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Le conte témoin du temps observateur du présent
Essai sur les pratiques actuelles du conte
Collectif Littorale, PlanĂšte rebelle
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Le conte témoin du temps observateur du présent
Essai sur les pratiques actuelles du conte
Collectif Littorale, PlanĂšte rebelle
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Ă propos de ce livre
La maison d'édition PlanÚte rebelle s'associe aux Productions Littorale et à l'Université de Sherbrooke pour offrir aux passionnés du conte, mais également à tous ceux et celles avides de savoirs, un généreux essai intitulé Le conte: témoin du temps, observateur du présent. L'ouvrage rassemble les principales réponses et réflexions entendues lors d'une rencontre internationale, au cours de laquelle la proposition générale était de centrer réflexions et échanges sur « l'état actuel du conte et de sa pratique ».
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[ DĂBAT PUBLIC ]
Micheline LanctĂŽt, cinĂ©aste et marraine de la Rencontre internationale sur le conte : Je pense que sâil y avait dans la salle des gens qui ne lâĂ©taient pas, vous nous avez tous convaincus de la nĂ©cessitĂ© du conte.
Ma question est un peu perverse et sâadresse aux conteurs, dont je ne suis pas : « La spĂ©cificitĂ© du conte est-elle dans le contenu ou dans la forme ? Autrement dit, le conte implique-t-il nĂ©cessairement la parole et la proximitĂ© ou peut-il prendre des formes autres ? »
Mike Burns : Je pense quâon ne peut pas sĂ©parer les deux, surtout quand on parle de conte traditionnel ; ce sont des diamants polis dans des bouches pendant des gĂ©nĂ©rations. La structure est aussi importante que la complicitĂ©, la proximitĂ©. Si lâon pense tĂ©lĂ©vision : câest trĂšs difficile ; radio : un peu plus Ă©vident ; une salle de 1 000 personnes : help ! 300 personnes : limite⊠Mais pour ma part, je suis vraiment conteur de cuisine. Et Ă mon avis, plus on est proche, mieux câest.
Micheline LanctĂŽt : Je parle dâune façon intĂ©ressĂ©e, bien sĂ»r, puisque je suis cinĂ©aste. Je pourrais vous nommer une quinzaine de films qui sont des contes tels quâon les entend ici, câest-Ă -dire qui sont nĂ©cessaires Ă lâauditoire. Je mentionnerais, par exemple, le rĂ©alisateur portugais Manoel De Oliveira, qui a fait un film absolument extraordinaire intitulĂ© Non, ou la vaine gloire de commander. Un professeur dâhistoire raconte le destin du Portugal Ă des soldats en mission en Angola. Le film dure quatre heures et demie â et, de mon point de vue, câest un conte.
Je pense que les contes nous rejoignent dans une zone extrĂȘmement profonde, utile, nĂ©cessaire dans le sens moral ou dans le sens des valeurs, et je crois que le cinĂ©ma le fait aussi, sans la proximitĂ©, bien entendu. Et pas nĂ©cessairement avec la parole. Pour vous, est-ce indissociable ?
Il y a, par exemple, des Ćuvres de peintres naĂŻfs â lâart naĂŻf est un art narratif â qui sont des contes. Il y a beaucoup de peintres haĂŻtiens qui content HaĂŻti au moyen de la peinture plutĂŽt que par la parole. « Peut-on penser que le conte, avec sa nĂ©cessitĂ©, son effet, son pouvoir, peut adopter dâautres formes que la parole de cuisine ? Peut-on considĂ©rer que le conte reste le conte sâil change de forme ? »
Mike Burns : Je crois quâaussitĂŽt quâon essaie de faire une dĂ©finition impermĂ©able, on a un papillon clouĂ© sur le mur. Câest beau, mais ce nâest plus un papillon. Câest intĂ©ressant que vous parliez du cinĂ©ma. Je me souviens que dans les annĂ©es soixante, dans mon village, une femme avait dĂ©cidĂ©, un jour, de faire de lâargent. Elle a pris un truc construit en blocs de ciment qui pouvait contenir une centaine de personnes, elle y a mis un Ă©cran, une sortie de secours qui ne fonctionnait pas, des siĂšges remplis de puces. CâĂ©tait hallucinant, lâatmosphĂšre quâil y avait lĂ ! On se connaissait tous, il y avait donc beaucoup de complicitĂ© parce quâon reconnaissait tout le monde : celui qui riait, celui qui criait, celui qui avait peur. Dans ce contexte-lĂ , oui. Mais si je vais au cinĂ©ma aujourdâhui, câest comme si je lisais un roman : chacun est dans son imagination individuelle et personnelle ; il nây a pas de partage et il ne peut pas y en avoir dans le contexte dâun cinĂ©ma anonyme, quâil y ait 3 personnes ou 500. Je ne veux pas dire que ce nâest pas un art valable : jâadore le cinĂ©ma dâauteur⊠mais ce nâest pas du conte.
