Acté
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Alexandre Dumas

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Alexandre Dumas

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À propos de ce livre

Ce roman peu connu est l'une des rares fictions de Dumas se situant dans l'antiquité. Acté est une jeune Corinthienne qui devient la maßtresse de l'empereur Néron. Son histoire permet à l'écrivain d'évoquer le rÚgne du cruel empereur, en une fresque impressionnante.

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2018
ISBN
9782322161997
Édition
1

Chapitre XV

NĂ©ron avait touchĂ© juste : cette promesse calma Ă  l’instant les murmures ; parmi tous les spectacles dont ses Ă©diles, ses prĂ©teurs et ses CĂ©sars le gorgeaient, ceux dont le peuple Ă©tait plus avide Ă©taient les chasses d’animaux et les prĂ©sents de gladiateurs. Autrefois ces deux spectacles Ă©taient distincts ; mais PompĂ©e avait eu l’idĂ©e de les rĂ©unir en faisant combattre pour la premiĂšre fois, pendant son second consulat, Ă  l’occasion de la dĂ©dicace du temple de VĂ©nus victorieuse, vingt Ă©lĂ©phants sauvages contre des GĂ©tules armĂ©s de javelots : il est vrai que longtemps auparavant, si l’on en croit Tite-Live, on avait tuĂ© pour un seul jour cent quarante-deux Ă©lĂ©phants dans le cirque ; mais ces Ă©lĂ©phants, pris dans une bataille contre les Carthaginois, et que Rome pauvre et prudente alors ne voulait ni nourrir ni donner aux alliĂ©s, avaient Ă©tĂ© Ă©gorgĂ©s Ă  coups de javelots et de flĂšches par les spectateurs des gradins : quatre-vingts ans plus tard, l’an 523 de Rome, Scipion Nasica et P. Lentulus avaient fait descendre dans le cirque soixante- trois panthĂšres d’Afrique, et l’on croyait les Romains blasĂ©s sur ce genre de fĂȘte, lorsque Segurus, transportant le spectacle sur un autre Ă©lĂ©ment, avait rempli d’eau l’amphithĂ©Ăątre, et dans cette mer factice, lĂącha quinze hippopotames et vingt-trois crocodiles ; Sylla, prĂ©teur, avait donnĂ© une chasse de cent lions Ă  criniĂšre : le grand PompĂ©e une de trois cent quinze ; et Julius CĂ©sar une de quatre cents ; enfin Auguste, qui avait gardĂ© d’Octave un arriĂšre-goĂ»t de sang, avait fait tuer dans les fĂȘtes qu’il avait donnĂ©es tant en son nom qu’en celui de son petit-fils, environ trois mille cinq cents lions, tigres et panthĂšres ; et il n’y eut pas jusqu’à un certain P. Servilius, de la vie duquel on n’a retenu que ce souvenir, qui donna une fĂȘte oĂč l’on tua trois cents ours et autant de panthĂšres et de lions amenĂ©s des dĂ©serts de l’Afrique : plus tard ce luxe n’eut plus de frein, et Titus fit dans une seule chasse Ă©gorger jusqu’à cinq mille bĂȘtes fĂ©roces de toute espĂšce.
Mais de tous, celui qui jusqu’alors avait donnĂ© les fĂȘtes les plus riches et les plus variĂ©es Ă©tait NĂ©ron : outre les impĂŽts d’argent imposĂ©s aux provinces conquises, il avait taxĂ© le Nil et le dĂ©sert, et l’eau et le sable lui fournissaient leur dĂźme de lions, de tigres, de panthĂšres et de crocodiles : quant aux gladiateurs, les prisonniers de guerre et les chrĂ©tiens les avaient avantageusement et Ă©conomiquement remplacĂ©s : ils manquaient bien de l’adresse que donnait aux premiers l’étude de leur art, mais ils avaient pour eux le courage et l’exaltation, qui ajoutaient une poĂ©sie et une forme nouvelle Ă  leur agonie : c’était tout ce qu’il fallait pour rĂ©chauffer la curiositĂ©.
