L'Enéide
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Mr Virgile

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Ce poĂšme de dix mille vers conte l'histoire d'un jeune prince EnĂ©e, rescapĂ© du sac de Troie, qui mĂȘle Ă  ses multiples pĂ©ripĂ©ties quelques compagnons d'infortune. Cet homme est Ă  la genĂšse de la citĂ© de Rome.

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Informations

Éditeur
Books on Demand
Année
2020
ISBN
9782322223794
Édition
1

LIVRE XII

LIVRE XII
Turnus, voyant que les Latins, dont les revers ont brisĂ© les efforts, commencent Ă  lĂącher prise, qu’on le somme de tenir ses promesses et qu’il est le point de mire de tous les yeux, n’en est que plus ardent, plus implacable ; et son cƓur s’en exalte davantage. Dans la plaine carthaginoise le lion, lorsque les chasseurs ont atteint sa poitrine d’une rude blessure, alors seulement met en jeu toutes ses armes, se plaĂźt Ă  secouer sa criniĂšre sur son cou musculeux, rompt sans effroi le trait dont l’homme embusquĂ© l’a percĂ© et rugit d’une gueule sanglante : ainsi la violence grandit dans l’ñme enflammĂ©e de Turnus. Il s’adresse au roi et commence bouillonnant de colĂšre : « Turnus n’hĂ©site pas ; les lĂąches compagnons d’ÉnĂ©e n’ont aucune raison de se rĂ©tracter et de se refuser Ă  tenir leur engagement. Je cours au combat ; prĂ©pare le sacrifice, pĂšre, et prononce la formule du traitĂ©. Ou cette main fera descendre au Tartare le Dardanien, ce dĂ©serteur de l’Asie, – que les Latins restent assis et regardent ! – et seul, Ă  la force de l’épĂ©e, je nous laverai de notre commune honte ; ou alors que cet homme nous ait en son pouvoir, et que Lavinia soit son Ă©pouse. »
Latinus lui rĂ©pondit d’un cƓur apaisĂ© ; « Magnanime jeune homme, plus tu l’emportes par ton fier courage, plus il est juste que je rĂ©flĂ©chisse et que, dans la crainte que j’éprouve, je pĂšse tous les hasards. Tu as un royaume, celui de ton pĂšre Daunus ; tu as de nombreuses places fortes, tes conquĂȘtes. Latinus est riche, et il est libĂ©ral. Il y a dans le Latium et dans le pays des Laurentes d’autres jeunes filles Ă  marier dont la naissance n’est point indigne de toi. Laisse-moi t’exposer sans rĂ©ticence des choses pĂ©nibles Ă  dire et retiens mes paroles. Il m’était interdit de marier ma fille Ă  aucun de ses anciens prĂ©tendants : c’était l’ordre des dieux et des devins. Je cĂ©dai Ă  l’affection que j’avais pour toi ; je cĂ©dai Ă  la communautĂ© du sang, aux larmes et Ă  la douleur de ma femme ; j’ai rompu tous les liens ; j’ai repris ma fille Ă  mon gendre malgrĂ© ma promesse ; je me suis armĂ© contre la volontĂ© des dieux. De ce jour, que de malheurs, que de guerres me poursuivent, tu le vois, Turnus, et quelles Ă©preuves ! Tu es le premier Ă  les subir. Vaincus deux fois dans une grande bataille, c’est Ă  peine si cette ville peut abriter les espoirs de l’Italie. Les flots du Tibre fument encore de notre sang, et nos ossements blanchissent l’immensitĂ© de la plaine. Pourquoi revenir si souvent sur mes pas ? Quelle folie bouleverse ma raison ? La mort de Turnus doit m’amener Ă  conclure une