Annexe 1
Les prérequis de la « société démocratique
de développement »
La sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique de dĂ©veloppement repose fondamentalement sur lâĂ©galitĂ© des chances de tous les citoyens (et donc sur une distribution Ă©quitable des biens et services essentiels), ce qui implique lâĂ©galitĂ© dans la participation Ă la vie politique.
La croissance Ă©conomique
Le bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral ne peut ĂȘtre maintenu sans croissance Ă©conomique, et en particulier sans une augmentation continuelle de la productivitĂ© du travail. Le travail avilissant doit finir par disparaĂźtre, grĂące au dĂ©veloppement de la recherche, au progrĂšs technologique et Ă la rationalisation quâil permet. Lâorganisation spatiale de la croissance Ă©conomique doit aussi rĂ©aliser un Ă©quilibre entre la concentration dans les grands centres et une diffusion territoriale plus large.
« La croissance Ă©conomique du QuĂ©bec ne sera possible que si un effort systĂ©matique de planification est entrepris », une planification globale, tenant compte de chacun des secteurs et de leurs interrelations. On doit sâattaquer « rĂ©solument Ă la recherche des vocations propres au QuĂ©bec sur le marchĂ© international », ce qui implique de concentrer « des investissements considĂ©rables dans les infrastructures de recherche et dâĂ©ducation ».
La sécurité économique
Si les biens sont en gĂ©nĂ©ral produits par lâentreprise privĂ©e, « les services les plus fondamentaux tendent Ă ĂȘtre produits par lâĂtat et leur distribution tend Ă devenir gratuite et universelle », leur coĂ»t Ă©tant remboursĂ© par lâimpĂŽt, qui touche davantage les citoyens aux revenus les plus Ă©levĂ©s. Les biens que les individus se procurent Ă lâaide de leur revenu personnel constituent ce quâon appelle le « panier de base de la consommation ». Le contenu de celui-ci dĂ©termine le critĂšre de pauvretĂ©, en mĂȘme temps que le critĂšre de ce qui est nĂ©cessaire, et que « lâĂtat se doit de garantir Ă lâensemble des citoyens », selon le principe de justice distributive. La notion de revenu garanti, familial ou individuel, « est une exigence fondamentale de la sociĂ©tĂ© de dĂ©veloppement ». De trĂšs nombreuses Ă©tudes montrent en effet que « le plus souvent les Ă©checs scolaires, la maladie physique ou mentale, lâalcoolisme, les problĂšmes conjugaux sont reliĂ©s directement Ă lâimpossibilitĂ© de se procurer les biens contenus dans le panier minimum de consommation. AmĂ©liorer les services dâĂ©ducation, les services mĂ©dicaux, sociaux, culturels, sans dâabord toucher au revenu de base et Ă sa relation avec le panier de consommation socialement dĂ©fini, câest se rĂ©soudre Ă Ă©tablir au point de dĂ©part des services peu efficaces et continuellement encombrĂ©s ».
« Le revenu garanti force thĂ©oriquement lâĂtat non seulement Ă planifier la production des services qui lui sont confiĂ©s mais aussi Ă planifier seul ou avec les producteurs la production globale des biens et des services produits dans la sociĂ©tĂ©. » « Tant que cette rĂ©organisation des mĂ©canismes de dĂ©finition des besoins nâest pas mise en opĂ©ration, il est impossible de garantir Ă tous les citoyens un revenu de base Ă©quivalant au panier de consommation socialement dĂ©fini. » Dans lâimmĂ©diat, lâĂtat peut sâen approcher, « en combinant les diverses mesures de sĂ©curitĂ© Ă©conomique et en Ă©tablissant un service unique de distribution des prestations », lui-mĂȘme « reliĂ© avec le service de main-dâĆuvre et le systĂšme dâĂ©ducation, afin de permettre un recyclage et la rĂ©insertion du plus grand nombre dans des emplois Ă haute productivitĂ© et Ă grande rentabilitĂ© Ă©conomique ».
« MĂȘme si lâĂ©tablissement du revenu garanti semble impossible Ă court terme, Ă moyen terme il peut devenir possible de lâĂ©tablir Ă condition de commencer tout de suite Ă Ă©tablir une certaine forme de contrĂŽle social sur la dĂ©finition des besoins compris dans le panier minimum », de mĂȘme quâun contrĂŽle par les individus et les familles. « Sans le revenu garanti, la sociĂ©tĂ© de dĂ©veloppement ne peut exister. »
Le travail et la main-dâĆuvre
Mais le revenu garanti peut-il ĂȘtre procurĂ© par le plein emploi ?
