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Camorra sound
La mafia dans la chanson populaire napolitaine, entre justifications, exaltations et condamnation
Daniele Sanzone
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- 162 pages
- French
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Camorra sound
La mafia dans la chanson populaire napolitaine, entre justifications, exaltations et condamnation
Daniele Sanzone
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Ă propos de ce livre
C'est un livre qui cherche à comprendre quand et comment la camorra est entrée dans la chanson populaire napolitaine. C'est un voyage dans l'histoire de la musique et de la criminalité organisée de la Campanie et de l'Italie de ces quarante derniÚres années. Pour réaliser ce travail, l'auteur est allé à la rencontre d'artistes et d'acteurs culturels d'hier et d'aujourd'hui, parmi eux: Caparezza, Edoardo Bennato, Teresa De Sio, Dario Fo, etc.
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Informations
Sous-sujet
MusiqueLa musique du « systÚme »
Au dĂ©but de nouveau millĂ©naire, la camorra devient le systĂšme. On ne parle plus de la camorra, mais du systĂšme de Secondigliano, de Scampia, de Casale, pour identifier les diffĂ©rents cartels criminels. Ce sont les camorristes eux-mĂȘmes qui se dĂ©signent de cette maniĂšre. Un systĂšme organisĂ© et dirigĂ© par les familles criminelles, capable de sâoccuper de ses membres du berceau Ă la tombe. Une structure flexible et en mouvement perpĂ©tuel, impliquĂ©e dans des affaires Ă©conomiques de tout genre. DĂ©sormais, dans lâItalie du Sud, les mafias conditionnent fortement le cadre Ă©conomique et social dâau moins trois rĂ©gions du Sud, tout en ayant des racines pratiquement dans toute la pĂ©ninsule et dans diffĂ©rents continents.
Il y a quelques annĂ©es, lâĂ©crivain Roberto Saviano se demandait : « Mais oĂč Ă©tiez-vous ? OĂč Ă©tiez-vous quand on tuait deux personnes par jour ? OĂč Ă©tiez-vous quand le procĂšs Spartacus se concluait ? (âŠ) OĂč Ă©tiez-vous quand mourraient des innocents comme Attilio Romano, coupable de travailler dans un commerce et que les clans avaient dĂ©cidĂ© de donner cet emploi Ă un lointain parent dâun camorriste, ou quand, en 2002, on a tirĂ© une balle dans la tĂȘte du syndicaliste Federico Del Prete et que la nouvelle nâa mĂȘme pas fait une ligne dans la presse nationale ? Pendant des annĂ©es, quand on Ă©crivait sur ces choses en dehors des faits divers, câĂ©tait la mĂȘme rengaine, on nous prenait pour des fous, des malades, des enfants dâun lointain passĂ©. »1 Pour Saviano, durant ces annĂ©es, Ă Naples, apparaissait une nouvelle maniĂšre de raconter ce qui se passait devant les yeux de tout le monde. Photographes, cinĂ©astes, Ă©crivains comme Maurizio Braucci, Valeria Parrella, Davide Morganti, Antonio Pasquale, Mario Spada, Peppe Lanzetta et les groupes musicaux âA67 et CoSang « qui ne naissent plus dans les centres sociaux, mais dans les banlieues de la camorra, et font entendre une colĂšre qui nâest plus seulement dirigĂ©e contre quelque chose, mais intĂ©rieure, ils parlent pour et contre ceux Ă cĂŽtĂ© desquels ils vivent, auxquels ils appartiennent, Ă qui ils ressemblent. Tous ont trouvĂ© de nouveaux modes, moins conciliants, pour raconter leur Ă©poque et agir sur elle. Des regards diffĂ©rents, des langages diffĂ©rents qui dĂ©forment le rĂ©el pour en extraire la vĂ©ritĂ©. »2
Des cendres de la « Renaissance napolitaine » tant vantĂ©e naissent, dans le nord de Naples, le rock des âA67 et le hip-hop de CoSang, Fabio Farti Mc, Fuossera et Kosanost, des artistes qui ont fait de la pĂ©riphĂ©rie leur centre dâattention. Une pĂ©riphĂ©rie qui, entre autres, a beaucoup contribuĂ© Ă enrichir la musique italienne, Ă partir de 1700, avec SantâAlfonso Maria deâ Liguori, prĂȘtre, poĂšte, musicien, originaire de Marianella, auteur de classiques comme Tu scendi dalle stelle et Quanneâ nascette ninno. En 1966, câest de lĂ que sortent aussi les Showmen menĂ©s par le « mĂ©tis » Mario Musella, disparu en 1979 Ă 34 ans seulement. Ă la suite de sa mort, le saxophoniste James Senese et le batteur Franco Del Prete fondent le groupe avant-gardiste Napoli Centrale, et enfin, toujours originaires de Marianella, il y a le saxophoniste et chanteur Enzo Avitabile et le projet collectif Concerto Musicale Speranza du saxophoniste Pino Ciccarelli.