alliance avec les Troyens : pourquoi ne pas arrĂȘter les combats pendant qu’il est encore vivant ? Que diront les Rutules, nos frĂšres par le sang ? Que dira le reste de l’Italie si je te livre Ă  la mort – puisse le sort dĂ©mentir ces paroles ! – au moment oĂč tu recherchais ma fille en mariage ? Songe aux hasards de la guerre ; prends pitiĂ© de ton pĂšre chargĂ© d’annĂ©es, que maintenant sa patrie, ArdĂ©e, retient loin de nous et qui s’afflige. » Ces paroles ne flĂ©chissent pas la violence de Turnus ; elles ne font que l’exaspĂ©rer et, loin de la calmer, irritent sa blessure. DĂšs qu’il peut s’exprimer, il rĂ©pond : « Quitte, je t’en prie, ĂŽ le meilleur des rois, quitte ce souci que tu prends de moi, et laisse-moi acheter la gloire au prix de ma mort. Nous aussi, mon pĂšre, nous lançons des traits, et le fer dans nos mains n’est point dĂ©bile : le sang coule des blessures que nous faisons. Sa mĂšre, la dĂ©esse, ne sera pas toujours lĂ  pour couvrir sa fuite d’un nuage bien fĂ©minin et pour se cacher elle-mĂȘme dans une ombre vaine. »
Mais la reine, Ă©pouvantĂ©e des nouvelles conditions de la bataille, versait des larmes et, toute prĂȘte Ă  mourir, essayait de modĂ©rer l’ardeur de son gendre : « Turnus, je t’en supplie par ces pleurs, par tes Ă©gards envers Amata, si tu en as pour elle, – tu es le seul espoir, l’unique appui, de ma misĂ©rable vieillesse ; tu as entre les mains l’honneur et le pouvoir de Latinus, et notre maison chancelante repose sur toi, – je ne t’adresse qu’une priĂšre : renonce Ă  te battre contre les Troyens. Quelque sort que te rĂ©serve ce combat, il me le rĂ©serve aussi. En mĂȘme temps que toi je quitterai cette odieuse lumiĂšre, et je ne verrai pas, captive, ÉnĂ©e mon gendre. » Les paroles de sa mĂšre inondĂšrent de larmes les joues brĂ»lantes de Lavinia. Une vive rougeur enflamma son visage et y fit courir une bouffĂ©e de chaleur. L’ivoire indien s’altĂšre au contact d’une pourpre sanglante ; les lis blancs mĂȘlĂ©s Ă  un bouquet de roses se teignent de leurs chaudes couleurs : ainsi se colorait le visage de la jeune fille. TroublĂ© d’amour, Turnus attache ses yeux sur elle ; son ardeur guerriĂšre croĂźt encore, et il rĂ©pond briĂšvement Ă  Amata : « Je t’en prie, Ă©pargne-moi ces larmes et ces mauvais prĂ©sages Ă  l’instant oĂč je cours aux dures batailles de Mars, ĂŽ ma mĂšre. Il n’appartient pas Ă  Turnus de retarder sa mort. Sois mon messager, Idmon ; porte au tyran phrygien ces paroles qui ne seront pas de son goĂ»t : demain, lorsque traĂźnĂ©e dans son char de pourpre l’Aurore rougira le ciel, qu’il ne pousse pas ses Troyens contre les Rutules ; que les armes des Rutules et des Troyens se reposent ; Ă  nous de terminer la guerre dans notre propre sang ; que, sur ce champ de bataille, le vainqueur gagne la main de Lavinia. »
