Perspectives créoles sur la culture et l'identité franco-ontariennes
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Perspectives créoles sur la culture et l'identité franco-ontariennes

Essai sur une prise de parole

Aurélie Lacassagne

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  1. 202 pages
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Perspectives créoles sur la culture et l'identité franco-ontariennes

Essai sur une prise de parole

Aurélie Lacassagne

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À propos de ce livre

Cet essai propose de renouveler les termes du dĂ©bat sur l'identitĂ© franco-ontarienne. Il rĂ©fute l'idĂ©e qu'elle est figĂ©e, passĂ©iste, et dĂ©construit «l'esprit Durham» que les Franco-Ontariens auraient intĂ©riorisĂ© et qui les empĂȘcherait de croire Ă  un avenir possible. Il met plutĂŽt en relief les continuitĂ©s et les ruptures de cette identitĂ© minoritaire, en proposant qu'elle procĂšde d'une crĂ©olisation crĂ©atrice et porteuse d'espoir.DĂ©coupĂ© en trois parties, l'ouvrage situe d'abord la sociĂ©tĂ© franco-ontarienne au travers des perspectives thĂ©oriques et du parcours personnel de l'auteure, et l'insĂšre dans l'histoire plus globale des peuples minoritaires. Il dresse ensuite un Ă©tat des lieux du Nouvel-Ontario, et s'attarde aux changements intervenus au sein de ses organismes culturels depuis les annĂ©es 1970. Enfin, par l'analyse d'un corpus choisi d'Ɠuvres littĂ©raires Ă  teneur politique issues de Sudbury, il cherche Ă  mettre en valeur une prise de parole qui contribue Ă  dessiner une identitĂ© sans cesse renouvelĂ©e dans le Nouvel-Ontario.«Perspectives crĂ©oles sur la culture et l'identitĂ© franco-ontariennes» appelle les pĂ©riphĂ©ries Ă  participer au grand bouleversement du monde.

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Informations

Année
2019
ISBN
9782897440497
III – LISTEN TO THE POETS!
TRAVAIL ET TERRITOIRES
DANS LES ƒUVRES DE
JEAN MARC DALPÉ ET DANIEL AUBIN
Genre et professions
En dĂ©butant l’exploration des reprĂ©sentations du travail, je me suis rapidement aperçue qu’elles Ă©taient particuliĂšrement genrĂ©es. Les professions « masculines » sont associĂ©es Ă  l’exploitation du territoire, ce qui rĂ©vĂšle la structure Ă©conomique du Nord-ontarien, Ă  savoir une Ă©conomie basĂ©e sur les ressources. Les francophones y sont dans la plupart des cas des travailleurs, et trĂšs rarement les propriĂ©taires des moyens de production (l’exception Ă©tant le propriĂ©taire d’un petit commerce). On trouve donc des mineurs, des draveurs, des bucherons, des travailleurs de la construction, sans oublier les hommes sur l’assurance-chĂŽmage ou en longue maladie.
OĂč sont les femmes? Elles sont prĂ©sentes partout car, comme le souligne Jane Moss1, dans l’Ɠuvre de DalpĂ©, l’influence fĂ©ministe est assumĂ©e – c’est le cas pour ses deux piĂšces coĂ©crites avec Brigitte Haentjens mais Ă©galement pour toutes ses autres crĂ©ations. Les femmes y sont sensibles (les chanteuses country ratĂ©es, les danseuses paumĂ©es, l’extraordinaire Maggie tatoueuse assimilĂ©e), mais elles sont surtout dĂ©crites comme des femmes fortes, comme piliers de leurs familles. La force et le rĂŽle central qui leur sont attribuĂ©es ne viennent pas conforter la vision catholique traditionnelle, qui conçoit les femmes comme des reproductrices. Au contraire, les femmes de DalpĂ© sont des rĂ©sistantes, notamment Ă  l’oppression du capitalisme, mais aussi Ă  celle de l’Église. En revanche, les hommes sont souvent dĂ©peints comme des ratĂ©s, finalement moins engagĂ©s dans la lutte contre l’oppression et l’exploitation. Par-dessus tout, les hommes semblent incapables d’échapper Ă  leur destin d’exploitĂ©s, de monter l’échelle sociale Ă  travers les gĂ©nĂ©rations, ce qui renforce leur sentiment d’échec. Souvent, ces hommes aliĂ©nĂ©s sombrent dans l’alcoolisme et la violence domestique. Le contraste est flagrant entre le portrait lugubre des hommes et celui de femmes combattantes, rĂ©sistantes, droites devant l’adversitĂ©. Elles mĂšnent la lutte, elles se dĂ©brouillent pour combler les fins de mois difficiles, elles pardonnent mais n’oublient jamais. Le thĂ©Ăątre de DalpĂ© est une ode Ă  la force des femmes.
Les femmes y sont souvent reprĂ©sentĂ©es comme travailleuses, mais dans la sphĂšre privĂ©e. Le travail maternel et marital est dĂ©crit avec minutie. Sara Ruddick2, une grande thĂ©oricienne de la notion de travail maternel (« motherwork »), explique que la prĂ©servation et la croissance des enfants, ainsi que leur acceptation sociale constituent les trois aspects proĂ©minents du travail maternel. Ce travail se caractĂ©rise par un trĂšs haut niveau de complexitĂ© – aussi bien dans l’action que dans la pensĂ©e – si on le compare Ă  beaucoup de professions. Pourtant, il est trĂšs rarement reconnu comme du travail. En matiĂšre de compĂ©tences organisationnelles, le travail maternel exige beaucoup d’efforts, particuliĂšrement s’il y a plusieurs enfants; si le pĂšre est absent ou « inefficace »; si l’espace occupĂ© est hostile. Par ailleurs, ce travail maternel est souvent accompagnĂ© d’un travail salarial, celui-ci reconnu par la sociĂ©tĂ©. La plupart des hĂ©roĂŻnes de la littĂ©rature franco-ontarienne occupent ces deux fonctions.
La figure prĂ©dominante de la femme fictionnelle franco-ontarienne est, bien sĂ»r, celle de la serveuse. On serait bien en peine de trouver un livre oĂč cette derniĂšre n’est pas reprĂ©sentĂ©e. Certaines d’entre elles ont mĂȘme envahi notre imaginaire collectif, comme Debbie Courville, incarnation de cet Ă©tat de fait et, par extension, de la femme franco-ontarienne :
I am French, but
I don’t speak it

