André Major
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André Major

Entretiens

Michel Biron, François Dumont

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  1. 258 pages
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André Major

Entretiens

Michel Biron, François Dumont

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André Major a beaucoup contribué au développement de la littérature québécoise depuis le début des années 1960. Après s'être identifié à des groupes comme celui de Parti pris, revue dont il a été membre fondateur, il s'est rapproché d'écrivains qui appartiennent à des cercles différents, voire antagonistes. Passant outre aux divisions idéologiques, il a fréquenté des intellectuels de tous les milieux et de toutes les générations et collaboré à presque toutes les revues culturelles importantes de l'époque, de Liberté à Maintenant en passant par L'Action nationale et Les Écrits du Canada français. Il a aussi participé de façon étroite à la vie littéraire, non seulement par son œuvre, mais aussi par les chroniques qu'il a publiées dans Le Petit Journal puis dans Le Devoir, par son travail de lecteur aux Éditions du Jour, par sa présence au sein du comité qui crée en 1977 l'Union des écrivains (UNEQ), par les premiers ateliers de création littéraire offerts dans les universités et plus encore par son métier de réalisateur à la radio.À partir de sa retraite de Radio-Canada en 1997, l'écrivain connaît un second souffle. Tout en continuant de s'adonner à la fiction, André Major s'identifie de plus en plus à la forme intimiste du carnet et en fait son genre de prédilection. C'est l'écriture discontinue des carnets qui constitue sa manière véritable, le cœur de son œuvre. Les entretiens proposés ici permettent de saisir en quelque sorte la continuité derrière une telle discontinuité. Ils donnent à entendre l'admirable constance de la voix d'un écrivain qui témoigne de son temps tout en refusant de s'aligner sur les effets de mode, d'un merveilleux accompagnateur des auteurs et des artistes depuis la Révolution tranquille et d'un esprit remarquablement libre. Ce témoin privilégié raconte son histoire, et à travers celle-ci, c'est plus d'un demi-siècle de l'histoire politique et intellectuelle du Québec qu'on redécouvre, en même temps que les étapes de l'élaboration d'une œuvre de premier plan.

