Lutter pour un toit
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Lutter pour un toit

Douze batailles pour le logement au Québec

François Saillant

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Lutter pour un toit

Douze batailles pour le logement au Québec

François Saillant

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Cherté des loyers, insalubrité, déclin du logement social, spéculation immobilière, location temporaire à des fins touristiques par l'entremise de plateformes numériques... Les enjeux liés à l'habitation sont encore nombreux. Même si le droit au logement fait partie intégrante des droits humains que nos États se sont engagés à respecter, la situation au Québec serait bien pire sans la vigilance et la détermination des groupes militants qui ont mené des batailles sur ce front au cours des dernières décennies.

François Saillant, porte-parole du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) pendant plus de 35 ans, a décidé de raconter douze épisodes de l'histoire du mouvement pour le logement au Québec, des vétérans squatteurs de l'après-guerre à la gentrification des quartiers ouvriers d'aujourd'hui. Si certaines de ces luttes populaires ont été livrées en pleine crise du logement, d'autres visaient à prévenir la destruction de milieux de vie et quelques-unes ont impliqué des actions directes considérées comme illégales. Elles ont eu lieu à Montréal et à Québec, mais également à Gatineau, Châteauguay et Val-David. Toutes ont dérangé d'une manière ou d'une autre les pouvoirs publics et les intérêts économiques en cause.

Témoignage de première main, cet ouvrage de mémoire militante nous rappelle que «[l]utter sur le front du logement, c'est être engagé dans un combat permanent, un combat qui a ses moments forts comme ses temps morts, ses avancées comme ses reculs, mais qui n'est jamais totalement terminé».

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CHAPITRE 1

Les vétérans squatteurs (1946-1948)

«M OSCOU ISOLE SON PEUPLE du monde ». Ce titre publié à la une de La Presse du 24 octobre 1946 résume bien l’esprit qui domine, un an après la fin de la Seconde Guerre mondiale. La guerre froide n’est pas encore officiellement commencée, mais le ton monte dangereusement à l’égard de l’Union soviétique. La chasse aux communistes, qui avait ralenti après le ralliement de l’URSS au camp allié en 1941, est de nouveau ouverte au Canada comme dans plusieurs autres pays.
Un fait apparemment sans rapport est relaté à la page 3 du quotidien montréalais : « À son tour, la métropole du Canada a connu sa première invasion de “squatters”, hier après-midi, alors que cinq familles d’anciens combattants de la dernière guerre ont pris d’assaut, avec tout leur ameublement, un édifice de quatre étages occupé puis évacué par une organisation de jeu2. »
Un groupe jusque-là inconnu, la Ligue des vétérans sans logis, apparaît au grand jour. Son porte-parole est Henri Gagnon, un électricien qui fut sergent durant la guerre.
Quelques jours plus tard, le capitaine Jack Ennis de l’escouade municipale contre le communisme qualifie le vétéran de « communiste notoire », ajoutant : « Nous possédons au sujet de Gagnon un dossier judiciaire qui établit nettement que son activité de communiste remonte à plusieurs années avant la guerre3. »
La Ligue des vétérans sans logis et le mouvement des familles squatteuses n’ont pas fini de faire couler de l’encre4. Montréal vient s’ajouter à la liste des lieux où se déroulent de semblables actions, avec Ottawa, Vancouver, Chicago, New York et plusieurs villes de France et de Grande-Bretagne.