Quand il eut prononcĂ© ces mots, il rentra rapidement dans sa demeure. Il demande ses chevaux et se rĂ©jouit de voir frĂ©mir sous ses yeux ces bĂȘtes qu’Orithye avait donnĂ©es comme une marque d’honneur Ă  Pilumnus, ces bĂȘtes merveilleuses qui passaient la neige en blancheur, les vents en vitesse. Les cochers s’empressent autour d’elles ; du creux de leurs mains, ils flattent les poitrails et peignent les criniĂšres. Puis Turnus endosse lui-mĂȘme sa cuirasse hĂ©rissĂ©e d’or et de pĂąle orichalque. En mĂȘme temps, il ajuste habilement son Ă©pĂ©e, son bouclier et son casque aux rouges aigrettes. Cette Ă©pĂ©e, le dieu maĂźtre du feu l’avait faite pour Daunus son pĂšre et l’avait trempĂ©e incandescente dans les eaux du Styx. Ensuite il saisit vigoureusement une forte lance appuyĂ©e, au milieu du palais, contre une Ă©norme colonne. Il en avait dĂ©pouillĂ© l’Auronce Actor et il la brandit frĂ©missante en s’écriant : « Le temps est venu, ĂŽ lance que je n’ai jamais appelĂ©e en vain ! Le temps est venu : le puissant Actor t’a portĂ©e ; c’est maintenant le tour de Turnus. Accorde-moi d’abattre le corps de cet eunuque phrygien. Fais que mon robuste bras arrache et mette en piĂšces sa cuirasse et que je souille de poussiĂšre ses cheveux frisĂ©s au fer chaud et parfumĂ©s de myrrhe ! » Ainsi les furies l’agitent ; tout son ardent visage jette des Ă©tincelles ; le feu brille dans ses yeux durs. Ainsi un taureau, lorsque, pour la premiĂšre fois, il va combattre, pousse d’effroyables mugissements, s’exaspĂšre, Ă©prouve ses cornes contre le tronc d’un arbre, fatigue l’air de ses coups et prĂ©lude au combat en Ă©parpillant l’arĂšne.
Non moins farouche cependant sous les armes maternelles, ÉnĂ©e sent Mars s’éveiller en lui et sa fureur grandir ; il est heureux qu’on lui propose ce combat singulier pour terminer la guerre. Il rassure ses compagnons ; il calme les craintes d’Iule ; il leur rappelle les oracles. Ses envoyĂ©s, des guerriers, portent Ă  Latinus sa rĂ©ponse dĂ©cisive et lui font connaĂźtre les conditions de la paix.
À peine le jour du lendemain rĂ©pandait-il sa lumiĂšre sur la cime des montagnes, Ă  l’heure oĂč les chevaux du Soleil s’élancent des profondeurs de la mer et soufflent de la lumiĂšre par leurs naseaux levĂ©s, Rutules et Troyens, au pied des murs de la grande ville, prĂ©paraient dĂ©jĂ  et mesuraient le terrain du combat. Au milieu ils dressaient les foyers sacrĂ©s et les autels de gazon pour les dieux qu’ils prendraient Ă©galement Ă  tĂ©moin. D’autres apportaient l’eau de source et le feu, vĂȘtus de la jupe Ă  bordure de pourpre et les tempes ceintes de verveine. La lĂ©gion des Ausoniens s’avance ; les portes grandes ouvertes dĂ©versent ces rĂ©giments armĂ©s de leurs javelots. De l’autre cĂŽtĂ©, toute l’armĂ©e troyenne et tyrrhĂ©nienne se prĂ©cipite avec la diversitĂ© de ses armes, hĂ©rissĂ©e de fer comme si Mars l’appelait Ă  ses rudes batailles. Parmi ces milliers d’hommes voltigent les chefs superbement ornĂ©s de pourpre et d’or : le fils d’Assaracus, MnesthĂ©e, le brave Asilas, et Messape, dompteur de chevaux, Messape fils de Neptune. Quand au signal donnĂ© chacun se fut retirĂ© dans ses limites, ils plantent leurs lances en terre et dĂ©posent leurs boucliers. Alors, entraĂźnĂ©s par leur curiositĂ©, les femmes, le peuple sans armes, les vieillards dĂ©biles ont occupĂ© les tours et les toits des maisons ; les autres se rangent sur le haut des portes.