« Dans le contexte technologique actuel et futur, cette hypothĂšse du plein emploi apparaĂźt de plus comme utopique et irrĂ©alisable. » Ce quâil faut viser plutĂŽt, « câest une politique dâemploi optimum basĂ©e sur une productivitĂ© toujours croissante des secteurs primaire et secondaire et basĂ©e sur la crĂ©ation dâemplois nouveaux dans le tertiaire et surtout dans le quaternaire qui est le domaine de lâĂ©ducation, de la recherche et de la crĂ©ation culturelle ». Cette politique suppose un haut niveau de formation et une trĂšs grande possibilitĂ© de mobilitĂ©, soutenus par des services dâorientation, de placement et de recyclage « qui fassent le pont entre les politiques de formation et les politiques de croissance Ă©conomique » et soient coordonnĂ©s avec les services de sĂ©curitĂ© Ă©conomique, les services locaux de diagnostic et les diffĂ©rents services spĂ©cialisĂ©s dans le domaine de la santĂ©, de la participation, du logement et de lâĂ©ducation. Dans ces conditions, « le recyclage ne visera pas tant Ă procurer un emploi Ă un travailleur qui a perdu le sien, quâĂ faire en sorte quâun travailleur se prĂ©pare Ă un emploi diffĂ©rent de celui quâil a dĂ©jà ».
La santé
La santĂ© physique et mentale est une condition fondamentale de lâĂ©panouissement de lâindividu. La nĂ©cessitĂ© dâassurer de façon universelle les soins hospitaliers et mĂ©dicaux Ă©tant acquise, les principaux problĂšmes qui se posent sont des problĂšmes dâorganisation, qui seront traitĂ©s en dĂ©tail dans la suite du rapport de la Commission. Il est essentiel que tous les citoyens aient un accĂšs Ă©gal Ă tous les services. Et il faudra sâoccuper des Ă©tats dâurgence qui existent dans les milieux dĂ©favorisĂ©s urbains et dans les rĂ©gions pĂ©riphĂ©riques, et qui vont nĂ©cessiter des actions draconiennes.
Le logement et lâhabitat
Le logement Ă©tant considĂ©rĂ© comme une responsabilitĂ© privĂ©e, « la notion de logements publics demeure associĂ©e Ă la notion dâassistĂ© social, de dĂ©pendance sociale ». Par ailleurs, lâexistence dâune « proportion relativement grande de logements ne rĂ©pondant pas aux normes minimales dâhygiĂšne et de confort » constitue « une situation inadmissible dans la sociĂ©tĂ© de dĂ©veloppement », et « dâautant plus critique que mĂȘme si le revenu garanti Ă©tait immĂ©diatement accessible Ă tous, il ne permettrait pas aux familles de se procurer, sur le marchĂ©, un logis convenable rĂ©pondant aux exigences de la vie familiale ». Ătant donnĂ© les consĂ©quences dâun logement inappropriĂ© sur la santĂ© physique, le rendement scolaire, les problĂšmes familiaux, lâĂ©quilibre psychologique, etc., « un logement dĂ©cent et adĂ©quat nous apparaĂźt comme un droit fondamental », que lâĂtat doit veiller Ă faire respecter. « De mĂȘme que lâuniversalisation de la santĂ©, de lâĂ©ducation, de la sĂ©curitĂ© Ă©conomique a impliquĂ© que lâĂtat retire au moins en partie ces secteurs Ă lâentreprise privĂ©e, la reconnaissance de lâhabitation comme droit universel va impliquer que lâĂtat intervienne directement dans le processus des biens et des services dâhabitation. »
Quel que soit le mode dâintervention choisi par lâĂtat, il est urgent quâun « stock assez grand de logements adĂ©quats et Ă prix modique soit Ă©tabli ». Mais il faudra Ă©galement se prĂ©occuper de lâhabitat, qui doit « rĂ©pondre Ă certaines normes minima. Nous sommes lĂ en face dâune ambiguĂŻtĂ© trĂšs profonde de la sociĂ©tĂ© actuelle. Dâun cĂŽtĂ© lâamĂ©nagement du territoire [âŠ] est dĂ©jĂ dĂ©fini comme une responsabilitĂ© » de lâĂtat, mais de lâautre, « la rĂ©alisation de cet amĂ©nagement [âŠ] est laissĂ©e entiĂšrement Ă lâentreprise privĂ©e », si bien quâil est « pratiquement impossible de rĂ©aliser les amĂ©nagements qui ont Ă©tĂ© planifiĂ©s. [âŠ] Un milieu sain, non polluĂ©, pourvu de services adĂ©quats et formant une communautĂ© humaine de base, voilĂ autant de caractĂ©ristiques Ă©lĂ©mentaires de lâhabitat. Lâobtention dâun tel milieu ne sera possible que si lâamĂ©nagement urbain devient une activitĂ© vĂ©ritablement contrĂŽlĂ©e par la sociĂ©tĂ© ».
