eBook - ePub
NĂšgre Blanc
Priez pour nous
Arvo Steinberg, Julie Redon, Vincent Hedoin, Théau Leidner, Juana Sabina Ortega, Joh Pacheco Surriable, Pierre Renier, Rachel Abaldalb, Isidore De Palsuie, Cyril Torres, Alas Steinberg, Pablo Steinberg
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- 80 pages
- French
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- Disponible sur iOS et Android
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NĂšgre Blanc
Priez pour nous
Arvo Steinberg, Julie Redon, Vincent Hedoin, Théau Leidner, Juana Sabina Ortega, Joh Pacheco Surriable, Pierre Renier, Rachel Abaldalb, Isidore De Palsuie, Cyril Torres, Alas Steinberg, Pablo Steinberg
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Aperçu du livre
Table des matiĂšres
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Ă propos de ce livre
Numéro 2 de la revue NÚgre Blanc créée par Arvo Steinberg: Nouvelles, poésies et visuels (peinture, dessin, photographie, collage etc.)Revue artisanale et indépendante: goût pour l'avant-garde, l'expérimentation et l'underground.
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Informations
I.
âŠPauvre Farah⊠De toi, il ne reste que cet espace vide de ta prĂ©sence mais encore plein de toi et de tes choses. Il y fotte encore une odeur de toast chaud⊠comme un semblant de dimanche matin ensoleillĂ©âŠ
Je sens les larmes quimontent, un frisson me parcourt. Jâai les yeux gros de lâenvie de pleurer. Je pose ma main sur ta table, celle sur laquelle tu dessinais parfois ces androgynes squelettiques, les paupiĂšres lourdes de couleurs, les yeux pleins de mĂ©lancolie, Ă©ternels⊠Je pense, « Je nâaurais jamais dĂ» tâoffrir ce livre sur Egon Schiele » et jâen ris.
Jâempile ce que je sais de toi, je lâassocie, je pose mon front sur une pile de bouquins tâayant appartenu, je crie dans la salle de bain pour espĂ©rer dĂ©coller des murs un peu de tes murmures, de ces choses que tu devais te dire, le matin, devant ta petite glace.
Je théùtralise mon chagrin.
Jâai ce livre entre les mains, Ombres et LumiĂšres sur les Mythologies perdues, il Ă©tait sur ton rocking-chair. Jâadore ce genre de livre. Jâai eu le temps dâen lire un bout, ça mâa donnĂ© envie dâĂ©crire. Sais-tu que jâadore raconter des histoires ? Dans ce bouquin il y a un tas de phrases efrayantes. Des paragraphes obscurs qui parlent de tout et de rien, bourrĂ©s de mĂ©taphores. Tiens celui-lĂ par exemple :
(âŠ) Ainsides Faluns Ă©tait nĂ© lâhomme de cristal, dont lâintĂ©rieur visible comme le sommet des montagnes renfermait une Ă©trange vapeur triturĂ©e dâĂ©clairs dansants, menĂ©e par des vents qui en dictaient les tourbillons. Mais voilĂ , avec le temps la vapeur devint grasse, maculant les parois de cristal. BientĂŽt ilne fut plus possible dây voir et lâhomme fgĂ©, retournĂ© Ă la roche, nâavait gardĂ© de ses secrets que des orbites remplies de sable (âŠ)
Ăa me parle, ça me parle bien plus que tous ces torchons remplis de petits sentiments indigestes que jâai pu lire.
Je ne mâaime pas. Jâaime Farah. Est-ce quâelle mâaimait ? En Ă©tait-elle seulement capable ?
Il y a du bruit dans la cage dâescalier.
Il y a du bruit dans la cage dâescalier.
Je me prĂ©cipite Ă la porte, je mây colle de tout mon long, dĂ©verse mon regard dans le judas. Mon cĆur ne palpite plus, ilvibre. Ma bouche est sĂšche, je nâai rien mangĂ© depuis hier.
Jâai un couteau dans la poche.
Dans le petit cercle jâaperçois deux types plein de cambouis qui descendent lâescalier. La voisine sur son palier leur dit bonjour. Encore une vieille folle.
Elle me regarde.
Elle a tournĂ© ses yeux vers moi, Ă travers la putain de porte, comment a-t-elle fait ? Je retiens ma respiration, comme Ă lâĂ©cole quand je ne voulais pas que le prof de math me fasse passer au tableau.
Elle me regarde.
Je me laisse glisser le long de la porte, doucement.
Elle me regarde.
Il ne faudrait pas non plus quâelle mâentende. Il ne faut surtout pas quâelle panique. Je reste assis contre la porte. Aujourdâhui encore, la lumiĂšre est telle dans cet appartement, que je finis par faire Ă©clater en sanglots. Jâouvre grand la bouche, je plisse fort mes yeux. Mon nez est envahi par la morve et ma bouche est comme remplie de glu. JâĂ©touffe un rĂąle de dĂ©sespoir. Faudrait pas quâelle mâentende la vieille carne. JâĂ©tale mes larmes sur mon visage et me lĂšve. Je cale mon Ćil rougit dans le judas. Elle nâest plus lĂ .
