eBook - ePub
L'Enéide
Mr Virgile
This is a test
Partager le livre
- 425 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub
L'Enéide
Mr Virgile
DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations
Ă propos de ce livre
Ce poĂšme de dix mille vers conte l'histoire d'un jeune prince EnĂ©e, rescapĂ© du sac de Troie, qui mĂȘle Ă ses multiples pĂ©ripĂ©ties quelques compagnons d'infortune. Cet homme est Ă la genĂšse de la citĂ© de Rome.
Foire aux questions
Comment puis-je résilier mon abonnement ?
Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier lâabonnement ». Câest aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Puis-je / comment puis-je télécharger des livres ?
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via lâapplication. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Quelle est la différence entre les formules tarifaires ?
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă la bibliothĂšque et Ă toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode dâabonnement : avec lâabonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă 12 mois dâabonnement mensuel.
Quâest-ce que Perlego ?
Nous sommes un service dâabonnement Ă des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă celui dâun seul livre par mois. Avec plus dâun million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce quâil vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Prenez-vous en charge la synthÚse vocale ?
Recherchez le symbole Ăcouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez lâĂ©couter. Lâoutil Ăcouter lit le texte Ă haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, lâaccĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Est-ce que L'Enéide est un PDF/ePUB en ligne ?
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă L'EnĂ©ide par Mr Virgile en format PDF et/ou ePUB ainsi quâĂ dâautres livres populaires dans Literature et Historical Fiction. Nous disposons de plus dâun million dâouvrages Ă dĂ©couvrir dans notre catalogue.
Informations
LIVRE XII
LIVRE XII
Turnus, voyant que les Latins, dont les revers ont brisĂ© les efforts, commencent Ă lĂącher prise, quâon le somme de tenir ses promesses et quâil est le point de mire de tous les yeux, nâen est que plus ardent, plus implacable ; et son cĆur sâen exalte davantage. Dans la plaine carthaginoise le lion, lorsque les chasseurs ont atteint sa poitrine dâune rude blessure, alors seulement met en jeu toutes ses armes, se plaĂźt Ă secouer sa criniĂšre sur son cou musculeux, rompt sans effroi le trait dont lâhomme embusquĂ© lâa percĂ© et rugit dâune gueule sanglante : ainsi la violence grandit dans lâĂąme enflammĂ©e de Turnus. Il sâadresse au roi et commence bouillonnant de colĂšre : « Turnus nâhĂ©site pas ; les lĂąches compagnons dâĂnĂ©e nâont aucune raison de se rĂ©tracter et de se refuser Ă tenir leur engagement. Je cours au combat ; prĂ©pare le sacrifice, pĂšre, et prononce la formule du traitĂ©. Ou cette main fera descendre au Tartare le Dardanien, ce dĂ©serteur de lâAsie, â que les Latins restent assis et regardent ! â et seul, Ă la force de lâĂ©pĂ©e, je nous laverai de notre commune honte ; ou alors que cet homme nous ait en son pouvoir, et que Lavinia soit son Ă©pouse. »