Quand on parle de conte dans le contexte dont il est question ici, il sâagit de quelquâun qui raconte une histoire. Quâil utilise la lumiĂšre, une scĂšne, des effets sonores, de la musique, câest son choix. Est-ce que ça devient du thĂ©Ăątre ? Je ne sais pas. Mais le peintre naĂŻf, câest un peintre, ce nâest pas un conteur, sauf peut-ĂȘtre au sens trĂšs large du terme.
Si je pense Ă Marcel Marceau, par exemple, ce nâest pas un conteur dans le sens du conte tel que nous lâentendons ici. Quand je parle du conte, je parle spĂ©cifiquement de la parole, et encore plus spĂ©cifiquement de lâappropriation de la parole intime, partagĂ©e, de connivence, oĂč, en mĂȘme temps, chacun et chacune, dans la salle, part avec son roi, sa princesse, etc.
Michel Faubert mâa dĂ©jĂ contĂ© quelque chose de magnifique Ă ce sujet. Dans les annĂ©es quatre-vingt, il Ă©tait au Nouveau-Brunswick et un vieux lui a racontĂ© une histoire de roi. Michel sâest tournĂ© vers lui et il a dit : « Il a lâair de quoi, ton roi ? » Et le vieux lui a rĂ©pondu : « Ben, il est endimanchĂ©, il porte une cravate et un complet. » Michel Ă©tait complĂštement abasourdi ! Mais pour ce vieux-lĂ , dans le fin fond du Nouveau-Brunswick, un roi, câĂ©tait ça. Sâil ne lâavait pas dit, Michel, qui a Ă©tĂ© nourri par la tĂ©lĂ©vision, par les livres, etc., ne lâaurait pas du tout vu comme ça, cela aurait Ă©tĂ© un tout autre roi⊠Câest ça, la beautĂ© du conte.
Avec la tĂ©lĂ©vision, ou avec le cinĂ©ma â et on le dit souvent quand on a lu le livre auparavant, dans le cas dâune adaptation cinĂ©matographique â, on peut dire : « Ce nâest pas aussi bon que le roman ! » Avec le conte, ce qui est extraordinaire, câest quâon a une totale libertĂ©. Et, en mĂȘme temps, on le partage. Dans cette salle, ici, quand quelquâun conte, il y a cinquante, cent rĂȘves diffĂ©rents ; on rĂȘve ensemble, en mĂȘme temps. Quand câest lĂ , quand câest vraiment lĂ : aĂŻe, aĂŻe ! ! Ăa nâempĂȘche pas que jâadore le cinĂ©ma, mais câest autre chose. La peinture naĂŻve, câest magnifique, mais câest autre chose.
Marc Aubaret : Je mâappuie souvent sur une parole de Nicole Belmont, une parole qui me semble une clĂ© pour entrer dans le conte. Elle dit que le conte dĂ©voile en voilant. Je trouve que câest un outil intĂ©ressant parce quâon nâest pas dans un espace de comprĂ©hension, on est dans un espace qui dĂ©clenche quelque chose ; et ce dĂ©clenchement nâĂ©tant pas compris immĂ©diatement crĂ©e une distance. Le conte va nous habiter sans que lâon sache vraiment ce que ça travaille ; il va jouer avec des rĂ©sonances de notre propre matiĂšre intĂ©rieure. Il y a un processus qui est trĂšs spĂ©cifique, mais qui est extrĂȘmement profond et qui permet ce que tu disais : la violence peut ĂȘtre tempĂ©rĂ©e parce que ça nous donne des outils de mise Ă distance de cette violence, par cet effet de temps qui doit passer pour arriver Ă la comprĂ©hension.
Je suis dâaccord avec Mike, quand il parle dâun rĂȘve collectif. Pour moi, dans le conte, il y a quelque chose de magique, en particulier dans le conte merveilleux. On a une structure qui nous sert de guide, de communautĂ©. Câest-Ă -dire quâon ne perd pas complĂštement le fil, mais on remplit systĂ©matiquement cette structure avec des images diffĂ©rentes. Et lĂ , il y a vraiment quelque chose de lâordre dâune collectivitĂ© en train de se faire. Il y a en effet des choses quâon doit penser ensemble pour se comprendre, mais on nâest pas obligĂ© dâadhĂ©rer systĂ©matiquement de la mĂȘme façon Ă cet espace-lĂ . Et ça, ça fait vraiment partie de la magie du conte.
