La Petite Poule d'Eau
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La Petite Poule d'Eau

Gabrielle Roy

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La Petite Poule d'Eau

Gabrielle Roy

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Gabrielle Roy, Ă  partir du souvenir d'un Ă©tĂ© passĂ© dans une rĂ©gion sauvage du Manitoba, au nord de Winnipeg, un pays situĂ© plus loin que le « fin fond du bout du monde », a imaginĂ© le recommencement de toutes choses: de l'Ă©ducation, de la sociĂ©tĂ©, de la civilisation mĂȘme. Ce pays de grande nature et d'eau chantante, elle l'a peuplĂ© de personnages doux et simples, Ă©pris Ă  la fois de solitude et de fraternitĂ© Ă  l'Ă©gard de leurs semblables. Ce roman, le deuxiĂšme de Gabrielle Roy, a Ă©tĂ© publiĂ© pour la premiĂšre fois Ă  MontrĂ©al, en 1950, puis Ă  Paris et Ă  New York en 1951.

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Information

Year
2012
ISBN
9782764611173
Subtopic
Classici
L’école de la Petite Poule d’Eau

I

Dans un rayon de cinquante milles autour de la maison de Luzina, il n’existait en tout que deux Ă©coles du gouvernement. L’une au nord, comprise dans la rĂ©serve indienne, n’était ouverte qu’aux enfants de la tribu saulteux1. L’autre Ă©cole Ă©tait plus loin encore, Ă  dix-huit milles de route impossible. Elle Ă©tait situĂ©e au settlement de Portage-des-PrĂ©s. Cette colonie progressait. Sa population comprenant douze enfants, elle avait pu s’assurer une maĂźtresse d’école et quelques livres. L’inspecteur y venait de temps Ă  autre, tous les deux ou trois ans, faire sa visite, quand un ensemble tout Ă  fait heureux de circonstances lui en permettait l’accĂšs, au mois de juin autant que possible, s’il n’avait pas plu depuis trois semaines au moins et si son auto rĂ©sistait aux douze derniers milles de la piste. Il fallait que ces vingt et un jours consĂ©cutifs de beau temps requis pour sĂ©cher le chemin de Portage-des-PrĂ©s survinssent avant les vacances de l’inspecteur, qui commençaient au dĂ©but de juillet. Il avait tout de mĂȘme dĂ» les retarder presque Ă  chacun de ses voyages Ă  Portage-des-PrĂ©s. Mais les avantages de la colonie ne rĂ©glaient pas le problĂšme de l’instruction dans l’üle de la Petite Poule d’Eau.
***
Encore une fois les canards prirent leur long vol vers le Sud. Les oies sauvages filĂšrent aussi au-dessus de l’üle, venant de retraites encore mieux cachĂ©es au nord ; elles ne nichaient jamais qu’à dix milles au moins de la plus proche des habitations des hommes ; les sternes, les poules d’eau, les poules des prairies, les sarcelles dĂ©campaient. Le pays Ă©tait sillonnĂ© de voies aĂ©riennes, comme visibles, et toutes occupĂ©es dans le mĂȘme sens. BientĂŽt la Grande Poule d’Eau charria des Ăźlots de neige. Elle aussi prit une allure vive, comme pressĂ©e de fuir, Ă  cause de ces gros paquets blancs qu’elle entraĂźnait et qui permettaient de mesurer la vitesse du courant. Avec tristesse Luzina voyait venir un autre hiver d’engourdissement, toujours sans institutrice et sans classes rĂ©guliĂšres. MĂȘme les enfants des Sauvages Ă©taient mieux partagĂ©s que les siens ; ils avaient une Ă©cole, disait Luzina. Mais ici, comment faire ! Or, un soir, en se berçant dans la cuisine, Hippolyte trouva une solution Ă  ce casse-tĂȘte.
Jamais Hippolyte ne se berçait seul. AussitĂŽt qu’il s’installait dans la berceuse, trois ou quatre enfants venaient se « faire prendre ». Il en mettait un sur chacun de ses genoux, deux autres sur les bras de la grande chaise, et, ainsi chargĂ©e, ample et solide, la berceuse partait pour une sorte de voyage, car, non seulement elle berçait tous ses passagers, mais encore elle les promenait Ă  travers la cuisine. Tout ce temps, Hippolyte fumait, puisque c’était son heure de dĂ©tente. Naviguant Ă  toute allure et entourĂ©e d’une Ă©paisse fumĂ©e, la chaise Ă©tait presque Ă  la porte ; Hippolyte rĂ©flĂ©chissait et, tout Ă  coup, il entrevit le moyen. Il Ă©tait simple ; il ne s’agissait que d’y penser. Hippolyte arrĂȘta quelque peu son voyage ; il enleva sa pipe : la fumĂ©e s’amincit. Hippolyte annonça sans surexcitation la profonde dĂ©couverte qui allait transformer leur existence :
