L' influence qui guérit
eBook - ePub

L' influence qui guérit

Tobie Nathan

Partager le livre
  1. 352 pages
  2. French
  3. ePUB (adapté aux mobiles)
  4. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

L' influence qui guérit

Tobie Nathan

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

Lorsqu'il s'agit de soigner des malades venus d'Afrique, du Maghreb, des Antilles, les «guérisseurs», malgré l'irrationalité de leurs pratiques, sont bien plus efficaces que les médecins armés de leurs médicaments et de leur «science».Ce livre nous propose de comprendre les méthodes de ces guérisseurs. Il montre aussi comment la psychiatrie occidentale peut s'inspirer de démarches traditionnelles pour aider des patients venus d'une autre culture. Tobie Nathan est professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université de Paris-VIII et directeur du centre Devereux d'ethnopsychiatrie.

Foire aux questions

Comment puis-je résilier mon abonnement ?
Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Puis-je / comment puis-je télécharger des livres ?
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Quelle est la différence entre les formules tarifaires ?
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Qu’est-ce que Perlego ?
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Prenez-vous en charge la synthÚse vocale ?
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Est-ce que L' influence qui guérit est un PDF/ePUB en ligne ?
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  L' influence qui guĂ©rit par Tobie Nathan en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Psychology et Ethnopsychology. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
1994
ISBN
9782738162014

PREMIÈRE PARTIE

EnquĂȘte sur la technique thĂ©rapeutique



CHAPITRE 1

Visite Ă  une lointaine cousine


Pour dĂ©monter, puis dĂ©crire les procĂ©dures Ă  l’Ɠuvre dans les thĂ©rapies traditionnelles, il faut avant toute chose accepter une prĂ©misse qu’impose une multitude de travaux de terrain. Ce prĂ©alable mĂ©thodologique m’est devenu, au fur et Ă  mesure, un principe intangible : je considĂšre que les thĂ©rapies traditionnelles (par exemple, les rituels de possession, la lutte contre la sorcellerie, la restitution de l’ordre du monde aprĂšs une transgression de tabou, la fabrication d’objets thĂ©rapeutiques, etc.) ne sont ni des leurres, ni de la suggestion, ni des placebos. Pour moi, ces pratiques sont rĂ©ellement ce que leurs utilisateurs pensent qu’elles sont, des techniques d’influence, la plupart du temps efficaces, et par consĂ©quent dignes d’investigations sĂ©rieuses.