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Information

Year
2021
ISBN
9782764646649
I
Un jeune Canoque dans la Révolution tranquille
FD : Pour commencer, pourriez-vous nous parler un peu de votre enfance, du milieu dans lequel vous viviez ?
Mes parents étaient tous les deux originaires de la campagne. Mon père est né à Sainte-Sophie, dans les Laurentides. Il n’en avait gardé aucun souvenir parce que son père avait la bougeotte. Il ne demeurait pas longtemps au même endroit. Ma mère, elle, venait de Saint-Bernard-de-Lacolle, près de la frontière canado-américaine. Mon père a été frère enseignant pendant une douzaine d’années. Il avait obtenu son brevet d’enseignement après avoir terminé ses études à Rigaud, où les Clercs de Saint-Viateur l’ont recruté en même temps que son frère Médéric, qui, lui, a défroqué assez tôt. On faisait valoir le fait que le statut de religieux les mettrait à l’abri d’une éventuelle mobilisation et leur apporterait une certaine sécurité matérielle, arguments qui doivent avoir pesé dans la balance parce que leur père était un journalier qui travaillait à gauche et à droite, sans se fixer nulle part, sauf quand il a pu s’installer à la campagne pour y passer ses vieux jours, comme on disait à l’époque. En lisant les romans de Knut Hamsun, j’ai rencontré des personnages qui me rappelaient mon grand-père. Ma mère disait de lui qu’il était « prompt », c’est-à-dire un peu soupe au lait. Je me souviens surtout d’un homme taciturne, toujours occupé à couper des arbres, à les débiter et à les fendre en quartiers. Au printemps, il entaillait des érables rouges, qu’on appelait des « plaines », qui donnaient un sirop ambré, bien foncé, que je recherche encore aujourd’hui, de préférence au sirop blond d’une saveur douceâtre.
MB : Votre père a donc enseigné pendant une douzaine d’années ?
Il a été frère enseignant une dizaine d’années au collège de Berthier, puis un an ou deux comme laïc, à Lauzon. À la rentrée de 1939, il a été embauché à Montréal, mais sans qu’on lui crédite ses années d’enseignement. Il a donc recommencé au pied de l’échelle, à trente ans, comme s’il débutait. Il est retourné vivre auprès de ses parents, qui habitaient alors chez mes oncles Médéric et Isaïe, le cadet, et où logeait aussi une chambreuse qui allait devenir ma mère, tout ce monde-là tassé dans le même logement d’Hochelaga-Maisonneuve, comme des immigrés. Il avait obtenu un brevet qui lui permettait d’enseigner au niveau secondaire, ce qu’il a fait durant je ne sais combien d’années dans une école du « bas de la ville », puis à l’école Louis-Hébert, à Rosemont. Il avait une telle passion pour les sciences qu’il a suivi des cours à l’Université de Montréal – par correspondance, j’imagine. Même retraité, il se distrayait en faisant des problèmes d’algèbre. Mon oncle Médéric, lui, a fait du camionnage avant d’enseigner au primaire, mais sans brevet : ça arrivait à l’époque. Mes parents n’étaient pas à l’aise, comme on dit. Peu avant ma naissance, ils avaient trouvé un grand logement rue de Bordeaux, près de la rue Ontario. Ils devaient sous-louer la grande chambre et le boudoir pour boucler leur budget. On a eu des pensionnaires pendant une douzaine d’années. Mes deux frères et moi dormions dans le même divan-lit. Nos parents couchaient dans l’autre partie du salon double, séparés de nous par une tenture de cretonne. Ma sœur, elle, dormait dans la cuisine sur un lit pliant. Plusieurs parents, originaires de la région de Lanaudière, s’étaient établis dans le faubourg Sainte-Marie, où un cousin de mon père pratiquait la médecine de quartier. Et, bien sûr, il nous soignait gratuitement. Quand j’ai fait la connaissance de Jacques Ferron, à une réunion de l’Action socialiste pour l’indépendance du Québec, il m’a demandé si j’avais un lien de parenté avec le docteur Willie Major, et je crois que ça l’avait bien disposé à mon égard. Ils avaient travaillé ensemble à l’asile de Saint-Jean-de-Dieu. Il pratiquait comme Ferron une médecine de quartier et il se déplaçait pour voir ses malades.
FD : Il faisait la tournée des Major ?
Oui. Tout comme mon père, d’ailleurs, qui était le coiffeur de toute la parentèle, le dimanche après-midi. Il avait appris ce métier-là chez les Clercs de Saint-Viateur de Rigaud, tandis que mon oncle s’occupait de l’entretien de la patinoire et de la pelouse du collège, ce qui payait leurs études, si j’ai bien compris. Il me semble que leur père était le concierge du collège. Ma mère, elle, avait été bonne à tout faire chez les Sœurs de Sainte-Anne, après avoir passé quelques années aux États-Unis pour prendre soin de sa grand-mère Sharp. Elle était entrée au couvent pour échapper à l’existence qu’elle menait depuis la mort prématurée de sa mère. Mais comme elle n’avait pas d’instruction ni de dot, on l’a mise à la cuisine, à l’entretien domestique et à la couture. La maladie l’a forcée à quitter le couvent, et elle a fait comme beaucoup de gens de la campagne, elle est venue vivre en ville, où elle travaillait comme bonne chez un médecin juif. Quand mon père s’est retrouvé à Montréal, elle louait une chambre chez mon oncle Médéric, rue Bercy. C’est là qu’il a fait sa connaissance. Il lui a appris à lire et à écrire, comme elle me l’a raconté quelques jours avant sa mort. Et ils se sont mariés en 1939. Après la naissance de ma sœur Thérèse, ils ont continué d’habiter là un peu plus d’un an. Puis ils ont déménagé rue de Bordeaux, où je suis né.
MB : Étiez-vous conscient que c’était une pauvreté assez dure ?