Cependant Junon, regardant de la cime qu’on nomme aujourd’hui le Mont Albain, mais qui alors n’avait pas de nom, pas d’honneur, pas de gloire, considĂ©rait la plaine, les deux armĂ©es des Laurentes et des Troyens et la ville de Latinus. Tout Ă  coup, elle s’est adressĂ©e, dĂ©esse Ă  une dĂ©esse, Ă  la sƓur de Turnus qui prĂ©side aux marais dormants et aux riviĂšres sonores : le trĂšs haut roi du ciel, Jupiter, lui avait accordĂ© cet honneur sacrĂ© pour prix de sa virginitĂ© qu’il avait prise. « Nymphe, l’honneur des fleuves, toi qui es si chĂšre Ă  notre cƓur, tu sais comment, parmi toutes les femmes latines qui ont partagĂ©, sans avoir Ă  s’en louer, la couche du magnanime Jupiter, j’ai fait une exception en ta faveur et comment Ă  toi seule j’ai bien voulu donner une place au ciel ; apprends ta douloureuse infortune, Juturne, et ne m’en accuse pas. Dans la mesure oĂč la Fortune semblait l’admettre et oĂč les Parques autorisaient le succĂšs du Latium, j’ai protĂ©gĂ© Turnus et tes remparts. Maintenant je vois que ce jeune homme affronte un destin supĂ©rieur au sien et qu’une force ennemie et le jour des Parques approchent. Je ne puis ĂȘtre tĂ©moin de ce combat ni de cette alliance. Si tu oses tenter quelque chose de plus efficace pour ton frĂšre, hĂąte-toi, cela te convient. Peut-ĂȘtre notre misĂšre en Ă©prouvera-t-elle un adoucissement. » À peine eut-elle parlĂ©, Juturne Ă©clata en larmes et trois et quatre fois de sa main frappa sa belle poitrine. « Le moment n’est pas aux pleurs, dit la Saturnienne Junon ; dĂ©pĂȘche-toi et, si c’est possible, arrache ton frĂšre Ă  la mort. Ou encore fais de nouveau se rallumer la guerre et dĂ©chire le traitĂ© conclu. Je prends tes audaces Ă  mon compte. » Ces exhortations laissaient Juturne hĂ©sitante, l’ñme blessĂ©e et dĂ©semparĂ©e par sa triste blessure.
Cependant voici les rois : Latinus Ă  la taille puissante, traĂźnĂ© dans un quadrige, le front ceint de douze rayons d’or brillant, symbole du Soleil, son ancĂȘtre ; Turnus sur un char attelĂ© de deux chevaux blancs, brandissant de sa main deux lances au large fer ; de son cĂŽtĂ©, ÉnĂ©e, le pĂšre et le fondateur de la race romaine, sous son bouclier qui a l’éclat d’un astre et sous ses armes divines, et prĂšs de lui Ascagne, seconde espoir de la puissante Rome, s’avancent hors du camp ; dans sa robe blanche, un prĂȘtre a conduit un porcelet et une brebis dont la toison est vierge du fer et les a approchĂ©s des autels embrasĂ©s. Les rois, les yeux tournĂ©s vers le soleil levant, offrent de leurs mains les galettes salĂ©es, puis marquent avec le fer le sommet du front des bĂȘtes et rĂ©pandent des libations sur l’autel. Alors le pieux ÉnĂ©e, l’épĂ©e haute, fait cette priĂšre : « Que le soleil