Mais dĂ©sormais, la Campanie dâil y a quarante ans, chantĂ©e par Napoli Centrale est devenue une coulĂ©e de bĂ©ton. Les nouveaux groupes sont les enfants de « non-lieux », de quartiers sans identitĂ© ni histoire oĂč rĂšgne la loi du « systĂšme ». Napule Ăš de Pino Daniele, devenue Napoli avec les 99 Posse, a dĂ©finitivement englobĂ© les pĂ©riphĂ©ries pour devenir âA67, Din âa sti vicoli et Intâo rione.
Les nouvelles gĂ©nĂ©rations qui ont grandi Ă lâombre des tours de Scampia, Secondigliano, Marianella et Piscinola racontent leur Naples au rythme du rock et du hip-hop. Ce sont des voix qui viennent de lâintĂ©rieur, comme les nĂ©omĂ©lodistes, qui vivent la rĂ©alitĂ© quâils chantent Ă la premiĂšre personne en parlant aux gens du quartier. Câest ce dĂ©calage qui les rend diffĂ©rents de la musique militante des centres sociaux. Toutes deux proviennent des banlieues marginalisĂ©es de Naples, mais, alors que le phĂ©nomĂšne posse avait une forte connotation idĂ©ologique et faisait partie dâun rĂ©seau national avec lequel il dialoguait et collaborait, la musique du systĂšme est faite et consommĂ©e par les gens du coin. Ă la diffĂ©rence de Raiz, qui jouait le rĂŽle du tueur, âo malamente, ici, on ne joue le rĂŽle de personne, depuis le front, on raconte le quotidien. Un quotidien fait de boss, de guetteurs, de tueurs, de rĂšglements de compte, dâarmes et de drogues. Un monde qui pĂ©nĂštre leur musique avec force. Avec un langage cru et dictĂ© par lâĂ©poque, un dialecte aux tons sombres et agressifs, souvent incomprĂ©hensible au reste de la ville, tant par lâargot utilisĂ© que par les contenus. Câest lâhistoire de qui a grandi sur les lieux des trafics et qui a subi quotidiennement la prĂ©sence du « systĂšme ». Ne pouvant faire face Ă et rĂ©soudre la rĂ©alitĂ©, ils la subliment dans les chansons. La musique reprĂ©sente la soupape de sĂ©curitĂ© pour les enfants du « petit Bronx » de Naples.
Ce truove intâo rione
Nun me sento buono mammĂ ca me succede
âe frati mieie sââo fummamo ancora e dintâ âe frasi nostre âa rivoluzione
chisto Ăš âo suono nuovo âo ssaje Ăš malammore
Intâo rione, Poesia cruda Dischi, 2005
(On est dans le quartier
je ne me sens pas bien maman, quâest-ce quâil mâarrive ?
mes frÚres le fument encore et dans nos phrases, la révolution
câest le nouveau son, tu le sais, câest le malamour.)
