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Requiem suivi de Fausse route
Michel Ouellette
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Requiem suivi de Fausse route
Michel Ouellette
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« Requiem »: Trois ĂȘtres convulsifs, hantĂ©s par la vie, trois priĂšres rageuses et amoureuses pour qu'advienne le repos, que s'apaisent les blessures et que, au terme de la douleur, chante enfin la beautĂ©...« Fausse route »: Road movie thĂ©Ăątral au ton irrĂ©vĂ©rencieux, cette comĂ©die grinçante met en scĂšne cinq personnages porteurs de drames intĂ©rieurs dissimulĂ©s sous les quarts de vĂ©ritĂ© et les demi-mensonges. DĂ©sir, jalousie, rejet, pouvoir, errance, crĂ©ation, mĂ©moire: les fausses pistes se multiplient jusqu'Ă la troublante conclusion.
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Information
FAUSSE ROUTE
a Ă©tĂ© Ă©crit dans le cadre dâune rĂ©sidence dâĂ©criture au Festival international des francophonies en Limousin, Ă Limoges, en mai et juin 1997.
Le texte a fait lâobjet de deux lectures publiques : par le ThĂ©Ăątre La Catapulte, en octobre 1997, sous la direction dâIsabelle BĂ©lisle, avec SĂ©bastien Bertrand, Jean-Marc GuĂ©rin, Annie Lefebvre, Ăric-Paul Parent et Sophie Tremblay ; et par ThĂ©Ăątre Action et le Centre des auteurs dramatiques, dans le cadre des Quinze jours de la dramaturgie des rĂ©gions, en juin 1999, sous la direction de Louise Latraverse, avec Vincent Bilodeau, Louise Bombardier, Johanne Delcourt, Louis-Martin Despa, Lise Roy et Robert VĂ©zina.
Les personnages :
MISTER
un homme dans la cinquantaine
un homme dans la cinquantaine
TI-CĆUR
un homme dans la trentaine
un homme dans la trentaine
JAMBON
un garçon de quinze ans
un garçon de quinze ans
LUCIA
une femme dans la trentaine
une femme dans la trentaine
EMMA
une femme dans la cinquantaine
une femme dans la cinquantaine
Un espace vaste et plutĂŽt vide. Au centre : un grand bloc noir avec sur le dessus une bouteille de whisky et un gros sandwich de pain blanc. DerriĂšre : des gradins qui font la largeur de la scĂšne.
Nous sommes en 1959, dans le nord de lâOntario. Trois hommes : JAMBON, prĂȘt Ă partir ; MISTER, en train de sâhabiller ; TI-CĆUR, un crochet Ă la place dâune main, ses bottes dĂ©lacĂ©es. Debout, ils tendent les bras, implorant.
MISTER : Emma!
TI-CĆUR : AimĂ©!
JAMBON : Amy!
EMMA est assise dans les gradins. Elle sourit, mais ne dit rien.
UN : LE CAMP 40
Vers 13 h, un vendredi. On entend de la musique western venant dâun poste de radio. Jambon joue avec son poste de radio portatif : il tente de syntoniser une station et dirige lâantenne vers le ciel. Tout le long de la piĂšce, Jambon traĂźnera sa radio⊠Mister finit de sâhabiller. Ti-CĆur, pliĂ© en deux, tente de lacer ses bottes.
MISTER : Hello! Iâm looking for Miss Emma⊠No. No. No⊠Je ne sais pas. Je ne connais pas son visage, mais je sais quâelle existe. Nous avons rendez-vous ici mĂȘme. Twelve thirty. One Twenty Station Road⊠Alas! Je ne sais pas si cela est aujourdâhui. Peut-ĂȘtre est-ce demain? Maybe. Anyway, je repasserai demain Ă la mĂȘme heure. Thank you, sir. God bless you!
Temps.
MISTER : Ti-CĆur!⊠Ti-CĆur! OĂč es-tu? Tu devrais ĂȘtre ici en train de mâaider Ă mâhabiller. On rentre en ville. Câest le temps de se rhabiller comme du monde, du vrai monde, civilisĂ©! Pas en bĂ»cheron colon!⊠Ti-CĆur! Jâai besoin de toi! What the hell are you up to?âŠ
Les bottes dĂ©lacĂ©es, Ti-CĆur va rejoindre Jambon. Emma ne rĂ©agit pas.
TI-CĆUR : ArrĂȘte de zigonner avec ça. Tu pogneras pas de stations amĂ©ricaines Ă ce temps-ci de la journĂ©e. Grouille! Ăteins ça, pis viens ici!
Jambon sâexĂ©cute et dĂ©pose la radio.
JAMBON : Mister est pas avec toi?
TI-CĆUR : Occupe-toi de ce qui te regarde!
JAMBON : Excuse. Je faisais juste le demander. Vous ĂȘtes toujours ensemble, dâhabitude. Ăa fait queâŠ
TI-CĆUR : Câest correct. Câest pas ben grave. Câest moi qui devrais mâexcuser⊠Mister est en train de se pomponner. Tu sais comment quâil est. Ă chaque fois quâon rentre en ville, il sort son beau linge, pis ça lui prend une bonne heure Ă sâhabiller. Avant mon accident (en lui montrant son crochet), je lâaidais. Mais maintenant, il a trop peur que jâendommage ses beaux habits⊠ou pire, que je le blesse.
