eBook - ePub
Les Ormes
Henry Gréville
This is a test
Partager le livre
- 217 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
Les Ormes
Henry Gréville
DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations
Ă propos de ce livre
Les femmes qui font des confidences n'aiment point celles qui gardent le silence. Flavie n'avait jamais rien confié à personne; ses chagrins étaient de ceux qui cherchent le silence et l'obscurité. Une seule personne l'avait devinée, et celle-là savait aussi garder le silence; l'amitié trÚs sincÚre que lui avait inspirée madame Dannault ne s'était point manifestée par des actes, mais seulement par cette approbation tacite que l'on devine à merveille, et qui vous donne tant de courage dans les moments difficiles. Flavie était sûre d'avoir en madame Lenoissy une amie et au besoin un défenseur.
Foire aux questions
Comment puis-je résilier mon abonnement ?
Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier lâabonnement ». Câest aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Puis-je / comment puis-je télécharger des livres ?
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via lâapplication. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Quelle est la différence entre les formules tarifaires ?
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă la bibliothĂšque et Ă toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode dâabonnement : avec lâabonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă 12 mois dâabonnement mensuel.
Quâest-ce que Perlego ?
Nous sommes un service dâabonnement Ă des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă celui dâun seul livre par mois. Avec plus dâun million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce quâil vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Prenez-vous en charge la synthÚse vocale ?
Recherchez le symbole Ăcouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez lâĂ©couter. Lâoutil Ăcouter lit le texte Ă haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, lâaccĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Est-ce que Les Ormes est un PDF/ePUB en ligne ?
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă Les Ormes par Henry GrĂ©ville en format PDF et/ou ePUB ainsi quâĂ dâautres livres populaires dans Literature et Historical Fiction. Nous disposons de plus dâun million dâouvrages Ă dĂ©couvrir dans notre catalogue.
Informations
XVII
Le lendemain matin, aprĂšs une nuit dâinsomnie, il sortit de bonne heure, afin de prendre lâair. Un instinct secret, un besoin de sympathie et de consolation le poussait vers madame Dannault ; il sut se contraindre Ă ne point entrer chez elle. La scĂšne de la veille nĂ©cessitait entre Julie et lui une explication nouvelle ; Ă quoi bon troubler Flavie par le rĂ©cit de choses pĂ©nibles auxquelles nul remĂšde nâĂ©tait actuellement possible ? Il faut savoir vĂ©ritablement aimer pour avoir le courage de se priver de consolations ; aucune preuve dâamitiĂ© peut-ĂȘtre nâest plus forte que le silence, quand on souffre, si lâon veut mĂ©nager les sentiments de ceux quâon aime, alors quâon devine leur sympathie si prĂ©cieuse et si efficace. Marcel passa devant la maison quâhabitait sa belle-mĂšre, leva vers les fenĂȘtres ses yeux rougis et battus par les tristesses de la nuit, envoyant en mĂȘme temps Ă la veuve esseulĂ©e, Ă la mĂšre quâattendaient de nouveaux chagrins, la tendresse et la confiance de son Ăąme dĂ©vouĂ©e.
Ses rĂȘveries, et aussi lâhabitude de ses pas, le conduisirent Ă la BibliothĂšque : il sâen fallait de quelques minutes quâelle ne fĂ»t ouverte : Marcel se mit Ă arpenter la longue cour oĂč lâherbe verdissait entre les pavĂ©s ; la petite fontaine ornĂ©e dâun gobelet attachĂ© par une chaĂźne de fer attira sur ses lĂšvres un triste sourire. Que de fois, tout enfant, il avait accompagnĂ© lĂ son pĂšre ! Aux jours des vacances, Ă plus dâune reprise, il sâĂ©tait dĂ©saltĂ©rĂ© au vieux petit gobelet tout bosselĂ© par des chocs rĂ©pĂ©tĂ©s contre la pierre... La vie avait changĂ© pour lui. Avec la vie, il avait appris la souffrance ; quel abĂźme sĂ©parait le mari de Julie de lâenfant heureux qui passait jadis sous cette porte !
Avec une sorte de respect, il mouilla ses lĂšvres au gobelet, comme si celui-ci avait contenu lâeau lustrale qui purifie, puis il laissa retomber les gouttelettes brillantes, qui ressemblaient Ă des larmes, et la tasse de fer alla choquer la pierre, comme jadis. La porte sâouvrait, il entra et se dirigea vers sa place accoutumĂ©e. Julie ne serait pas visible avant midi, il travaillerait jusquâĂ onze heures ; dans la paix et lâeffort du travail, il ne pouvait que gagner en force et en courage.