Rome tout entiĂšre se prĂ©cipita donc dans le cirque : cette fois on avait puisĂ© Ă  pleines mains dans le dĂ©sert et dans les prisons : il y avait assez de bĂȘtes fĂ©roces et de victimes pour que la fĂȘte durĂąt tout le jour et toute la nuit : d’ailleurs l’empereur avait promis d’éclairer le cirque d’une maniĂšre nouvelle : aussi fut-il reçu par d’unanimes acclamations : cette fois il Ă©tait vĂȘtu en Apollon, et portait, comme le dieu pythien, un arc et des flĂšches : car dans les intervalles des combats il devait donner des preuves de son adresse ; quelques arbres avaient Ă©tĂ© dĂ©racinĂ©s de la forĂȘt d’Albano, transportĂ©s Ă  Rome et replantĂ©s dans le cirque, avec leurs branches et leurs feuilles, et sur ces arbres des paons et des faisans apprivoisĂ©s, Ă©talant leur plumage d’azur et d’or, offraient un but aux flĂšches de l’empereur : il arrivait aussi que parfois CĂ©sar prenait en pitiĂ© quelque bestiaire blessĂ©, ou en haine quelque animal qui faisait mal son mĂ©tier de bourreau : alors il prenait ou son arc ou ses javelots, et de sa place, de son trĂŽne, il donnait la mort Ă  l’autre bout du cirque, pareil Ă  Jupiter Foudroyant.
À peine l’empereur fut-il placĂ© que les gladiateurs arrivĂšrent sur des chars : ceux qui devaient commencer les combats Ă©taient comme d’habitude achetĂ©s Ă  des maĂźtres ; mais comme la solennitĂ© Ă©tait grande, quelques jeunes patriciens s’étaient mĂȘlĂ©s aux gladiateurs de profession pour faire leur cour Ă  l’empereur ; on disait mĂȘme que parmi ceux-ci deux nobles, que l’on savait ruinĂ©s par leurs dĂ©bauches, s’étaient louĂ©s, l’un pour la somme de deux cent cinquante, l’autre pour celle de trois cent mille sesterces.
Au moment oĂč NĂ©ron entra, les gladiateurs Ă©taient dans l’arĂšne, attendant le signal et s’exerçant entre eux, comme si les combats qu’ils allaient se livrer Ă©taient un simple jeu d’escrime. Mais Ă  peine le mot l’empereur ! l’empereur ! eut-il retenti dans le cirque, et eut-on vu CĂ©sar-Apollon s’asseoir sur son trĂŽne, en face des vestales, que les maĂźtres des jeux entrĂšrent dans le cirque, tenant en main des armes Ă©moulues qu’ils prĂ©sentĂšrent aux combattants, et que ceux-ci Ă©changĂšrent contre les armes Ă©moussĂ©es avec lesquelles ils s’exerçaient : puis ils dĂ©filĂšrent devant NĂ©ron, Ă©levant leurs Ă©pĂ©es vers lui, afin qu’il s’assurĂąt qu’elles Ă©taient acĂ©rĂ©es et tranchantes, ce qu’il pouvait faire en se baissant : sa loge n’était Ă©levĂ©e que de neuf Ă  dix pieds au-dessus de l’arĂšne.
On prĂ©senta la liste des combattants Ă  CĂ©sar afin qu’il dĂ©signĂąt lui-mĂȘme l’ordre dans lequel ils devaient combattre : il dĂ©cida que le rĂ©tiaire et le mirmillon commenceraient ; aprĂšs eux devaient venir deux dimachĂšres, puis deux andabates : alors pour clore cette premiĂšre sĂ©ance qui devait finir Ă  midi, deux chrĂ©tiens, un homme et une femme, seraient donnĂ©s Ă  dĂ©vorer aux bĂȘtes fĂ©roces. Le peuple parut assez satisfait de ce premier programme, et au milieu des cris de vive NĂ©ron ! gloire Ă  CĂ©sar ! fortune Ă  l’empereur ! les deux premiers gladiateurs entrĂšrent dans le cirque, chacun par une porte situĂ©e en face l’une de l’autre.
