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Les mariages de PhilomĂšne
Henry Gréville
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Les mariages de PhilomĂšne
Henry Gréville
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Ă propos de ce livre
Vous le voyez, ma chĂšre dame, j'ai eu bien des peines, conclut la veuve en s'essuyant les yeux, et encore, je crains bien de n'ĂȘtre pas au bout. - Pourquoi? demanda innocemment madame Aubier. - Parce que les affaires d'argent ne sont pas terminĂ©es, et je crois bien que la famille de mon dĂ©funt mari ne les arrangera pas Ă mon avantage. - On ne peut pas leur demander ça! fit observer la vieille dame, non sans quelque apparence de bon sens: votre mari vous avait Ă©pousĂ©e malgrĂ© eux; ils n'ont aucun motif de vous avantager dans ce partage. - Depuis deux ans que cela dure, il me semble pourtant qu'ils auraient pu en finir; mais... Madame PhilomĂšne CrĂ©pin laissa sa phrase inachevĂ©e, et sa confidente essaya de la terminer pour elle.
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Informations
XXV
Le surlendemain, madame Aubier reçut une lettre de sa filleule, et, dĂšs la premiĂšre ligne, elle se frotta les yeux, croyant sâĂȘtre trompĂ©e, tant ce quâelle lisait, bien que prĂ©vu, lui parut invraisemblable.
« Ma chĂšre marraine, Ă©crivait Virginie, venez Ă mon secours, et dĂ©fendez-moi contre un affreux malheur : mon pĂšre veut me marier Ă Lavenel. Jamais je nâĂ©pouserai cet homme que je dĂ©teste ; jâaimerais mieux mourir. »
La lettre nâĂ©tait pas longue : quelques phrases Ă©plorĂ©es, rĂ©pĂ©titions de ce mĂȘme cri dâalarme, et mille tendresses enfantines pour la bonne marraine qui saurait la protĂ©ger, câĂ©tait tout.
Madame Aubier demeura pensive. Elle connaissait le caractĂšre entĂȘtĂ© et despotique du pĂšre Beuron ; le heurter de front, câĂ©tait planter en face de soi les raisonnements et lâintelligence dâune muraille ; tenter de le prendre par la douceur et la rĂ©flexion, câĂ©tait lui faire affirmer lâimplacable rĂ©solution dâun homme qui ne se ruine pas en idĂ©es, mais qui tient Ă celles quâil a par hasard, et qui ne veut pas passer pour une girouette ; depuis quâil Ă©tait nĂ©, personne nâavait jamais rien obtenu de lui par la persuasion ; il eĂ»t cru dĂ©choir en cĂ©dant.
Restait la question dâintĂ©rĂȘt. Virginie devait recevoir en dot le bien de sa mĂšre, plus ce que son pĂšre lui donnerait sans doute : madame Aubier connaissait trop bien Lavenel pour ne pas ĂȘtre certaine quâil avait demandĂ© et obtenu quelque chose : si elle pouvait amener ce vieil entĂȘtĂ© Ă blĂąmer son gendre en expectative pour ses vues intĂ©ressĂ©es, elle aurait gagnĂ© du temps, et, pour le moment, il nâen fallait pas davantage. Avant un mois, PhilomĂšne reviendrait, et ce serait affaire au marchand de grains de se dĂ©gager de ses mains furieuses.
â Si jâĂ©crivais Ă PhilomĂšne ? pensa la bonne dame. Mais elle renonça sur-le-champ Ă cette idĂ©e ; livrer le nom et la tranquillitĂ© de Virginie Ă cette femme lui paraissait plus nuisible que tout le reste, car elle ne savait rien des tendres sentiments que nourrissait la veuve pour lâingrat Masson, et croyait Ă sa bonne foi dans le mariage projetĂ© avec Lavenel.