De mal en pis

Montréal est, depuis plusieurs années déjà, aux prises avec une très sévère pénurie de logements. La construction résidentielle n’a jamais repris après la crise économique provoquée par le krach boursier de 1929. En décembre 1939, l’Office d’initiative économique de Montréal estime que 35 000 logements additionnels seraient nécessaires5. À peine quatre ans plus tard, le Service d’urbanisme de Montréal affirme que ce sont plutôt 50 000 logements qui doivent être construits de toute urgence6. La détérioration de la situation est due cette fois à l’arrivée massive de personnes attirées par les emplois dans les usines d’armement.
Le gouvernement fédéral, qui a commencé à s’impliquer en habitation quelques années plus tôt, accroît ses interventions en février 1941 en mettant sur pied la Wartime Housing Limited, une société de la Couronne destinée à la construction de logements pour les personnes travaillant dans les usines d’armement7. Un gel des loyers est d’abord décrété par Ottawa en 1940 dans les 15 plus grandes villes canadiennes, dont Montréal. La mesure s’étend l’année suivante aux autres municipalités. Tout cela n’est cependant pas suffisant pour juguler la crise du logement.
La situation se détériore dangereusement au moment du retour massif du front après l’armistice. Une forte proportion des logements sont surpeuplés. Plusieurs familles y cohabitent. D’autres sont forcées de vivre entassées dans des chambres. Certaines doivent même s’abriter dans des garages, des hangars ou des entrepôts. En octobre 1946, les demandes de logement reçues par la Wartime Housing Limited sont au nombre de 6 235 pour la seule région montréalaise, dont 606 dans le quartier Mercier, situé dans ce qui s’appelle maintenant l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve8.
C’est dans ce contexte que la Ligue des vétérans sans logis voit le jour, en septembre 1946, à l’initiative du Parti ouvrier progressiste (POP). Ben Lubell, membre de la section anglophone du parti au Québec, en est nommé président, alors qu’Henri Gagnon, qui est son organisateur provincial de langue française, est désigné vice-président.
Le POP lui-même est apparu officiellement en août 1943 lorsque le Parti communiste canadien a décidé de changer de nom et de programme pour pouvoir sortir de la clandestinité. Le même mois, lors d’élections fédérales partielles, il avait fait élire le seul député de son histoire, Fred Rose9, dans la circonscription montréalaise de Cartier, englobant un secteur situé à l’ouest de ce qu’on appelle aujourd’hui le Plateau Mont-Royal. En plus de la promotion de l’effort de guerre, la campagne du POP avait mis l’accent sur « une action immédiate pour balayer les taudis de Cartier et construire des maisons saines, à loyer bon marché10 ».

« Logements contre barbottes »

Dès ses débuts, la Ligue des vétérans sans logis fait le choix d’occuper des maisons de jeu et d’autres endroits qui ont été ou sont encore utilisés à des fins illicites. Cette stratégie a l’avantage de mettre les propriétaires des lieux dans l’embarras, tout en renforçant la légitimé des actions.
C’est le 2054 avenue McGill College qui est choisi pour la première occupation, le 23 octobre 1946. Henri Gagnon, qui habitait jusque-là en chambre avec sa famille, est l’un des squatteurs. Il explique aux médias accourus sur les lieux que les vétérans et leurs familles sont de plus en plus impatients devant « l’insouciance et la lenteur d’action des autorités gouvernementales ». Il présente les revendications de la Ligue des vétérans sans logis : « mettre immédiatement à la disposition des anciens combattants tous les locaux capables d’abriter les familles sans logis » et « passer à l’application d’un plan de construction de logements à prix modique, afin qu’il soit possible à chacun de se loger11 ». Il fait visiter l’immeuble aux journalistes pour démontrer qu’il abritait bel et bien une maison de jeu. Il précise que les vétérans squatteurs sont prêts à payer le loyer et les frais d’électricité.
Malgré cela, l’occupation est rapidement judiciarisée à la suite de plaintes du propriétaire, Henry Joseph. Dès le 29 octobre, Henri Gagnon, devenu entretemps président de la Ligue, comparaît en justice en compagnie de deux autres squatteurs qui, eux, ne sont pas membres du POP. Ils sont accusés, en vertu du Code criminel, d’être entrés de force dans l’immeuble. Gagnon déclare : « C’est maintenant à la justice de décider qui, des vétérans ou des “gamblers”, ont le droit de demeurer dans la ville. On aura aussi à décider si les Montréalais devront vivre entassés comme des sardines, tandis qu’environ 500 maisons et logis vacants sont cadenassés12. »
La veille, la Ligue des vétérans sans logis a ouvert un nouveau squat au troisième étage d’un immeuble situé au 4509 rue Saint-Denis. Trois familles de vétérans, au total 12 personnes dont 5 enfants, s’y sont installées. Un seul des vétérans, Roland Dinel, est membre du POP. Les lieux appartiennent à une compagnie du nom de Building Trades Club inc. Au cours des années précédentes, l’immeuble qui sert lui aussi de maison de jeu a fait l’objet de plusieurs raids policiers et a même été cadenassé en mars 1946.
Cette fois, l’occupation bénéficie de l’aide d’une douzaine de membres de l’Union des marins canadiens. Ils sont venus sécuriser les lieux pour que les familles squatteuses puissent y demeurer, mais aussi pour qu’Henri Gagnon se saisisse de plusieurs dossiers compromettants qui s’y trouvent et que la Ligue entend remettre à Pacifique « Pax » Plante, procureur spécial de la police de Montréal. Au même moment, des chauffeurs de taxi bloquent la circulation au coin de la rue Saint-Denis et de l’avenue du Mont-Royal en signe de solidarité.
Henri Gagnon déclare que les squatteurs sont prêts à se défendre devant les tribunaux, invoquant l’ordre 9439, dit Emergency Shelter Regulation, qui donne à la nouvelle Société centrale d’hypothèques et de logement (SCHL) le pouvoir de réquisitionner tous les endroits disponibles pour loger des familles sans logis. Selon lui, les maisons de jeu entrent dans cette catégorie13.
Au même moment, une autre famille, celle du vétéran Roméo Mongeau qui vivait depuis 1945 dans un hangar de l’avenue d’Orléans, accepte l’invitation d’Henri Gagnon et se joint aux squatteurs de l’avenue McGill College.
Le 31 octobre, le quotidien La Patrie raconte que la police de Montréal fait le guet devant des maisons de jeu susceptibles d’être occupées par la Ligue. Ce serait notamment le cas d’une demeure située rue de la Montagne. Ces précautions n’empêchent pas l’ouverture, le 4 novembre, d’un nouveau squat au 5169 boulevard Décarie. Trois familles s’y installent, 22 personnes qui vivaient jusque-là dans des conditions misérables. Aucune n’est liée au Parti ouvrier progressiste. Elles indiquent que c’est Henri Gagnon qui les a approchées en leur offrant un logement. Même si les vétérans avaient des emplois, ils se faisaient sans cesse refuser des logements parce que leurs revenus n’étaient pas assez élevés pour rassurer les propriétaires sur leur capacité à payer le loyer14.