— Mais pour les enfants, la mĂšre, j’y pense ; on pourrait Ă©crire au gouvernement !
À peine prononcĂ©, le mot introduisit dans la petite maison des Tousignant un rĂ©confort si satisfaisant, si Ă©vident, qu’ils demeurĂšrent tout Ă©tonnĂ©s d’ĂȘtre si longtemps passĂ©s Ă  cĂŽtĂ©. Hippolyte eut le plaisir de voir le visage de Luzina rĂ©flĂ©chir Ă  son tour, s’absorber, s’épanouir et, dans le mĂȘme instant, le fĂ©liciter, lui, Hippolyte, de savoir toujours Ă  qui s’adresser. Le gouvernement, bien sĂ»r ! Comment ni l’un ni l’autre n’y avaient-ils pas encore pensĂ© ! Toutes sortes d’images imposantes, solides et rassurantes, reprĂ©sentĂšrent en ce moment le gouvernement Ă  Luzina.
Il siĂ©geait Ă  Winnipeg, la plus belle ville qu’elle dĂ©clarait avoir vue. Elle l’avait vue durant son voyage de noces, en route pour la Petite Poule d’Eau. Il logeait dans une maison tout en marbre importĂ© d’Italie. Luzina s’était laissĂ© dire que la construction avait coĂ»tĂ© plusieurs millions de dollars, et elle le crut absolument Ă  cette minute. Il ne devait pas y avoir au monde de Parlement beaucoup mieux logĂ© que celui du Manitoba. Ce Parlement Ă©tait surmontĂ© d’une statue d’homme qui avait des ailes et venait de France. On y accĂ©dait par un grand escalier, de marbre Ă©galement. Presque tout Ă©tait de marbre dans ce Parlement. De chaque cĂŽtĂ© de l’escalier, deux bisons, grandeur nature, paraissaient prĂȘts Ă  charger. Les bisons Ă©taient l’emblĂšme du Manitoba : des bĂȘtes Ă  grosse tĂȘte rentrĂ©e directement dans l’énorme bosse du cou, sans encolure ou tout en encolure selon le point de vue, et dont le pied semblait encore gratter furieusement le sol des Prairies. On les avait dĂ©cimĂ©es et, maintenant, elles symbolisaient l’audace et la croyance au progrĂšs de la province. Mais c’était par les Ă©coles de Winnipeg que Luzina s’avisait avoir Ă©tĂ© surtout conquise. De grandes Ă©coles Ă  plusieurs Ă©tages, tout en fenĂȘtres. Le gouvernement s’en occupait. Le gouvernement qui rĂ©gnait derriĂšre les deux bisons Ă©tait des plus avancĂ©s en matiĂšre d’éducation. Il avait dĂ©crĂ©tĂ© l’instruction obligatoire avant qu’il n’y eĂ»t assez d’écoles pour tous les enfants et des routes pour y aller.
Confiante, Luzina dĂ©chira une feuille de son bloc de papier et elle Ă©crivit au gouvernement. Elle rĂȘva des bisons en bronze. Nulle province au monde ne devait possĂ©der comme emblĂšme des bĂȘtes aussi puissantes. Le Canada lui-mĂȘme n’avait qu’un castor. Dans ce rĂȘve de Luzina des bisons fonçaient de partout Ă  la fois contre l’ignorance des pays arriĂ©rĂ©s. Le lendemain, glace ou non, Hippolyte fut dĂ©pĂȘchĂ© avec la lettre au-delĂ  des deux riviĂšres, au long de la piste, sur la terre ferme, Ă  la rencontre du facteur. C’était le mĂȘme qu’autrefois, un vieil original du nom de Nick Sluzick qui, depuis les dix ans qu’il annonçait son dĂ©part pour des pays plus tranquilles, moins habitĂ©s, faisait toujours la navette entre le bureau de poste le plus reculĂ© de la province et les derniĂšres maisons du pays, tout juste avant la toundra Ă©ternelle.
Six semaines plus tard, au mĂȘme endroit, Nick Sluzick en grognant tira d’un des sacs postaux une lettre adressĂ©e aux Tousignant. Pierre-Emmanuel-Roger, qui Ă©tait envoyĂ© en reconnaissance tous les vendredis, la trouva dans leur boĂźte aux lettres, au creux d’un vieil arbre gelĂ© Ă  mort. Dans un coin de l’enveloppe il y avait un bison surmontĂ© d’une croix, le tout gravĂ© en relief noir sur blanc et trĂšs impressionnant. Tout de suite Pierre en comprit l’importance. Il fit Ă  la course le trajet de la boĂźte aux lettres Ă  la maison, un peu plus d’un mille. Il aurait bien pu enfoncer dans la Petite Poule d’Eau, tant il nĂ©gligeait d’examiner si la glace sous ses pieds Ă©tait assez bien prise. Luzina l’attendait sur le seuil, par un froid de trente au-dessous de zĂ©ro, les joues en feu.
— Y a le buffalo1, lui apprit Pierre.
— Le buffalo !