Jâaimerais ajouter un dernier commentaire. Je suis dâaccord pour dire que quand je vais au cinĂ©ma, lâimage est lĂ , mais il y a aussi des espaces vides. NâempĂȘche quâil y a une ambiance, il y a des personnages qui me sont proposĂ©s. Je vais avoir du mal Ă ĂȘtre complĂštement dans mes personnages, en train dâhabiter une structure. Cette diffĂ©rence me paraĂźt importante, dans lâĂ©coute du conte comme dans le travail du conteur. Ensuite, le conte en lui-mĂȘme, est-ce lĂ , uniquement lĂ , sa dynamique spĂ©cifique ? Il reste que dans la tradition, il y a quand mĂȘme quelque chose qui sâest tellement peaufinĂ©. On est devant quelque chose qui est expĂ©rimentĂ© depuis des millĂ©naires ! Je pense que ce serait difficile de vouloir arriver Ă un Ă©quivalent, lĂ , immĂ©diatement⊠Câest peut-ĂȘtre lĂ quâil y a vraiment des perles : si elles ne sont plus donnĂ©es dans les mĂȘmes contextes, mais quâelles peuvent vraiment se reporter dans des contextes diffĂ©rents, tout en Ă©tant encore efficaces.
Vivian Labrie : Jâai envie dâapporter un Ă©lĂ©ment Ă la discussion sur la question que Micheline vient de poser. Mais juste avant, pour ne pas perdre mon idĂ©e, quand Jihad a contĂ© lâhistoire des pots fĂȘlĂ©s, il mâest revenu une phrase de Salah StĂ©tiĂ© qui dit : « Entre le dĂ©sert et le mirage, lâinterstice. Câest lĂ que tout se passe. »
Micheline LanctĂŽt : Câest ça, le cinĂ©ma, un intersticeâŠ
Vivian Labrie : Oui, mais pour revenir Ă notre question, la spĂ©cificitĂ© est-elle dans le contenu ou dans la forme ?, une chose me frappe, pour avoir beaucoup frĂ©quentĂ© les contes. Curieusement, il y a des contes qui pourraient ne pas en ĂȘtre et des non-contes qui pourraient en ĂȘtre. Quand on regarde le rĂ©pertoire traditionnel, celui que les chercheurs ont mis dans les numĂ©ros du catalogue de Aarne et Thompson â et Utter, maintenant, ils sont trois â, par exemple, on sait que le conte numĂ©ro 313, câest la fuite magique. Mais celui auquel je pensais, câest celui du ruban qui rend fort. Il y a des contenus qui se sont transmis sur la longue durĂ©e par le conte. Mais curieusement, et pour bien les connaĂźtre, je suis frappĂ©e de voir rĂ©apparaĂźtre, au cinĂ©ma, des histoires comme, par exemple, A boyâs life de Jack Davis, Ă laquelle on pourrait donner le numĂ©ro de type AT-590, comme pour un conte ! De toute Ă©vidence, le cinĂ©aste nâa pas voulu faire un conte. Quand on va voir Peau dâĂąne de Jacques Demy, on sait quâil veut essayer de nous donner une image de Peau dâĂąne, alors que dans ce cas-lĂ , câest un rĂ©cit autobiographique.
Je vais vous raconter un bout de lâhistoire Ă laquelle je pense pour quâon puisse se situer. Dans les versions que je connais, le conte du ruban qui rend fort ressemble souvent Ă ceci : une femme seule prend la route avec un de ses garçons ; elle traverse une ligne imaginaire dans la forĂȘt et, de lâautre cĂŽtĂ©, il y a un gĂ©ant. Le garçon prend un ruban qui le rend trĂšs fort et il le cache sur lui. Il va se faire maltraiter par le gĂ©ant. Or, dans le film en question qui se passe aux Ătats-Unis, il y a une mĂšre avec son garçon dans une auto. Ils vont rencontrer un homme violent et le garçon va se faire maltraiter par cet homme.
Dans les contes que je connaissais, des mĂšres monoparentales avec un petit garçon, il nây en avait pas des tonnes. Alors je me suis dit : « Câest lâhistoire du ruban qui rend fort ! » Ăa reste comme ça jusquâau moment oĂč jâachĂšte le rĂ©cit autobiographique dont le film sâinspire, en me demandant oĂč Ă©tait « le ruban qui rend fort ». Ă un moment donnĂ©, le petit garçon dit : « Dans mon enfance, jâai changĂ© de prĂ©nom, jâai pris le prĂ©nom de Jack London parce que je voulais ĂȘtre fort comme lui. » VoilĂ , câĂ©tait le ruban !
Dans les versions que je connaissais, la mÚre avait deux garçons et elle en avait lais...