Latinus lui rĂ©pondit dâun cĆur apaisĂ© ; « Magnanime jeune homme, plus tu lâemportes par ton fier courage, plus il est juste que je rĂ©flĂ©chisse et que, dans la crainte que jâĂ©prouve, je pĂšse tous les hasards. Tu as un royaume, celui de ton pĂšre Daunus ; tu as de nombreuses places fortes, tes conquĂȘtes. Latinus est riche, et il est libĂ©ral. Il y a dans le Latium et dans le pays des Laurentes dâautres jeunes filles Ă marier dont la naissance nâest point indigne de toi. Laisse-moi tâexposer sans rĂ©ticence des choses pĂ©nibles Ă dire et retiens mes paroles. Il mâĂ©tait interdit de marier ma fille Ă aucun de ses anciens prĂ©tendants : câĂ©tait lâordre des dieux et des devins. Je cĂ©dai Ă lâaffection que jâavais pour toi ; je cĂ©dai Ă la communautĂ© du sang, aux larmes et Ă la douleur de ma femme ; jâai rompu tous les liens ; jâai repris ma fille Ă mon gendre malgrĂ© ma promesse ; je me suis armĂ© contre la volontĂ© des dieux. De ce jour, que de malheurs, que de guerres me poursuivent, tu le vois, Turnus, et quelles Ă©preuves ! Tu es le premier Ă les subir. Vaincus deux fois dans une grande bataille, câest Ă peine si cette ville peut abriter les espoirs de lâItalie. Les flots du Tibre fument encore de notre sang, et nos ossements blanchissent lâimmensitĂ© de la plaine. Pourquoi revenir si souvent sur mes pas ? Quelle folie bouleverse ma raison ? La mort de Turnus doit mâamener Ă conclure une alliance avec les Troyens : pourquoi ne pas arrĂȘter les combats pendant quâil est encore vivant ? Que diront les Rutules, nos frĂšres par le sang ? Que dira le reste de lâItalie si je te livre Ă la mort â puisse le sort dĂ©mentir ces paroles ! â au moment oĂč tu recherchais ma fille en mariage ? Songe aux hasards de la guerre ; prends pitiĂ© de ton pĂšre chargĂ© dâannĂ©es, que maintenant sa patrie, ArdĂ©e, retient loin de nous et qui sâafflige. » Ces paroles ne flĂ©chissent pas la violence de Turnus ; elles ne font que lâexaspĂ©rer et, loin de la calmer, irritent sa blessure. DĂšs quâil peut sâexprimer, il rĂ©pond : « Quitte, je tâen prie, ĂŽ le meilleur des rois, quitte ce souci que tu prends de moi, et laisse-moi acheter la gloire au prix de ma mort. Nous aussi, mon pĂšre, nous lançons des traits, et le fer dans nos mains nâest point dĂ©bile : le sang coule des blessures que nous faisons. Sa mĂšre, la dĂ©esse, ne sera pas toujours lĂ pour couvrir sa fuite dâun nuage bien fĂ©minin et pour se cacher elle-mĂȘme dans une ombre vaine. »
Mais la reine, Ă©pouvantĂ©e des nouvelles conditions de la bataille, versait des larmes et, toute prĂȘte Ă mourir, essayait de modĂ©rer lâardeur de son gendre : « Turnus, je tâen supplie par ces pleurs, par tes Ă©gards envers Amata, si tu en as pour elle, â tu es le seul espoir, lâunique appui, de ma misĂ©rable vieillesse ; tu as entre les mains lâhonneur et le pouvoir de Latinus, et notre maison chancelante repose sur toi, â je ne tâadresse quâune priĂšre : renonce Ă te battre contre les Troyens. Quelque sort que te rĂ©serve ce combat, il me le rĂ©serve aussi. En mĂȘme temps que toi je quitterai cette odieuse lumiĂšre, et je ne verrai pas, captive, ĂnĂ©e mon gendre. » Les paroles de sa mĂšre inondĂšrent de larmes les joues brĂ»lantes de Lavinia. Une vive rougeur enflamma son visage et y fit courir une bouffĂ©e de chaleur. Lâivoire indien sâaltĂšre au contact dâune pourpre sanglante ; les lis blancs mĂȘlĂ©s Ă un bouquet de roses se teignent de leurs chaudes couleurs : ainsi se colorait le visage de la jeune fille. TroublĂ© dâamour, Turnus attache ses yeux sur elle ; son ardeur guerriĂšre croĂźt encore, et il rĂ©pond briĂšvement Ă Amata : « Je tâen prie, Ă©pargne-moi ces larmes et ces mauvais prĂ©sages Ă lâinstant oĂč je cours aux dures batailles de Mars, ĂŽ ma mĂšre. Il nâappartient pas Ă Turnus de retarder sa mort. Sois mon messager, Idmon ; porte au tyran phrygien ces paroles qui ne seront pas de son goĂ»t : demain, lorsque traĂźnĂ©e dans son char de pourpre lâAurore rougira le ciel, quâil ne pousse pas ses Troyens contre les Rutules ; que les armes des Rutules et des Troyens se reposent ; Ă nous de terminer la guerre dans notre propre sang ; que, sur ce champ de bataille, le vainqueur gagne la main de Lavinia. »
