Pour qui je me prends
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Lori Saint-Martin

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  1. 194 Seiten
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Pour qui je me prends

Lori Saint-Martin

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Si j'ai changé de vie et de langue maternelle, c'était pour que ma mère ne puisse pas me lire.Si j'ai changé de vie et de langue maternelle, c'était pour pouvoir respirer alors que j'avais toujours étouffé. Je raconte, ici, l'histoire d'une femme qui a appris à respirer dans une autre langue. Qui a plongé et refait surface ailleurs. Maintes fois récompensée, Lori Saint-Martin est reconnue pour son travail de traductrice de grands noms de la littérature anglo-canadienne. Or, la langue française – et toutes les langues qu'elle maîtrise – est plus qu'une passion pour cette femme, c'est une nécessité. Et à lire ce livre écrit au scalpel, on comprend qu'il lui était tout aussi nécessaire de l'écrire. Cela donne un récit à la fois lumineux et cruel où elle raconte comment elle a rejeté le milieu, la culture et la langue qui l'ont vue naître pour se réinventer, devenir autre. On pénètre dans l'intimité d'une métamorphose identitaire, on accompagne en pensée une femme qui repasse par les chemins tordus de son enfance et qui un jour a eu une révélation: la langue française.De Kitchener, en Ontario, à Montréal, en passant par Québec, Barcelone et Berlin, Lori Saint-Martin nous entraîne sur les lieux de « ses langues » et des visages qu'elles évoquent. Père, mère, sœur, professeurs, écrivains, mari et enfants sont des personnages cruciaux de ce voyage. En plus de l'anglais et du français, Lori Saint-Martin maîtrise l'espagnol et entretient avec l'allemand une relation particulière, inachevée. Ce livre est un hommage aux langues, à la manière dont elles nous font, nous sculptent, mais c'est surtout l'extraordinaire aventure d'une adolescente, d'une femme, qui, telle une nouvelle Alice, ose traverser le miroir pour en revenir enfin changée en elle-même.

