L' influence qui guérit
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L' influence qui guérit

Tobie Nathan

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L' influence qui guérit

Tobie Nathan

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Lorsqu'il s'agit de soigner des malades venus d'Afrique, du Maghreb, des Antilles, les «guérisseurs», malgré l'irrationalité de leurs pratiques, sont bien plus efficaces que les médecins armés de leurs médicaments et de leur «science».Ce livre nous propose de comprendre les méthodes de ces guérisseurs. Il montre aussi comment la psychiatrie occidentale peut s'inspirer de démarches traditionnelles pour aider des patients venus d'une autre culture. Tobie Nathan est professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université de Paris-VIII et directeur du centre Devereux d'ethnopsychiatrie.

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Information

Publisher
Odile Jacob
Year
1994
ISBN
9782738162014

PREMIÈRE PARTIE

Enquête sur la technique thérapeutique



CHAPITRE 1

Visite à une lointaine cousine


Pour démonter, puis décrire les procédures à l’œuvre dans les thérapies traditionnelles, il faut avant toute chose accepter une prémisse qu’impose une multitude de travaux de terrain. Ce préalable méthodologique m’est devenu, au fur et à mesure, un principe intangible : je considère que les thérapies traditionnelles (par exemple, les rituels de possession, la lutte contre la sorcellerie, la restitution de l’ordre du monde après une transgression de tabou, la fabrication d’objets thérapeutiques, etc.) ne sont ni des leurres, ni de la suggestion, ni des placebos. Pour moi, ces pratiques sont réellement ce que leurs utilisateurs pensent qu’elles sont, des techniques d’influence, la plupart du temps efficaces, et par conséquent dignes d’investigations sérieuses.