Elle entrevoyait l’énormitĂ© de la puissance Ă  laquelle elle s’était adressĂ©e. La belle enveloppe que convoitait Pierre vola en petits bouts. « Dear Mrs. Tousignant », commença de lire Luzina. Elle ne comprenait pas beaucoup l’anglais, mais assez pour saisir les bonnes nouvelles. Il lui sembla comprendre que le gouvernement s’excusait d’abord d’avoir fait attendre si longtemps sa rĂ©ponse. Il disait que, ne connaissant presque pas le français, il avait dĂ» faire appel Ă  son collĂšgue quĂ©bĂ©cois, Jean-Marie Lafontaine, au service des Titles and Land, lequel l’avait aidĂ© Ă  traduire la lettre de Luzina.
C’était bien de la confusion apportĂ©e au gouvernement par sa faute, et Luzina en rougit quelque peu. De plus, expliquait le gouvernement, la lettre de Luzina adressĂ©e au Gouvernement de l’Instruction avait mis beaucoup de temps Ă  trouver les bureaux du Department of Education et, entre tous ces bureaux, celui de Mr. Evans qui s’occupait justement des requĂȘtes telles que Luzina en avait prĂ©sentĂ©. C’était donc lui qui rĂ©pondait Ă  Luzina. Elle examina la signature et vit en effet qu’elle correspondait avec les caractĂšres Ă©crits plus bas, beaucoup plus lisibles, Ă  la machine Ă  Ă©crire. Mais tout cela n’était que des prĂ©liminaires, si aimables fussent-ils. Luzina arriva Ă  l’essentiel dans le deuxiĂšme paragraphe.
Dans ce deuxiĂšme paragraphe de sa lettre, le gouvernement exposait Ă  Luzina qu’elle ne s’était pas trompĂ©e en l’estimant trĂšs intĂ©ressĂ© Ă  l’éducation. Il se disait dĂ©solĂ© d’apprendre qu’en des rĂ©gions telles qu’en habitait Luzina, il y avait apparemment de futurs citoyens privĂ©s d’école. Tout cela Ă©tait Ă  changer le plus rapidement possible, et tout cela changerait, promettait le gouvernement, car c’était bien par l’éducation qu’une nation s’élevait. En consĂ©quence, il se disait prĂȘt Ă  envoyer une institutrice dans l’üle de la Petite Poule d’Eau Ă  partir du mois de mai, pour quatre ou six mois, selon que la tempĂ©rature et les routes le permettraient, Ă  deux conditions :
PremiĂšrement, qu’il y eĂ»t une petite bĂątisse ou tout au moins une piĂšce de la maison qui servirait d’école. DeuxiĂšmement, que le nombre des Ă©coliers fĂ»t au moins de six ayant tous atteint l’ñge de l’inscription scolaire.
Le gouvernement se prĂ©tendait obligĂ© de se montrer assez sĂ©vĂšre sur ce dernier point : Ă  moins de six Ă©lĂšves qui ne seraient ni trop vieux ni trop jeunes, il ne pouvait, Ă  son grand regret, qu’encourager Luzina Ă  attendre d’avoir plus d’enfants ou quelques voisins qui auraient aussi des enfants. Si ces conditions Ă©taient satisfaites, il enverrait une institutrice et il paierait lui-mĂȘme, de sa propre bourse, le traitement du school teacher. Eux, les Tousignant, auraient Ă  fournir l’abri, la nourriture, l’hospitalitĂ©.
L’hospitalitĂ©, pensez-vous ! La mine affairĂ©e, les yeux brillants, Luzina Ă©tait dĂ©jĂ  prĂȘte Ă  tout renverser pour recevoir sa maĂźtresse d’école qu’elle voyait presque arrivĂ©e, dĂ©bouchant des roseaux, sa petite valise Ă  la main.
Elle vit aussi Ă  quel point elle avait Ă©tĂ© bien inspirĂ©e de ne pas s’arrĂȘter une seule annĂ©e de mettre au monde de futurs Ă©coliers. Aurait-elle eu besoin d’encouragement que ce dernier rĂšglement de l’instruction touchant le nombre des Ă©lĂšves n’aurait pas eu pour effet de ralentir Luzina.
À l’heure qu’il Ă©tait, elle put rĂ©pondre au gouvernement qu’elle avait cinq enfants en Ăąge d’aller Ă  l’école, qu’un sixiĂšme, JosĂ©phine-Yolande Tousignant, aurait six ans dĂšs le mois de juin, et qu’il lui semblait Ă  elle, Luzina, que le gouvernement pourrait passer sur une aussi lĂ©gĂšre infraction aux rĂšglements, vu que JosĂ©phine serait tellement proche de ses six ans quand la classe ouvrirait. Elle espĂ©rait bien, Ă©crivit-elle, ne pas ĂȘtre obligĂ©e d’attendre toute une autre annĂ©e, rien que par la faute de JosĂ©phine. Quant Ă  espĂ©rer une autre famille assez prĂšs de chez elle, elle disait que cela les retarderait encore bien plus que JosĂ©phine.
1. L’une des tribus indiennes, autrefois nomade, des Prairies, qui vit actuellement, ainsi que toutes les autres tribus ayant conclu un traitĂ© avec le gouvernement canadien, en des rĂ©gions isolĂ©es oĂč elles jouissent de droits exclusifs de pĂȘche et de chasse. L’accĂšs des rĂ©serves est gĂ©nĂ©ralement dĂ©fendu aux Blancs.
1. Le bison est improprement appelĂ© buffalo dans l’Ouest canadien.

