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Horoscopiques
Gilles Pellerin
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Horoscopiques
Gilles Pellerin
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Avec la verve qu'on lui connaßt, Gilles Pellerin renoue avec le genre de la nouvelle en prenant pour appui les douze signes du zodiaque; grùce à son érudition et à son sens du rythme, chaque signe sert ainsi de prétexte à une nouvelle mettant en scÚne des personnages légÚrement décalés, dont on ne saurait dire s'ils sont franchement agaçants, attachants ou carrément drÎles. Chose certaine, le genre de la nouvelle est particuliÚrement bien servi ici, confirmant la réputation de l'auteur, maintes fois récompensé.
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Kanadische LiteraturCancer
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Jâai connu quelquâun qui imaginait les jours
de la semaine sous la forme de figures particuliĂšres,
une fois mĂȘme, il dessina le mercredi sur la table.
de la semaine sous la forme de figures particuliĂšres,
une fois mĂȘme, il dessina le mercredi sur la table.
Georg Lichtenberg
Ă les entendre, on est le 31 juin et, ni Ă la radio ni dans les journaux, on ne semble se rappeler ni mĂȘme savoir que juin compte trente jours : aujourdâhui on est ou devrait ĂȘtre le 1er juillet. Les chefs politiques y vont de leurs salades nationalistes, avec bonus dâune journĂ©e pour clamer que le Canada est le best-country-meilleur-pays au monde et que ça nâa jamais Ă©tĂ© aussi vrai que maintenant. Tous en chĆur : Ca-na-da ! Ca-na-da ! Vu les tensions actuelles, la chorale chante fort !
Des distorsions dans le cours du temps, ça sâest dĂ©jĂ vu. Afin de donner Ă JosuĂ© le temps voulu pour vaincre les Amorrites, YahvĂ© arrĂȘta le soleil dans sa course.
Le soleil se tint immobile au milieu du ciel et prĂšs dâun jour entier retarda son coucher.
Pour Charlemagne, le Seigneur Dieu eut la mĂȘme disposition « de bien vouloir pour lui arrĂȘter le soleil, dire Ă la nuit dâattendre, au jour de demeurer : tu peux maintenant te venger de la gent criminelle ».
Dâaccord, ça se passe dans de vieux livres. On peut avoir des rĂ©serves Ă lâĂ©gard de ces Ă©vĂ©nements puisquâils se seraient dĂ©roulĂ©s lâun dans lâAntiquitĂ©, lâautre au Moyen Ăge. Dâailleurs, de nos jours le Seigneur Dieu ne pourrait tenir de tels propos sans se faire vertement rabrouer.
Le calendrier nâa pas toujours Ă©tĂ© lisse. Tout irait bien si un an comptait 365 ou mĂȘme 365 ÂŒ jours, la base actuelle pour dĂ©terminer les annĂ©es (trois rĂ©guliĂšres et une bissextile), mais la fraction nâest pas exactement ÂŒ (0,2422, selon WikipĂ©dia). Mine de rien, Ă lâĂ©chelle de quelques siĂšcles le dĂ©calage finit par creuser un trou. Quand on sâest aperçu quâĂ ce compte-lĂ PĂąques dĂ©riverait jusquâen Ă©tĂ©, on a remplacĂ© le calendrier julien par le calendrier grĂ©gorien. Le jour de lâAn, quâon avait jusque-lĂ cĂ©lĂ©brĂ© Ă lâĂ©quinoxe du printemps, plus prĂ©cisĂ©ment Ă lâAnnonciation (25 mars), sâest retrouvĂ© le 1er janvier. Mais lâajustement ne sâest pas fait partout en mĂȘme temps. Chacun sait que la rĂ©volution dâOctobre a Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©e le 7 novembre 1917. En passant de lâempire des tsars Ă lâUnion SoviĂ©tique, on a avalĂ© treize jours dâun grand coup. Le calendrier est blagueur : du temps de mon enfance, lĂ oĂč je vivais lâhiver, câĂ©tait en juin et NoĂ«l en plein Ă©tĂ©. Ce qui expliquerait que mon ami Julien Hoarau soit nĂ© en dĂ©cembre, son frĂšre Janvier, en septembre ? (LĂ , câest moi qui plaisanteâŠ)
Blague Ă part, ce 31 juin viserait-il Ă corriger un nouveau dĂ©calage ? Je demanderais bien lâavis de mon voisin de palier, mais ces jours-ci il est invisible, comme chaque fois quâil perd son emploi, ce qui lui arrive souvent.