Étang-salé

« Cette enfant est obsédée par le passé… »
M.-H. MAHÉ, Sortilèges créoles
Île de la Réunion. Visite à Madame Visnelda. Je m’asseyais à ses côtés pour apprendre. Certes je la considérais comme une sorte de consœur, je la pensais néanmoins seule experte de sa technique. Quelquefois, interrompant son travail – ou peut-être désirant forcer un effet dans sa mise en scène –, elle se retournait vers moi, me demandant mon opinion sur tel de ses patients. Je répondais généralement : « Je ne suis pas venu là en spécialiste mais en élève. Ce que vous savez distinguer, je ne sais pas le voir ; il faut m’enseigner comme à un enfant. » Et elle riait, croyant sans doute à quelque facétie de ma part. Pourtant, c’était la plus stricte vérité1.
Avant d’arriver à la salle de bal où Madame Visnelda donne ses consultations, nous prenons la peine d’un petit détour par le cimetière du Père Lafosse. Dans l’enceinte, un arbre gigantesque autour duquel s’affairent en piaillant à tue-tête des centaines de béliers. Ces charmants petits oiseaux, semblables à des serins, ont la particularité de construire à l’aide de brindilles savamment entrelacées des nids sphériques échancrés d’une ouverture parfaitement circulaire. Autour de l’arbre, le sol est jonché de chaussons d’épines verts et roux, fruits de la subtile industrie animale. En revanche, le sous-sol est paraît-il désespérément vide : pas de corps sous ces croix alignées au cordeau, aucune âme pour se réjouir de ces jolis bouquets de fleurs. Le Père Lafosse lui-même est enterré ailleurs, si tant est qu’il ait jamais existé, avec un nom pareil ! Les tombes sont factices, pourtant la magie du lieu est prenante, en témoignent ces centaines d’ex-voto, ces cierges toujours allumés et, dans la chapelle, la lave séchée de vieille cire qui forme des cratères lunaires sur le marbre immaculé du faux sarcophage. La Réunion, caillou volcanique au cœur de l’océan Indien, où tout ce qui est vivant a été importé – les hommes, les plantes, les mammifères – sauf naturellement les oiseaux qui savent migrer sans le secours des hommes. Toute la philosophie de l’île est inscrite dans l’enceinte du gai cimetière : les oiseaux, éternels migrants, prodigues de leurs nids et les hommes affairés autour de tombeaux vides !
Madame Visnelda, sans doute la guérisseuse la plus célèbre de l’île, donne ses consultations dans la grande salle d’un dancing d’Étang-salé. Voilà une semaine qu’à l’hôpital, à l’université, on ne cesse de me conseiller d’aller lui rendre visite, ne fût-ce que par courtoisie. En effet, cette guérisseuse semble animée par la même pensée théorique que celle que je professe volontiers : plus il y a de monde dans un dispositif thérapeutique, plus il est actif. Elle se présente comme l’équivalent réunionnais des médecins, psychiatres, psychologues et universitaires, lesquels ne manquent d’ailleurs jamais de venir assister à ses séances thérapeutiques lorsqu’ils sont de passage à la Réunion. Plus même, avec un art raffiné du dispositif thérapeutique, elle les incorpore dans son espace de travail. Là, ils ont souvent pour rôle de légitimer la remarquable capacité de l’officiante à relier les univers hétérogènes, la science et la magie, les blancs et les noirs, les morts et les vivants – la Réunion !
Une grande femme, plutôt dégingandée, manifestement mulâtre, s’avance vers nous en traînant les pantoufles. Son corps flexible paraît détendu, presque endormi, attitude fréquente chez ceux qui sont accoutumés à prêter attention à leur fonctionnement onirique. Mais certaines parties de ce corps sont figées, comme endolories, les reins, le ventre, les genoux. En revanche ses yeux, singulièrement mobiles, modifient sans cesse la physionomie du visage, exprimant tour à tour l’étonnement, la sévérité, la malice, l’acuité de l’intelligence et parfois la naïveté.
– « Où m’avez-vous dit que vous enseigniez ? », me demande-t-elle immédiatement.
– À Paris-VIII, c’est-à-dire à Saint-Denis, enfin… Saint-Denis en banlieue parisienne, pas Saint-Denis de la Réunion.
– « Est-ce que ce ne serait pas plutôt à Bobigny par hasard ? » Et pourquoi Diable veut-elle déjà me démontrer ses capacités de voyance ? Par politesse, je demande :
– « Et comment le savez-vous ? » Superbe, ne se donnant même pas la peine de savourer sa victoire, elle change de sujet de conversation.
– « Allons discuter un moment, voulez-vous ? Venez dans mon bureau, je vais vous expliquer comment je travaille. »
Elle nous conduit dans la salle de danse : un grand hall sonore à l’allure sympathique. À une extrémité, un bar ; au mur, des gravures représentant des femmes blondes, sortes de playmates aux larges décolletés ; dans un coin, un bureau en bois de pin ressemblant à celui d’un médecin ; sur les étagères, des plantes médicinales en sachets industriels. Elle nous installe sur les chaises réservées aux patients. Le long du mur, d’autres chaises, pour ceux qui font tapisserie au dancing, pour la foule des malades… Nous ne posons aucune question ; immédiatement, elle se raconte.
Autrefois, elle souffrait de règles douloureuses. Tous les mois, tantôt avant l’arrivée des règles, tantôt pendant ou même après, elle s’enfonçait progressivement dans une sorte d’état comateux qu’elle ne pouvait plus interrompre. Cet état durait deux heures et tout effort pour l’en tirer était vain. Vers l’âge de trente ans, un petit matin, dans un demi-sommeil, elle entendit une voix qui lui commandait d’aller ramasser un bouquet de matricaire2, d’en faire une tisane, de la boire afin d’être définitivement guérie de ses dysménorrhées. Sceptique, elle répliqua à la voix qu’après le cyclone de la nuit et les torrents qui avaient dévasté la végétation, elle ne retrouverait jamais ces fleurs évoquées en rêve. Mais la voix insistait, lui précisant même l’endroit exact de la haie où trouver le bouquet. Le lendemain, elle fit ce qui lui avait été ordonné et fut désormais guérie de ses douleurs3.
Quelque temps plus tard, apparut la vocation proprement dite. Dans une maison voisine, une femme souffrait d’une mauvaise blessure4. La jambe, enflée, ne parvenait pas à cicatriser et la pauvre femme, contrainte à l’immobilité, la maintenait constamment étendue sur une chaise. Notre guérisseuse, alors âgée de trente ans, poussée par un élan irrésistible, s’agenouilla à son chevet, lui frotta la jambe en murmurant des prières et voici qu’immédiatement, la jambe se dégonfla et une heure après, la malade recommençait à marcher. C’est à ce moment qu’elle comprit qu’elle possédait un don pour guérir, ce qui ne l’étonna d’ailleurs pas, car son père connaissait déjà les plantes. Dès lors, elle commença à pratiquer.
