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FERMETURE DES PORTES DE LA VILLE
Ce que vous venez de traverser, câest une porte qui fait partie de tout un systĂšme de remparts de pierre. Vous savez que QuĂ©bec nâest pas une citĂ© comme les autres : câest une ville fortifiĂ©e. Pour contrĂŽler les allĂ©es et venues et assurer la sĂ©curitĂ© des habitants, on doit maintenir une prĂ©sence Ă toutes les ouvertures. En temps de paix â comme en ce moment, en 1870 â, tout le monde peut circuler librement Ă lâheure qui lui plaĂźt. Mais, lorsque les militaires sentent une menace planer sur QuĂ©bec, on ferme les cinq portes de la ville pour la nuit. Câest ce qui sâest passĂ© dans les annĂ©es 1865-1867 lorsque les FĂ©nians ont franchi la frontiĂšre pour tenter dâenvahir le Canada. Ce groupe dâIrlandais amĂ©ricains qui militait pour lâindĂ©pendance de lâIrlande avait mis la ville de QuĂ©bec en Ă©tat dâalerte pendant quelque temps !
Porte Saint-Louis, vers 1870.
Autrefois, la fermeture des portes Ă la tombĂ©e de la nuit Ă©tait un problĂšme pour les habitants des faubourgs Saint-Roch et Saint-Jean, car elle les empĂȘchait dâavoir accĂšs rapidement Ă du secours pendant la nuit. La plupart des mĂ©decins et des prĂȘtres habitent en effet Ă lâintĂ©rieur des fortifications et câest Ă©galement lĂ quâon garde lâĂ©quipement contre les incendies.
Les habitants des faubourgs ont donc commencĂ© dĂšs 1799 Ă faire des pĂ©titions auprĂšs des autoritĂ©s pour quâon maintienne ouvertes les portes Saint-Jean et du Palais. Ils ont fini par obtenir ce quâils voulaient aprĂšs quarante ans de pĂ©titions ! En 1839, on a repoussĂ© lâheure de la fermeture des portes Ă 23 h pour les voitures et Ă minuit pour les piĂ©tons. DĂšs lâannĂ©e suivante, on a dĂ©cidĂ© de laisser le libre passage aux piĂ©tons. En 1870, cela fait donc dĂ©jĂ trente ans que les gens peuvent circuler librement Ă pied, Ă toute heure du jour ou de la nuit. La sĂ©paration entre voitures et piĂ©tons est facilitĂ©e Ă certaines portes de la ville par des passages rĂ©servĂ©s Ă chacun. Ce nâest pas le cas de la porte Saint-Louis oĂč vous vous trouvez, mais on retrouve ces passages Ă la nouvelle porte Saint-Jean, terminĂ©e en 1867. Depuis quelques annĂ©es, certains habitants de QuĂ©bec remettent cependant en question lâutilitĂ© mĂȘme des fortifications de la ville : les marchands et les commerçants aimeraient quâon les dĂ©molisse, purement et simplement. Ils prĂ©textent que les remparts entravent la circulation et le commerce, donc que cela nuit aux affaires.
Porte Saint-Jean, vers 1870.
Quartier Vieux-QuĂ©bec â Angle des rues DâAuteuil et Saint-Jean, vers 1870.
On voit Ă lâavant-plan Ă droite le haut dâun lampadaire de rue.
ĂCLAIRAGE DES RUES DE QUĂBEC
Si les dĂ©placements sont maintenant facilitĂ©s par un accĂšs libre aux portes, il faut cependant admettre que leurs abords, remplis de coins sombres, ont longtemps Ă©tĂ© reconnus comme des repaires de bandits et dâivrognes. Il a donc fallu rendre la ville plus sĂ©curitaire en instaurant un systĂšme dâĂ©clairage : cela sâest fait progressivement. En 1802, les autoritĂ©s civiles ont fait passer un rĂšglement obligeant les tenanciers dâhĂŽtels, dâauberges et de tavernes Ă garder Ă leur porte une lampe allumĂ©e du crĂ©puscule jusquâĂ minuit. Puis, en 1818, la Chambre dâassemblĂ©e a adoptĂ© une loi pour crĂ©er un corps du guet et de lâĂ©clairage qui avait pour tĂąche dâinstaller et dâallumer des flambeaux dans les principales places et artĂšres de la ville au dĂ©but de la nuit. Le manque de lumiĂšre nâest toutefois pas le seul danger : le fossĂ© qui borde les remparts cause aussi parfois des accidents. Câest dâailleurs ce qui a poussĂ© en 1831 les autoritĂ©s militaires Ă installer des lanternes prĂšs des portes des fortifications : deux soldats ivres seraient tombĂ©s dans le fossĂ© une nuit de lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, se blessant et embarrassant la garnison.