C’étaient, comme l’avait dĂ©cidĂ© CĂ©sar, un mirmillon et un rĂ©tiaire. Le premier qu’on appelait aussi sĂ©cutor, parce qu’il lui arrivait plus souvent de poursuivre l’autre que d’en ĂȘtre poursuivi, Ă©tait vĂȘtu d’une tunique vert-clair Ă  bandes transversales d’argent, serrĂ©e autour du corps par une ceinture de cuivre ciselĂ©e, dans laquelle brillaient des incrustations de corail : sa jambe droite Ă©tait dĂ©fendue par une bottine de bronze, un casque Ă  visiĂšre pareil Ă  celui des chevaliers du XIVe siĂšcle, surmontĂ© d’un cimier reprĂ©sentant une tĂȘte d’urus aux longues cornes, lui cachait tout le visage ; il portait au bras gauche un grand bouclier rond, et Ă  la main droite un javelot et une massue plombĂ©e : c’était l’armure et le costume des Gaulois.
Le rĂ©tiaire tenait de la main droite le filet auquel il devait son nom, et qui Ă©tait Ă  peu prĂšs pareil Ă  celui que, de nos jours, les pĂȘcheurs dĂ©signent sous celui d’épervier, et de la gauche, dĂ©fendue par un petit bouclier nommĂ© parme, un long trident au manche d’érable et Ă  la triple pointe d’acier : sa tunique Ă©tait de drap bleu, ses cothurnes de cuir bleu, sa bottine de bronze dorĂ© ; son visage, au contraire de celui de son ennemi, Ă©tait dĂ©couvert, et sa tĂȘte n’avait d’autre protection qu’un long bonnet de laine bleue, auquel pendait un rĂ©seau d’or.
Les deux adversaires s’approchĂšrent l’un de l’autre, non pas en ligne droite, mais circulairement : le rĂ©tiaire tenant son filet prĂ©parĂ©, le mirmillon balançant son javelot. Lorsque le rĂ©tiaire se crut Ă  portĂ©e, il fit un bond rapide en avant, en mĂȘme temps qu’il lança son filet en le dĂ©veloppant ; mais aucun de ses mouvements n’avait Ă©chappĂ© au mirmillon, qui fit un bond pareil en arriĂšre ; le filet tomba Ă  ses pieds. Au mĂȘme moment, et avant que le rĂ©tiaire eĂ»t eu le temps de se couvrir de son bouclier, le javelot partit de la main du mirmillon ; mais son ennemi vit venir l’arme, et se baissa, pas si rapidement cependant que le trait qui devait l’atteindre Ă  la poitrine n’emportĂąt son Ă©lĂ©gante coiffure.
Alors le rĂ©tiaire, quoique armĂ© de son trident, se mit Ă  fuir, traĂźnant aprĂšs lui son filet, car il ne pouvait se servir de son arme que pour tuer son ennemi prisonnier dans les mailles : le mirmillon s’élança aussitĂŽt Ă  sa poursuite, mais sa course, retardĂ©e par sa lourde massue et par la difficultĂ© de voir Ă  travers les petits trous qui formaient la visiĂšre de son casque, donna le temps au rĂ©tiaire de prĂ©parer de nouveau son filet et de se retrouver en garde : aussitĂŽt la chose faite, il se remit en position, et le mirmillon en dĂ©fense.