Et encore :
CcĂ âo passate ci ha inguaiati e âo presente ha continuato
âo sanghe sâĂš squagliato ma ccĂ niente Ăš cagnato
ci sta sempe quaccheduno ca si sente meglio âe ân ato
pecchĂ© ccĂ chello che esiste Ăš âa legge do camurrista manco Dio esiste
nun si contano manco e muorti, stammo cââo sanghe
allâuocchie
ma nisciuno se ne fotte, pecché fa comodo a chi sta acoppa
âA67, Polosud, 2004
(Ici le passé nous a foutus dans les emmerdes et le présent a continué
le sang a fondu mais ici rien nâa changĂ©
il y a toujours quelquâun qui se sent meilleur que les autres
parce que ici câest la loi du camorriste qui existe, Dieu nâexiste pas
on ne compte pas les morts, nous avons du sang dans les yeux
mais cela nâintĂ©resse personne parce que ça arrange ceux qui sont en haut.)
Une pĂ©riphĂ©rie mĂ©prisĂ©e par sa propre ville qui la considĂšre comme sa perte. Une condition dâabord subie et puis affirmĂ©e avec orgueil dans la musique post « Renaissance ». De Scampia, oĂč les taux de chĂŽmage et de dĂ©crochage scolaire sont les plus Ă©levĂ©s dâItalie, vient le cross-over des âA67 (la 167 de Secondigliano-Scampia).3 En 2001, Rai Radio 1 Demo4 diffuse leur premiĂšre chanson : Voglie parla, un hymne Ă la destruction du mur de lâomerta qui rĂšgne dans le Sud.
Mo siente âe fatte comme stranne
E poâ dimme tu se soâ pazzo o mâagio ruttâ oâ cazzo
âe sta situazione e percio te parlo âe rivoluzione
me trovo ccĂ pecchĂ© aggia sfucĂ
pecchĂ© nun câha faccio cchiu a guardĂ senza parla
aggio visto gente ca peâ magna Ăš costretta a ghi arubĂ
e gente ca va a rrubbĂ sulamente peâ se sfizia
gente câaccide e gente ca sâaccide
aggio visto âe magna finâa schiattĂ e gente âe schiattĂ pecchĂ© nu poâ magna
aggio visto guagliune âe buscĂ sulo peâ se fuma âna canna criature vennere lâeroina peâ portĂ e sordi âa mamma
aggio visto âe muri peâ âna stronzata e accurtellĂ peâ âna guardata e mo dimmi tu che fa âo Stato ?
Mo me sento âe dicere ca lâEuropa sâĂš unita ca âe cose soâ cagnate ma âa ggente mia continua a nun magna e âmmiezâ âa via se sente ancora âe sparĂ
stongo ascenno pazzo dintâa stu manicomio addo siâ omme
sulo se he visto âa galĂ©ra a si vaje facenno âe tarantelle
rischianno ogni juorno peâ nu suspiro âe viento
mentre ion un vaco niente pecchĂ© nun sto âmmiezâ o burdello
nun sarraje maje niuscuno siâ nun appartienne a un bbuono
pecchĂ© ccĂ cumannane lloro e tu nun te puo avutĂ
pecché aderete nun tiene a nisciuno.
Compilation The best of Demo, Rai Trade, 2003
(Ăcoute comment sont les choses
et aprÚs dis-moi si je suis fou ou si je me suis cassé le cul
avec cette situation et câest pour ça que je te parle de rĂ©volution
je suis lĂ parce que je dois me soulager
parce que je nâen peux plus de regarder sans parler
jâai vu des gens qui pour manger sont obligĂ©s de voler
et des gens qui vont voler pour se distraire
des gens qui tuent, des gens qui se tuent
jâen ai vu manger jusquâĂ en mourir et dâautres mourir de ne pas manger
jâai vu des jeunes se faire tabasser pour avoir fumĂ© un joint
des enfants vendre de lâhĂ©roĂŻne pour ramener de lâargent Ă leur mĂšre
jâai vu mourir pour une connerie et poignarder pour un regard
alors, dis-moi que fait lâĂtat ?
jâentends dire que lâEurope sâest unie et que les choses ont changĂ© mais les miens continuent Ă ne pas manger et dans la rue on entend
toujours tirer
je deviens fou dans cet asile oĂč tu nâes un homme
que si tu as été en prison ou que tu es dans le business
prenant des risques chaque jour pour avoir la paix
alors que moi je ne vaux rien parce que je ne suis pas dans ces histoires
tu ne seras jamais personne si tu nâappartiens pas à « lâun dâeux »
parce que ce sont eux q...