Madame Visnelda a perdu ses parents en peu de temps alors qu’elle était âgée de dix-huit ans. Interrompant sa scolarité, elle trouva un emploi de secrétaire à la mairie d’Étang-salé ; mais elle voulait à tout prix poursuivre sa formation. Elle fit des stages, passa brillamment des concours administratifs et se retrouva finalement secrétaire générale de mairie, poste qu’elle occupa jusqu’à sa retraite. Concurremment, elle officiait comme guérisseuse après son travail, de dix-huit heures au lever du soleil. Maintenant qu’elle est retraitée, elle consulte selon des horaires plus raisonnables, de neuf heures à dix-huit heures, et ses rendez-vous sont espacés de trois quarts d’heure. Une secrétaire générale de mairie ne peut être assimilée à une vulgaire rebouteuse, il faut bien qu’elle possède quelque chose de plus, une magie particulière dont l’efficacité se mesure également à l’excellence de sa carrière ou de ses résultats aux concours administratifs5. C’est probablement de cette position originale à la charnière entre les fonctionnaires blancs – les zoreilles comme on nomme les métropolitains à la Réunion – et les guérisseurs locaux que Madame Visnelda tire cette singulière capacité de relier et de délier.
Très vite, elle nous explique que toute sa thérapeutique est naturelle, les plantes qu’elle utilise, son magnétisme – mesuré par un professeur parisien à la faculté d’Orsay6 –, jusqu’à l’eau et le sel, bénis par l’aumônier de l’hôpital psychiatrique et non par quelque prêtre vaguement magicien, comme il en existe un certain nombre dans l’île. Elle s’isole un instant pour rédiger une ordonnance à l’une de ses malades, et sans doute lui fournir quelque prescription dont elle veut garder le secret. Elle nous dit : – « Pendant ce temps, jetez donc un coup d’œil sur mon livre d’or ! » Plusieurs dizaines de psychiatres, de psychologues, d’ethnologues, d’universitaires témoignent là de leur étonnement devant l’efficacité technique de la guérisseuse. On y lit : « Une belle leçon de psychothérapie », « Admirable dévouement au service des malades », « Phénomènes incompréhensibles qui nous ont laissés perplexes » et tout cela sous la plume de certains cliniciens parmi les plus prestigieux. Certes, un autre guérisseur ne se serait pas étonné ainsi : quoi de plus naïf qu’un homme de science ?
Tout cela ne constituait que les prolégomènes de sa carrière, la préparation au grand affrontement contre les « forces du mal ». Deux événements, tels des souvenirs-écrans, lui servent à décrire l’assomption du moment décisif. Le premier, une dizaine d’années avant que je la rencontre, lorsqu’elle voit le film L’Exorciste et, durant la projection, a soudain la révélation que c’est ainsi qu’elle doit soigner les malades, en les exorcisant. Depuis, elle utilise avec eux une technique largement inspirée de celle du prêtre officiant dans le film. Le second, à peu près à la même époque, alors qu’elle rejoignait son bureau après le déjeuner, elle fit un détour par l’église située juste face à la mairie, pour s’y recueillir un instant. Une croix y était couchée. Il lui vint alors une nouvelle révélation : désormais, elle utilisera une croix pour chasser les esprits du mal.
Comme à chaque fois qu’elle nous confie une part du discours officiel qu’elle-même fait colporter sur sa pratique, Madame Visnelda évoque deux événements manifestement reliés entre eux par une causalité, mais une sorte de causalité imperceptible, ambiguë, complexe.
Au bout d’une heure, je l’interromps vivement :
– « Madame Visnelda, vous me tenez là le discours officiel, celui que vous racontez à tout le monde. J’en connaissais le contenu avant de vous rencontrer. Je ne suis pas venu de si loin pour si peu. Racontez-moi donc quelque chose que vous n’avez pas l’habitude de dire ! »
– « Eh bien, je vais vous raconter ce que j’ai fait à l’un de mes malades. Cela, vous ne le savez certainement pas ! Il s’agissait d’un enfant d’une dizaine d’années, paralysé dans une position qui ne lui permettait ni d’écrire ni de manger (elle nous mima une position fœtale, les bras collés le long du corps). Les parents étaient désespérés. Alors, j’ai demandé à la mère : “N’avez-vous pas eu un accident durant la grossesse ?” Et voici que la mère me répondit qu’en effet elle avait eu un accident de voiture alors qu’elle attendait ce bébé. Ne cherchez plus ! répondis-je, cet enfant a été saisi (effrayé) durant l’accident, alors qu’il était dans le ventre. Depuis, il restait figé dans la position même où il avait été surpris. C’est après cela que l’enfant guérit. »
Sans transition, je l’interroge :
– « Vous deviez être une petite fille très curieuse ! »
– « Pensez donc, je ne manquais pas de malice ! » Et à nouveau, selon une logique du discours que je commence à repérer, elle évoque deux événements imbriqués.
Le premier, vers l’âge de douze ans. Elle faisait beaucoup de couture et avait l’habitude de laisser l’aiguille plantée dans la chaise. Sa mère la sermonna : une aiguille peut pénétrer accidentellement dans la chair, s’y briser et le fragment être véhiculé par le sang jusqu’au cœur. « Piquée au cœur », la victime peut alors en mourir.
Le second, à peu près au même âge. Sa mère l’informait aussi, sans vraiment lui en expliquer la raison, que les hommes demandaient souvent de drôles de choses aux jeunes filles. Depuis, elle avait pris l’habitude de laisser au revers de son vêtement une aiguille qu’elle comptait bien enfoncer dans quelque endroit charnu de l’audacieux qui s’y frotterait. Peut-être même qu’au début, elle se laisserait un peu faire pour déjouer l’ennemi mais, au dernier moment, elle comptait bien lui planter son dard mortel.
– « Comme vous le voyez », reprit-elle, « je ne manquais pas de malice ! »
Madame Visnelda a passé sa petite enfance à Madagascar où son père travaillait dans les salines (on verra que le sel occupe une place essentielle dans son exercice thérapeutique). Elle a été élevée par une « nénaine7 » malgache qui lui parlait en malgache. Il lui en reste d’ailleurs quelques mots qu’elle utilise parfois, comme j’ai pu le constater8, avec certains de ses malades9. Naturellement sensibilisée aux problématiques transculturelles à cause de la spécificité de l’île, éminemment cosmopolite, elle nous dira que pour elle, il n’y a aucune différence de race ou de religion, qu’elle distribue ses bienfaits sans distinction. Cependant, avant de proposer se...

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