Pas vraiment parce qu’autour de nous il n’y avait que des familles comme la nôtre. La première épreuve que j’ai dû surmonter, c’était le fait d’être gaucher. Dès le premier semestre de ma première année, j’ai écopé de coups de règle et de retenues. Et comme j’étais le seul gaucher de la classe, j’ai assez mal vécu ces premiers mois d’école. J’arrivais au quinzième rang de la classe, une classe où la plupart des élèves n’étaient pas très studieux. Mon père est intervenu auprès de la mère supérieure, en lui disant que son expérience d’instituteur l’avait convaincu que forcer un gaucher à devenir droitier ne faisait que retarder son apprentissage. Mais elle lui a répondu qu’un défaut, ça se corrige en bas âge. C’est, en tout cas, ce qu’il m’a raconté plus tard. Après les Fêtes, devenu plus ou moins droitier, je suis passé de la quinzième place à la tête de la classe. Mon père a conservé mes photos de première, deuxième et troisième année, où j’arbore avec fierté la médaille d’honneur. Beaucoup plus tard, j’ai constaté que d’autres gauchers contrariés avaient comme moi un sérieux problème d’orientation, notamment au cours d’une tournée en Russie que j’ai faite en compagnie d’Yves Beauchemin. Dès que nous nous éloignions de l’hôtel, nous peinions à retrouver notre chemin. Déroutés, nous le serons probablement jusqu’à notre mort. D’où mon intérêt pour la boussole et les méthodes de repérage. Ma gaucherie m’a tout de même donné le sentiment d’être différent des autres et j’en ai pris conscience en quatrième année, quand je me suis retrouvé dans une école neuve, rue Papineau, au sud du parc La Fontaine. Des durs à cuire qui avaient doublé deux ou trois fois n’ont pas tardé à la saccager, il a suffi de quelques mois. Il y avait toujours des bagarres dans la cour de récréation. Je me suis alors lié à un nommé Benoit, qui était le souffre-douleur des autres élèves parce qu’en plus d’être obèse, il parlait, comme on disait, « à la française ». À un moment donné, il m’a emmené chez lui rue Sherbrooke, près de la bibliothèque municipale. Il avait de l’argent de poche, des boussoles, des sextants, il était abonné à Tintin et à Spirou. Comme son père ne vivait plus à la maison, il gâtait ses deux fils. Leur mère faisait triste figure. C’était une sensation étrange de marcher sur des tapis de Turquie, dans cette grande maison bourgeoise, sombre et silencieuse. C’est là que j’ai compris qu’on vivait pauvrement. Un jour, il m’a emmené en autobus au pied du mont Royal. J’ai découvert un autre monde dont je n’avais jamais imaginé l’existence. Il faut dire que la télévision n’était pas encore entrée chez nous. Jusque-là, la ville, pour moi, c’était la paroisse Sainte-Marguerite-Marie et la paroisse de mes oncles et tantes. Rue de Bordeaux, il n’y avait pas d’arbres, pas de verdure, mais la rue habituellement déserte faisait le plein d’autos venues des États-Unis quand les Royaux recevaient une équipe de baseball au stade De Lorimier. Il y avait heureusement le modeste parc de Rouen, avenue De Lorimier. L’hiver, on pouvait y patiner et y jouer au hockey. Les chanceux avaient des pads, de vrais pads. Mais mon frère cadet et moi, on s’enveloppait les jambes avec des sections de La Presse pour se protéger… Il m’arrivait d’aller avec ma grande sœur m’accroupir devant un soupirail de l’église anglicane désaffectée, qui se trouvait à l’angle des rues Sherbrooke et De Lorimier, où avaient lieu les répétitions des Compagnons de Saint-Laurent du père Émile Legault. Et c’était tout un événement dans le voisinage quand Jean Duceppe venait rendre visite à ses parents le dimanche midi. Pour en revenir à mon ami Benoit, un jour il m’a suivi et il a sonné à la porte, curieux de voir où j’habitais. Je ne l’ai pas laissé monter l’escalier intérieur, je suis descendu le rejoindre pour l’entraîner loin de chez nous. J’ai éprouvé pour la première fois la honte de vivre là. Mais c’est grâce à lui que j’ai commencé à fréquenter la bibliothèque municipale, où j’ai découvert les romans de Jules Verne et la saga du Prince Éric, dans la collection pour la jeunesse « Signes de piste ». À la maison, il y avait tout de même une petite bibliothèque où se trouvaient L’Encyclopédie de la jeunesse et Pays et Nations. Je passais mes dimanches le nez fourré là-dedans, et ça me faisait rêver.
En cinquième année, dès le premier semestre, la classe a épuisé la bonne volonté de quatre profs. Mon père m’a sorti de là pour me faire terminer l’année à l’école Saint-Barthélemy, où il était titulaire d’une cinquième année depuis quelque temps. Ensuite, j’ai fait mes sixième et septième années à l’école Jean-Baptiste-Meilleur, rue Fullum, près de la prison des femmes. Soit dit en passant, Gaston Miron, alias frère Adrien, avait enseigné là quelques années plus tôt. C’était une bonne école, très bien tenue par les Frères du Sacré-Cœur, et qui avait une chorale réputée, la Manécanterie Meilleur. À la fin de ma septième année, le frère titulaire m’a proposé de poursuivre mes études au juvénat des Frères du Sacré-Cœur à Saint-Gabriel-de-Brandon. Mes études ne coûteraient rien, et je pourrais jouir d’un magnifique paysage, comme en faisait foi un dépliant où on voyait des garçons souriants qui canotaient sur un lac. Moi, tout excité, je montre à mon père le dépliant en question, mais mon père n’est pas du tout emballé. J’ignorais qu’il avait été frère. Il n’en avait jamais parlé, ayant même détruit les photos où il apparaissait ensoutané. Mais ma marraine m’en a donné quelques-unes que je conserve dans l’album familial. Je n’avais aucune idée de ce que j’avais envie de « faire plus tard », mais je voulais m’instruire. Mon père m’a demandé d’en parler au curé, dont j’étais l’un des trois servants attitrés. Donc, le lendemain matin, après l’Ite missa est, j’en parle au curé, qui s’exclame : « Un simple frère, toi, voyons donc ! Toi qui es si doué pour le latin. » Je ne faisais pourtant que répéter des mots dont je comprenais à peine le sens, mais lui trouvait que j’avais un bon accent en latin… Il m’a dit : « C’est un gaspillage de vocation. » Le lendemain, il venait voir mon père pour lui dire : « Il n’est pas fait pour devenir un frère, il est bon pour le sacerdoce. » Il ne savait pas à qui il parlait… Selon lui, je devais faire le cours classique. Il était prêt à me recommander à l’Œuvre des vocations, qui finançait les études des candidats au sacerdoce. Donc, fort de mon bulletin de fin d’année et d’une lettre du curé, je me suis rendu avec mon père, dans le bringuebalant tramway de l’avenue De Lorimier, jusqu’au lointain boulevard Gouin, où se trouvait cette fameuse Œuvre des vocations. En cours de route, comme pris d’un scrupule, mon père m’a demandé : « Es-tu sûr que t’as envie de devenir prêtre ? » J’ai dit : « Missionnaire, peut-être...

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