Pendant sa course, le sĂ©cutor avait ramassĂ© son javelot, et pendu comme un trophĂ©e Ă  sa ceinture le bonnet de son adversaire : chaque combattant se retrouva donc avec ses armes ; cette fois ce fut le mirmillon qui commença : son javelot, lancĂ© une seconde fois de toute la force de son bras, alla frapper en plein dans le bouclier du rĂ©tiaire, traversa la plaque de bronze qui le recouvrait, puis les sept laniĂšres de cuir repliĂ©es les unes sur les autres, et alla effleurer sa poitrine : le peuple le crut blessĂ© Ă  mort, et de tous cĂŽtĂ©s s’élança le cri : « Il en tient ! il en tient ! »
Mais aussitĂŽt, le rĂ©tiaire Ă©cartant de sa poitrine son bouclier, oĂč Ă©tait restĂ© pendu le javelot, montra qu’il Ă©tait Ă  peine blessĂ© ; alors l’air retentit de cris de joie, car ce que craignaient avant tout les spectateurs, c’étaient les combats trop courts ; aussi regardait-on avec mĂ©pris, quoique la chose ne fĂ»t pas dĂ©fendue, les gladiateurs qui frappaient Ă  la tĂȘte.
Le mirmillon se mit Ă  fuir, car sa massue, arme terrible lorsqu’il poursuivait le rĂ©tiaire dĂ©sarmĂ© de son filet, lui devenait Ă  peu prĂšs inutile du moment oĂč celui-ci le portait sur son Ă©paule ; car, en s’approchant assez prĂšs de son adversaire pour le frapper, il lui donnait toute facilitĂ© de l’envelopper de ses mailles mortelles. Alors commença le spectacle d’une fuite dans toutes les rĂšgles, car la fuite Ă©tait aussi un art ; mais, dans l’une comme dans l’autre course, le mirmillon se trouvait empĂȘchĂ© par son casque ; bientĂŽt le rĂ©tiaire se trouva si prĂšs de lui, que des cris partirent pour avertir le Gaulois ; celui- ci vit qu’il Ă©tait perdu s’il ne se dĂ©barrassait promptement de son casque qui lui Ă©tait devenu inutile ; il ouvrit, en courant toujours, l’agrafe de fer qui le maintenait fermĂ©, et l’arrachant de sa tĂȘte, il le jeta loin de lui. Alors on reconnut avec Ă©tonnement dans le mirmillon un jeune homme d’une des plus nobles familles de Rome, nommĂ© Festus, qui avait pris ce casque Ă  visiĂšre bien plus pour se dĂ©guiser que pour se dĂ©fendre ; cette dĂ©couverte redoubla l’intĂ©rĂȘt que les spectateurs prenaient au combat.
DĂšs lors ce fut le jeune patricien qui gagna du terrain sur l’autre, qui, Ă  son tour, se trouvait embarrassĂ© de son bouclier percĂ© du javelot, qu’il n’avait pas voulu arracher de peur de rendre une arme Ă  son ennemi ; excitĂ© par les cris des spectateurs et par la fuite continue de son adversaire, il jeta loin de lui le bouclier et le trait, et se retrouva libre de ses mouvements ; mais alors, soit que le mirmillon vit dans cette action une imprudence qui Ă©galisait de nouveau le combat, soit qu’il fĂ»t las de fuir, il s’arrĂȘta tout Ă  coup, faisant tourner sa massue autour de sa tĂȘte ; le rĂ©tiaire, de son cĂŽtĂ©, prĂ©para son arme ; mais, avant qu’il fĂ»t Ă  portĂ©e de son ennemi, la massue, lancĂ©e en sifflant comme la poutre d’une catapulte, alla frapper le rĂ©tiaire au milieu de la poitrine ; celui-ci chancela un instant, puis tomba, abattu et couvert lui- mĂȘme des mailles de son propre filet. Festus alors s’élança sur le bouclier, en arracha le javelot, et d’un seul bond se retrouvant prĂšs de son ennemi, lui posa le fer de son arme sur la gorge, et interrogea le peuple pour savoir s’il devait le tuer ou lui faire grĂące. Toutes les mains alors s’élevĂšrent, les unes rapprochĂ©es, les autres isolĂ©es, en renversant le pouce ; mais comme il Ă©tait impossible au milieu de cette foule de distinguer la majoritĂ©, le cri : Aux vestales ! aux vestales ! se fit entendre : c’était l’appel en cas de doute. Festus se retourna donc vers le podium ; les douze vestales se levĂšrent : huit avaient le pouce renversĂ© : la majoritĂ© Ă©tait pour la mort ; en consĂ©quence, le rĂ©tiaire prit lui-mĂȘme la pointe du fer, l’appuya sur sa gorge, cria une derniĂšre fois : CĂ©sar est Dieu ! et sentit, sans pousser une plainte, le javelot de Festus lui ouvrir l’artĂšre du cou et pĂ©nĂ©trer jusqu’à sa poitrine.
