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La timidité est-elle un merveilleux défaut?
Daisy Ray, Editions Lis ma vie
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La timidité est-elle un merveilleux défaut?
Daisy Ray, Editions Lis ma vie
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Ă propos de ce livre
La timiditĂ© condamne trop souvent Ă son goĂ»t CĂ©line Ă l'inertie, elle mĂšne un combat contre ce «handicap», quitte son poste de cadre bancaire, crĂ©e sa sociĂ©tĂ© et ouvre les Villages du CĆur, les villages de la premiĂšre chance professionnelle. En 2026, le jour de ses 50 ans, son fils Gildas, un brillant scientifique, lui offre un cadeau unique et exceptionnel: l'acte de naissance de CĂ©lia, son clone non-timide. En observant le parcours de CĂ©lia, de son enfance Ă sa vie de femme active, CĂ©line va pouvoir rĂ©pondre Ă la question qu'elle s'est toujours posĂ©e: «Quelle serait ma vie si je n'avais pas Ă©tĂ© timide?»
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Informations
CHAPITRE IV
Et nous voilĂ en juin 2049, CĂ©lia termine son cycle universitaire comme elle lâa commencĂ©, câest-Ă -dire, brillamment. Elle ne quitte pas la rĂ©gion de ses Ă©tudes supĂ©rieures du jour au lendemain. Non, elle organise ou participe Ă une succession de fĂȘtes dâau revoir ou dâadieux suivant les circonstances. Son paquetage est dĂ©jĂ prĂȘt, la semaine de festivitĂ©s terminĂ©e, elle sâenvole pour ĂȘtre monitrice de plongĂ©e, sur un bateau perdu, au milieu de lâOcĂ©an Indien. Doppia Vita, en accord avec sa vie, quitte la mĂ©tropole pour plonger tous les jours dans les eaux paisibles des Maldives.
Le dĂ©jeuner qui suit cette nouvelle prend une tournure particuliĂšre. Maman, ĂągĂ©e de 73 ans, accuse le coup de ce scoop. CĂ©lia nâa plus dâordinateur depuis quelques semaines, câest donc moi qui lâinforme de tout cela. CĂ©lia, lui en avait bien touchĂ© deux mots, il y a quelques mois, en lui Ă©voquant cette possibilitĂ©, mais elle nâĂ©tait pas revenue sur ce sujet depuis.
Maman mâexprime son Ă©tonnement :
« CĂ©lia choisit les Maldives⊠Ăa alors, je nâen reviens pas ! Pourtant, câest la suite logique ; elle est passionnĂ©e par la plongĂ©e sous-marine depuis plusieurs annĂ©es, sa dĂ©cision est une Ă©vidence, pourtant je ressens une grande Ă©motion. La crĂ©ation de mon clone nâest pas une histoire banale, mais je mây suis attachĂ©e de maniĂšre surprenante. CĂ©lia a fait rapidement partie de ma vie. Bizarrement, je me suis habituĂ©e Ă mon cadeau dâanniversaire hors norme, comme si cela arrivait Ă chaque quinquagĂ©naire !
Aujourdâhui, il y un dĂ©but de rĂ©ponse Ă la question de ma vie. Tâen rends-tu compte ? Son choix correspond Ă une de mes hypothĂšses faites lorsque jâavais 23 ans. Si CĂ©lia partait au Mexique pour apporter toutes ses compĂ©tences Ă une Ćuvre caritative, sa vie serait diffĂ©rente de la mienne, mais ne se superposerait pas avec un de mes projets envisagĂ©s lorsque jâavais son Ăąge. Câest vĂ©ritablement perturbant, presque effrayant. Câest la premiĂšre fois que jâai envie dâen parler Ă Albin. De tout lui dire, de tout lui raconter depuis le 21 mars 2026, dĂ©jeuner par dĂ©jeuner, information par information, anecdote par anecdoteâŠ
â Non, Maman, cela nâest pas possible. Tu dois avaler la pilule et ta vie quotidienne reprendra son cours normal, sans que Papa apprenne le moindre dĂ©tail sur lâexistence de CĂ©lia. Tu dois te raisonner et accepter cela.
â Tu es dur avec ta pauvre mĂšre ! Avant CĂ©lia, je nâavais jamais menti ou cachĂ© quoi que ce soit Ă Albin. Et voilĂ vingt-deux ans maintenant, mon propre fils mâoffre une double vie et mâoblige de surcroĂźt Ă la cacher Ă mon mari. Tu parles dâun cadeau la Doppia Vita CĂ©lia !
â Si tu imagines me convaincre que tu regrettes ce cadeau de vie, je ne te crois absolument pas !