Quand il eut prononcĂ© ces mots, il rentra rapidement dans sa demeure. Il demande ses chevaux et se rĂ©jouit de voir frĂ©mir sous ses yeux ces bĂȘtes quâOrithye avait donnĂ©es comme une marque dâhonneur Ă Pilumnus, ces bĂȘtes merveilleuses qui passaient la neige en blancheur, les vents en vitesse. Les cochers sâempressent autour dâelles ; du creux de leurs mains, ils flattent les poitrails et peignent les criniĂšres. Puis Turnus endosse lui-mĂȘme sa cuirasse hĂ©rissĂ©e dâor et de pĂąle orichalque. En mĂȘme temps, il ajuste habilement son Ă©pĂ©e, son bouclier et son casque aux rouges aigrettes. Cette Ă©pĂ©e, le dieu maĂźtre du feu lâavait faite pour Daunus son pĂšre et lâavait trempĂ©e incandescente dans les eaux du Styx. Ensuite il saisit vigoureusement une forte lance appuyĂ©e, au milieu du palais, contre une Ă©norme colonne. Il en avait dĂ©pouillĂ© lâAuronce Actor et il la brandit frĂ©missante en sâĂ©criant : « Le temps est venu, ĂŽ lance que je nâai jamais appelĂ©e en vain ! Le temps est venu : le puissant Actor tâa portĂ©e ; câest maintenant le tour de Turnus. Accorde-moi dâabattre le corps de cet eunuque phrygien. Fais que mon robuste bras arrache et mette en piĂšces sa cuirasse et que je souille de poussiĂšre ses cheveux frisĂ©s au fer chaud et parfumĂ©s de myrrhe ! » Ainsi les furies lâagitent ; tout son ardent visage jette des Ă©tincelles ; le feu brille dans ses yeux durs. Ainsi un taureau, lorsque, pour la premiĂšre fois, il va combattre, pousse dâeffroyables mugissements, sâexaspĂšre, Ă©prouve ses cornes contre le tronc dâun arbre, fatigue lâair de ses coups et prĂ©lude au combat en Ă©parpillant lâarĂšne.
Non moins farouche cependant sous les armes maternelles, ĂnĂ©e sent Mars sâĂ©veiller en lui et sa fureur grandir ; il est heureux quâon lui propose ce combat singulier pour terminer la guerre. Il rassure ses compagnons ; il calme les craintes dâIule ; il leur rappelle les oracles. Ses envoyĂ©s, des guerriers, portent Ă Latinus sa rĂ©ponse dĂ©cisive et lui font connaĂźtre les conditions de la paix.
Ă peine le jour du lendemain rĂ©pandait-il sa lumiĂšre sur la cime des montagnes, Ă lâheure oĂč les chevaux du Soleil sâĂ©lancent des profondeurs de la mer et soufflent de la lumiĂšre par leurs naseaux levĂ©s, Rutules et Troyens, au pied des murs de la grande ville, prĂ©paraient dĂ©jĂ et mesuraient le terrain du combat. Au milieu ils dressaient les foyers sacrĂ©s et les autels de gazon pour les dieux quâils prendraient Ă©galement Ă tĂ©moin. Dâautres apportaient lâeau de source et le feu, vĂȘtus de la jupe Ă bordure de pourpre et les tempes ceintes de verveine. La lĂ©gion des Ausoniens sâavance ; les portes grandes ouvertes dĂ©versent ces rĂ©giments armĂ©s de leurs javelots. De lâautre cĂŽtĂ©, toute lâarmĂ©e troyenne et tyrrhĂ©nienne se prĂ©cipite avec la diversitĂ© de ses armes, hĂ©rissĂ©e de fer comme si Mars lâappelait Ă ses rudes batailles. Parmi ces milliers dâhommes voltigent les chefs superbement ornĂ©s de pourpre et dâor : le fils dâAssaracus, MnesthĂ©e, le brave Asilas, et Messape, dompteur de chevaux, Messape fils de Neptune. Quand au signal donnĂ© chacun se fut retirĂ© dans ses limites, ils plantent leurs lances en terre et dĂ©posent leurs boucliers. Alors, entraĂźnĂ©s par leur curiositĂ©, les femmes, le peuple sans armes, les vieillards dĂ©biles ont occupĂ© les tours et les toits des maisons ; les autres se rangent sur le haut des portes.