Contre toutes ses habitudes, cependant, madame Avellin sâĂ©tait rĂ©veillĂ©e de bonne heure. Elle non plus nâavait guĂšre dormi, mais la colĂšre et la haine seules avaient tenu compagnie Ă son insomnie. RĂ©voltĂ©e par nature, elle pouvait moins que tout autre admettre lâautoritĂ© de son mari, quâelle sâĂ©tait appris Ă considĂ©rer comme un ĂȘtre Ă peu prĂšs nul. En effet, Marcel nâavait rien de ce qui distingue un homme aux yeux dâune mondaine Ă©mĂ©rite : sa modestie, sa science profonde, son tact qui lui faisait redouter le fracas et lâĂ©talage, toutes ces qualitĂ©s si rares se retournaient contre lui dans la lutte inĂ©gale oĂč il Ă©tait incessamment attaquĂ©. Tant quâelle nâavait regardĂ© personne, madame Avellin sâĂ©tait bornĂ©e Ă dĂ©daigner son mari. Du jour oĂč elle avait distinguĂ© Liotais, elle avait dĂ©testĂ© Marcel. Non quâelle eĂ»t rĂȘvĂ© une autre union plus conforme Ă ses goĂ»ts, elle nâallait pas si loin, et si elle se fĂ»t avouĂ© sa vĂ©ritable pensĂ©e, elle eĂ»t Ă©tĂ© obligĂ©e de convenir que toute contrainte lui paraissant intolĂ©rable, lâĂ©lu de la veille eĂ»t risquĂ© dâĂȘtre lâennemi du lendemain de par la grĂące mĂȘme du mariage. Julie eĂ»t voulu ĂȘtre libre de coqueter avec le jeune homme, de se faire ouvertement courtiser par lui ; elle nâallait pas jusquâĂ lâamour, mais elle en aimait les prĂ©liminaires.
Lâentretien quâavait troublĂ© Marcel nâĂ©tait pas le premier de ce genre. Dans la pensĂ©e de Julie, câĂ©tait Ă©galement loin dâĂȘtre le dernier ; elle aimait Ă marcher Ă petits pas sur le bord de lâabĂźme ; y tomber ? Pourquoi donc ? LâadultĂšre est un bien gros mot ! Et puis, pour peu quâon y rĂ©flĂ©chisse, il doit entraĂźner avec lui un cortĂšge assommant de craintes, de prĂ©cautions, de menus pĂ©rils, pour la plupart ridicules ; Julie avait plongĂ© son regard dans le crime, et sâĂ©tait dit que ce serait bien incommode dâĂȘtre criminelle... Pourquoi se crĂ©er des embarras superflus ?
Mais Ă©couter, blottie au fond dâune chauffeuse, les paroles passionnĂ©es dâun homme jeune et Ă©lĂ©gant, recevoir le feu de ses regards, qui faisaient passer Ă fleur de peau un frisson dĂ©licieux, se dire quâen Ă©tendant la main on le jetterait Ă ses pieds, Ă©tendre un peu cette main assez pour la laisser baiser, trop peu pour la laisser prendre, avoir les fines jouissances de la sĂ©duction sans en connaĂźtre les pĂ©rils rĂ©els, voilĂ ce qui plaisait Ă Julie, ce quâelle nâentendait pas quâon lui retirĂąt.
â Je ne fais aucun mal, se disait-elle ; de quel droit alors la troublait-on dans ses plaisirs, aussi innocents Ă ses yeux que ceux dâune chatte qui se chauffe en ronronnant au soleil dâavril ? Se faire courtiser par Liotais, ou un autre au besoin, â mais celui-lĂ de prĂ©fĂ©rence, â câĂ©tait le complĂ©ment de la toilette exquise et laborieuse quâelle accomplissait pendant des heures, au moyen des crayons, des fards, des poudres de toute espĂšce ; câĂ©tait une jouissance comme celle de se voir blonde alors que la nature lui avait donnĂ© des cheveux chĂątains ; il lui fallait pour ĂȘtre heureuse lâune et lâautre gourmandise : celle de sa beautĂ© perfectionnĂ©e et celle de lâhommage rendu Ă cette beautĂ©.