Le peuple alors battit des mains au vainqueur et au vaincu, car l’un avait tuĂ© avec adresse et l’autre Ă©tait mort avec grĂące. Festus fit le tour de l’amphithĂ©Ăątre pour recevoir les applaudissements, et sortit par une porte tandis que l’on emportait par l’autre le corps de son ennemi.
AussitĂŽt un esclave entra avec un rĂąteau, retourna le sable pour effacer la trace du sang, et deux nouveaux combattants parurent dans la lice : c’étaient deux dimachĂšres.
Les dimachĂšres Ă©taient les raffinĂ©s du siĂšcle de NĂ©ron sans casque, sans cuirasse, sans bouclier, sans ocrĂ©a, ils combattaient, une Ă©pĂ©e de chaque main, comme faisaient nos cavaliers de la Fronde dans leurs duels Ă  la dague et au poignard ; aussi ces combats Ă©taient-ils regardĂ©s comme le triomphe de l’art, et quelquefois les champions n’étaient autres que les maĂźtres d’escrime eux-mĂȘmes. Cette fois, c’était un professeur et son Ă©lĂšve ; l’écolier avait si bien profitĂ© des leçons, qu’il venait attaquer le maĂźtre avec ses propres feintes ; quelques mauvais traitements qu’il en avait reçus avaient depuis longtemps fait germer une haine vivace au plus profond de son cƓur ; mais il l’avait dissimulĂ©e Ă  tous les yeux ; et dans l’intention de se venger un jour, il avait continuĂ© ses exercices journaliers, et fini par surprendre tous les secrets de la profession. Ce fut donc pour des spectateurs aussi artistes une chose curieuse Ă  voir que ces deux hommes qui, pour la premiĂšre fois, allaient substituer Ă  leurs jeux fictifs un combat rĂ©el, et changer leurs armes Ă©moussĂ©es contre des lames acĂ©rĂ©es et tranchantes. Aussi leur apparition fut-elle saluĂ©e par une triple salve d’applaudissements, qui cessĂšrent, aussitĂŽt que le maĂźtre des jeux eut donnĂ© le signal sur un geste de l’empereur, pour faire place au plus profond silence.
Les adversaires s’avancĂšrent l’un contre l’autre, animĂ©s de cette haine profonde qu’inspire toute rivalitĂ© ; mais cependant cette haine, qui jaillissait en Ă©clairs de leurs yeux, donnait une nouvelle circonspection Ă  l’attaque et Ă  la dĂ©fense, car c’était non seulement leurs vies qu’ils jouaient, mais encore la rĂ©putation que l’un possĂ©dait depuis longtemps, et que l’autre venait d’acquĂ©rir.