â Certes, mais ce prĂ©sent original produit deux sentiments contradictoires en moi. En effet, je suis bien consciente dâĂȘtre au centre dâune expĂ©rience excitante, je sais quâaucun autre mortel ne vivra cela. VoilĂ pour le cĂŽtĂ© sĂ©duisant et accaparant de lâhistoire. Maintenant ce qui mâennuie, câest dâĂȘtre tenue au secret scientifique, jâai longtemps travaillĂ© dans une banque et le secret bancaire ne mâa jamais dĂ©rangĂ©e, cela faisait partie intĂ©grante de ma profession. Je mâĂ©tais fixĂ©e une ligne de conduite, celle de ne jamais divulguer le contenu dâun entretien. Sur ce point jâĂ©tais irrĂ©prochable ! Mais pour CĂ©lia, le mensonge par omission touche ma sphĂšre privĂ©e. Cette situation est embarrassante pour moi, parce quâavec ton pĂšre notre relation est basĂ©e sur la confiance.
â Je comprends, simplement câest le prix Ă payer pour jouir de ce genre de progrĂšs. La discrĂ©tion est un Ă©lĂ©ment capital pour toute avancĂ©e technologique ou biotechnique. Souviens-toi de Dolly, la premiĂšre brebis clonĂ©e naissait dĂ©but juillet 1996, la presse en a informĂ© le grand public fin fĂ©vrier 1997, soit prĂšs de huit mois aprĂšs la naissance de la brebis viable. Huit mois pour sâassurer et valider le succĂšs de lâexpĂ©rience.
Les scientifiques refusent dâĂȘtre dĂ©rangĂ©s sans cesse par les mĂ©dias avant quâils ne soient certains de leurs trouvailles. Ils ne pourraient pas sâexpliquer de toute façon sur chaque Ă©chec. De plus, ce sont des hommes et des femmes de lâombre, ils ont besoin dâĂȘtre longtemps dans le noir avant de venir, sous la lumiĂšre des projecteurs, discourir sur le fruit de leur travail. Câest exactement ce qui sâest passĂ© dans les annĂ©es 2010, fin 2013, je pense, pour lâimplantation dâun cĆur artificiel sur un homme, une premiĂšre mondiale. Aujourdâhui, cette pratique est devenue courante, mais les expĂ©rimentations se sont faites longtemps dans lâombre.
Je suis aussi bien placĂ© pour dire que tout scientifique est traumatisĂ© par lâadministration. Cette peur de ne pas pouvoir avancer Ă cause dâun refus administratif, souvent manifestĂ© par un simple courrier adressĂ© directement Ă la personne concernĂ©e. Cette rĂ©ponse qui tient sur une feuille format A4 est fatalement injuste, face Ă la demande constituĂ©e dâun dossier gĂ©nĂ©ralement volumineux. La suspicion arrive rapidement, lâhomme de science se pose Ă©videmment la question de savoir si son dossier a au moins Ă©tĂ© lu ou juste parcouru. Dans le texte figurant sur cette simple lettre, il existe trois phrases types qui expriment selon le cas un refus dĂ©finitif, une demande de suspension temporaire de ce genre dâexpĂ©rience ou un dĂ©calage de la rĂ©ponse, ce qui pour certains chercheurs est dramatique. Ce manque de justification laisse libre cours Ă lâimagination du rĂ©ceptionnaire du courrier. Il soupçonne alors lâadministration dâune incompĂ©tence certaine, parce quâun refus est difficile Ă encaisser dĂšs lors quâil est non argumentĂ©. Câest pour ces raisons que beaucoup de chercheurs prennent des risques incommensurables pour avancer. Ils nâĂ©tablissent aucun dossier, leur recherche est dĂ©guisĂ©e et enfouie dans une Ă©tude au nom inappropriĂ©, dĂ©signant une recherche lĂ©gale. Ils sâoctroient cette libertĂ©, craignant un refus de lâadministration. Ils nâont pas envie de perdre du temps Ă se justifier, Ă rĂ©itĂ©rer leur demande, etc. Câest pourquoi, ils sâhabituent au silence, Ă ne rien dĂ©voiler de leurs recherches pour ne pas ĂȘtre "pris".
â Effectivement, il nây a plus rien de simple. Cela dit, le monde de la recherche est abscons. Certains gĂ©nies peuvent prĂ©senter un danger pour lâhumanitĂ©, un semblant de recadrage est parfois nĂ©cessaire.