En troublant cet Ă©tat paisible oĂč les aspirations de la jeune femme se rĂ©alisaient sans effort, Marcel avait provoquĂ© une terrible colĂšre, dâautant plus intense quâil sây mĂȘlait un peu de honte. Les contes de fĂ©es sont peuplĂ©s de ces monstres qui dorment au fond des cavernes, ou qui rĂȘvent paresseusement Ă©tendus sur les grĂšves ; pas mĂ©chants si leur repos nâest point troublĂ©, point voraces si leur appĂ©tit est satisfait, mais fĂ©roces si leur tranquille bĂ©atitude reçoit la moindre atteinte. Chez Julie, ce monstre sâĂ©tait rĂ©veillĂ© ; lâimprudent qui le provoquait en serait la victime. Aussi, ce jour-lĂ , levĂ©e avant dix heures, elle sâassit devant sa toilette avec les sourcils froncĂ©s dâune HĂ©cate irritĂ©e.
Le timbre résonna.
â Si câest monsieur, dit briĂšvement Julie Ă sa femme de chambre, vous direz que je ne suis pas levĂ©e.
Une voix féminine se fit entendre derriÚre la porte, insistant pour obtenir le passage.
â Câest madame Tirouin, dit la soubrette aux Ă©coutes.
Les traits de Julie se dĂ©tendirent. CâĂ©tait une amie, celle-lĂ ! La jeune femme nâavait pas perdu le souvenir des tendresses expansives dont lâenvironnait en toute occasion la mielleuse personne. Bienvenue, madame Tirouin ! Vous arrivez Ă lâheure propice, lâheure longtemps cherchĂ©e quâon finit par trouver, pourvu quâon ait assez de patience.
Ce fut dâabord une mĂ©lopĂ©e insaisissable et lente, comme certaines chansons arabes. Il y avait si longtemps quâon ne sâĂ©tait vu ! La vie est si compliquĂ©e, nâest-ce pas ? Mais le temps ne devait pas paraĂźtre long Ă la chĂšre mignonne ! Fort belle dâailleurs, plus belle que jamais ! Les yeux battus ? Pourquoi ? La maladie ? Mais la maladie avec cette carnation, ces Ă©paules merveilleuses, câĂ©tait impossible ! Des chagrins alors ? Se pouvait-il que la terre portĂąt un flĂ©au capable de causer du chagrin Ă une si douce et si charmante personne ! Le bĂ©bĂ© ? Non ? Pas malade, le bĂ©bĂ© ? Ah ! tant mieux ! Quoi donc alors ?
Julie se mordit les lĂšvres. Il est sans doute bien doux de conter ses peines ; mais quand il y a un beau jeune homme au bout de la confidence, ce jeune homme se trouvĂąt-il lĂ tout Ă fait accidentellement, comme tel Ă©tait le cas, lâexpansion ne peut se dĂ©partir dâune certaine rĂ©serve, et alors, ce nâest plus lâexpansion. Elle pressa affectueusement la main de sa visiteuse et poussa un profond soupir. Par une transition, madame Tirouin passa au sujet qui lâamenait, mais en tournant autour avant dâentrer, comme il convient Ă toute personne prudente.
Cette chĂšre madame Dannault, toujours belle ? Toujours bien portante ? Ătonnamment bien conservĂ©e ! On ne lui donnerait pas trente-cinq ans ! Positivement ! Belle Ă faire des conquĂȘtes.
Ici Julie leva légÚrement les épaules.
â Positivement ! rĂ©pĂ©ta lâamie en appuyant sur chaque syllabe. Figurez-vous, chĂšre, lâautre jour, je me promenais, je vois passer une calĂšche, et dedans, une belle et charmante femme, fraĂźche comme le matin â câĂ©tait avant dĂ©jeuner, â lâair jeune et Ă©mu, pleine de grĂące ; un homme Ă©lĂ©gant lâaccompagnait en lui parlant avec une affection, oh ! trĂšs touchante, je vous assure. Ils avaient lâair de deux amoureux ! Et câĂ©tait... je vous le donne en mille !
â Ma mĂšre ? rĂ©pliqua vivement Julie, dont le visage sâempourpra. Et qui avec elle ?