Enfin leurs Ă©pĂ©es se touchĂšrent ; deux serpents qui jouent, deux Ă©clairs qui se croisent, sont plus faciles Ă  suivre dans leur flamboyante rapiditĂ© que ne l’était le mouvement de l’épĂ©e qu’ils tenaient de la main droite et avec laquelle ils s’attaquaient, tandis que de la gauche ils paraient comme avec un bouclier. Passant successivement de l’attaque Ă  la dĂ©fense, et avec une rĂ©gularitĂ© merveilleuse, l’élĂšve fit d’abord reculer le maĂźtre jusqu’au pied du trĂŽne oĂč Ă©tait l’empereur, et le maĂźtre Ă  son tour fit reculer l’élĂšve jusqu’au podium, oĂč siĂ©geaient les vestales ; puis ils revinrent au milieu du cirque, sains et saufs tous deux, quoique vingt fois la pointe de chaque Ă©pĂ©e se fĂ»t approchĂ©e assez prĂšs de la poitrine pour dĂ©chirer la tunique sous laquelle elle cherchait le cƓur ; enfin le plus jeune des deux fit un bond en arriĂšre ; les spectateurs criĂšrent : il en tient ! Mais aussitĂŽt, quoique le sang coulĂąt par le bas de sa tunique, le long d’une de ses cuisses, il revint au combat, plus acharnĂ© qu’auparavant, et au bout de deux passes, ce fut le maĂźtre Ă  son tour qui indiqua, par un mouvement imperceptible Ă  des yeux moins exercĂ©s que ceux qui le regardaient, que la froide sensation du fer venait de passer dans ses veines ; mais cette fois aucun cri ne se fit entendre : l’extrĂȘme curiositĂ© est muette ; on n’entendait, Ă  quelques coups habilement portĂ©s ou parĂ©s, que ce frĂ©missement sourd qui indique Ă  l’acteur que si le public ne l’applaudit pas, ce n’est pas faute de l’apprĂ©cier, mais au contraire pour ne pas l’interrompre dans son jeu. Aussi chacun des combattants redoublait-il d’ardeur, et les Ă©pĂ©es continuĂšrent-elles de voltiger avec la mĂȘme vĂ©locitĂ©, si bien que cette singuliĂšre lutte menaçait de n’avoir pas d’autre fin que l’épuisement des forces, lorsque le maĂźtre, en reculant devant l’élĂšve, glissa et tomba tout Ă  coup : son pied avait portĂ© sur la terre fraĂźche de sang ; l’élĂšve, profitant de cet avantage que lui donnait le hasard, se prĂ©cipita sur lui ; mais au grand Ă©tonnement des spectateurs, on ne les vit se relever ni l’un ni l’autre ; le peuple tout entier se leva en joignant les deux mains et en criant : GrĂące ! libertĂ© ! mais aucun des deux combattants ne rĂ©pondit. Le maĂźtre des jeux entra alors dans le cirque, apportant de la part de l’empereur les palmes de victoire et les baguettes de libertĂ© ; mais il Ă©tait trop tard, les champions Ă©taient dĂ©jĂ , sinon victorieux, du moins libres : ils s’étaient enferrĂ©s l’un l’autre, et tuĂ©s tous deux.
Aux dimachĂšres devaient succĂ©der, comme nous l’avons dit, les andabates ; sans doute on les avait inscrits immĂ©diatement aprĂšs les dimachĂšres pour rĂ©jouir le peuple par un contraste ; car Ă  ces nouveaux gladiateurs l’art et l’adresse Ă©taient complĂštement inutiles ; ils allaient la tĂȘte entiĂšrement enfermĂ©e dans un casque qui n’avait d’ouverture qu’à la place de la bouche pour les laisser respirer ; et en face des oreilles pour qu’ils pussent entendre ; ils combattaient donc en aveugles. Le peuple se rĂ©jouissait fort, au reste, Ă  ce terrible colin-maillard oĂč chaque coup portait, les adversaires n’ayant aucune armure dĂ©fensive qui pĂ»t ni le repousser ni l’amortir.
Au moment oĂč les nouvelles victimes, car ces malheureux ne mĂ©ritaient pas le nom de combattants, Ă©taient introduites dans l’arĂšne, au milieu des Ă©clats de rire de la multitude, AnicĂ©tus s’approcha de l’empereur et lui remit des lettres. NĂ©ron les lut avec une grande inquiĂ©tude, et Ă  la derniĂšre une altĂ©ration profonde se peignit sur son visage. Il resta un instant pensif, puis, se levant tout Ă  coup, il s’élança hors du cirque en faisant signe de continuer les jeux malgrĂ© son absence ; cette circonstance, qui n’était pas nouvelle, car souvent des affaires pressantes appelaient inopinĂ©ment, au milieu d’une fĂȘte, les CĂ©sars au forum, au sĂ©nat ou au palatin, loin d’avoir un rĂ©sultat fĂącheux pour les plaisirs des spectateurs, leur donnait au contraire une nouvelle libertĂ©, car n’étant plus empĂȘchĂ© par la prĂ©sence de l’empereur, le peuple devenait alors vĂ©ritablement roi : les jeux comme l’avait ordonnĂ© NĂ©ron, continuĂšrent donc d’avoir leur cours, quoique CĂ©sar ne fĂ»t plus lĂ  pour y prĂ©sider.