â LâĂ©quilibre mâapparaĂźt comme laborieux Ă obtenir. Mais tout cela me conduit Ă la conclusion suivante : tu fais partie du monde scientifique Ă ton insu ! Et tu as, du fait de cette appartenance, une obligation de discrĂ©tion, trĂšs chĂšre Maman ! »
Premier mardi dâaoĂ»t 2049, je viens chercher Maman pour aller Ă notre dĂ©jeuner, elle monte dans ma voiture tout affolĂ©e :
« Il faut que je te raconte ce qui vient de mâarriver !
â Bonjour Maman ! Je tâĂ©coute.
â Oh excuse-moi, bonjour Gildas ! Tu vas comprendre pour quelle raison je suis perturbĂ©e.
â Je tâemmĂšne dans un restaurant Ă une demi-heure dâici. Ăa tombe bien, nous avons donc tout le trajet pour parler.
â Il y a une heure, le tĂ©lĂ©phone a sonnĂ©, câĂ©tait Richard⊠il a encore croisĂ© CĂ©lia avant quâelle ne parte. Il Ă©tait branchĂ© sur du dix mille volts. Je lui ai dit que je devais faire une course avant midi pour mâen dĂ©barrasserâŠ
â Encore lui !
â Oui, je te lâai dit dĂšs le dĂ©but, il ne lĂąche rien. J âai donc raccrochĂ©, jâai saisi mon sac Ă main pour aller Ă la pharmacie, au coin de la rue, avant que tu ne viennes me chercher. J âai ouvert la porte pour sortir et je suis tombĂ©e nez Ă nez avec Richard !
â Tu ne lâavais jamais revu depuis son dĂ©mĂ©nagement ?
â Non, jamais. Mais nous communiquons toujours par mail.
â Ăa fait quoi de le revoir ?
â Ăa fait un terrible choc ! Je lui ai dit que sâil voulait me tuer dâune crise cardiaque, il ne sây prendrait pas autrement ! Jâai eu alors des pensĂ©es hybrides, tantĂŽt dignes de Mary Poppins, tantĂŽt Ă la sauce Harry Potter ! Jâai hĂ©sitĂ© entre : « C âest supercalifragilisticadĂ©-dĂ©licieux* de te revoir » ou « Mais que fait un Moldu** sur mon palier Ă cette heure-lĂ ? » (*terme francisĂ© citĂ© dans le film Mary Poppins ** terme dĂ©signant une personne ne dĂ©tenant pas de pouvoirs magiques et ignorant lâexistence des sorciers dans Harry Potter). ProjetĂ©e dans le monde virtuel de Mary ou de Harry, la prĂ©sence de Richard mâa agacĂ©e au lieu de me rĂ©jouir. Jâaurais dĂ» ĂȘtre contente de le revoir au bout de tant dâannĂ©es, mais je me suis posĂ© mille questions sur sa prĂ©sence. Dâailleurs, ses rĂ©actions Ă©taient affolantes, il me dĂ©visageait comme siâŠ
â ⊠comme sâil avait croisĂ© ton clone, peut-ĂȘtre ? »
Ă cette remarque pertinente, Maman et moi Ă©clatons de rire. Par cette interrogation, jâai su calmer Maman immĂ©diatement. Du coup, elle accepte mieux les rĂ©actions de son ami, et reprend :
« Ce qui me dĂ©plaĂźt, câest que sa visite nâĂ©tait pas une visite de courtoisie, mais de pure curiositĂ©. Je lui ai donc dit que je partais faire une course et quâensuite j âallais manger avec toi comme tous les premiers mardis de chaque mois, que jâĂ©tais pressĂ©e, que je ne louperai pour rien au monde ce rendez-vous, tout simplement parce que tu es mon fils et que jâai plaisir Ă partager un dĂ©jeuner avec toi, un point câest tout ! DĂšs fois, quâil trouve cela anormal⊠Jâai ajoutĂ© que sâil le voulait, nous pourrions dĂ©jeuner demain ensemble. Il a acceptĂ© et est reparti lâair presque déçu de me voir avec le visage dâune femme de 73 ans !
â Cela signifie que vous dĂ©jeunez demain midi ensemble ?
â Exactement ! Tu auras le compte-rendu dans quatre mardis. Ah, nous sommes arrivĂ©s.