Cependant Junon, regardant de la cime quâon nomme aujourdâhui le Mont Albain, mais qui alors nâavait pas de nom, pas dâhonneur, pas de gloire, considĂ©rait la plaine, les deux armĂ©es des Laurentes et des Troyens et la ville de Latinus. Tout Ă coup, elle sâest adressĂ©e, dĂ©esse Ă une dĂ©esse, Ă la sĆur de Turnus qui prĂ©side aux marais dormants et aux riviĂšres sonores : le trĂšs haut roi du ciel, Jupiter, lui avait accordĂ© cet honneur sacrĂ© pour prix de sa virginitĂ© quâil avait prise. « Nymphe, lâhonneur des fleuves, toi qui es si chĂšre Ă notre cĆur, tu sais comment, parmi toutes les femmes latines qui ont partagĂ©, sans avoir Ă sâen louer, la couche du magnanime Jupiter, jâai fait une exception en ta faveur et comment Ă toi seule jâai bien voulu donner une place au ciel ; apprends ta douloureuse infortune, Juturne, et ne mâen accuse pas. Dans la mesure oĂč la Fortune semblait lâadmettre et oĂč les Parques autorisaient le succĂšs du Latium, jâai protĂ©gĂ© Turnus et tes remparts. Maintenant je vois que ce jeune homme affronte un destin supĂ©rieur au sien et quâune force ennemie et le jour des Parques approchent. Je ne puis ĂȘtre tĂ©moin de ce combat ni de cette alliance. Si tu oses tenter quelque chose de plus efficace pour ton frĂšre, hĂąte-toi, cela te convient. Peut-ĂȘtre notre misĂšre en Ă©prouvera-t-elle un adoucissement. » Ă peine eut-elle parlĂ©, Juturne Ă©clata en larmes et trois et quatre fois de sa main frappa sa belle poitrine. « Le moment nâest pas aux pleurs, dit la Saturnienne Junon ; dĂ©pĂȘche-toi et, si câest possible, arrache ton frĂšre Ă la mort. Ou encore fais de nouveau se rallumer la guerre et dĂ©chire le traitĂ© conclu. Je prends tes audaces Ă mon compte. » Ces exhortations laissaient Juturne hĂ©sitante, lâĂąme blessĂ©e et dĂ©semparĂ©e par sa triste blessure.