Membre dâune association vouĂ©e Ă lâaccueil aux immigrants, Alexandre mâa en quelque sorte pris en charge Ă mon arrivĂ©e. Rien Ă voir avec les services gouvernementaux. Pas de paperasse. Que de lâentraide, du quotidien. Mon logement, câest lui qui me lâa trouvĂ©. MĂȘme immeuble, mĂȘme palier, pas cher. « Le temps que tu tâinstalles, ce sera pratique. » AprĂšs toutes ces annĂ©es, il me convient toujours, surtout quâil est venu avec le meilleur voisin qui soit.
Entre lui et moi, çâa cliquĂ©, bien que nous provenions dâhorizons diffĂ©rents : moi, Science Po ; lui, un biologiste en mal dâemploi stable, vu sa tendance Ă sâengueuler avec ses patrons et Ă brandir pour ceci et pour cela des opinions dĂ©rangeantes. Politique, Ă©cologie, justice sociale, tout y passe. Sa passion : ce qui rĂ©git les sociĂ©tĂ©s. Ce nâest peut-ĂȘtre pas si diffĂ©rent de la bio, aprĂšs tout. « Câest tout Ă fait normal de chercher Ă comprendre ce qui cloche. Câest mĂȘme une exigence quand on vit dans un rĂ©sidu dâĂtat colonial qui nâest pas maĂźtre de son destin ni de la conduite quotidienne de ses affaires ! » Le point dâexclamation, il le fait entendre. Il en a dâailleurs lâallure, longiligne, toujours prĂȘt Ă bondir.
DĂšs le dĂ©but, moi Ă sa table, puis lui Ă la mienne, et ainsi de suite. Je me suis joint Ă lâassociation. Nous organisons de petites fĂȘtes et nous mettons Ă profit notre savoir-faire culinaire. Lâhistoire, la culture, le vocabulaire dans une assiette, je ne connais pas mieux. Jâaurais difficilement pu trouver quelquâun capable autant que lui de mâinstruire des choses propres Ă son pays et, en retour, dâĂ©couter ce que jâai Ă dire sur celui oĂč jâai grandi.
Bref, un touche-Ă -tout au grand cĆur et aux grandes opinions. Ă lâĂ©tat brut, si jâavais Ă choisir comme copain entre un gars qui rĂȘve dâun avenir meilleur ou un autre qui festoie parce que rien ne bouge, comme tant lâont fait le 30 octobre 1995, je nâhĂ©siterais pas.
Aux grands espoirs, les grandes douleurs : Alex raconte le rĂ©fĂ©rendum comme sâil lâavait vĂ©cu, alors quâil Ă©tait encore gamin. Pour lui, ce nâest quâun des derniers chapitres dâune « histoire Ă lâenvers de lâĂ©volution normale dâune sociĂ©tĂ© ». Une anomalie qui fait mal.
« Lâhistoire du Canada a Ă©tĂ© Ă©crite Ă lâencre de lâinjustice » â il a parfois de ces grandiloquences. Selon lui, division en Haut et Bas-Canada, ConfĂ©dĂ©ration et rapatriement de la Constitution ne sont que des Ă©tapes de la dilution des droits du QuĂ©bec, avec ratification de la Cour suprĂȘme. Pas besoin de dire quâil mâa fallu apprendre le contraire pour mon examen dâadmission Ă la citoyennetĂ©. « En 1995, les Canadians se rassemblent Ă MontrĂ©al pour faire des mamours aux QuĂ©bĂ©cois, et le pouvoir central accorde rapidement la citoyennetĂ©, donc le droit de vote, Ă des immigrants qui vont contribuer Ă la victoire du Non. Puis çâa Ă©tĂ© la dĂ©bĂącle, et ce nâest pas fini. »
Ce point est dĂ©licat : si jâĂ©tais nĂ© plus tĂŽt, jâaurais pu me retrouver dans cette situation et prĂȘter allĂ©geance Ă la reine quelques jours avant dâaller voter. On peut comprendre le manque dâenthousiasme Ă appuyer la sĂ©paration quand tu viens dâarriver dans un nouveau pays. Et la parole dâhonneur, et les ouvriers de la onziĂšme heure, tu en fais quoi, Alex ?