Étang-salĂ©

« Cette enfant est obsĂ©dĂ©e par le passé  »
M.-H. MAHÉ, SortilĂšges crĂ©oles
Île de la RĂ©union. Visite Ă  Madame Visnelda. Je m’asseyais Ă  ses cĂŽtĂ©s pour apprendre. Certes je la considĂ©rais comme une sorte de consƓur, je la pensais nĂ©anmoins seule experte de sa technique. Quelquefois, interrompant son travail – ou peut-ĂȘtre dĂ©sirant forcer un effet dans sa mise en scĂšne –, elle se retournait vers moi, me demandant mon opinion sur tel de ses patients. Je rĂ©pondais gĂ©nĂ©ralement : « Je ne suis pas venu lĂ  en spĂ©cialiste mais en Ă©lĂšve. Ce que vous savez distinguer, je ne sais pas le voir ; il faut m’enseigner comme Ă  un enfant. » Et elle riait, croyant sans doute Ă  quelque facĂ©tie de ma part. Pourtant, c’était la plus stricte vĂ©ritĂ©1.
Avant d’arriver Ă  la salle de bal oĂč Madame Visnelda donne ses consultations, nous prenons la peine d’un petit dĂ©tour par le cimetiĂšre du PĂšre Lafosse. Dans l’enceinte, un arbre gigantesque autour duquel s’affairent en piaillant Ă  tue-tĂȘte des centaines de bĂ©liers. Ces charmants petits oiseaux, semblables Ă  des serins, ont la particularitĂ© de construire Ă  l’aide de brindilles savamment entrelacĂ©es des nids sphĂ©riques Ă©chancrĂ©s d’une ouverture parfaitement circulaire. Autour de l’arbre, le sol est jonchĂ© de chaussons d’épines verts et roux, fruits de la subtile industrie animale. En revanche, le sous-sol est paraĂźt-il dĂ©sespĂ©rĂ©ment vide : pas de corps sous ces croix alignĂ©es au cordeau, aucune Ăąme pour se rĂ©jouir de ces jolis bouquets de fleurs. Le PĂšre Lafosse lui-mĂȘme est enterrĂ© ailleurs, si tant est qu’il ait jamais existĂ©, avec un nom pareil ! Les tombes sont factices, pourtant la magie du lieu est prenante, en tĂ©moignent ces centaines d’ex-voto, ces cierges toujours allumĂ©s et, dans la chapelle, la lave sĂ©chĂ©e de vieille cire qui forme des cratĂšres lunaires sur le marbre immaculĂ© du faux sarcophage. La RĂ©union, caillou volcanique au cƓur de l’ocĂ©an Indien, oĂč tout ce qui est vivant a Ă©tĂ© importĂ© – les hommes, les plantes, les mammifĂšres – sauf naturellement les oiseaux qui savent migrer sans le secours des hommes. Toute la philosophie de l’üle est inscrite dans l’enceinte du gai cimetiĂšre : les oiseaux, Ă©ternels migrants, prodigues de leurs nids et les hommes affairĂ©s autour de tombeaux vides !
Madame Visnelda, sans doute la guĂ©risseuse la plus cĂ©lĂšbre de l’üle, donne ses consultations dans la grande salle d’un dancing d’Étang-salĂ©. VoilĂ  une semaine qu’à l’hĂŽpital, Ă  l’universitĂ©, on ne cesse de me conseiller d’aller lui rendre visite, ne fĂ»t-ce que par courtoisie. En effet, cette guĂ©risseuse semble animĂ©e par la mĂȘme pensĂ©e thĂ©orique que celle que je professe volontiers : plus il y a de monde dans un dispositif thĂ©rapeutique, plus il est actif. Elle se prĂ©sente comme l’équivalent rĂ©unionnais des mĂ©decins, psychiatres, psychologues et universitaires, lesquels ne manquent d’ailleurs jamais de venir assister Ă  ses sĂ©ances thĂ©rapeutiques lorsqu’ils sont de passage Ă  la RĂ©union. Plus mĂȘme, avec un art raffinĂ© du dispositif thĂ©rapeutique, elle les incorpore dans son espace de travail. LĂ , ils ont souvent pour rĂŽle de lĂ©gitimer la remarquable capacitĂ© de l’officiante Ă  relier les univers hĂ©tĂ©rogĂšnes, la science et la magie, les blancs et les noirs, les morts et les vivants – la RĂ©union !