Les deux champions se mirent donc en marche pour se rejoindre, traversant le cirque dans sa largeur ; Ă  mesure qu’ils s’approchaient l’un de l’autre, on les voyait, substituant le sens de l’ouĂŻe Ă  celui de la vue, essayer d’écouter le danger qu’ils ne pouvaient voir ; mais on comprend combien une pareille apprĂ©ciation Ă©tait trompeuse : aussi Ă©taient-ils encore loin l’un de l’autre qu’ils agitaient dĂ©jĂ  leurs Ă©pĂ©es, qui ne frappaient encore que l’air ; enfin excitĂ©s par ces cris : En avant, en avant ! Ă  droite ! Ă  gauche ! ils s’avancĂšrent avec plus de hardiesse ; mais, se dĂ©passant sans se toucher, ils finirent par se tourner le dos en continuant de se menacer. AussitĂŽt les Ă©clats de rire et les huĂ©es des spectateurs devinrent tels qu’ils s’aperçurent de ce qu’ils venaient de faire ; et, se retournant d’un mĂȘme mouvement, ils se retrouvĂšrent en face l’un de l’autre et Ă  portĂ©e : leurs Ă©pĂ©es se touchĂšrent, et en mĂȘme temps, frappant d’une maniĂšre diffĂ©rente, l’un reçut un coup de pointe dans la cuisse droite, l’autre un coup d’estoc sur le bras gauche. Chaque blessĂ© fit un mouvement, et les deux adversaires se trouvĂšrent de nouveau sĂ©parĂ©s, et ne sachant plus comment se rejoindre. Alors, l’un des deux se coucha Ă  terre pour Ă©couter le bruit des pas, et surprendre son ennemi, puis, comme il s’approchait, pareil Ă  un serpent cachĂ© qui darde sa langue, le gladiateur couchĂ© atteignit son adversaire une seconde fois ; celui-ci se sentant dangereusement blessĂ©, fit un pas rapide en avant, heurta du pied le corps de son ennemi, et alla tomber Ă  deux ou trois palmes de lui, mais, se relevant aussitĂŽt, il dĂ©crivit avec son Ă©pĂ©e un cercle horizontal si rapide et si vigoureux que l’arme, rencontrant le cou de son adversaire Ă  l’endroit oĂč cessait de le protĂ©ger le casque, lui enleva la tĂȘte de dessus les Ă©paules aussi habilement qu’eĂ»t pu le faire le bourreau ; le tronc resta un instant debout, tandis que la tĂȘte, enfermĂ©e dans son enveloppe de fer, roulait loin de lui, puis, faisant quelques pas stupides et insensĂ©s, comme s’il cherchait aprĂšs elle, il tomba sur le sable qu’il inonda de sang. Aux cris du peuple, le gladiateur qui Ă©tait restĂ© debout jugea que le coup qu’il venait de porter Ă©tait mortel, mais il ne continua pas moins de se tenir en dĂ©fense contre l’agonie de son adversaire. Alors un des maĂźtres entra et lui ouvrit son casque, en criant :
– Tu es libre et vainqueur.
Il sortit alors par la porte qu’on appelait sana vivaria, parce que c’était par elle que quittaient le cirque les combattants Ă©chappĂ©s Ă  la mort, tandis qu’on emportait le cadavre dans le spoliaire, espĂšce de caverne situĂ©e sous les degrĂ©s de l’amphithĂ©Ăątre, oĂč des mĂ©decins attendaient les blessĂ©s, et...

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