NâempĂȘche que je suis capable de distinguer situation personnelle et point de vue global. Câest le moins quâon puisse attendre dâun diplĂŽmĂ© de Science Po. Je suis en mesure de comprendre les rouages de lâassimilation. Ă cette Ă©chelle, Alexandre, moi, les autres, nous ne sommes que des Ă©lĂ©ments dans un rapport de force qui sâexerce au-dessus de nous ; Ă lâĂ©chelle personnelle, il y a moi, nĂ© ailleurs, qui dĂ©barque ici une fois diplĂŽmĂ©, et une amitiĂ© improbable avec un type dont les racines remontent Ă trois siĂšcles et demi, biologiste qui mâa pris sous son aile sans rien attendre de moi â que je vote du bon bord, un peu, tout de mĂȘme. Pour un indĂ©pendantiste (en manque de parti oĂč loger, « surtout pas celui des contorsions gagnantes »), les temps sont durs. Quant Ă moi, jâestime quâen pĂ©riode de mondialisation, câest nager Ă contre-courant. Ăa lâirrite, il sâĂ©loigne, mais finit toujours par revenir. Invariablement, je lâattends : sâil ne me relate pas lâhistoire-qui-nâen-est-pas-une de son pays-qui-nâen-est-pas-un, qui le fera ?
Oui, qui ? Et cela mâimporte. MalgrĂ© nos divergences, je ne peux pas lui donner tort pour ce qui est de lâhistoire trouĂ©e. La crise dâOctobre, tiens. Pendant ma probation on a balayĂ© cet Ă©pisode gĂȘnant sous le tapis. Quâun pays cache ce quâil a de plus laid nâest pas Ă©tonnant. La loi des mesures de guerre (le nom en soi est assez saisissant), lâarmĂ©e dans les rues, les exactions Ă lâendroit des PremiĂšres Nations et des MĂ©tis, les camps pour les citoyens dâorigine japonaise, est-on moins bon Canadien de ne pas le savoir ? Les immigrants devraient-ils ĂȘtre responsables des bassesses commises avant leur arrivĂ©e ? Pour nous, la vie commence maintenant.
Il convoque rĂ©guliĂšrement le colonialisme au banc des accusĂ©s. Vu mes origines, je suis « bien placĂ© pour apprĂ©cier les shows de boucane. Imagine : pour cĂ©lĂ©brer les 400 ans de QuĂ©bec, on a reçu le prince et la princesse Kitti-Willi. On se bousculait pour ĂȘtre sur la photo. La cote de la monarchie est en hausse ! God Save Our Mighty Queen â et que le Diable emporte le reste ! »
Justement, ce nâest que du spectacle, non ? La monarchie câest, comment dire ? dĂ©coratif. (Je ne mâaventure pas plus loin sur ce terrain, car câest colon au sens propre. En passant, je nâimagine pas la trombinette du prĂ©sident français sur des timbres-poste africains.)
« Un gouverneur gĂ©nĂ©ral, ça sert Ă quoi ? Ă perpĂ©tuer la tradition du thĂ© lâaprĂšs-midi ? Comme si ce nâĂ©tait pas assez, il y a dix lieutenants-gouverneurs : le nom mĂȘme de cette fonction⊠dĂ©corative ne te semble pas biscornu ?
â Tu sais, des bizarreries, on en rencontre dans tous les rĂ©gimes politiques.
â Dans ce cas-ci, il sâagit plutĂŽt de ridiculeries.
â Câest bien pire ailleurs. »
Je lâavoue, ce nâĂ©tait pas gĂ©nial comme repartie.
« Adepte du chloroforme, toi aussi ?
â Jâai quand mĂȘme choisi de partir, de faire ma vie ailleurs. Jâavais espoir de dĂ©nicher mieux.
â Pas trop déçu ? » Ses yeux se sont mouillĂ©s. Passer de la colĂšre affectĂ©e Ă la tendresse rĂ©elle, câest du Alex pur jus.