Cependant voici les rois : Latinus Ă la taille puissante, traĂźnĂ© dans un quadrige, le front ceint de douze rayons dâor brillant, symbole du Soleil, son ancĂȘtre ; Turnus sur un char attelĂ© de deux chevaux blancs, brandissant de sa main deux lances au large fer ; de son cĂŽtĂ©, ĂnĂ©e, le pĂšre et le fondateur de la race romaine, sous son bouclier qui a lâĂ©clat dâun astre et sous ses armes divines, et prĂšs de lui Ascagne, seconde espoir de la puissante Rome, sâavancent hors du camp ; dans sa robe blanche, un prĂȘtre a conduit un porcelet et une brebis dont la toison est vierge du fer et les a approchĂ©s des autels embrasĂ©s. Les rois, les yeux tournĂ©s vers le soleil levant, offrent de leurs mains les galettes salĂ©es, puis marquent avec le fer le sommet du front des bĂȘtes et rĂ©pandent des libations sur lâautel. Alors le pieux ĂnĂ©e, lâĂ©pĂ©e haute, fait cette priĂšre : « Que le soleil me soit tĂ©moin et tĂ©moin cette terre que jâinvoque et pour laquelle jâai pu supporter de si grandes Ă©preuves : ĂŽ PĂšre tout-puissant et toi, Saturnienne, son Ă©pouse, que je supplie de nous ĂȘtre maintenant, oui maintenant, plus favorable ; et toi, illustre Mars, ĂŽ pĂšre dont la volontĂ© tient le gouvernail de toutes les guerres, je vous implore, Fontaines et Fleuves et tout ce que nous adorons dans les hauteurs du ciel et toutes les divinitĂ©s de la mer cĂ©rulĂ©enne. Si le sort donne la victoire Ă lâAusonien Turnus, il est convenu que les Troyens se retireront vers la ville dâĂvandre ; Iule abandonnera ce territoire et dĂ©sormais mes compagnons, qui ne seront pas des rebelles, ne reprendront pas les armes et ne tourneront plus le fer contre ce royaume. Mais si la Victoire consent Ă ce que Mars soit pour nous, â comme je le crois plutĂŽt, et plaise aux dieux de confirmer cet espoir, â je nâordonnerai pas aux Italiens dâobĂ©ir aux Troyens ; je ne revendiquerai pas la royautĂ© pour moi : que les deux nations invaincues entrent sous des lois Ă©gales dans une alliance Ă©ternelle ; je leur donnerai mes rites sacrĂ©s et mes dieux. Mon beau-pĂšre Latinus conservera le pouvoir militaire ; mon beau-pĂšre gardera le pouvoir traditionnel ; les Troyens me bĂątiront Ă moi une ville et Lavinia lui donnera son nom. »
Ce fut ainsi quâĂnĂ©e parla dâabord. AprĂšs lui, Latinus, les regards et les mains tournĂ©s vers le ciel : « Jâen atteste, ĂnĂ©e, ces mĂȘmes divinitĂ©s, la Terre, la Mer, les Astres, la double descendance de Latone, Janus aux deux visages, la force des dieux infernaux et le sĂ©jour sacrĂ© du farouche Pluton. Quâil mâentende aussi, le PĂšre qui de sa foudre sanctionne les traitĂ©s. La main sur lâautel, jâatteste les feux placĂ©s entre nous et les divinitĂ©s : quelles que soient les circonstances, jamais le jour ne se lĂšvera qui verrait les Italiens rompre cette paix et cette alliance. Aucune force ne brisera ma volontĂ©, dĂ»t-elle prĂ©cipiter la terre dans le dĂ©luge des flots et abĂźmer le ciel dans le Tartare, non, aussi vrai que ce sceptre â et son sceptre se trouvait dans sa droite â nâĂ©tendra plus de branches au lĂ©ger feuillage ni dâombre, depuis que, coupĂ© dans la forĂȘt de sa souche profonde, il nâa plus de mĂšre et que, sous le fer, il a perdu sa chevelure et ses bras : arbre jadis, aujourdâhui enfermĂ© par lâartiste dans un beau cercle dâairain, insigne royal aux mains des chefs du Latium. »
Ils scellaient ainsi leur alliance sous les regards des capitaines de lâarmĂ©e. Puis, selon le rite, ils Ă©gorgent au-dessus des flammes les bĂȘtes consacrĂ©es ; ils en arrachent les entrailles encore palpitantes et chargent les autels des bassins qui en sont remplis.