II

La lettre Ă  peine partie, Luzina aurait voulu voir Hippolyte Ă  la construction de l’école. Plus vite ils auraient rempli les conditions du gouvernement et moins, Ă  son avis, celui-ci pourrait les envoyer promener. À sa confiance toujours trĂšs grande envers le pouvoir du gouvernement s’ajoutait, maintenant qu’il lui devenait plus familier, une certaine petite dose de mĂ©fiance quant Ă  la rĂ©alisation des promesses. « Ils ne pourront pas se dĂ©dire si on se met en frais de bĂątir une Ă©cole », avait calculĂ© Luzina. Mais rien ne pressait tellement, au dire d’Hippolyte. Il fallait tout de mĂȘme attendre que la neige disparĂ»t. Que la terre fĂ»t mĂȘme un peu dĂ©gelĂ©e. La mĂšre n’avait pas Ă  se tracasser, promit-il, l’école irait vite dĂšs qu’il pourrait s’y mettre. Elle, cependant, affirmait qu’elle ne dormirait pas tranquille tant que la charpente ne serait pas montĂ©e. On ne savait jamais ; il pourrait y avoir des Ă©lections provinciales, des changements de gouvernement. Ce bon et sympathique Mr. Evans lui-mĂȘme pourrait ĂȘtre remplacĂ©. Le caractĂšre de Luzina, sous l’influence de l’ambition, des hauts et des bas qu’elle introduisait dans son cƓur, d...

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