Ni déçu ni tout Ă fait content, mais le bilan est nettement positif. « Ăa mâa permis de faire ta connaissance. Ce nâest pas rien. » Il mâa pris dans ses bras, comme si je lui avais fait un grand cadeau, en lâoccurrence moi.
CâĂ©tait⊠il y a une Ă©ternitĂ©, me semble-t-il.
Quand nous passons dix jours sans nous « ostiner », comme il dit, jâai lâimpression quâil me manque quelque chose. Comme maintenant.
Je suis bon Ă©lĂšve, je me tiens au courant de lâactualitĂ© politique de ma terre dâaccueil, jâen connais mĂȘme un rayon sur les convulsions constitutionnelles. Alex prĂ©tend que je pourrais en remontrer Ă bien du monde « nĂ© ici ». (Dans ce temps-lĂ , il fait des guillemets avec ses doigts. Il voudrait quâil nây ait pas de diffĂ©rence entre lui et moi quand on dit « ici ». « On nâest pas de la terre oĂč lâon est nĂ©, mais de celle oĂč lâon vit. » Je veux bien, mais câest inexact. En fait, je ne veux pas totalement : jâaimerais avoir le don dâubiquitĂ©, ĂȘtre ici et un peu lĂ -bas.)
Sauf avec lui, sur ces questions je ne dis pas un mot, je fais celui qui nâa pas dâopinion. Ătre politologue et se donner une apparence apolitique, la vie est ironique. Tiens, il y a quelques jours, on mâinvite Ă une cĂ©lĂ©bration de la fĂȘte du Canada, on me demande si lâon peut compter sur moi. « Bien sĂ»r », mais je ne mây prĂ©senterai pas. (Afficher profil bas, premiĂšre rĂšgle de lâimmigrant, quoi quâen pense Alexandre.)
Alex est biologiste ; je ne suis rien. On nâest pas ce quâon a Ă©tudiĂ©, mais ce quâon fait. Je ne fais Ă peu prĂšs rien ; je ne suis Ă peu prĂšs rien. Ou quelquâun avec un nom imprononçable. (Oui, il y a bien pire, Alex : je pourrais ĂȘtre Malgache !) Les emplois se tiennent Ă bonne distance de moi. Un diplĂŽme universitaire, ça paraĂźt bien, mais pour ce qui est de mettre du beurre sur les haricots⊠Les gens de ma condition se tournent vers le taxi, mais je ne me vois pas dans une bagnole Ă longueur de journĂ©e. Dâailleurs, je ne sais pas conduire. Je finis par me retrouver livreur Ă bicyclette ici, lĂ plongeur dans des restaurants destinĂ©s Ă faire faillite (je ne suis pas seul Ă ramer), mais la vadrouille, non, en dĂ©pit des commentaires dĂ©sobligeants que mon refus mâa valus. « Monsieur le politologue ne se prend pas pour de la merde », eh non. La plupart du temps, on me considĂšre comme surqualifiĂ©, donc on est convaincu quâĂ la premiĂšre occasion je vais dĂ©camper pour un champ plus vert â ce qui ne serait pas faux si je me rendais jusque-lĂ . (Sâhabituer Ă la prĂ©caritĂ©, seconde rĂšgle de lâimmigrant.)
Je me vante de lire les journaux intĂ©gralement, ce qui comprend les sports, les rubriques coups de gueule, le jeu des sept erreurs, les annonces classĂ©es. Câest que jâai tout mon temps. Je garde lâhoroscope pour la fin : les autres sections du journal rapportent ce qui sâest passĂ© ; lâastrologie, ce qui se passera.
Ă ce chapitre disons que je me situe quelque part entre mon ami, totalement incrĂ©dule, et un autre voisin, Jason Poisson (du signe du mĂȘme nom, ça ne sâinvente pas, et des yeux de merlan frit dĂšs quâil voit une belle femme). Lui tient compte de la compatibilitĂ© entre les signes dans ses relations et consulte lâhoroscope avant dâentreprendre quoi que ce soit dâimportant. « LâaprĂšs-midi vous sourira si vous rompez avec votre inertie des derniers jours. » Go ! On part pour la G...