me soit tĂ©moin et tĂ©moin cette terre que j’invoque et pour laquelle j’ai pu supporter de si grandes Ă©preuves : ĂŽ PĂšre tout-puissant et toi, Saturnienne, son Ă©pouse, que je supplie de nous ĂȘtre maintenant, oui maintenant, plus favorable ; et toi, illustre Mars, ĂŽ pĂšre dont la volontĂ© tient le gouvernail de toutes les guerres, je vous implore, Fontaines et Fleuves et tout ce que nous adorons dans les hauteurs du ciel et toutes les divinitĂ©s de la mer cĂ©rulĂ©enne. Si le sort donne la victoire Ă  l’Ausonien Turnus, il est convenu que les Troyens se retireront vers la ville d’Évandre ; Iule abandonnera ce territoire et dĂ©sormais mes compagnons, qui ne seront pas des rebelles, ne reprendront pas les armes et ne tourneront plus le fer contre ce royaume. Mais si la Victoire consent Ă  ce que Mars soit pour nous, – comme je le crois plutĂŽt, et plaise aux dieux de confirmer cet espoir, – je n’ordonnerai pas aux Italiens d’obĂ©ir aux Troyens ; je ne revendiquerai pas la royautĂ© pour moi : que les deux nations invaincues entrent sous des lois Ă©gales dans une alliance Ă©ternelle ; je leur donnerai mes rites sacrĂ©s et mes dieux. Mon beau-pĂšre Latinus conservera le pouvoir militaire ; mon beau-pĂšre gardera le pouvoir traditionnel ; les Troyens me bĂątiront Ă  moi une ville et Lavinia lui donnera son nom. »
Ce fut ainsi qu’ÉnĂ©e parla d’abord. AprĂšs lui, Latinus, les regards et les mains tournĂ©s vers le ciel : « J’en atteste, ÉnĂ©e, ces mĂȘmes divinitĂ©s, la Terre, la Mer, les Astres, la double descendance de Latone, Janus aux deux visages, la force des dieux infernaux et le sĂ©jour sacrĂ© du farouche Pluton. Qu’il m’entende aussi, le PĂšre qui de sa foudre sanctionne les traitĂ©s. La main sur l’autel, j’atteste les feux placĂ©s entre nous et les divinitĂ©s : quelles que soient les circonstances, jamais le jour ne se lĂšvera qui verrait les Italiens rompre cette paix et cette alliance. Aucune force ne brisera ma volontĂ©, dĂ»t-elle prĂ©cipiter la terre dans le dĂ©luge des flots et abĂźmer le ciel dans le Tartare, non, aussi vrai que ce sceptre – et son sceptre se trouvait dans sa droite – n’étendra plus de branches au lĂ©ger feuillage ni d’ombre, depuis que, coupĂ© dans la forĂȘt de sa souche profonde, il n’a plus de mĂšre et que, sous le fer, il a perdu sa chevelure et ses bras : arbre jadis, aujourd’hui enfermĂ© par l’artiste dans un beau cercle d’airain, insigne royal aux mains des chefs du Latium. »
Ils scellaient ainsi leur alliance sous les regards des capitaines de l’armĂ©e. Puis, selon le rite, ils Ă©gorgent au-dessus des flammes les bĂȘtes consacrĂ©es ; ils en arrachent les entrailles encore palpitantes et chargent les autels des bassins qui en sont remplis.