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Information

Scènes d’une adolescence
Aux grands maux les grands remèdes. La langue apporte la guérison.
* * *
Devant moi, sur la table en marbre du café Barbieri de Madrid, j’ai étalé quatre cahiers Hilroy bleus, portant la mention The Spiral Notebook, No. 4038, Narrow Ruled, Contains Recycled De-inked Fibre. (Avec un choc, je réalise qu’ils ne sont pas bilingues. Ça me gêne. Ceux d’aujourd’hui le sont.)
Ils sont laids, ou plutôt quelconques, comme je me voyais alors, d’un bleu terne, il faut du talent pour affadir autant le bleu. Ils sont tachés, salis, dans un cas le fil spiralé s’est partiellement détaché et fait une petite queue de cochon tirebouchonnée. (D’où peut-être mon obsession pour les beaux cahiers, j’en rapporte de chaque voyage, je dois en avoir une cinquantaine d’avance, comme si j’allais vivre toujours.)
Les cahiers sont des miroirs, avant même qu’on y écrive. À plus forte raison ces quatre Hilroy Spiral Notebook, No. 4038, Narrow Ruled bleu terne, bien alignés sur la table du café Barbieri.
Je tremble à leur vue. Je les regarde du coin de l’œil. J’en range trois dans mon sac. Je laisse sur la table celui au bout de fil qui pend, comme un signe qu’il est brisé, ou qu’il a quelque chose en plus, comme un membre fantôme. Mais, bien sûr, le fantôme c’est moi.
Je laisse celui-là sur la table sans y toucher et je me mets à écrire. Les mots coulent, mais, au bout d’un moment, je reviens au cahier. J’ose l’ouvrir.
Il commence le 29 octobre 1974, quand j’avais quinze ans, presque seize. À partir de mars 1976, j’ai divisé chaque page en deux par un gros trait à l’encre et inscrit deux dates pour y noter mon compte rendu de deux jours. Dans la marge, sans titre ni nom d’auteur, j’ai inscrit des extraits de chansons ou de romans : David Bowie, Cat Stevens, Joni Mitchell, T. Rex, Janis Joplin, Patti Smith, Rimbaud, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Anna Kavan, mes évangiles d’alors.
Demi-page par demi-page s’étale ma vie, ou quelque chose qui lui ressemble. Moins, bien sûr, tout ce qui est resté hors cadre, enfui, enfoui.
Ces cahiers, les seuls journaux intimes que j’aie tenus, ont survécu à une vingtaine de déménagements et à autant de purges dans mes papiers. Jamais je ne les avais rouverts. Bientôt, me disais-je. Plus tard, un jour. Je me vois les tenir en l’air, au-dessus d’une pile de documents destinés au recyclage. Chaque fois, un ange a retenu ma main. Je n’ai pas sacrifié cette jeune fille dont je gardais les mots sans oser les lire.
Ils sont mon arme secrète, ou mon talon d’Achille.
Je les feuillette. Il y a des pleins, des trous, des jours qui manquent, des jours vides. Un peu d’encre, quelques gestes de la main et un jour reste ; sinon, il sombre à jamais. Qu’est-ce qui est demeuré hors cadre, à jamais oblitéré et donc oublié, comme assassiné ?
Le cerveau se redessine, du point de vue neurologique, entre treize et dix-huit ans. J’ai une bonne partie de ces années, figées dans ces cahiers. Mon ami Paul S. me dit : Tu as consacré des décennies à l’étude des écrits des autres, maintenant tu peux être critique littéraire de ta propre vie. Lis-toi et raconte ce que tu vois.
Je plonge. Je regarde en accéléré le film de la vie de cette jeune fille, qui était ou est ou n’est pas moi. Je me lis en v.o.a., sans sous-titres.
* * *
La première année, elle est imbuvable. Complaisante, narcissique, geignarde. Elle est ce qu’elle craint terriblement d’être : convenue, ennuyeuse, ordinaire.
Elle est folle des garçons, folle des hommes. Elle ratisse la ville, cherche des regards, des rencontres éclair. Avide de quelqu’un pour remplir son vide, elle court des risques, mais de la façon la plus conventionnelle qui soit.
Pourtant, il y a longtemps qu’on l’a repérée et fichée. Tu es différente, chœur des professeurs, des camarades de classe, de garçons qui l’auraient préférée plus « normale », mais qui aimaient tout de même tripoter sa différence sur la banquette arrière de la voiture de leur père.
Plus tard, elle découvrira son sentiment chez Musset : « Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse ? / Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? » Elle refuse d’être le flacon, elle aussi cherche l’ivresse. Elle traite les garçons comme les garçons traitent les filles, mais l’époque et le milieu s’y prêtent mal, on la juge, on l’étiquette. À l’école secondaire, toutes les injures pleuvront sur elle, liées maintenant à ses actes et non à son nom.
« Trying to walk between hedonism and introspection », note-t-elle.
Sur le même ton exactement, elle raconte qu’un homme au volant d’une Corvette blanche l’a invitée à faire une balade et qu’elle a acheté Winter of Artifice d’Anaïs Nin, un livre sur la mythologie et La Divine Comédie.
Presque tous les jours, un membre de sa petite bande est déprimé – ah, le spleen, le spleen ! – et les autres essaient de lui remonter le moral. Un garçon ou un autre propose toujours de baiser, c’est le meilleur moyen, voire le seul, de se remonter le moral, prétendent-ils. Les filles disent non, ou disent oui, mais ne se sentent généralement pas mieux après.
Elle parle constamment de garçons qui lui plaisent, elle se demande avec angoisse si elle leur plaît aussi, il semble que oui, mais ensuite ils disparaissent abruptement, ou elle arrête du jour au lendemain de s’intéresser à eux, on dirait une scène vide avec des figurants qui vont et viennent sans jamais engager le dialogue, le téléphone ne sonne pas ou sonne au mauvais moment, quand sa mère est à deux mètres de l’appareil, c’est Feydeau en beaucoup moins spirituel.
Si elle est sensible ou intelligente, elle ne le montre pas. Ses notes sont catastrophiques en sciences, bonnes sans plus dans les autres matières, elle n’atteint l’excellence qu’en français, puis en espagnol quand cette discipline s’ajoutera en deuxième année du secondaire, mais évidemment, la barre n’est pas haute.
Est-elle un écrin relativement joli qui ne contient aucun bijou, ou a-t-elle de la substance ? Rien ne paraît encore. Elle est obnubilée par elle-même, elle manque d’assurance mais déborde de prétention. Elle n’a que son mal-être à partager.
* * *
Dès l’année suivante, les livres et les langues prennent beaucoup plus de place, et les garçons, nettement moins. Elle commence à devenir, un peu, quelqu’un.
Elle s’invente une mythologie : elle est trois personnes, dont une l’ennuie profondément elle-même. Lori n’est qu’un masque, dit-elle, c’est la fille sage et obéissante, celle qu’elle ne veut plus être. Angelina est celle qui flirte, séduit, multiplie les conquêtes. Luisa est celle qui écrit, qui sera écrivaine.
Elle a déjà beaucoup menti à ses parents, le journal intime parle plutôt de la construction d’histoires. Trouver un prétexte pour aller chez un garçon en disant que vous serez chez une amie, qu’il faut mettre dans le coup pour éviter qu’elle vous appelle à la maison ce soir-là (le cellulaire simplifiera et compliquera à la fois la vie des jeunes dissimulateurs), expliquer vos retards, inventer une réunion à l’école.
Pour avoir une double vie, il en faut trois : aux deux qu’on vit vraiment, la publique et la secrète, s’ajoute une troisième qui est pure fiction, pur récit. Ces inventions, parfois réaménagées d’urgence pour corriger une incohérence ou une contradiction, sont l’incubateur de ses écrits futurs.
Le mensonge est le début de la fiction. Inventer des histoires, c’est déjà s’imaginer ailleurs. Inventer du coup un nouveau soi qui évolue à sa guise.
* * *
Je me donnerais un mal fou pour ne pas avoir d’accent dans les autres langues mais j’en avais un dans ma langue maternelle, le journal intime y revient souvent. Pourquoi tu prends cet accent anglais ? me demandait-on sur un ton accusateur. J’imitais sûrement mon amie Sonja, qui avait passé sa petite enfance à Londres. C’était à la fois un jeu, une affectation et un hommage spontané : mon être-autre s’exprimait de cette façon. Ce mimétisme serait mon plus grand allié dans l’apprentissage des langues.
* * *
Elle parle sans cesse de sa différence, de sa conviction de ne pas être à sa place. Et je re...

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