Mais, depuis longtemps dĂ©jĂ , le combat paraissait inĂ©gal aux Rutules, et des mouvements divers leur agitaient le cĆur. Leur Ă©motion sâaccroĂźt Ă mesure que lâinĂ©galitĂ© des deux rivaux leur devient plus visible. Lâattitude de Turnus confirme leur crainte, la dĂ©marche silencieuse du jeune homme qui, devant lâautel, les yeux baissĂ©s, sâincline comme un suppliant, le duvet de lâadolescence sur les joues et, malgrĂ© sa jeunesse, tout pĂąle. DĂšs que sa sĆur Juturne sent le murmure grandir et voit les cĆurs incertains chanceler, elle descend au milieu des troupes rangĂ©es : elle a empruntĂ© la forme de Camers, guerrier de noble race, dont le pĂšre avait illustrĂ© son nom par son courage et qui Ă©tait lui-mĂȘme terrible Ă la bataille. Elle descend donc au milieu des troupes, sachant bien ce quâelle veut et rĂ©pand ainsi les bruits les plus divers : « Nâavez-vous pas honte, ĂŽ Rutules, dâexposer une seule vie pour les braves que nous sommes tous ? Nâavons-nous pas lâĂ©galitĂ© du nombre et de la force ? Les voici tous, Troyens et Arcadiens, avec la troupe levĂ©e par le destin, avec lâĂtrurie hostile Ă Turnus. Chacun de nous trouverait Ă peine un adversaire si nous ne combattions quâun sur deux. Les dieux, aux autels de qui Turnus se dĂ©voue, Ă©lĂšveront sa renommĂ©e jusquâĂ eux et mettront sa gloire sur toutes les lĂšvres ; mais nous autres qui aurons perdu notre patrie, nous serons forcĂ©s dâobĂ©ir Ă ces maĂźtres superbes, pour ĂȘtre maintenant restĂ©s les bras croisĂ©s dans nos champs ! » Ces paroles enflamment de plus en plus lâesprit de la jeunesse et une rumeur court par toute lâarmĂ©e. Les Laurentes eux-mĂȘmes, les Latins eux-mĂȘmes sont changĂ©s. Ils espĂ©raient tout Ă lâheure la cessation des combats, le salut par la paix ; maintenant ce sont des armes quâils demandent et la rupture du traitĂ©, et ils prennent en pitiĂ© le sort immĂ©ritĂ© de Turnus.
Juturne joint Ă ses paroles un stratagĂšme encore plus puissant. Des hauteurs du ciel elle envoie aux Italiens un tel prodige quâil nây en eut jamais de plus propre Ă troubler leur esprit et Ă les tromper. Le fauve oiseau de Jupiter poursuivait sous le ciel empourprĂ© les oiseaux du rivage et leur troupe ailĂ©e et bruissante, lorsque soudain il fondit sur les eaux, et le cruel saisit de ses serres crochues un cygne magnifique. Lâattention des Italiens se fixe sur ce spectacle. Ă merveille ! Tous les oiseaux Ă grands cris font volte-face. Leurs ailes obscurcissaient le ciel ; ce nuage vient, Ă travers les airs, accabler lâennemi tant quâenfin, vaincu par la force et par son fardeau, il succombe, ouvre ses serres, laisse tomber sa proie dans le fleuve et sâenfuit au plus profond des nues. Alors les Rutules saluent dâune clameur et de leurs mains levĂ©es ce prĂ©sage ; et, le premier, lâaugure Tolumnius sâĂ©crie : « Voici, voici le signe que dans mes vĆux jâai si souvent demandĂ© ; je lâaccepte et je reconnais la volontĂ© des dieux. Suivez-moi ; saisissez vos armes, malheureux quâun misĂ©rable Ă©tranger attaque et Ă©pouvante comme de faibles oiseaux, lui dont la violence dĂ©sole vos rivages. Mais il prendra la fuite ; il dĂ©ploiera ses voiles au loin sur la haute mer. Pour vous, tous tant que vous ĂȘtes, serrez vos rangs, allez vous battre et dĂ©fendre votre roi quâon veut vous ravir. » Il dit, court Ă la rencontre des ennemis et lance un javelot. Le trait, lancĂ© dâune main sĂ»re, rend un son strident