Chapitre 1. La narration
La narration est une pratique ancienne de lâhumanitĂ©. Elle reprĂ©sente un Ă©lĂ©ment gĂ©nĂ©rateur dans la sociĂ©tĂ© et la socialitĂ©.
Au fil des siĂšcles, les histoires racontĂ©es ont accompagnĂ© la vie de femmes et dâhommes du monde entier, les aidant Ă faire face aux difficultĂ©s et aux peurs, dĂšs les premiĂšres annĂ©es de leur vie. Selon une recherche rĂ©cente, ce sont les histoires qui font de nous des humains, puisque le langage a Ă©voluĂ© principalement pour permettre lâĂ©change dââinformations socialesâ2.
Il existe de nombreux exemples que lâon peut retracer Ă travers lâhistoire, dans lesquels les plus grands sages et Ă©rudits Ă©taient aussi de grands conteurs : ceux quâon appellerait aujourdâhui des âcommunicateursâ. En dâautres termes, en tant quâĂȘtres humains, on se dĂ©veloppe socialement Ă travers des histoires, qui façonnent notre cerveau et nous aident Ă mieux intĂ©grer les informations de lâextĂ©rieur.
Dans de nombreuses recherches, il a Ă©tĂ© observĂ© que les enfants ont une prĂ©fĂ©rence pour le visage humain par rapport Ă tout autre objet qui leur apparaĂźt. Observer le visage sert non seulement Ă identifier la personne mais aussi Ă reconnaĂźtre ses Ă©motions, car Ă travers les diffĂ©rentes expressions faciales, nous sommes capables dâinterprĂ©ter ce quâelle ressent Ă ce moment-lĂ .
Le dĂ©veloppement de la langue se produit plus tard, avec la croissance des structures grammaticales de la langue elle-mĂȘme et lâapprentissage est favorisĂ© par des rĂ©cits courts. Les premiĂšres histoires ont une structure simple qui nous aide Ă mĂ»rir les idĂ©es et les Ă©motions, ainsi quâĂ accepter la notion de temps, câest-Ă -dire Ă comprendre que certaines choses se produisent avant et dâautres aprĂšs.
Les premiĂšres approches de la connaissance nous accompagnent toute notre vie et les grands orateurs et bons pĂ©dagogues restent gravĂ©s dans notre mĂ©moire. Leurs histoires, rĂ©elles ou fictives, guident de nouvelles dĂ©couvertes, de nouvelles Ă©motions⊠qui progressent prĂ©cisĂ©ment aussi loin que lâorateur veut aller.
La narration a toujours Ă©tĂ© associĂ©e Ă un temps et un espace particulier, qui ont fait de lâacte narratif un moment privilĂ©giĂ© capable de nous aider Ă donner des rĂ©ponses Ă beaucoup de nos questions, ainsi quâĂ donner un sens Ă notre existence.
Temps
Espace
Aujourdâhui, nos vies sont marquĂ©es par la prĂ©cipitation et la vitesse. Stephen Bertman (Cfr. Bertman, 1998) pour expliquer notre mode de vie, a forgĂ© les expressions « culture du prĂ©sent » et « culture de la hĂąte ». De telles expressions aident Ă comprendre la nature de la condition humaine dans la « modernitĂ© liquide », oĂč le sens du temps est renĂ©gociĂ© (Cfr. Bauman, 2002).
Sans entrer dans ce thĂšme passionnant, nous voulons nous limiter Ă indiquer quâaujourdâhui le temps libre est «insaisissable » et que lâespace de partage et dâĂ©coute de lâautre se rĂ©duit de plus en plus.
Cependant, il est toujours temps pour une bonne histoire ! La narration continue de nous offrir des moments de grande Ă©motion, nous enchante et nous permet de ralentir. Câest un moment « spĂ©cial » oĂč se crĂ©ent des liens entre lâordinaire et lâexceptionnel, entre rĂ©alitĂ© et fantaisie.
En fait, on raconte tous des histoires (individuellement ou collectivement) et avec elles nous nous racontons, certaines mieux et dâautres moins bien. Nous dĂ©crivons/racontons notre vie, nos Ă©motions et aussi ce que nous aimerions faire, ĂȘtre ou devenir.
On raconte tout ça autour du feu, devant le ciel étoilé, dans le noir, dans la voiture, dans la classe. On fait ça vis-à -vis, verbalement, par écrit, à travers des images ; sur les réseaux sociaux, sur le web (live, différé, etc). On utilise Instagram, FB, Linked-In, Tik-tok, YouTube, des sites de rencontre, etc.
Sur la base de ce qui a Ă©tĂ© dit, il convient de noter quâon veut souligner ici lâimportance de rendre le temps et lâespace au rĂ©cit, car il reprĂ©sente un moyen efficace pour les hommes dâexprimer leurs Ă©motions.