â Oui, allons nous installer pour pouvoir aborder enfin notre sujet favori. »
Depuis quelques jours, Maman mâexplique que CĂ©lia a rĂ©cupĂ©rĂ© sa connexion Internet ; elle a envoyĂ© un message Ă Fred, pour lui annoncer son dĂ©part pour les Maldives. Deux jours avant de partir, CĂ©lia ignorait si elle accĂšderait Ă Internet, une fois arrivĂ©e au paradis. Miss clone mentionnait dans son mail quâelle donnerait des nouvelles dĂšs quâelle le pourrait. Ses mots exprimaient toute une allĂ©gresse, CĂ©lia jubilait. Cette aventure est lâaboutissement des efforts fournis. MĂȘme si dans son courriel, elle reconnaissait avoir certaines facilitĂ©s, elle soutenait que la rĂ©gularitĂ© de son travail et lâassiduitĂ© dans la pratique de son sport favori lui permettaient aujourdâhui de concrĂ©tiser son rĂȘve : vivre en plongeant. Enfin, elle citait et sâappuyait sur une phrase que j âavais invoquĂ©e dans un prĂ©cĂ©dent Ă©crit : « Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger » elle transformait cette rĂ©flexion pour exprimer son dĂ©sir profond : « Je veux vivre pour plonger et vivre de la plongĂ©e ». Elle se moquait elle-mĂȘme de cette phrase qui ne signifiait pas grand-chose en soi. Maman lui a rĂ©pondu par sa phrase favorite : « Je ne sais pas si je plonge pour voyager ou si je voyage pour plonger ». Elle nâest pas certaine que CĂ©lia lira un jour cet adage personnel, puisque son envoi a Ă©tĂ© Ă©mis quelques jours aprĂšs lâenvol de CĂ©lia en direction des Maldives. Une fois assise Ă la table du restaurant, Maman exprime ses apprĂ©hensions :
« Nous voilĂ bien maintenant, quel mĂ©decin nous enverra des nouvelles ? CĂ©lia sâest Ă©vaporĂ©e, elle nâa pas dâordinateur dans ses valises, que va-t-il se passer ?
â Aucune idĂ©e.
â Ah oui ! Pour pondre un clone, il nây a pas de problĂšmes, mais pour gĂ©rer les informations de ma Doppia Vita, câest plus compliquĂ© ! Ce nâest pas trĂšs au point Monsieur le chercheur encouragĂ© par de nombreux satisfecit !
â Dans ce genre dâexpĂ©rimentation, il est impossible de maĂźtriser lâensemble des paramĂštres. Il sâagit dâun humain avant tout, tu sais bien quâun ĂȘtre humain reste imprĂ©visible.
â Câest possible. Donc disons au revoir Ă notre CĂ©lia pour une durĂ©e inconnueâŠ
â Câest un peu cela. »
Maman ne pensait pas si bien dire. Nous avons perdu la piste de CĂ©lia Di-Capria.
Au lieu de se passer le premier mardi du mois de septembre 2049, ce repas est avancĂ© au dernier jeudi dâaoĂ»t, car je dois mâabsenter pour trois semaines. Cela tombe bien, je suis pressĂ© dâavoir le rĂ©cit du dĂ©jeuner avec le docteur. Maman devine mon impatience, elle sâen amuse et prend son temps avant de dĂ©buter sa narration :
« Je suis donc allĂ©e dĂ©jeuner avec Richard, le mercredi suivant notre dernier repas ensemble. J âĂ©tais dĂ©tendue, probablement grĂące Ă notre conversation de la veille. Richard et moi avons retrouvĂ© notre complicitĂ© et jâai jouĂ© Ă nouveau le rĂŽle de confidente, le temps du dĂ©jeuner. Il mâa expliquĂ©, plus prĂ©cisĂ©ment que par mails, ses problĂšmes de santĂ©. Il a des soucis cardiaques.
â Le fait dâavoir changĂ© de rĂ©gion ne lâa pas calmĂ© ?
â Non, justement, je lui ai fait la mĂȘme rĂ©flexion. Avant, il jonglait entre son travail quotidien et de nombreuses gardes. Aujourdâhui, il est dĂ©bordĂ© par ses loisirs. Je lui ai dit quâil existe deux types de personnes : celles qui prennent le chemin du stress, celui qui descend et celles qui choisissent la montĂ©e qui mĂšne au sommet de la sĂ©rĂ©nitĂ©. Lui est passĂ© de lâĂ©tat de stress par son travail Ă lâĂ©tat de stress par ses loisirs !
â Est-il dâaccord avec ce que tu lui as dit ?
â Oui, mais il nâa pas compris que trop câest trop, quelles que soient ses occupations. Le problĂšme, câest quâil devient dangereux pour ses amis plongeurs. Il a des soucis cardiaques quâil feint dâignorer.
â Ah quand mĂȘme !
â Oui, alors je lui ai conseillĂ© de faire sa crise cardiaque, assis confortablement sur son fauteuil devant son poste de tĂ©lĂ©vision, plutĂŽt quâen plongĂ©e au milieu de ses amis⊠il a rigolĂ© un peu jaune.
â Ăvidemment.
â Ensuite, nous avons refait le monde comme dans le bon vieux ...