Depuis 1849, les rues de QuĂ©bec sont dotĂ©es dâĂ©clairage au gaz de charbon. Les lampadaires sâallument au dĂ©but du couvre-feu, offrant une lumiĂšre blanche et claire, plus nette que lâancien Ă©clairage Ă lâhuile. Cet excellent Ă©clairage a permis de diminuer lâagitation nocturne et de rendre les rues beaucoup plus sĂ©curitaires, puisque la lumiĂšre donne aux criminels le sentiment dâĂȘtre davantage surveillĂ©s. MĂȘme si les voies publiques sont maintenant bien Ă©clairĂ©es, il est quand mĂȘme fortement conseillĂ© de sortir avec une lanterne. Sans lumiĂšre, une personne de qualitĂ© risque dâĂȘtre prise pour un individu aux intentions louches.
Si en 1870 les rues de QuĂ©bec sont plus sĂ»res quâauparavant, il y a encore des secteurs oĂč, Ă la tombĂ©e de la nuit, on risque de voir surgir des vagabonds, des ivrognes, des bandits et des prostituĂ©es. La prochaine station vous permettra de dĂ©couvrir des quartiers malheureusement rĂ©putĂ©s pour leurs maisons malfamĂ©es.
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En Ă©tĂ©Â : empruntez lâescalier de la porte Saint-Louis pour atteindre la promenade des remparts.
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En hiver : retournez sur vos pas sous la porte Saint-Louis jusquâĂ lâavenue HonorĂ©-Mercier. Tournez Ă droite et arrĂȘtez-vous prĂšs de la fontaine de Tourny.
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Nous ne le voyons pas trĂšs bien lorsquâil fait nuit, mais en 1870 il est possible en plein jour dâapercevoir le quartier Saint-Jean-Baptiste Ă partir des remparts. Ă la fin de la journĂ©e de travail, dĂšs la tombĂ©e de la nuit, le quartier sâanime alors que les nombreux cabarets et bordels ouvrent leurs portes.
Quartier Saint-Jean-Baptiste vers 1870 : Ă lâavant-plan, lâĂ©glise et lâĂ©cole Saint-Jean-Baptiste, au second plan, le quartier Saint-Roch et la riviĂšre Saint-Charles.
En 1870, les maisons closes sont situĂ©es surtout Ă lâextĂ©rieur des murs de la ville, dans les quartiers ouvriers de Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste. On ne connaĂźt pas leurs adresses exactes car, depuis la nouvelle rĂ©glementation de 1866, elles ne sont plus autorisĂ©es Ă ĂȘtre visibles de la rue, contrairement Ă plusieurs villes de France oĂč les lupanars sont identifiĂ©s par une lanterne rouge placĂ©e dans leurs fenĂȘtres durant la nuit. Dans le quartier Saint-Roch, on trouve des bordels principalement sur les rues de la Reine, Saint-Joseph, Sainte-Marguerite et Octave, tandis que ceux du quartier Saint-Jean-Baptiste sont concentrĂ©s sur les rues DâAiguillon, Richelieu, Saint-Olivier, Sainte-GeneviĂšve et Richmond. Heureusement, il nây a presque plus de maisons closes dans les quartiers bourgeois, ce qui est une bonne chose car la prostitution nuit Ă la tranquillitĂ© des familles respectables et Ă la rĂ©putation des commerces honnĂȘtes.
Dans les annĂ©es 1850, des pĂ©titions circulaient pour se plaindre du trop grand nombre de maisons malfamĂ©es⊠car force est dâadmettre que le bruit et lâagitation autour de ces Ă©tablissements ont tendance Ă troubler la paix du voisinage. Certaines personnes demandaient mĂȘme lâinterdiction pure et simple des bordels. Il faut dire quâon en trouve beaucoup Ă QuĂ©bec. Pendant un dĂ©bat au conseil de ville en 1865, le conseiller Langlois a estimĂ© quâil y avait au moins 600 maisons de dĂ©bauche dans les quartiers populaires de la ville.
DĂSORDRE ET TAPAGE SUR LA RUE DU ROI
Au dĂ©but de 1850, Baptiste Lavoie et son Ă©pouse tiennent une maison trĂšs mouvementĂ©e situĂ©e sur la rue du Roi, dans la paroisse Saint-Roch de QuĂ©bec. Par un beau samedi soir du dĂ©but du printemps, une douzaine dâhommes et de femmes, rassemblĂ©s dans cette maison, ont passĂ© la nuit Ă boire, chanter, crier et se battre jusque vers quatre heures du matin, empĂȘchant les voisins de dormir. ExcĂ©dĂ©s, des citoyens ont officiellement portĂ© plainte devant la Cour des sessions de la paix, dĂ©nonçant les gens de mauvaise vie qui la frĂ©quentent. On ne sait pas exactement comment lâaffaire sâest terminĂ©e, mais les tenanciers ont apparemment Ă©vitĂ© la prison.
Devant les plaintes de plus en plus...