Jâaime bien cet immeuble. Lâappartement est au cinquiĂšme Ă©tage et la cuisine a une vue plongeante sur une cour exiguĂ« qui croule sous les chaussettes et les torchons qui ont Ă©tĂ© pris dans le vent sur les cordes Ă linge. En face on peut voir la cuisine de la voisine. Jâimagine Farah papoter de fenĂȘtre Ă fenĂȘtre dans la ligne directe des Ă©viers, en faisant la vaisselle en mĂȘme temps que la vieille. Le vent qui sâengouffre dans la piĂšce lui faisant doucement frĂ©mir ses cheveuxâŠ
La vieille est dans sa cuisine et elle me fixe. Je sursaute. On reste tous les deux Ă se regarder avec Ă©tonnement, prĂȘts Ă dĂ©guerpir sâil le faut, comme deux chats qui se croisent sur un toit de tuiles. Je la salue dâun geste sec et maladroit. En retour, elle me dĂ©visage.
Jâai un couteau dans la poche.
Ce nâest pas que jâaie envie de mâen servir, mais elle commence Ă mâinquiĂ©ter. Va savoir ce quâil peut passer comme idioties dans le crĂąne dâune vieille. Je vais aller la voir moi, je vais prendre les devants et je lui dirai : Bonjour ! Je suis monsieur un tel, ami-amant-frĂšre-cousin-avocat de mademoiselle Kannila, oui, drĂŽle de mĂ©lange ces noms, hein ? Oui, bien sur ma petite dame ! Jâirai lui dire tout ça et je serai Ă lâaise, pour quâelle pense Ă autre chose que sa mĂ©fiance, quâelle se dise simplement que je suis une curieuse personne. Il faut en arriver lĂ avec les gens, il faut prendre les devants si on veut sâen dĂ©barrasser, leur raconter tout et nâimporte quoi pour bien les endormir. Ă un moment la personne en face de vous lĂąche lâaffaire et petit Ă petit se fait Ă lâidĂ©e que vous ĂȘtes un crĂ©tin inoffensif, et câest Ă moment quâil faut attaquer.
II.
Je suis dans lâappartement de la vieille, une certaine madame Schnitzer, je lâai lu sur sa sonnette. Jâai dâailleurs dĂ» sonner deux fois avant quâelle ne daigne mâouvrir. Comme tous les vieux elle doit ĂȘtre sourde comme un pot. Jâai attendu un petit moment, jâai entendu des bruits de pas traĂźnant dans des pantoufles bien larges.
La vieille mâa ouvert la porte et ne mâa pas reconnu. Jâaurais dĂ» laisser les choses lĂ et dire que je mâĂ©tais trompĂ©, mais ça sentait bon le gĂąteau chaud et le cafĂ©.
Jâai donc menti :
Monsieur Bergstein, Wallace, avocat et ami proche de mademoiselle Kannila. Elle aurait Ă©tĂ© victime de harcĂšlements de la part de son ex petit-ami et mâaurait envoyĂ© dans son appartement en Ă©claireur au cas oĂč le psychopathe roderait encore dans les parages. « Avez-vous lu les faits divers rĂ©cents madame ? On nâest jamais trop prudents ! » lui avais-je dit, avec toute lâaffectation dâun homme inquiet pour sa patrie. Schnitzer opina du chef et se confondit en oh lĂ lĂ typiques des gens fatiguĂ©s qui ne savent mĂȘme plus de quoi on parle, sur quoi elle mâinvita Ă venir discuter de tout ça Ă lâintĂ©rieur.
Alors que je suis assis dans un fauteuil confortable, les mains croisĂ©es sur le ventre, je rĂ©alise que je suis extrĂȘmement fatiguĂ©. La nuit derniĂšre a Ă©tĂ© terriblement courte et agitĂ©e.
Autour de moi, les nombreuses babioles semblent de la moisissure sortie dâun bois pourri. Il y a quelques photos de famille. Lâappartement nâest pas trĂšs lumineux et le peu de soleil qui entre est filtrĂ© par des rideaux bleus azur que je nâaime pas. Jâimagine le reste de la piĂšce parce que jâai les yeux fermĂ©s et que je divague dans ma somnolence. Jâentends une porte qui sâouvre au loin, des craquements, peut-ĂȘtre mĂȘme de la musique Ă fond dans des Ă©couteurs. Encore des pantoufles ? Dans la cuisine jâentends tinter de la vaisselle. Lâair frĂ©mit. Je sombre.
« Alors monsieur Bergstein, vous lâaimez avec du sucre votre cafĂ© ? », Je sursaute comme un petit chien et bondit du fauteuil, je ne crois pas que la vieille ait remarquĂ© quoi que ce soit. Je raccommode mon pantalon, mes cheveux et refuse le sucre. Il y a une grosse part de gĂąteau dans une soucoupe et mĂȘme plus prĂ©cisĂ©ment trois parts, dans trois soucoupes diffĂ©rentes. JâĂ©carquille les yeux et regarde la vieille. Elle est tellement sĂ©nile quâe...