â Je vais toujours Ă©crire Ă Marie Verroy, conclut madame Aubier, qui se mit sur-le-champ Ă lâĆuvre, et, de sa bonne Ă©criture vieillotte, elle annonça lâĂ©vĂ©nement fĂącheux Ă ses amis de Paris, les laissant juges de prĂ©venir ou de ne pas prĂ©venir Masson du sort rĂ©servĂ© Ă la jeune fille. Ensuite elle adressa quelques mots de consolation Ă sa filleule, en lui promettant dâintervenir, et aprĂšs cet excĂšs de style Ă©pistolaire, elle se livra Ă de profondes rĂ©flexions, pendant lesquelles le nom de Lavenel ne se trouva pas une seule fois accolĂ© Ă des Ă©pithĂštes flatteuses.
Nos amis dĂ©jeunaient ensemble lorsque la lettre de madame Aubier leur fut apportĂ©e avec le reste du courrier. PhilomĂšne Ă©tait sombre ; ses courses matinales Ă lâadresse de son dĂ©biteur Ă©taient jusquâici restĂ©es sans rĂ©sultat, si bien quâelle avait remis sa crĂ©ance aux mains dâun homme dâaffaires. Chacun sait que ces messieurs ne travaillent pas uniquement dans le but philanthropique de faire rendre gorge aux dĂ©biteurs rĂ©calcitrants, et madame CrĂ©pin avait Ă©tĂ© forcĂ©e de dĂ©nouer les cordons de sa bourse, opĂ©ration qui lui Ă©tait toujours essentiellement dĂ©sagrĂ©able.
Elle Ă©tait donc sombre, et mangeait peu, â câest-Ă -dire ne mangeait que les meilleurs morceaux et laissait le reste sur son assiette ; ses cousins, qui commençaient Ă sâhabituer Ă cette maniĂšre dâagir, sans pouvoir toutefois sâaccoutumer Ă la trouver agrĂ©able, ne sâoccupaient pas dâelle et causaient de leurs affaires. Marie, en remuant les journaux et les imprimĂ©s de toutes sortes qui composaient le courrier du matin, trouva la lettre qui portait le timbre de DiĂ©lette, et ne put retenir un lĂ©ger mouvement.
â Quâest-ce que câest ? fit Charles en levant la tĂȘte.
â Rien, rĂ©pondit Marie, devenue prudente, sans sâexpliquer pourquoi.
Une lettre ?
â Une vieille histoire, rĂ©pliqua Marie avec un peu dâimpatience, en mettant la lettre dans sa poche.
Charles retourna Ă sa cĂŽtelette, sous le regard accusateur de PhilomĂšne qui disait : Tu nâes quâune bĂȘte, mon ami, de laisser ta femme mettre ainsi des lettres dans sa poche. Je te dĂ©clare bien que mon mari sera tenu de me montrer les siennes. Mais Verroy ne vit ni le regard ni le reproche, et prit une seconde cĂŽtelette, car il avait bon appĂ©tit.
Le repas terminĂ©, laissant retomber une porte sur la queue de la robe de PhilomĂšne, ce qui lâobligea Ă se retourner pour se dĂ©gager, Marie courut Ă Charles, le prit par le bras et lâentraĂźna dans lâasile inviolable de la chambre Ă coucher ; pour plus de sĂ»retĂ©, elle poussa le verrou, et revint Ă son mari la lettre Ă la main.
â Que de mystĂšres ! dit celui-ci ; est-ce quâon nous rĂ©clame cent mille francs ?
â Non, mais câest madame Aubier qui nous Ă©crit, rĂ©pondit la jeune femme, qui avait dĂ©jĂ pris connaissance de lâĂ©pitre pendant que son mari parlait. On veut marier Virginie, â Ă qui ? je te le donne en mille, â Ă Lavenel.
â Saprelotte ! sâĂ©cria Charles.
â Marie ! cria derriĂšre la porte la voix lamentable de PhilomĂšne, pendant quâelle frappait modestement, mais avec persistance.
â Je viens, rĂ©pondit celle-ci.