Une grande femme, plutĂŽt dĂ©gingandĂ©e, manifestement mulĂątre, s’avance vers nous en traĂźnant les pantoufles. Son corps flexible paraĂźt dĂ©tendu, presque endormi, attitude frĂ©quente chez ceux qui sont accoutumĂ©s Ă  prĂȘter attention Ă  leur fonctionnement onirique. Mais certaines parties de ce corps sont figĂ©es, comme endolories, les reins, le ventre, les genoux. En revanche ses yeux, singuliĂšrement mobiles, modifient sans cesse la physionomie du visage, exprimant tour Ă  tour l’étonnement, la sĂ©vĂ©ritĂ©, la malice, l’acuitĂ© de l’intelligence et parfois la naĂŻvetĂ©.
– « OĂč m’avez-vous dit que vous enseigniez ? », me demande-t-elle immĂ©diatement.
– À Paris-VIII, c’est-Ă -dire Ă  Saint-Denis, enfin
 Saint-Denis en banlieue parisienne, pas Saint-Denis de la RĂ©union.
– « Est-ce que ce ne serait pas plutĂŽt Ă  Bobigny par hasard ? » Et pourquoi Diable veut-elle dĂ©jĂ  me dĂ©montrer ses capacitĂ©s de voyance ? Par politesse, je demande :
– « Et comment le savez-vous ? » Superbe, ne se donnant mĂȘme pas la peine de savourer sa victoire, elle change de sujet de conversation.
– « Allons discuter un moment, voulez-vous ? Venez dans mon bureau, je vais vous expliquer comment je travaille. »
Elle nous conduit dans la salle de danse : un grand hall sonore Ă  l’allure sympathique. À une extrĂ©mitĂ©, un bar ; au mur, des gravures reprĂ©sentant des femmes blondes, sortes de playmates aux larges dĂ©colletĂ©s ; dans un coin, un bureau en bois de pin ressemblant Ă  celui d’un mĂ©decin ; sur les Ă©tagĂšres, des plantes mĂ©dicinales en sachets industriels. Elle nous installe sur les chaises rĂ©servĂ©es aux patients. Le long du mur, d’autres chaises, pour ceux qui font tapisserie au dancing, pour la foule des malades
 Nous ne posons aucune question ; immĂ©diatement, elle se raconte.
Autrefois, elle souffrait de rĂšgles douloureuses. Tous les mois, tantĂŽt avant l’arrivĂ©e des rĂšgles, tantĂŽt pendant ou mĂȘme aprĂšs, elle s’enfonçait progressivement dans une sorte d’état comateux qu’elle ne pouvait plus interrompre. Cet Ă©tat durait deux heures et tout effort pour l’en tirer Ă©tait vain. Vers l’ñge de trente ans, un petit matin, dans un demi-sommeil, elle entendit une voix qui lui commandait d’aller ramasser un bouquet de matricaire2, d’en faire une tisane, de la boire afin d’ĂȘtre dĂ©finitivement guĂ©rie de ses dysmĂ©norrhĂ©es. Sceptique, elle rĂ©pliqua Ă  la voix qu’aprĂšs le cyclone de la nuit et les torrents qui avaient dĂ©vastĂ© la vĂ©gĂ©tation, elle ne retrouverait jamais ces fleurs Ă©voquĂ©es en rĂȘve. Mais la voix insistait, lui prĂ©cisant mĂȘme l’endroit exact de la haie oĂč trouver le bouquet. Le lendemain, elle fit ce qui lui avait Ă©tĂ© ordonnĂ© et fut dĂ©sormais guĂ©rie de ses douleurs3.
Quelque temps plus tard, apparut la vocation proprement dite. Dans une maison voisine, une femme souffrait d’une mauvaise blessure4. La jambe, enflĂ©e, ne parvenait pas Ă  cicatriser et la pauvre femme, contrainte Ă  l’immobilitĂ©, la maintenait constamment Ă©tendue sur une chaise. Notre guĂ©risseuse, alors ĂągĂ©e de trente ans, poussĂ©e par un Ă©lan irrĂ©sistible, s’agenouilla Ă  son chevet, lui frotta la jambe en murmurant des priĂšres et voici qu’immĂ©diatement, la jambe se dĂ©gonfla et une heure aprĂšs, la malade recommençait Ă  marcher. C’est Ă  ce moment qu’elle comprit qu’elle possĂ©dait un don pour guĂ©rir, ce qui ne l’étonna d’ailleurs pas, car son pĂšre connaissait dĂ©jĂ  les plantes. DĂšs lors, elle commença Ă  pratiquer.