et fend les airs. En mĂȘme temps sâĂ©lĂšve une immense clameur ; le dĂ©sordre se met dans tous les rangs, un ardent tumulte dans tous les cĆurs. Le trait volant arrive par hasard sur neuf beaux jeunes gens, neuf frĂšres quâune mĂȘme TyrrhĂ©nienne, son Ă©pouse fidĂšle, avait donnĂ©s Ă lâArcadien Gylippe ; lâun dâeux est atteint au milieu du corps, lĂ oĂč le baudrier cousu presse la poitrine et oĂč lâagrafe en mord les deux extrĂ©mitĂ©s ; lâadmirable jeune homme aux armes Ă©tincelantes a les cĂŽtes transpercĂ©es et tombe sur la fauve arĂšne. De ses frĂšres, phalange impĂ©tueuse et brĂ»lante de douleur, les uns dĂ©gainent leur Ă©pĂ©e, les autres saisissent leurs javelots, et ils se ruent en aveugles. Contre eux accourent les bataillons des Laurentes, et voici que les Troyens dĂ©bordent en rangs serrĂ©s et les Agyllins et les Arcadiens aux armes peintes. La mĂȘme passion guerriĂšre les possĂšde tous. Ils ont pillĂ© les autels ; lâair nâest plus quâune tempĂȘte tourbillonnante de traits et une grĂȘle de fer ; on enlĂšve les cratĂšres et les feux sacrĂ©s. Latinus lui-mĂȘme sâenfuit emportant ses dieux outragĂ©s par la rupture du traitĂ©. Les autres attellent leurs chars ou, dâun bond, sautent sur leurs chevaux et sont lĂ lâĂ©pĂ©e nue.
Le TyrrhĂ©nien Auleste Ă©tait roi et portait les insignes de roi. Messape, qui avait tant dĂ©sirĂ© que le traitĂ© fĂ»t rompu, pousse contre lui son cheval et lâeffraie ; Auleste recule, tombe, et roule Ă la renverse, le malheureux, de la tĂȘte et des Ă©paules, sur les autels. Alors lâardent Messape vole avec sa lance, et, malgrĂ© les priĂšres du vaincu, du haut de son cheval il le frappe rudement de son arme Ă©norme et sâĂ©crie : « Il a son compte ! Voici une victime qui sera plus agrĂ©able aux grands dieux ! » Les Italiens sâĂ©lancent et dĂ©pouillent le cadavre encore chaud. CorynĂ©e arrache de lâautel un tison ardent, et comme Ălysus sâavançait pour lui porter un coup, il le devance et lui jette le feu au visage. La grande barbe dâĂlysus flambe et rĂ©pand une acre odeur ; CorynĂ©e poursuit son ennemi Ă©pouvantĂ©, saisit de la main gauche sa chevelure, le couche Ă terre sous lâeffort de son genou et, dans cette position, lui perce le flanc de sa roide Ă©pĂ©e. Podalirius poursuit le pĂątre Alsus qui, Ă travers les traits, sâĂ©tait Ă©lancĂ© au premier rang ; il le presse, lâĂ©pĂ©e nue sur lui ; mais Alsus se retourne et dâun coup de hache lui fend la tĂȘte du front jusquâau menton ; le sang coule et arrose largement les armes du guerrier. Un lourd repos et un sommeil de fer tombent sur ses paupiĂšres ; ses yeux se ferment pour une nuit Ă©ternelle.
De son cĂŽtĂ©, le pieux ĂnĂ©e tendait ses mains dĂ©sarmĂ©es, la tĂȘte nue, et de ses cris rappelait les siens : « OĂč courez-vous ? DâoĂč vous vient cette soudaine discorde ? RĂ©primez votre fureur. Le traitĂ© est conclu ; toutes les questions rĂ©glĂ©es. Moi seul, jâai le droit de combattre ; laissez-moi et bannissez toute crainte. La valeur de mon bras affermira ce traitĂ©. Turnus est Ă moi ; ces sacrifices me le donnent. » Au moment oĂč il Ă©levait la voix et prononçait ces sages paroles, une flĂšche aux ailes stridentes le frappe. Quelle main lâa lancĂ©e ? Quelle force lâa dirigĂ©e ? On lâignore. Qui a permis que les Rutules eussent une telle gloire, le hasard ou un dieu ? Le silence sâest Ă©paissi sur lâhonneur de ce haut fait. Personne ne sâest vantĂ© dâavoir blessĂ© ĂnĂ©e.