JAMBON : Avoir un crochet Ă la place de la main, câest ben malcommode.
TI-CĆUR : Il te fait peur? (Il lui met le crochet devant le visage, le glisse sur sa joue.) Pas besoin dâavoir peur, Jambon. Câest doux de ce cĂŽtĂ©-lĂ . Doux comme ta joue de bĂ©bĂ©.
JAMBON : Je suis pas un bébé!
TI-CĆUR : Quand tâauras du poil sur le menton, on en reparlera.
JAMBON : Je suis un homme. Je travaille comme un homme. Je mange comme un homme.
TI-CĆUR : Tu sens encore le pipi!
JAMBON : Redis ça, voir! Redis-le!
TI-CĆUR : Ănerve-toi pas!
JAMBON : Retire ce que tu viens de me dire, sinon je vais te montrer que je sais me battre comme un homme.
TI-CĆUR : Du calme, le jeune! Si tu veux pas goĂ»ter le bout pointu de mon crochet, du calme! Je suis pas ici pour me battre. Tu te montes une colĂšre pour un rien, toi! Câest lâĂąge, faut croire! Ăcoute, Jambon. Moi, la bataille, ça mâintĂ©resse pas. Je suis pas un gars de chicane. Je suis un gars de fĂȘte.
JAMBON : Tâaimes ça, rire des autres. Mais moi, tu riras pas de moi de mĂȘme. Jâai beau avoir juste quinze ansâŠ
TI-CĆUR : Tâes un bon petit gars. Un bon gars. Un chum! ⊠Entre chums, on peut se parler.
JAMBON : Quâest-ce que tâas Ă me dire, Ti-CĆur?
TI-CĆUR : Sois pas suspicieux. Je suis ton chum.
JAMBON : Quâest-ce que tu veux?
TI-CĆUR : Aide-moi Ă lacer mes bottes. Avec mon crochet, jây arrive pas.
JAMBON : Tu veux que je lace tes bottes?
TI-CĆUR : Je te verrais, toi, avec une main pis un moignon! Fais donc ce que je te demande! Sâil te plaĂźt.
Ti-CĆur sâassoit dans les gradins.
JAMBON : Câest ben parce que tu le demandes poliment.
Jambon sâagenouille devant Ti-CĆur pour lui lacer les bottes.
TI-CĆUR : Merci. Tâes un bon gars, Jambon. Un vrai chum. Pour moi, toi, tâes un gars qui a de lâambition. Je me trompe pas, hein? Si tâas lĂąchĂ© lâĂ©cole pour venir travailler dans le bois, câest parce que lâargent tâhaĂŻs pas ça.
JAMBON : Je travaille pour aider mon pĂšre pis ma mĂšre. Je leur donne toute ma paie.
TI-CĆUR : Câest beau, ça. Tâes un maudit bon gars. Un vrai bon gars. Ben Ă©levĂ© pis tout! Tu fais ben dâaider tes parents. On doit tout Ă nos parents.
JAMBON : Je les Ă©coute.
TI-CĆUR : Ăa te tenterait pas, des fois, dâen garder un peu pour toi, un peu dâargent, juste pour toi, pour tâacheter des affaires, du beau linge comme Mister?
JAMBON : Certain! Mais mon pĂšre surveille ma paie. Il compte tout. Je peux rien garder pour moi. Plus tard, quand je serai plus vieux, Ă dix-huit ans, je vais pouvoir en garder un peu. Pis quand je vais me marier, ça va tout ĂȘtre Ă moi, toute la paie.
TI-CĆUR : Mais si on te donnait de lâargent en plus de ta paie, un bonus, tâaurais pas besoin dâen parler Ă ton pĂšre, tâaurais pas besoin dâen parler Ă personne.
JAMBON : Hein?
TI-CĆUR : Tiens. Je vais te donner vingt piastres, tout de suite.
JAMBON : Pourquoi?
TI-CĆUR : Le veux-tu?
JAMBON : Ben? Certain! Quâest-ce quâil faut que je fasse?
TI-CĆUR : Pas grand-chose. Une petite affaire.
JAMBON : Quoi?
TI-CĆUR : Juste de me conduire en ville.
JAMBON : Câest pas nĂ©cessaire de me donner de lâargent pour ça. On part bientĂŽt, aussitĂŽt que Mister arrive.
TI-CĆUR : Justement, je voudrais partir avant Mister. Sans lui. Tu comprends-tu, lĂ ?
JAMBON : Ben?
TI-CĆUR : Je te donne vingt piastres pour partir tout de suite. Mister passera une autre journĂ©e ici, ça le tuera pas.
JAMBON : Mais?
TI-CĆUR : Tu reviendras le chercher demain, câest tout. Câest pas ben grave. Câest une farce que je veux lui faire. Rien quâune farce. Il va la trouver drĂŽle, tu vas voir.
JAMBON : Il va se fĂącher pis câest sur moi quâil va se dĂ©fouler!
TI-CĆUR : Ben non!⊠Sur le coup, câest sĂ»r quâil la trouvera pas drĂŽle. Mais ni toi ni moi, on sera lĂ pour recevoir ses coups. Pis demain matin, il va avoir tout oubliĂ© parce quâil va avoir passĂ© la nuit Ă jouer aux cartes pis Ă boire du whisky. Quand tu reviendras ...