Madame Visnelda a perdu ses parents en peu de temps alors qu’elle Ă©tait ĂągĂ©e de dix-huit ans. Interrompant sa scolaritĂ©, elle trouva un emploi de secrĂ©taire Ă  la mairie d’Étang-salĂ© ; mais elle voulait Ă  tout prix poursuivre sa formation. Elle fit des stages, passa brillamment des concours administratifs et se retrouva finalement secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de mairie, poste qu’elle occupa jusqu’à sa retraite. Concurremment, elle officiait comme guĂ©risseuse aprĂšs son travail, de dix-huit heures au lever du soleil. Maintenant qu’elle est retraitĂ©e, elle consulte selon des horaires plus raisonnables, de neuf heures Ă  dix-huit heures, et ses rendez-vous sont espacĂ©s de trois quarts d’heure. Une secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de mairie ne peut ĂȘtre assimilĂ©e Ă  une vulgaire rebouteuse, il faut bien qu’elle possĂšde quelque chose de plus, une magie particuliĂšre dont l’efficacitĂ© se mesure Ă©galement Ă  l’excellence de sa carriĂšre ou de ses rĂ©sultats aux concours administratifs5. C’est probablement de cette position originale Ă  la charniĂšre entre les fonctionnaires blancs – les zoreilles comme on nomme les mĂ©tropolitains Ă  la RĂ©union – et les guĂ©risseurs locaux que Madame Visnelda tire cette singuliĂšre capacitĂ© de relier et de dĂ©lier.
TrĂšs vite, elle nous explique que toute sa thĂ©rapeutique est naturelle, les plantes qu’elle utilise, son magnĂ©tisme – mesurĂ© par un professeur parisien Ă  la facultĂ© d’Orsay6 –, jusqu’à l’eau et le sel, bĂ©nis par l’aumĂŽnier de l’hĂŽpital psychiatrique et non par quelque prĂȘtre vaguement magicien, comme il en existe un certain nombre dans l’üle. Elle s’isole un instant pour rĂ©diger une ordonnance Ă  l’une de ses malades, et sans doute lui fournir quelque prescription dont elle veut garder le secret. Elle nous dit : – « Pendant ce temps, jetez donc un coup d’Ɠil sur mon livre d’or ! » Plusieurs dizaines de psychiatres, de psychologues, d’ethnologues, d’universitaires tĂ©moignent lĂ  de leur Ă©tonnement devant l’efficacitĂ© technique de la guĂ©risseuse. On y lit : « Une belle leçon de psychothĂ©rapie », « Admirable dĂ©vouement au service des malades », « PhĂ©nomĂšnes incomprĂ©hensibles qui nous ont laissĂ©s perplexes » et tout cela sous la plume de certains cliniciens parmi les plus prestigieux. Certes, un autre guĂ©risseur ne se serait pas Ă©tonnĂ© ainsi : quoi de plus naĂŻf qu’un homme de science ?
Tout cela ne constituait que les prolĂ©gomĂšnes de sa carriĂšre, la prĂ©paration au grand affrontement contre les « forces du mal ». Deux Ă©vĂ©nements, tels des souvenirs-Ă©crans, lui servent Ă  dĂ©crire l’assomption du moment dĂ©cisif. Le premier, une dizaine d’annĂ©es avant que je la rencontre, lorsqu’elle voit le film L’Exorciste et, durant la projection, a soudain la rĂ©vĂ©lation que c’est ainsi qu’elle doit soigner les malades, en les exorcisant. Depuis, elle utilise avec eux une technique largement inspirĂ©e de celle du prĂȘtre officiant dans le film. Le second, Ă  peu prĂšs Ă  la mĂȘme Ă©poque, alors qu’elle rejoignait son bureau aprĂšs le dĂ©jeuner, elle fit un dĂ©tour par l’église situĂ©e juste face Ă  la mairie, pour s’y recueillir un instant. Une croix y Ă©tait couchĂ©e. Il lui vint alors une nouvelle rĂ©vĂ©lation : dĂ©sormais, elle utilisera une croix pour chasser les esprits du mal.