â Oh ! chĂšre, rien dâextraordinaire... votre mari, tout simplement. Quoi de plus naturel ? CâĂ©tait... attendez que je me rappelle... ce devait ĂȘtre lundi dernier. Est-ce quâil a dĂ©jeunĂ© chez vous ce jour-lĂ ? Ils revenaient dâune promenade, je pense, car madame Dannault avait au corsage une poignĂ©e de roses merveilleuses, que son mantelet cachait mal.
Le visage de Julie sâĂ©tait contractĂ©, et ses yeux, devenus tout Ă fait noirs, fixaient sur la pelote garnie de dentelles une Ă©pingle capriote en forme de poignard, comme si la vue de cette Ă©pingle lâeĂ»t violemment tentĂ©e.
â Vous ĂȘtes sĂ»re que câĂ©tait mon mari ? dit-elle sans dĂ©tourner son regard mĂ©chant.
â Absolument sĂ»re. Quoi ! cela vous Ă©tonne ? Et dâailleurs madame Dannault est une femme beaucoup trop sĂ©vĂšre dans ses allures pour se permettre de sâafficher avec un autre quâun parent ou un trĂšs ancien ami... Son gendre, câest tout naturel... Il y a entre eux beaucoup dâaffection, je crois ? Vous ĂȘtes une heureuse femme. On ne voit pas tous les jours un gendre et une belle-mĂšre qui se conviennent Ă ce point. Mais cela ne doit pas vous surprendre ; vous rappelez-vous, chĂšre amie, le jour de votre mariage, quand vous mâavez dit : « Tout le monde sait que je me suis mariĂ©e pour faire plaisir Ă ma mĂšre ! » Pauvre mignonne, vous ne croyiez pas si bien parler !
Les insinuations avaient fait place sans effort aux accusations hardies. Madame Avellin nâavait pas bronchĂ© ; le terrible mot : « sâafficher » avait passĂ© sans provoquer de protestation ; dĂ©sormais madame Tirouin pourrait tout dire. Elle dit tout, en effet, tout ce quâelle croyait et tout ce quâelle savait ĂȘtre un mensonge.
CâĂ©tait pour elle une joie intense que de verser sur cette femme pure, jusquâalors inattaquable, la fange dâune Ăąme grossiĂšre et plus dâune fois coupable.
Quoi de plus blessant, en vĂ©ritĂ©, pour ceux dont les fautes ne se comptent plus, que de voir se dresser comme un reproche vivant des ĂȘtres sans tache, dont la vie honorable et honorĂ©e est la critique vivante des existences troubles et malsaines ? Il y a lĂ une disparitĂ© choquante qui ne se saurait supporter. Comme on ne peut sâĂ©lever facilement Ă la hauteur de ces supĂ©rioritĂ©s, il est bien plus simple dâabaisser celles-ci au niveau commun ; alors la calomnie choisit son moyen.
TantĂŽt elle emploie les insinuations dĂ©tournĂ©es, souvent rĂ©pĂ©tĂ©es. â Croyez-vous ? Oh ! je ne crois pas ! Cependant les apparences... certainement... mais câest si invraisemblable ! Songez donc ! une rĂ©putation si ancienne et si bien Ă©tablie ! On me lâa affirmĂ© pourtant, mais vous comprenez bien... Et avec de telles phrases on Ă©branle doucement, prudemment, sans danger pour soi-mĂȘme, la bonne renommĂ©e dont Ă©tait couronnĂ© comme dâune aurĂ©ole lâĂȘtre innocent, qui a eu le malheur de rencontrer autour de lui dâautres ĂȘtres moins innocents, et plus ambitieux.
Un autre moyen plus hardi, câest de lancer une belle grosse calomnie, qui Ă©clate comme un obus au milieu du calme le plus complet. Dâabord on se rĂ©crie : â Câest si absurde ! Et puis, les bonnes amies aidant, la chose ne parait plus si dĂ©raisonnable ; elle a fait son trou, on lâa rĂ©pĂ©tĂ©e, â pour en rire ou sâen scandaliser dâabord, mais on lâa rĂ©pĂ©tĂ©e, â dâautres, qui nâont dâintĂ©rĂȘt ni pour ni contre, la colportent comme une simple curiositĂ©, un fait divers de la morale, â et un beau matin M. X... ou madame Z... se rĂ©veillent dĂ©shonorĂ©s, sans que personne ne sache pourquoi ni comment.