â Jâai deux mots Ă te dire.
â Attends-moi au salon, mon mari sâhabille.
PhilomĂšne ne rĂ©pondit pas, mais aucun bruit derriĂšre la porte ne dĂ©cela quâelle eĂ»t quittĂ© son poste.
â Quelle cravate veux-tu ? demanda madame Verroy trĂšs haut, comme si elle eĂ»t adressĂ© la parole Ă son mari. Jâirai te la chercher.
â Jây vais moi-mĂȘme, rĂ©pondit Charles sans bouger du fauteuil oĂč il sâĂ©tait allongĂ©.
Un bruit de pas contenus, trÚs léger, leur apprit que madame Crépin avait quitté la place.
â Sais-tu que cela mâennuie ? dit Verroy de mauvaise humeur ; nous voilĂ obligĂ©s de jouer la comĂ©die Ă prĂ©sent. Est-ce quâelle ne sâen ira pas bientĂŽt ?
â Le plus tĂŽt possible, mon ami, rĂ©pondit Marie dâun ton conciliant. Mais, Ă©coute, Lavenel a demandĂ© Virginie en mariage.
â JâespĂšre quâon lâa remballĂ© poliment ? fit Verroy.
â Non. Le pĂšre Beuron a consenti.
â Eh bien, et Masson, quâest-ce quâon en fait, alors ? Un Ă©pouvantail pour les petits oiseaux ?
Plus agitĂ© quâil ne lâeĂ»t supposĂ© deux minutes auparavant, Charles se mit Ă arpenter la chambre ; il aimait son ami, sincĂšrement et fortement ; les amitiĂ©s dâhommes ne se payent pas de bonnes paroles, mais il faut les voir Ă lâĂ©preuve. Ces gens qui se parlent comme des Ă©trangers, qui se serrent Ă peine la main, Ă un moment donnĂ©, se feraient tuer lâun pour lâautre. Si Verroy en ce moment eĂ»t tenu par les cheveux soit le pĂšre Beuron, soit ThĂ©odore Lavenel lui-mĂȘme, il les eĂ»t laissĂ©s tomber du troisiĂšme Ă©tage dans la rue sans se prĂ©occuper des remords que pourrait lui causer ensuite cette action irrĂ©flĂ©chie.
â Et elle, la petite, quâest-ce quâelle en dit ? fit-il en sâarrĂȘtant devant sa femme.
â Elle se dĂ©sespĂšre.
â Alors elle aime Masson ?
â Naturellement.
Charles reprit sa promenade. Un bruit imperceptible se fit entendre dans le corridor, et Marie mit un doigt sur ses lĂšvres ; son Ă©poux, moins patient, sâapprocha de la porte Ă grands pas, et lâouvrit avec vĂ©hĂ©mence sur PhilomĂšne qui nâavait pas eu le temps de fuir.
â Quâest-ce quâil y a ? fit-il avec peu de grĂące.
â Câest la bonne qui demande Marie, balbutia la veuve, fort honteuse et embarrassĂ©e.
â Ayez la bontĂ©, ma chĂšre cousine, de lui dire quâelle veuille bien nous laisser en repos.
Il referma la porte, et cette fois madame CrĂ©pin sâen alla en faisant craquer ses lourds souliers de cuir pour plus de sĂ»retĂ©.
â Tu sais bien quâun de ces quatre matins je lui dirai ses vĂ©ritĂ©s, fit Charles, soudain Ă©gayĂ© Ă la pensĂ©e de cette future escarmouche : je commence Ă en avoir besoin.
â Un peu de patience, mon ami ; Ă©coute, pour le moment, il sâagit de ceux que nous aimons.
â Tu as raison. Que faire ?
â Voir Masson aujourdâhui mĂȘme. Nous ne pouvons agir sans lui avoir demandĂ© ce quâil veut faire.
â Câest trop juste. Je vais lui envoyer un tĂ©lĂ©gramme : Prudence et MystĂšre !