Mais, depuis longtemps dĂ©jĂ , le combat paraissait inĂ©gal aux Rutules, et des mouvements divers leur agitaient le cƓur. Leur Ă©motion s’accroĂźt Ă  mesure que l’inĂ©galitĂ© des deux rivaux leur devient plus visible. L’attitude de Turnus confirme leur crainte, la dĂ©marche silencieuse du jeune homme qui, devant l’autel, les yeux baissĂ©s, s’incline comme un suppliant, le duvet de l’adolescence sur les joues et, malgrĂ© sa jeunesse, tout pĂąle. DĂšs que sa sƓur Juturne sent le murmure grandir et voit les cƓurs incertains chanceler, elle descend au milieu des troupes rangĂ©es : elle a empruntĂ© la forme de Camers, guerrier de noble race, dont le pĂšre avait illustrĂ© son nom par son courage et qui Ă©tait lui-mĂȘme terrible Ă  la bataille. Elle descend donc au milieu des troupes, sachant bien ce qu’elle veut et rĂ©pand ainsi les bruits les plus divers : « N’avez-vous pas honte, ĂŽ Rutules, d’exposer une seule vie pour les braves que nous sommes tous ? N’avons-nous pas l’égalitĂ© du nombre et de la force ? Les voici tous, Troyens et Arcadiens, avec la troupe levĂ©e par le destin, avec l’Étrurie hostile Ă  Turnus. Chacun de nous trouverait Ă  peine un adversaire si nous ne combattions qu’un sur deux. Les dieux, aux autels de qui Turnus se dĂ©voue, Ă©lĂšveront sa renommĂ©e jusqu’à eux et mettront sa gloire sur toutes les lĂšvres ; mais nous autres qui aurons perdu notre patrie, nous serons forcĂ©s d’obĂ©ir Ă  ces maĂźtres superbes, pour ĂȘtre maintenant restĂ©s les bras croisĂ©s dans nos champs ! » Ces paroles enflamment de plus en plus l’esprit de la jeunesse et une rumeur court par toute l’armĂ©e. Les Laurentes eux-mĂȘmes, les Latins eux-mĂȘmes sont changĂ©s. Ils espĂ©raient tout Ă  l’heure la cessation des combats, le salut par la paix ; maintenant ce sont des armes qu’ils demandent et la rupture du traitĂ©, et ils prennent en pitiĂ© le sort immĂ©ritĂ© de Turnus.
Juturne joint Ă  ses paroles un stratagĂšme encore plus puissant. Des hauteurs du ciel elle envoie aux Italiens un tel prodige qu’il n’y en eut jamais de plus propre Ă  troubler leur esprit et Ă  les tromper. Le fauve oiseau de Jupiter poursuivait sous le ciel empourprĂ© les oiseaux du rivage et leur troupe ailĂ©e et bruissante, lorsque soudain il fondit sur les eaux, et le cruel saisit de ses serres crochues un cygne magnifique. L’attention des Italiens se fixe sur ce spectacle. Ô merveille ! Tous les oiseaux Ă  grands cris font volte-face. Leurs ailes obscurcissaient le ciel ; ce nuage vient, Ă  travers les airs, accabler l’ennemi tant qu’enfin, vaincu par la force et par son fardeau, il succombe, ouvre ses serres, laisse tomber sa proie dans le fleuve et s’enfuit au plus profond des nues. Alors les Rutules saluent d’une clameur et de leurs mains levĂ©es ce prĂ©sage ; et, le premier, l’augure Tolumnius s’écrie : « Voici, voici le signe que dans mes vƓux j’ai si souvent demandĂ© ; je l’accepte et je reconnais la volontĂ© des dieux. Suivez-moi ; saisissez vos armes, malheureux qu’un misĂ©rable Ă©tranger attaque et Ă©pouvante comme de faibles oiseaux, lui dont la violence dĂ©sole vos rivages. Mais il prendra la fuite ; il dĂ©ploiera ses voiles au loin sur la haute mer. Pour vous, tous tant que vous ĂȘtes, serrez vos rangs, allez vous battre et dĂ©fendre votre roi qu’on veut vous ravir. » Il dit, court Ă  la rencontre des ennemis et lance un javelot. Le trait, lancĂ© d’une main sĂ»re, rend un son strident et fend les airs. En mĂȘme temps s’élĂšve une immense clameur ; le dĂ©sordre se met dans tous les rangs, un ardent tumulte dans tous les cƓurs. Le trait volant arrive par hasard sur neuf beaux jeunes gens, neuf frĂšres qu’une mĂȘme TyrrhĂ©nienne, son Ă©pouse fidĂšle, avait donnĂ©s Ă  l’Arcadien Gylippe ; l’un d’eux est atteint au milieu du corps, lĂ  oĂč le baudrier cousu presse la poitrine et oĂč l’agrafe en mord les deux extrĂ©mitĂ©s ; l’admirable jeune homme aux armes Ă©tincelantes a les cĂŽtes transpercĂ©es et tombe sur la fauve arĂšne. De ses frĂšres, phalange impĂ©tueuse et brĂ»lante de douleur, les uns dĂ©gainent leur Ă©pĂ©e, les autres saisissent leurs javelots, et ils se ruent en aveugles. Contre eux accourent les bataillons des Laurentes, et voici que les Troyens dĂ©bordent en rangs serrĂ©s et les Agyllins et les Arcadiens aux armes peintes. La mĂȘme passion guerriĂšre les possĂšde tous. Ils ont pillĂ© les autels ; l’air n’est plus qu’une tempĂȘte tourbillonnante de traits et une grĂȘle de fer ; on enlĂšve les cratĂšres et les feux sacrĂ©s. Latinus lui-mĂȘme s’enfuit emportant ses dieux outragĂ©s par la rupture du traitĂ©. Les autres attellent leurs chars ou, d’un bond, sautent sur leurs chevaux et sont lĂ  l’épĂ©e nue.