La participation Ă la vie politique
« La sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique de dĂ©veloppement suppose que tous les citoyens puissent influencer les dĂ©cisions qui affectent directement leur vie. » Que cette participation aux dĂ©cisions intervienne au moment de la dĂ©termination des objectifs et des prioritĂ©s, ou au moment du choix des moyens et de la mise en application des dĂ©cisions, cela impliquera la crĂ©ation de structures ou « lâamplification » des structures existantes.
Il y a deux prĂ©requis essentiels Ă cette participation. Le premier est « un systĂšme dâinformation adĂ©quat qui permette aux citoyens de vraiment dĂ©battre leurs problĂšmes en toute connaissance de cause ».
La dĂ©tention monopolistique de lâinformation Ă©tant la source du pouvoir dans les sociĂ©tĂ©s technocratiques, « la premiĂšre mesure quâil faut prendre si lâon veut que le pouvoir soit le plus rĂ©pandu possible, câest dâabolir la rĂšgle de confidentialitĂ© qui est trop souvent appliquĂ©e aux dĂ©cisions dâordre public » et nâest pas compatible « avec une dĂ©mocratie vĂ©ritable ». Il faut aussi « fournir Ă tous les citoyens (aux Ă©lĂšves du secondaire aussi bien quâaux adultes) les connaissances de base nĂ©cessaires pour comprendre et expliquer la vie Ă©conomique, politique et sociale de leur sociĂ©tĂ© », « utiliser au maximum les possibilitĂ©s de lâinformatique et des moyens de communication de masse » et avoir recours aux experts « qui prĂ©parent lâinformation aussi bien que les dĂ©cisions ». « Câest Ă ce genre dâinformation organisĂ©e que doit tendre une politique dâinformation compatible avec une vĂ©ritable dĂ©mocratie. »
Le second prĂ©requis est la possibilitĂ© pour les citoyens de sâorganiser en fonction de leurs intĂ©rĂȘts. Si la dĂ©mocratie directe est impossible dans une sociĂ©tĂ© « complexe et nombreuse » comme la nĂŽtre, « la dĂ©mocratie par dĂ©lĂ©gation qui ne serait pas accompagnĂ©e dâun contrĂŽle constant par les citoyens devient rapidement une supercherie oĂč la dĂ©mocratie consiste Ă donner carte blanche Ă un groupe de reprĂ©sentants ». Seuls ceux qui possĂ©daient dĂ©jĂ un pouvoir Ă©conomique ou social Ă©levĂ© ont rĂ©ussi Ă se donner une structure organisationnelle valable pour dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts et faire pression sur les hommes politiques, si bien que « le citoyen moyen [âŠ] se trouve complĂštement dĂ©pourvu Ă la fois contre ces groupes organisĂ©s et contre lâĂtat qui lui apparaĂźt comme extĂ©rieur ». « Une dĂ©mocratie vĂ©ritable ne pourra exister que le jour oĂč [âŠ] tous les groupes y compris les plus dĂ©favorisĂ©s pourront sâorganiser », avec lâaide de la « sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique de bien-ĂȘtre », ce qui permettra Ă la dĂ©fense des intĂ©rĂȘts et Ă lâexpression des valeurs de sâexercer « de façon ouverte et publique ». Pour leur part, les groupes devront apprendre Ă dĂ©battre publiquement de leurs problĂšmes et de ceux de la sociĂ©tĂ©, et seront aidĂ©s en cela par des animateurs sociaux. « Cette fonction dâanimation sociale nous semble un prĂ©requis de la sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique de dĂ©veloppement. » Elle pourrait ĂȘtre subventionnĂ©e par lâĂtat et rattachĂ©e soit Ă un Office de planification, soit aux universitĂ©s.
La vie culturelle
La vie culturelle devient un mode privilĂ©giĂ© dâĂ©panouissement du citoyen dans la sociĂ©tĂ© de dĂ©veloppement. Elle nâest pas restreinte Ă la culture traditionnelle, « qui Ă©tait lâapanage plus ou moins exclusif des classes supĂ©rieures ». Dans la sociĂ©tĂ© de dĂ©veloppement, cette culture traditionnelle pourra ĂȘtre diffusĂ©e « de façon beaucoup plus considĂ©rable », mais on peut prĂ©voir « lâapparition dâune nouvelle culture Ă laquelle pourront participer tous les individus ». Ainsi, lâaccent sera « moins placĂ© sur le chef-dâĆuvre et sa consommation que sur lâĆuvre et sa production comme mode dâexpression ». Lâenseignement des arts devra toucher non seulement les jeunes, mais aussi les adultes. Pour la pratique des arts, la population devra disposer de centres et dâĂ©quipements appropr...