En fin de compte, le discours quâon transmet est toujours plein dâĂ©motions. En dâautres termes, on aime, dĂ©sire, dĂ©teste ou on est indiffĂ©rents aux situations ou aux personnes et câest pourquoi on sâexprime, transformant ainsi le discours en quelque chose de plus quâune simple description des faits, lâenrichissant et lui donnant âcouleurâ et contenu Ă©motionnel.
Ce sont ces dialogues externes et « internes » qui dĂ©terminent en grande partie notre motivation, câest-Ă -dire le moteur qui nous conduira Ă agir dâune certaine maniĂšre, Ă obtenir ce que nous aimons ou Ă nous Ă©loigner de ce que nous nâaimons pas, et tout sur la base de ce que nous « nous disons ». Par exemple, si notre rĂ©cit est nĂ©gatif sur nos capacitĂ©s, de type dĂ©pressif, malgrĂ© les bonnes « intentions » dâatteindre un but, nous nâessaierons mĂȘme pas.
Dâautre part, les histoires offrent une variĂ©tĂ© de significations pour faire face Ă la vie, capables dâaider les gens Ă dĂ©tourner le regard de la peur. En effet, le temps et lâespace narratif peuvent offrir aux individus de nouvelles opportunitĂ©s dâexpression de soi, de rencontre avec lâautre, dâouverture au nouveau, oĂč les prĂ©jugĂ©s peuvent ĂȘtre attĂ©nuĂ©s et les conflits/incomprĂ©hensions peuvent ĂȘtre rĂ©solus.
Lâintelligence Ă©motionnelle donne Ă la personne la possibilitĂ© de changer son discours intĂ©rieur sur ce qui sâest passĂ©, ce qui se passe ou ce qui se passe, dâune maniĂšre qui nous permet dâaccepter plus facilement les situations qui se produisent, surtout lorsque le rĂ©sultat ne dĂ©pend pas de nous.
Comme on le soulignera plus loin, une personne avec une intelligence Ă©motionnelle dĂ©veloppĂ©e pourra surmonter plus facilement les traumatismes vĂ©cus, Ă©galement grĂące Ă lâutilisation de la thĂ©rapie, qui peut agir en modifiant le dialogue âinterneâ par rapport aux Ă©vĂ©nements survenus, (situations qui ont mis la personne en danger) et qui peuvent affecter de maniĂšre significative sa vie. GrĂące Ă cette restructuration du discours interne, la personne peut mener une vie « plus normale », surmonter des situations traumatisantes.
Cela arrive parce que lorsquâon articule un discours narratif, on met en place dâimportants mĂ©canismes de rĂ©flexion, puisquâil sâagit dans de nombreuses situations de comparer nos pensĂ©es, afin de les exprimer adĂ©quatement sur des aspects auxquels nous nâavons peut-ĂȘtre pas pensĂ©.
Par exemple, si quelquâun nous demande quelle est notre position sur le conflit arabo-israĂ©lien, jusque-lĂ nous nâavons peut-ĂȘtre pas pris la peine dây rĂ©flĂ©chir, ou nous nâavons peut-ĂȘtre pas de position claire.
Cependant, lorsque nous rĂ©pondons, nous prenons position et cette rĂ©ponse dĂ©terminera par la suite les dĂ©cisions futures Ă cet Ă©gard, car la plupart du temps nous prĂ©fĂ©rons conserver une certaine cohĂ©rence interne. Donc, si nous avons dit que nous sommes dâaccord avec la politique dâIsraĂ«l dans le cas des colonies, nous applaudissons probablement les efforts de paix qui ont lieu Ă cet Ă©gard ; au contraire, si nous croyons que la cause de la Palestine a une base historique, nous soutiendrons les mouvements qui cherchent Ă libĂ©rer les Palestiniens de lâoccupation. Tout dĂ©pend, en partie, dâune dĂ©cision Ă un moment donnĂ© gĂ©nĂ©rĂ©e par un rĂ©cit interne qui dirigera notre comportement futur.
En fait, la narration est un moyen par lequel nous essayons de mettre de lâordre et de donner un sens Ă nos pensĂ©es, nos expĂ©riences quotidiennes, nos histoires et nos souvenirs.
Il est dĂ©sormais clair que la narration nâest pas la compĂ©tence exclusive des Ă©crivains professionnels (romans, historiens, journalistes). Il existe de nombreuses maniĂšres narratives de dĂ©peindre des Ă©vĂ©nements rĂ©els ou fictifs, Ă travers des mĂ©taphores, des mots, des images, des sons, des chansons. Cette activitĂ© se reflĂšte non seulement dans de nombreux tĂ©moignages humains anciens, mais aussi dans la communication quotidienne dâaujourdâhui.
