Ibn AbÄ« áčŹayyiâ (m. vers 630/1232â33), on le sait depuis longtemps, est une source de premiĂšre importance pour lâhistoire de la Syrie du Nord aux XIIe et XIIIe siĂšcles.1 Issu dâune famille chiite dâAlep, il fut tout Ă la fois juriste, homme de lettres et historien et rĂ©digea, entre autres ouvrages, une histoire universelle et des biographies de Saladin et de son fils al-áșÄhir GhÄzÄ«.2 De ces ouvrages, aujourdâhui perdus, des citations ont Ă©tĂ© prĂ©servĂ©es dans lâoeuvre de plusieurs historiens postĂ©rieurs tels quâAbĆ« ShÄma (m. 665/1267), âIzz al-DÄ«n Ibn ShaddÄd (m. 684/1285), Ibn al-FurÄt (m. 807/1405) et al-MaqrÄ«zÄ« (m. 845/1442).3 Parmi ceux-ci, seul Ibn al-FurÄt nâest encore que trĂšs partiellement Ă©ditĂ© ou traduit.4 Son rĂ©cit des Ă©vĂ©nements de la premiĂšre moitiĂ© du VIe/XIIe siĂšcle largement inspirĂ© dâIbn al-AthÄ«r et dâIbn AbÄ« áčŹayyiâ reste en particulier inĂ©dit. Dans la mesure oĂč le tĂ©moignage dâIbn AbÄ« áčŹayyiâ contient des informations intĂ©ressantes sur les relations entre Francs et musulmans durant cette pĂ©riode â au demeurant peu documentĂ©e dans les sources arabes â il mâa paru utile dâen traduire ici quelques courts extraits choisis en fonction de leur originalitĂ©. Afin de respecter la progression du rĂ©cit, le contenu des passages non traduits de la chronique dâIbn al-FurÄt sera indiquĂ© en italique avec, en note, un renvoi aux sources Ă©ditĂ©es qui rapportent le mĂȘme Ă©vĂ©nement.5
En gĂ©nĂ©ral, Ibn al-FurÄt indique clairement sa source, mais lorsque ce nâest pas le cas, il est souvent possible de reconnaĂźtre Ibn AbÄ« áčŹayyiâ Ă certaines de ses expressions et Ă sa maniĂšre de raconter les Ă©vĂ©nements, en particulier ceux qui se dĂ©roulĂšrent dans la rĂ©gion dâAlep quâil nous dĂ©crit de façon vivante, dialogues Ă lâappui, avec des dĂ©tails ignorĂ©s des autres auteurs. Pour rĂ©diger cette partie de son oeuvre, Ibn AbÄ« áčŹayyiâ a sans doute utilisĂ© des sources antĂ©rieures qui ne sont pas parvenues jusquâĂ nous (peut-ĂȘtre lâouvrage de កamdÄn al-AthÄribÄ«)6 mais il nous rapporte aussi, au travers du tĂ©moignage de son pĂšre, une importante tradition familiale orale.
Les extraits traduits ci-dessous sont datĂ©s de 503/1109â10 et 504/1110â11 et relatent des faits qui se sont dĂ©roulĂ©s en Syrie du Nord, en MĂ©diterranĂ©e et sur le littoral autour de áčąaydÄ (Sidon).7 Ces passages qui ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© utilisĂ©s par les historiens des croisades, en particulier par Claude Cahen, ne modifient pas fondamentalement notre connaissance des Ă©vĂ©nements dâautant que la chronologie dâIbn AbÄ« áčŹayyiâ pour cette pĂ©riode est, comme nous le verrons, souvent flottante. Son tĂ©moignage est en revanche trĂšs intĂ©ressant pour tout ce qui concerne le regard de lâautre, ou perception quâavait chacun des deux partis de son adversaire. Ainsi le Franc nâest pas toujours dĂ©crit sous un aspect nĂ©gatif. TancrĂšde dâAntioche est implicitement louĂ© pour son respect de la foi jurĂ©e et il peut arriver que les musulmans soient prĂ©sentĂ©s sous un jour plus sombre que leurs adversaires comme dans lâhistoire de lâesclave musulmane respectĂ©e par les Francs mais maltraitĂ©e par le gouverneur musulman dâal-AthÄrib.