Quand Turnus voit ĂnĂ©e se retirer du combat et ses capitaines bouleversĂ©s, une subite espĂ©rance rĂ©enflamme son ardeur. Il demande Ă la fois ses chevaux et ses armes ; dâun bond, il sâĂ©lance superbe sur son char et saisit les rĂȘnes. Il vole, et de robustes hommes descendent en grand nombre aux Enfers. Il en renverse beaucoup qui sont Ă demi morts ; il Ă©crase des bataillons sous les roues de son char et accable les fuyards de javelots lancĂ©s Ă la hĂąte. Lorsque, rapide sur les bords de lâHĂšbre glacĂ©, le sanglant Mars fait retentir son bouclier et, dĂ©chaĂźnant la guerre, lĂąche la bride Ă ses chevaux furieux, ceux-ci dans la plaine ouverte dĂ©passent en volant le Notus et le ZĂ©phyr ; les profondeurs de la Thrace gĂ©missent sous leur sabot ; autour dâeux se presse le cortĂšge du dieu, lâĂpouvante au noir visage, la ColĂšre et les EmbĂ»ches : de mĂȘme, lâimpĂ©tueux Turnus pousse dans la mĂȘlĂ©e ses chevaux fumant de sueur, qui bondissent impitoyablement sur les cadavres ennemis ; leurs rapides sabots Ă©parpillent une rosĂ©e sanglante, et le sable quâils foulent est trempĂ© de sang. Il a dĂ©jĂ donnĂ© Ă la Mort SthĂ©nĂ©lus, Thamyrus et Pholus, ces deux derniers en les attaquant de prĂšs ; lâautre, de loin. Et câest de loin quâil a tuĂ© les deux fils dâImbrasus, Glaucus et LadĂšs, que leur pĂšre, en Lycie, avait Ă©galement instruits et armĂ©s pour combattre corps Ă corps ou pour devancer Ă cheval la rapiditĂ© des vents.
EumĂšde, sur un autre point, se prĂ©cipite au milieu du combat : câest le fils, illustre Ă la guerre, de lâantique Dolon ; sâil porte le nom de son aĂŻeul, son courage et sa force rappellent son pĂšre, le guerrier qui jadis, pour aller espionner au camp des Danaens, osa demander comme rĂ©compense le char du fils de PelĂ©e ; mais cette audace reçut un autre prix du fils de TydĂ©e, et il nâambitionna plus la possession des chevaux dâAchille. Lorsque Turnus aperçut au loin cet EumĂšde dans la plaine dĂ©couverte, il lui lança dâabord, Ă travers lâĂ©tendue vide, un lĂ©ger javelot ; puis il arrĂȘte ses deux chevaux, saute Ă bas de son char, se jette sur lâhomme tombĂ© et presque inanimĂ©, lui met le pied sur le cou, lui arrache son Ă©pĂ©e et la lui plonge Ă©tincelante au plus profond de la gorge, en ajoutant ces mots : « Te voici Ă mĂȘme, Troyen, de mesurer avec ton corps les champs de cette HespĂ©rie que tu es venu conquĂ©rir. Câest le prix que je rĂ©serve Ă ceux qui osent me dĂ©fier les armes Ă la main ; câest ainsi quâils fondent leurs remparts. » Dâun coup de son javelot il lui donne comme compagnons dans la mort AsbytĂšs, ChlorĂ©e, Sybaris, DarĂšs, Thersiloque, ThymĂ©tĂšs enfin, tombĂ© du cou de son cheval rĂ©tif. Lorsque le souffle du BorĂ©e de Thrace retentit au large de la mer ĂgĂ©e, les flots courent aprĂšs lui jusquâau rivage et, sous la poussĂ©e des vents, les nuages fuient dans le ciel : ainsi partout oĂč Turnus se taille un chemin, les bataillons reculent, les troupes alignĂ©es tournent le dos et fuient prĂ©cipitamment. Son Ă©lan lâemporte lui-mĂȘme et sur son char, qui vole contre le vent, lâair agite so...