Do you want more
coffee? (Desbiens, PoĂšmes anglais, 29)
La piĂšce fondatrice de la littĂ©rature franco-ontarienne dans le Nouvel-Ontario, MoĂ© j’viens du Nord, ’stie3, raconte l’histoire de Nicole, serveuse, et de son copain Roger. Dans Les murs de nos villages4, une des scĂšnes s’intitule « Rita ou L’ode Ă  la waitress ». Dans Un vent se lĂšve qui Ă©parpille5, Marie est serveuse. Mado, la femme d’Eddy, le boxeur ratĂ©, est serveuse et chanteuse ratĂ©e. La liste pourrait ĂȘtre longue.
Mais pourquoi la serveuse? Du point de vue sociologique, l’explication la plus logique reposerait sur le faible niveau d’éducation des Franco-Ontariens en gĂ©nĂ©ral, et des Franco-Ontariennes en particulier. Pas besoin d’avoir Ă©tudiĂ© pendant de nombreuses annĂ©es pour ĂȘtre serveuse. Ce mĂ©tier ne requiert pas – Ă  priori – de compĂ©tences particuliĂšres. Mais le mĂ©tier de serveuse est Ă©galement Ă©troitement associĂ© Ă  une organisation territoriale du travail. Les scĂšnes des poĂšmes et piĂšces sont souvent situĂ©es dans des one-company towns, oĂč la taverne ou le diner occupent une place centrale et fondamentale. Puisque la structure de l’économie, et donc de l’emploi, demande une force physique importante (on pense aux mineurs, aux bucherons), seuls les hommes sont habilitĂ©s Ă  occuper ces mĂ©tiers (c’est tout au moins ce que l’on a pensĂ© pendant longtemps), ce qui laisse aux femmes peu d’options de « carriĂšre ». Les hommes aiment Ă  se retrouver autour d’une biĂšre aprĂšs une dure journĂ©e de labeur. Et ce sont des femmes qui les servent.
La complexitĂ© organisationnelle du mĂ©tier de serveuse, tout comme le travail maternel, ne reçoit pas l’attention requise. La serveuse effectue en rĂ©alitĂ© des tĂąches multiples, prĂ©cises et rĂ©pĂ©titives. La charge de travail est Ă©norme, d’autant plus que le propriĂ©taire de la taverne, souvent un homme, passe potentiellement plus de temps Ă  boire des coups avec les clients qu’à travailler. La charge de travail est souvent rendue plus lourde par un manque chronique d’employĂ©s. C’est Ă©galement, dans bien des cas, Ă  la serveuse que reviennent les tĂąches administratives (comptabilitĂ©, commandes, gestion des stocks). Et plus que tout, la serveuse incarne la psychologue du village, une autre profession, peut-ĂȘtre la plus importante.
Le monde ouvrier, la lutte des classes
et l’identitĂ© franco-ontarienne
Les deux piĂšces coĂ©crites par Jean Marc DalpĂ© et Brigitte Haentjens, Nickel et Hawkesbury Blues6, semblent emblĂ©matiques d’un thĂ©Ăątre engagĂ©, se portant Ă  la dĂ©fense des dĂ©possĂ©dĂ©s. Nickel dĂ©crit la duretĂ© du monde minier alors que dans Hawkesbury Blues, c’est celle de l’industrie du textile qui est dĂ©noncĂ©e. Dans les deux, les auteurs portent une attention particuliĂšre aux façons dont le travail marque les corps. Le travail imprime sa marque au sens propre Ă  mĂȘme les corps des ouvriers et ouvriĂšres, il y laisse des traces physiques. L’aliĂ©nation y est donc aussi bien psychologique que physique, l’aspect rĂ©pĂ©titif des deux professions renforçant ce sentiment d’aliĂ©nation. La cadence imposĂ©e dans la rĂ©pĂ©tition des tĂąches pendant le shift s’entend, se voit dans ces piĂšces. Le mouvement des corps inscrit Ă  mĂȘme le rythme des mots crĂ©e, dans l’imaginaire du lecteur, une image d’ouvriers-marionnettes, dont les corps ployĂ©s sous la souffrance et le tempo infernal, peuvent se briser, Ă  n’importe quel moment. La prĂ©sence de chansons dans les deux piĂšces renforce ce mouvement.