Ibn AbÄ« áčŹayyiâ est Ă©galement le seul Ă nous parler de maniĂšre aussi dĂ©taillĂ©e des rĂ©actions de RiážwÄn face aux Francs et au djihad. Lâimage trĂšs nĂ©gative quâil donne de ce souverain dâAlep rejoint celle qui transparaĂźt dans les rĂ©cits des historiens sunnites. Son peu de zĂšle au djihad et son alliance avec les chiites ismaĂŻliens (batiniens), adversaires des duodĂ©cimains comme des sunnites, furent Ă©videmment Ă lâorigine de cette condamnation unanime des auteurs syriens.8
35 râ/ AnnĂ©e 503/31 juillet 1109 â 19 juillet 1110
Attaque des GĂ©orgiens, vizirat de Bagdad et de Damas, hostilitĂ©s contre Alamut, /35 vâ/ affaire de Muáž„ammad KhÄn Ă Samarqand et intervention de Sandjar b. MalikshÄh, /36 râ/tentative dâassassinat du vizir seldjoukide par les batiniens.9
Attaque franque sur áčąaydÄ10
Cette annĂ©e-lĂ , les Francs â que Dieu maudisse ceux qui sont partis et abandonne ceux qui restent â assiĂ©gĂšrent áčąaydÄ par terre et par mer. Lorsque la situation devint critique pour ses habitants, ceux-ci Ă©crivirent en Egypte et en Syrie pour demander du secours et une aide rapide. Le souverain dâEgypte donna lâordre de leur envoyer une flotte. Celle-ci partit dans les plus brefs dĂ©lais aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©quipĂ©e Ă grands renforts dâargent. Elle prit la direction de áčąaydÄ mais elle ne sâĂ©tait pas encore Ă©loignĂ©e de Damiette quâelle se trouva face Ă 60 bateaux francs /36 vâ/ montĂ©s par le comte de Cerdagne (al-SardÄnÄ«),11 des GĂ©nois, des VĂ©nitiens et dâautres encore. La flotte Ă©gyptienne forte de 50 galĂšres (shÄ«nÄ«) leur livra bataille. Elle avait Ă bord un groupe de marins syriens qui avaient fui le littoral (syrien) conquis par les Francs et parmi eux ThÄbit b. Aáž„mad al-ShÄmÄ«, un hĂ©ros de la mer. Il coula 20 bateaux francs aprĂšs sâĂȘtre emparĂ© de ce quâils contenaient et envoya le butin au Caire (MiáčŁr). Les Francs, amoindris, regagnĂšrent le littoral.
Le jour de lâarrivĂ©e du butin au Caire fut solennel. Le souverain dâEgypte remit la flotte en Ă©tat et la renvoya au secours de áčąaydÄ. Les GĂ©nois revinrent et livrĂšrent combat. La flotte Ă©gyptienne fut victorieuse et mit les GĂ©nois en dĂ©route si bien que les Francs dĂ©sespĂ©rĂšrent de conquĂ©rir áčąaydÄ alors que le maudit Baudouin lâassiĂ©geait toujours et avait dressĂ© contre elle une tour de bois. Quand lâĂ©mir atabeg áčŹughtigin, maĂźtre de Damas, apprit la victoire des musulmans sur les bateaux francs, il quitta Damas pour se rendre Ă áčąaydÄ. Baudouin lâapprit, leva le camp et rentra chez lui.