Comme Ă  chaque fois qu’elle nous confie une part du discours officiel qu’elle-mĂȘme fait colporter sur sa pratique, Madame Visnelda Ă©voque deux Ă©vĂ©nements manifestement reliĂ©s entre eux par une causalitĂ©, mais une sorte de causalitĂ© imperceptible, ambiguĂ«, complexe.
Au bout d’une heure, je l’interromps vivement :
– « Madame Visnelda, vous me tenez lĂ  le discours officiel, celui que vous racontez Ă  tout le monde. J’en connaissais le contenu avant de vous rencontrer. Je ne suis pas venu de si loin pour si peu. Racontez-moi donc quelque chose que vous n’avez pas l’habitude de dire ! »
– « Eh bien, je vais vous raconter ce que j’ai fait Ă  l’un de mes malades. Cela, vous ne le savez certainement pas ! Il s’agissait d’un enfant d’une dizaine d’annĂ©es, paralysĂ© dans une position qui ne lui permettait ni d’écrire ni de manger (elle nous mima une position fƓtale, les bras collĂ©s le long du corps). Les parents Ă©taient dĂ©sespĂ©rĂ©s. Alors, j’ai demandĂ© Ă  la mĂšre : “N’avez-vous pas eu un accident durant la grossesse ?” Et voici que la mĂšre me rĂ©pondit qu’en effet elle avait eu un accident de voiture alors qu’elle attendait ce bĂ©bĂ©. Ne cherchez plus ! rĂ©pondis-je, cet enfant a Ă©tĂ© saisi (effrayĂ©) durant l’accident, alors qu’il Ă©tait dans le ventre. Depuis, il restait figĂ© dans la position mĂȘme oĂč il avait Ă©tĂ© surpris. C’est aprĂšs cela que l’enfant guĂ©rit. »
Sans transition, je l’interroge :
– « Vous deviez ĂȘtre une petite fille trĂšs curieuse ! »
– « Pensez donc, je ne manquais pas de malice ! » Et Ă  nouveau, selon une logique du discours que je commence Ă  repĂ©rer, elle Ă©voque deux Ă©vĂ©nements imbriquĂ©s.
Le premier, vers l’ñge de douze ans. Elle faisait beaucoup de couture et avait l’habitude de laisser l’aiguille plantĂ©e dans la chaise. Sa mĂšre la sermonna : une aiguille peut pĂ©nĂ©trer accidentellement dans la chair, s’y briser et le fragment ĂȘtre vĂ©hiculĂ© par le sang jusqu’au cƓur. « PiquĂ©e au cƓur », la victime peut alors en mourir.
Le second, Ă  peu prĂšs au mĂȘme Ăąge. Sa mĂšre l’informait aussi, sans vraiment lui en expliquer la raison, que les hommes demandaient souvent de drĂŽles de choses aux jeunes filles. Depuis, elle avait pris l’habitude de laisser au revers de son vĂȘtement une aiguille qu’elle comptait bien enfoncer dans quelque endroit charnu de l’audacieux qui s’y frotterait. Peut-ĂȘtre mĂȘme qu’au dĂ©but, elle se laisserait un peu faire pour dĂ©jouer l’ennemi mais, au dernier moment, elle comptait bien lui planter son dard mortel.
– « Comme vous le voyez », reprit-elle, « je ne manquais pas de malice ! »
Madame Visnelda a passĂ© sa petite enfance Ă  Madagascar oĂč son pĂšre travaillait dans les salines (on verra que le sel occupe une place essentielle dans son exercice thĂ©rapeutique). Elle a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e par une « nĂ©naine7 » malgache qui lui parlait en malgache. Il lui en reste d’ailleurs quelques mots qu’elle utilise parfois, comme j’ai pu le constater8, avec certains de ses malades9. Naturellement sensibilisĂ©e aux problĂ©matiques transculturelles Ă  cause de la spĂ©cificitĂ© de l’üle, Ă©minemment cosmopolite, elle nous dira que pour elle, il n’y a aucune diffĂ©rence de race ou de religion, qu’elle distribue ses bienfaits sans distinction. Cependant, avant de proposer se...

Table des matiĂšres