Ils quittÚrent leur retraite, et Charles sortit pour mettre son projet à exécution.
Le tĂ©lĂ©gramme ne devant pas parvenir Ă son adresse avant deux heures, Marie profita de ce laps de temps pour faire une course pressĂ©e, et Verroy ayant fait le mĂȘme raisonnement, ils restĂšrent absents trois heures environ.
PhilomĂšne, fort intriguĂ©e par la confĂ©rence secrĂšte du matin, se tenait au salon, comme dâhabitude, avec sa longue jupe Ă©talĂ©e sur le tapis ; un roman Ă la main, assise sur un fauteuil dans une pose Ă©tudiĂ©e, elle se figurait ĂȘtre une duchesse et rĂȘvait Ă des projets dâavenir vagues, mais dĂ©licieux.
Masson entra ; prĂ©venu par le tĂ©lĂ©gramme, il ne sâinforma point auprĂšs de la cousine de ce quâon pouvait avoir Ă lui dire, mais il sâassit auprĂšs dâelle et se mit Ă lui faire la conversation. Cette femme lâamusait avec ses prĂ©tentions, rĂ©cemment greffĂ©es sur lâarbre plus ancien des ambitions secrĂštes ; il la trouvait drĂŽle et la croyait bonne, ce qui lui donnait auprĂšs dâelle la libertĂ© dâallures quâautorisait sa longue amitiĂ© avec Verroy. Ne se doutant pas dâailleurs quâon pĂ»t avoir une communication importante Ă lui faire, pensant quâil sâagissait de procurer des billets Ă quelque ami de province, il avait lâesprit parfaitement en repos.
Câest avec la disposition dâesprit la plus enjouĂ©e quâil sâassit auprĂšs de madame CrĂ©pin.
â Comme vous voilĂ belle ! lui dit-il en souriant ; vous avez arborĂ© un bonnet tout neuf. Est-ce en mon honneur ?
â Mais oui, rĂ©pondit la veuve, qui rougit de plaisir.
â Vous saviez donc que je viendrais ? moi qui il y a deux heures nâen savais rien moi-mĂȘme.
â Je vous attends toujours, fit madame CrĂ©pin en baissant les yeux.
Masson prit cet aveu pour une bonne plaisanterie.
â Câest gentil au moins, ce que vous me dites lĂ , fit-il avec sa bonhomie ordinaire ; tout le monde ne mâen dit pas autant. Restez-vous encore longtemps ici ?
â Je ne sais pas, cela ne dĂ©pend pas de moi.
â Ătes-vous heureuse de vivre lĂ -bas ? sâĂ©cria tout Ă coup le jeune homme, laissant dĂ©border le trop-plein de son cĆur. Vivre lĂ -bas, dans une petite maison grise, avec un petit jardin... quel paradis !...
â Tout seul ?
â Ah ! non, par exemple, pas tout seul ! Avec ma femme ! La Heuserie avec ma femme, voilĂ lâidĂ©al !
PhilomĂšne sentit son cĆur bondir dĂ©licieusement. La Heuserie et sa femme ! Mais si ces deux desiderata se rĂ©unissaient en un seul, propriĂ©taire et propriĂ©tĂ©, Masson nâaurait plus rien Ă demander au ciel. Seulement, le dire nâĂ©tait pas trĂšs facile, le faire comprendre Ă©tait une tĂąche non moins dĂ©licate. PhilomĂšne se promit de chercher un auxiliaire.
â Vous aimez donc bien la campagne ? dit-elle dâune voix aussi mĂ©lodieuse que son gosier voulut le lui permettre.
â Je lâadore ! Câest le repos, câest le sommeil ! AprĂšs ce Paris embrasĂ© qui nous dĂ©vore, aprĂšs les soirĂ©es passĂ©es dans ce four Ă cuire des hommes quâon appelle le thĂ©Ăątre, respirer lâ...