Le prince (malik) RiážwÄn, maĂźtre dâAlep, Ă qui (les musulmans de áčąaydÄ) avaient Ă©crit, avait eu lâintention dâaller Ă leur secours. Son secrĂ©taire chrĂ©tien lui avait dit: âOu tu te montres gĂ©nĂ©reux dans la distribution dâargent nĂ©cessaire Ă lâĂ©quipement des armĂ©es, car si tu reviens de áčąaydÄ avec des troupes affaiblies et en manque de moyens, tu peux craindre que tes hommes qui seront sortis dâAlep et auront vu les bonnes façons dâagir (des autres) ne sâĂ©loignent de toi et ne veuillent plus revenir, ce qui serait une honte; ou bien tu te soustrais Ă cela et il sâattachera Ă toi lâimpopularitĂ© qui sâattache Ă toute personne qui nĂ©glige dâaller au secours de la foi, et cela ne rĂ©soudra pas (tes difficultĂ©s).â Le prince RiážwÄn choisit lâimpopularitĂ© par cupiditĂ©. Mais lorsquâil apprit la faiblesse des Francs, il voulut envoyer une armĂ©e pensant quâelle obtiendrait ainsi un peu de bonne renommĂ©e. LĂ -dessus lui parvint la bonne nouvelle de lâabandon de áčąaydÄ par les Francs â que Dieu maudisse ceux qui sont partis et abandonne ceux qui restent !
37 râ/ Huit vers Ă ce sujet dâal-MuhannÄ b. កaydara
Incendie dans la citadelle dâAlep et attaque franque
La nuit de la fĂȘte,12 cette annĂ©e-lĂ , un incendie se dĂ©clara dans les cuisines du prince RiážwÄn, maĂźtre dâAlep et sâĂ©tendit Ă lâun des greniers Ă blĂ© qui brĂ»la. On ouvrit les portes de la citadelle et le raâÄ«s dâAlep y monta avec un groupe de miliciens (aáž„dÄth).13 Tout ce qui Ă©tait dans la citadelle fut transportĂ© vers la bÄshĆ«ra.14 De nombreuses maisons dans la citadelle furent dĂ©truites et lâon jeta la terre qui en provenait sur lâarsenal (zardkhÄnÄh), le magasin des vivres et sur le TrĂ©sor. Au matin, le prince RiážwÄn assista Ă la priĂšre de la fĂȘte. La population fit la priĂšre dans la grande mosquĂ©e et ne sortit pas vers la muáčŁalla.15 Les Francs apprirent cela et crurent quâAlep avait brĂ»lĂ© car le feu se voyait depuis la forteresse dâal-AthÄrib et depuis âAzÄz. Ils arrivĂšrent devant Alep au matin, sâemparĂšrent dâun groupe de gens quâils tuĂšrent puis pĂ©nĂ©trĂšrent dans le moulin occidental (gharbiyya) qui se trouve Ă la Porte des Jardins (BÄb al-DjinÄn), tuĂšrent le meunier et emmenĂšrent trois personnes qui avaient lĂ leur rĂ©colte Ă moudre. Dieu seul sait!
37 rââ43 vâ: Prise de Tripoli, BÄniyÄs et Djabala dâaprĂšs Ibn al-AthÄ«r, Baybars al-ManáčŁĆ«rÄ« et Ibn AbÄ« áčŹayyiâ.16 TrĂȘve entre áčŹughtigin et les Francs.17 DâaprĂšs Ibn AbÄ« áčŹayyiâ:18 message du sultan Muáž„ammad Ă RiážwÄn; appel du maĂźtre de Shayzar Ă RiážwÄn; accord entre TancrĂšde et Shayzar; siĂšge dâEdesse par les musulmans et dĂ©faite des Francs; dispersion des musulmans; offensive de RiážwÄn contre les territoires de TancrĂšde; rĂ©volte du gouverneur de Baalbek et prise de la ville par áčŹughtigin19; trĂȘve avec Baudouin; BohĂ©mond Ă Constantinople et conflit avec lâempereur20; retour du sultan Muáž„ammad Ă HamadhÄn; trĂȘve entre RiážwÄn et TancrĂšde21; comĂšte; affaires dâIfrÄ«qiya; Ibn TĆ«mart (fondateur du mouvement almohade)22; mort de lâĂ©mir dâĂmid.23
44 râ/AnnĂ©e 504/20 juillet 1110 â 9 juillet 1111
Incendie du souk des teinturiers Ă Alep et mort du maĂźtre de Horns. DisgrĂące du vizir seldjoukide Aáž„mad fils de NiáșÄm al-Mulk.24
Cette annĂ©e-lĂ , les batiniens tuĂšrent le cheikh AbĆ« AlÄ« b. MustafÄd ...