Le TyrrhĂ©nien Auleste Ă©tait roi et portait les insignes de roi. Messape, qui avait tant dĂ©sirĂ© que le traitĂ© fĂ»t rompu, pousse contre lui son cheval et l’effraie ; Auleste recule, tombe, et roule Ă  la renverse, le malheureux, de la tĂȘte et des Ă©paules, sur les autels. Alors l’ardent Messape vole avec sa lance, et, malgrĂ© les priĂšres du vaincu, du haut de son cheval il le frappe rudement de son arme Ă©norme et s’écrie : « Il a son compte ! Voici une victime qui sera plus agrĂ©able aux grands dieux ! » Les Italiens s’élancent et dĂ©pouillent le cadavre encore chaud. CorynĂ©e arrache de l’autel un tison ardent, et comme Élysus s’avançait pour lui porter un coup, il le devance et lui jette le feu au visage. La grande barbe d’Élysus flambe et rĂ©pand une acre odeur ; CorynĂ©e poursuit son ennemi Ă©pouvantĂ©, saisit de la main gauche sa chevelure, le couche Ă  terre sous l’effort de son genou et, dans cette position, lui perce le flanc de sa roide Ă©pĂ©e. Podalirius poursuit le pĂątre Alsus qui, Ă  travers les traits, s’était Ă©lancĂ© au premier rang ; il le presse, l’épĂ©e nue sur lui ; mais Alsus se retourne et d’un coup de hache lui fend la tĂȘte du front jusqu’au menton ; le sang coule et arrose largement les armes du guerrier. Un lourd repos et un sommeil de fer tombent sur ses paupiĂšres ; ses yeux se ferment pour une nuit Ă©ternelle.
De son cĂŽtĂ©, le pieux ÉnĂ©e tendait ses mains dĂ©sarmĂ©es, la tĂȘte nue, et de ses cris rappelait les siens : « OĂč courez-vous ? D’oĂč vous vient cette soudaine discorde ? RĂ©primez votre fureur. Le traitĂ© est conclu ; toutes les questions rĂ©glĂ©es. Moi seul, j’ai le droit de combattre ; laissez-moi et bannissez toute crainte. La valeur de mon bras affermira ce traitĂ©. Turnus est Ă  moi ; ces sacrifices me le donnent. » Au moment oĂč il Ă©levait la voix et prononçait ces sages paroles, une flĂšche aux ailes stridentes le frappe. Quelle main l’a lancĂ©e ? Quelle force l’a dirigĂ©e ? On l’ignore. Qui a permis que les Rutules eussent une telle gloire, le hasard ou un dieu ? Le silence s’est Ă©paissi sur l’honneur de ce haut fait. Personne ne s’est vantĂ© d’avoir blessĂ© ÉnĂ©e.
