce qui se faisait en son nom dans Paris.
Il y trouva deux femmes : Madame AdĂ©laĂŻde, sƓur du prince, et Marie-AmĂ©lie, duchesse d’OrlĂ©ans. Quant au duc, il se cachait dans son chĂąteau du Raincy, attendant les Ă©vĂ©nements, sans doute aussi parce que Neuilly Ă©tait trop proche de Saint-Cloud, oĂč s’étaient retirĂ©es les troupes royales aprĂšs le combat. Laffitte l’avait, en effet, invitĂ© Ă  se mettre hors de portĂ©e des entreprises que la cour pouvait tenter sur lui.
Marie-AmĂ©lie accueillit fort mal le nĂ©gociateur, ou plutĂŽt les nĂ©gociateurs, car Thiers s’était fait accompagner du peintre Ary Scheffer, ami de la famille d’OrlĂ©ans. Elle accabla Scheffer de reproches pour avoir osĂ© penser que le duc d’OrlĂ©ans accepterait la couronne des mains de ceux qui l’enlevaient Ă  son infortunĂ© parent. Les deux ambassadeurs Ă©taient assez embarrassĂ©s de leur personnage, lorsque parut madame AdĂ©laĂŻde qui leur fit un bref discours qu’on peut encore abrĂ©ger, et fixer dans ce seul mot : « RĂ©ussissez ». Et elle envoya immĂ©diatement un exprĂšs au Raincy pour avertir son frĂšre que la rĂ©union des dĂ©putĂ©s allait lui offrir le pouvoir.
Les 221 s’étaient rĂ©unis au Palais-Bourbon, dans la salle des sĂ©ances, sous la prĂ©sidence de Laffitte. De leur cĂŽtĂ©, les pairs s’étaient Ă©galement rassemblĂ©s au Luxembourg. La Chambre (on peut lui donner ce nom, bien qu’elle eĂ»t dĂ©clarĂ© n’ĂȘtre pas en sĂ©ance) refusa de se prononcer sur la communication que lui fit M. de Sussy, de la part de Charles X, concernant la rĂ©vocation des ordonnances et la dĂ©signation du duc de Mortemart, un libĂ©ral haĂŻ de la cour, comme prĂ©sident du conseil. Puis, sur la proposition du gĂ©nĂ©ral SĂ©bastiani, qui, nous apprend Louis Blanc, protestait le matin mĂȘme que la France n’avait point d’autre drapeau que le drapeau blanc, elle offrit la lieutenance-gĂ©nĂ©rale du royaume au duc d’OrlĂ©ans et vota le rĂ©tablissement de la cocarde tricolore. La rĂ©union des pairs, qui venaient d’acclamer les hĂ©roĂŻques rĂ©solutions de fidĂ©litĂ© royaliste proposĂ©es par Chateaubriand, vota sans trop de rĂ©sistance la proposition SĂ©bastiani.
Le duc d’OrlĂ©ans, averti du vote des dĂ©putĂ©s et des pairs, et aussi de l’attitude des rĂ©publicains de l’HĂŽtel de Ville, Ă©tait rentrĂ© Ă  pied, dans la nuit, au Palais-Royal, tandis que les dĂ©lĂ©guĂ©s de la Chambre allaient Ă  sa recherche. C’est lĂ  que le duc de Mortemart, envoyĂ© par Charles X, le rejoignit. Remarquons ceci : la premiĂšre personne que voit Louis-Philippe, ce n’est ni un rĂ©publicain de l’HĂŽtel de Ville ni mĂȘme un de ses partisans de l’entourage de Laffitte, mais l’envoyĂ© du roi. Si celui-ci reprend l’offensive et triomphe de la rĂ©volution, il ne pourra imputer Ă  son parent des dĂ©marches et des actes qu’il n’a pas mĂȘme autorisĂ©s d’un signe. Si la rĂ©volution est victorieuse, rien Ă  risquer non plus, puisque ceux qui sont Ă  la tĂȘte de cette rĂ©volution travaillent pour lui bien mieux que s’il venait les gĂȘner de sa collaboration. Nous le verrons, trois jours plus tard, alors qu’il a acceptĂ© officiellement la fonction de lieutenant-gĂ©nĂ©ral du royaume, et virtuellement la candidature au trĂŽne, prendre encore ses sĂ»retĂ©s au cas d’un retour de Charles X.
D’aprĂšs le duc de Valmy, qui l’a publiĂ©e dans un ouvrage ultra-royaliste, car ce petit-fils de Kellermann fut un dĂ©vot de lĂ©gitimitĂ©, voici le texte de la lettre que Louis-Philippe remit non cachetĂ©e au duc de Mortemart pour Charles X, et que le duc emporta dans un pli de sa cravate :
M. de
 dira Ă  Votre MajestĂ© comment l’on m’a amenĂ© ici, par force : j’ignore jusqu’à quel point ces gens-ci pourront user de violence Ă  mon Ă©gard, mais s’il arrivait (mots rayĂ©s), si, dans cet affreux dĂ©sordre, il arrivait qu’on m’imposĂąt un titre auquel je n’ai jamais aspirĂ©, que Votre MajestĂ© soit convaincue (mot rayĂ©), bien persuadĂ©e que je n’exercerais toute espĂšce de pouvoir que temporairement et dans le seul intĂ©rĂȘt de notre maison. J’en prends ici l’engagement formel envers Votre MajestĂ©. Ma famille partage mes sentiments Ă  cet Ă©gard.
FidÚle sujet. »
« Palais-Royal, juillet 31, 1830. »
Cette lettr...

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