Cible de nombreuses attaques

Les succès de la Ligue des vétérans sans logis lui valent de nombreuses attaques.
Certains journaux qui étaient au départ plutôt sympathiques à ses actions tentent maintenant de la discréditer, en insistant sur l’appartenance communiste d’Henri Gagnon, mais aussi en parvenant à arracher des déclarations à certaines familles participant aux squats, particulièrement celles du boulevard Décarie. C’est le cas de La Presse qui, dans son édition du 5 novembre 1946, publie un article dont le titre est « Des vétérans devenus squatters malgré eux ». Le texte cite des personnes qui affirment qu’elles sont là contre leur gré et qu’elles ne sont pas heureuses des conditions offertes. Le 7, au lieu de considérer comme une victoire le relogement par les autorités de cinq familles squatteuses (quatre en hébergement temporaire à l’hôtel Viger et la cinquième dans un logement de la Wartime Housing Limited), La Presse présente l’événement comme une preuve que les familles « semblent se dissocier » d’Henri Gagnon15.
La Légion royale canadienne, un organisme sans but lucratif créé pour venir en aide aux vétérans et à leurs familles, condamne à répétition les actions de la Ligue. À la suite d’une réunion d’urgence du commandement provincial de la Légion, son directeur général, Basil Price, déclare au sujet des squats que « de pareilles tactiques feront plus de tort que de bien aux vétérans à qui l’on croit venir en aide ». Il doit toutefois admettre que les actions ont au moins permis de convaincre les autorités politiques de l’urgence du problème du logement16. Deux sections locales de la Légion, celles de Snowdon et d’Outremont, prennent par ailleurs parti en faveur de la Ligue. La première en paie lourdement le prix, puisqu’elle est suspendue par la direction qui l’accuse d’avoir violé sa charte en appuyant les squats et d’être infiltrée par des communistes.
Le premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, qualifie pour sa part le mouvement de « campagne communiste dirigée par Moscou, pour surprendre la bonne foi des ouvriers et instaurer au Canada la doctrine bolchevique qui répugne à nos principes et à notre mentalité17 ». Il menace d’imposer la « loi du cadenas » aux squats. Il n’en fera cependant rien.
Par ailleurs, les squatteurs doivent se défendre les uns après les autres devant les tribunaux. Le 5 novembre, les familles de l’avenue McGill College se voient sommer de quitter les lieux dans les trois jours. « S’il fallait admettre ces violations de domicile, déclare le juge T.-A. Fontaine, cela serait une négation du droit de propriété et nous conduirait infailliblement à l’anarchie18… » À la date fatidique, constatant que les familles poursuivent leur occupation, le juge exige un cautionnement de 2 000 dollars à Henri Gagnon qui se voit, par l...

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