Quand Turnus voit ÉnĂ©e se retirer du combat et ses capitaines bouleversĂ©s, une subite espĂ©rance rĂ©enflamme son ardeur. Il demande Ă  la fois ses chevaux et ses armes ; d’un bond, il s’élance superbe sur son char et saisit les rĂȘnes. Il vole, et de robustes hommes descendent en grand nombre aux Enfers. Il en renverse beaucoup qui sont Ă  demi morts ; il Ă©crase des bataillons sous les roues de son char et accable les fuyards de javelots lancĂ©s Ă  la hĂąte. Lorsque, rapide sur les bords de l’HĂšbre glacĂ©, le sanglant Mars fait retentir son bouclier et, dĂ©chaĂźnant la guerre, lĂąche la bride Ă  ses chevaux furieux, ceux-ci dans la plaine ouverte dĂ©passent en volant le Notus et le ZĂ©phyr ; les profondeurs de la Thrace gĂ©missent sous leur sabot ; autour d’eux se presse le cortĂšge du dieu, l’Épouvante au noir visage, la ColĂšre et les EmbĂ»ches : de mĂȘme, l’impĂ©tueux Turnus pousse dans la mĂȘlĂ©e ses chevaux fumant de sueur, qui bondissent impitoyablement sur les cadavres ennemis ; leurs rapides sabots Ă©parpillent une rosĂ©e sanglante, et le sable qu’ils foulent est trempĂ© de sang. Il a dĂ©jĂ  donnĂ© Ă  la Mort SthĂ©nĂ©lus, Thamyrus et Pholus, ces deux derniers en les attaquant de prĂšs ; l’autre, de loin. Et c’est de loin qu’il a tuĂ© les deux fils d’Imbrasus, Glaucus et LadĂšs, que leur pĂšre, en Lycie, avait Ă©galement instruits et armĂ©s pour combattre corps Ă  corps ou pour devancer Ă  cheval la rapiditĂ© des vents.
EumĂšde, sur un autre point, se prĂ©cipite au milieu du combat : c’est le fils, illustre Ă  la guerre, de l’antique Dolon ; s’il porte le nom de son aĂŻeul, son courage et sa force rappellent son pĂšre, le guerrier qui jadis, pour aller espionner au camp des Danaens, osa demander comme rĂ©compense le char du fils de PelĂ©e ; mais cette audace reçut un autre prix du fils de TydĂ©e, et il n’ambitionna plus la possession des chevaux d’Achille. Lorsque Turnus aperçut au loin cet EumĂšde dans la plaine dĂ©couverte, il lui lança d’abord, Ă  travers l’étendue vide, un lĂ©ger javelot ; puis il arrĂȘte ses deux chevaux, saute Ă  bas de son char, se jette sur l’homme tombĂ© et presque inanimĂ©, lui met le pied sur le cou, lui arrache son Ă©pĂ©e et la lui plonge Ă©tincelante au plus profond de la gorge, en ajoutant ces mots : « Te voici Ă  mĂȘme, Troyen, de mesurer avec ton corps les champs de cette HespĂ©rie que tu es venu conquĂ©rir. C’est le prix que je rĂ©serve Ă  ceux qui osent me dĂ©fier les armes Ă  la main ; c’est ainsi qu’ils fondent leurs remparts. » D’un coup de son javelot il lui donne comme compagnons dans la mort AsbytĂšs, ChlorĂ©e, Sybaris, DarĂšs, Thersiloque, ThymĂ©tĂšs enfin, tombĂ© du cou de son cheval rĂ©tif. Lorsque le souffle du BorĂ©e de Thrace retentit au large de la mer ÉgĂ©e, les flots courent aprĂšs lui jusqu’au rivage et, sous la poussĂ©e des vents, les nuages fuient dans le ciel : ainsi partout oĂč Turnus se taille un chemin, les bataillons reculent, les troupes alignĂ©es tournent le dos et fuient prĂ©cipitamment. Son Ă©lan l’emporte lui-mĂȘme et sur son char, qui vole contre le vent, l’air agite so...

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