Se dĂ©fendre ? Impossible ! Que faire contre ceux qui vous accusent sans preuves ? Dâabord on ne trouve jamais lâinventeur de la calomnie. Chacun retire son Ă©pingle du jeu et dĂ©clare quâil nâa rien su, rien entendu. Se taire ? Ăvidemment ! Alors on court le risque de paraĂźtre Ă©crasĂ© sous le poids dâune vĂ©ritĂ© cruelle ; mais cela vaut mieux encore que de se battre contre des calomniateurs insaisissables et visqueux comme ces produits de la mer qui glissent entre les doigts et qui, surpris par le filet, fondent dans lâeau chaude, sans presque laisser de traces.
CâĂ©tait bien ce quâavait cherchĂ© madame Tirouin. DĂ©truire la supĂ©rioritĂ© de Flavie. Pensez-y donc ! Une femme qui avait vĂ©cu jusquâalors sans faire parler dâelle ! Il fallait bien quâil y eĂ»t quelque chose ! Ce nâĂ©tait pas seulement une haine personnelle qui la poussait Ă sa mĂ©chante action : câĂ©tait le besoin de dĂ©molir une idole. Pour certaines gens, on croirait vraiment que lâidĂ©al est un univers oĂč tout le monde serait Ă©galement mĂ©prisable. Cet idĂ©al Ă©tait certainement celui dâune femme qui avait renoncĂ© Ă la plupart des vertus, sans avoir le courage ni dâailleurs le besoin de faire parade de tous les vices.
Julie Ă©coutait en silence ces attaques dirigĂ©es contre sa mĂšre. Lâamour-propre une fois mis de cĂŽtĂ©, â et le sentiment de la solidaritĂ© familiale nâavait jamais existĂ© chez elle quâĂ un Ă©tat rudimentaire, â elle aussi nâĂ©tait pas fĂąchĂ©e de voir descendre un peu Flavie du piĂ©destal dĂ©sobligeant oĂč la plaçaient bon nombre de personnes ennuyeuses.
Dâailleurs, elle se rappelait â oui, elle se rappelait â mille choses anciennes : des Ă©changes de paroles affectueuses entre Flavie et Marcel ; le soin que prenait celui-ci de tout ce qui touchait Ă celle-lĂ ; lâĂ©vidente joie quâils Ă©prouvaient Ă se trouver ensemble : tous ces traits isolĂ©s, mais positifs et vĂ©ridiques, lui apparaissaient sous un jour nouveau. Marcel, ce professeur insupportable, et Flavie, cette sempiternelle grondeuse, ce bourreau de son enfance et de sa jeunesse ! Ah ! en vĂ©ritĂ©, câĂ©tait assez drĂŽle !
Eux rĂ©ellement coupables ? Non. Elle nây croyait pas, elle nây crut jamais une minute. Ceux qui accusent si aisĂ©ment les autres de descendre dans les bas-fonds fangeux de lâexistence y sont descendus eux-mĂȘmes et savent quâil nâen a pas coĂ»tĂ© grand-chose Ă leurs scrupules. Mais celui ou celle qui nâa pas dĂ©chu nâaccepte pas si facilement la supposition de lâinfamie dâautrui. Ce sentiment, qui retient sur le seuil de la calomnie tel qui lâaura peut-ĂȘtre franchi demain, nâest pas toujours celui de la justice ou de la gĂ©nĂ©rositĂ©, câest souvent lâignorance du mal non encore commis. Au contraire, ceux qui ont failli Ă©prouvent une joie immense Ă se dire que les autres ne valent pas mieux quâeux ; ils leur pardonneraient volontiers, ils les aimeraient mĂȘme, Ă condition de leur arracher prĂ©alablement le masque de vertu qui leur attire la considĂ©ration. Madame Tirouin appartenait Ă cette seconde catĂ©gorie dâindividus, Julie faisait encore partie de la premiĂšre.
Aussi ne rĂ©pondait-elle pas un mot aux phrases entortillĂ©es de lâamie de tout le monde, derriĂšre lesquelles elle sentait plus que les affirmations apparentes.
Que Flavie prĂ©fĂ©rĂąt la sociĂ©tĂ© de son gendre Ă toute autre ? quâen lui donnant sa fille elle eĂ»t satisfait le cher vĆu de son cĆur ? quâelle eĂ»t Ă©tĂ© rencontrĂ©e avec lui en voiture dĂ©couverte ...