Je travaille, je vieillis. Chaque matin je me lùve avec un nouveau poids au bas du dos. Chaque matin, je me lùve et ça me surprend. Ça me mord dans les reins
 douze ans de mine. (Nickel, 36)
Mes mains sont toutes croches de la machine Ă  piquer, et ma tĂȘte vide d’avoir tant travaillĂ©. (Hawkesbury Blues, 42)
Deux industries, mais une mĂȘme lutte pour la classe ouvriĂšre : celle de la syndicalisation, thĂšme que les deux piĂšces abordent. Certains ouvriers veulent se rassembler pour mettre fin Ă  leur exploitation grossiĂšre, Ă  leurs conditions de travail dĂ©gradantes, au pouvoir et Ă  l’arrogance sans borne des patrons et contremaĂźtres, aux salaires de misĂšre. Cette lutte divise la classe ouvriĂšre, certains ayant peur de s’engager dans le syndicalisme. Dans Nickel, aprĂšs la mort de Youssaf dans un accident minier, sa femme, Clara, reprend le flambeau de la lutte, voulant ainsi parachever les rĂȘves de son dĂ©funt mari. Elle aura Ă  se battre contre la famille, la ville, l’Église, et le manque de courage de beaucoup de « camarades ». Dans Hawkesbury Blues, Louise, l’ouvriĂšre hĂ©roĂŻne, dĂ©cide de s’émanciper, en divorçant et en s’engageant dans le mouvement pour la syndicalisation. Dans les deux cas, les femmes sont Ă  l’avant-garde de la lutte, elles sont reprĂ©sentĂ©es comme des combattantes. Pourtant, le monde syndical apparaĂźt souvent comme un milieu masculin et masculiniste; il est rare que soit dĂ©crit le rĂŽle dĂ©terminant des femmes dans quelque combat au sein de ces organisations7.
En ce qui a trait aux relations avec le territoire, les deux piĂšces mettent de l’avant le processus de dĂ©racinement, de l’exil permanent. Hawkesbury Blues s’ouvre sur une scĂšne dĂ©crivant des familles, dont celle de Louise, se prĂ©parant Ă  quitter l’üle oĂč elles habitent et qui va ĂȘtre submergĂ©e Ă  cause de la construction d’un barrage. RelocalisĂ©s de force dans la ville d’Hawkesbury, les insulaires se sentent privĂ©s de leur identitĂ©, de leur communautĂ©, de leur solidaritĂ©. Nickel met en scĂšne une communautĂ© oĂč cohabitent des Canadiens français, des Ukrainiens, des Italiens, des Polonais, tous des exilĂ©s, des dĂ©possĂ©dĂ©s, des damnĂ©s de la terre qui ont migrĂ© vers la ville du nickel pour travailler dans le trou. La piĂšce accorde une grande place Ă  la description des relations parfois difficiles entre ces nationalitĂ©s au sein de l’espace de travail. Par exemple, ce contremaĂźtre canadien-français qui fait du chantage auprĂšs des siens qui sont pour la syndicalisation, en jouant la carte de la solidaritĂ© « ethnique » :
I’m one of the first fucking frenchies to get to be a shift boss. Je vous protĂšge tabarnac when you guys fuck things up. Je pousse pour faire rentrer d’autres Canadiens français. Je pousse pour que vous ayez les jobs les plus faciles. [
]. Je veux la liste des gars qui ont signĂ©. (Nickel, 35-36)
Au final, c’est la solidaritĂ© de classe qui prime sur les divisions ethniques; une solidaritĂ© entre exploitĂ©s et dĂ©possĂ©dĂ©s qui va au-delĂ  de la langue, du pays d’origine et de la couleur de la peau. La relation au territoire y est comme les deux faces de Janus : il reprĂ©sente l’espoir d’un avenir meilleur, mais aussi la perte des racines. Le milieu de travail est dur et dangereux, tout en Ă©tant la seule option pour gagner son pain et nourrir sa famille.
Finalement, l’identitĂ© des travailleurs est façonnĂ©e par leurs conditions de travail et les territoires qu’ils habitent. Dans son recueil de poĂ©sie, Gens d’ici, DalpĂ© s’est efforcĂ© de caractĂ©riser cette identitĂ© avec la prĂ©cisi...

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