Par ailleurs, il est Ă noter que face Ă des situations incertaines et inattendues, les histoires peuvent offrir de lâespoir, donner du sens aux Ă©vĂ©nements ou simplement Ă©veiller la curiositĂ©. Comme le dit Storr, les narrateurs « crĂ©ent des moments de changement inattendu qui captent lâattention de leurs personnages et, par consĂ©quent, celle du lecteur et du spectateur ». « Les hommes ont une soif insatiable de connaissances. Les conteurs savent exploiter prĂ©cisĂ©ment ces instincts en crĂ©ant des mondes, mais en prenant soin de rĂ©vĂ©ler au lecteur ce quâil y a Ă savoirâ. (Storr, 2020, p. 3 et p. 7).
LâintĂ©rĂȘt pour lâhistoire de quelquâun dâautre peut augmenter, surtout en pĂ©riode de changement dans nos vies. Puisque la narration se nourrit de capital narratif, dâexpĂ©riences personnelles et de groupe et, par consĂ©quent, elle reprĂ©sente un outil valable pour construire des espaces transformateurs et aussi une communication efficace, pleine de sens, dâĂ©motions et dâimagination !
JusquâĂ prĂ©sent, on a parlĂ© dââĂ©motionâ mais on nâa pas encore dĂ©fini ce quâon entend par ce concept. Dans le prochain chapitre, ses caractĂ©ristiques seront dĂ©crites et on expliquera pourquoi il est si important de donner de lâespace aux Ă©motions.
RĂFĂRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bauman, Z. (2002). ModernitĂ liquida. Laterza: Roma.
Barrett,L.,Dunbar,R., &Lycett,J. (2002).Human evolutionary psychology.Princeton University
Bettelheim, B. (2003). Il mondo incantato. Uso, importanza e significati psicoanalitici delle fiabe. Milano: Feltrinelli.
Bruner, J. (1988). La mente a piĂč dimensioni. Roma: Laterza.
Bertman, S. (1998). Hyperculture. The Human Cost of Speed. Westport, Conn: Praeger.
Bondioli, A. (2000). Gioco e educazione. Milano: Franco Angeli.
Eleta, P.G. e Henderson, P. (2013). Young Watson And The Warriorâs Sword. Ed. Amazon - Kindle Edition e in versione cartacea: Milano.
Fabbroni, F. e Faeti, A. (1983). Il lettore ostinato. Firenze: La Nuova Italia.
Levorato, M.C. (2000).Le emozioni della lettura. Bologna: Il Mulino.
Merletti, V.R. (1998). Raccontar storie. Milano: Mondadori
Mingoia, E. (1997). Nel mondo delle fiabe. Roma: Nuova Era.
Smorti, A. (1994).Il pensiero narrativo. Costruzione di storie e sviluppo della persona. Firenze: Giunti.
Storr, W. (2019). The science of storytelling. William Collins: London U.K.
Chapitre 2. Les Ămotions
Quâil sâagisse dâĂ©vĂ©nements rĂ©els ou imaginaires, lâhistoire a toujours une forte composante Ă©motionnelle qui peut ĂȘtre positive, nĂ©gative ou les deux. Lorsque lâon raconte une histoire, on active une sĂ©rie dâĂ©motions qui sont liĂ©es Ă la fois Ă nous-mĂȘmes (dans une fonction rĂ©flexive) et au contexte de rĂ©fĂ©rence.
Les Ă©motions font partie de la vie. MĂȘme si parfois on ne prend pas conscience de ça, elles sont prĂ©sentes dans chacune de nos actions et dans les dĂ©cisions quâon prend, il est donc important de les comprendre.
A partir du moment oĂč on se lĂšve le matin, les Ă©motions sont activĂ©es pour quâon se rende compte de ce que chacun ressent et voit autour de nous. Un mauvais rĂȘve, une douleur constante en essayant de dormir ou une inquiĂ©tude qui ne nous a pas permis de dormir un clin dâĆil toute la nuit suffisent Ă nous mettre de mauvaise humeur. Avec cette attitude il est difficile de passer une bonne journĂ©e, il semble que tout nous dĂ©range, une phrase prononcĂ©e par quelquâun ou un simple regard peut nous faire « sursauter » ou montrer notre colĂšre ou notre malaise de la pire des maniĂšres.
Mais quand on se rĂ©veille aprĂšs une nuit tranquille, dans un endroit de rĂȘve, pendant les vacances, en compagnie de la personne quâon aime, tout devient rose, il nous semble que le monde sâarrĂȘte et devient plus paisible. On attribuera tout inconvĂ©nient possible Ă des causes passagĂšres et sans importance, on distribuera des sourires et des mots gentils « gauche et droite », et peu importe si dâautres nous ont fait quelque...