Â
Â
Les cowboys et les Indiens
John Wayne a tuĂ© des milliers dâIndiens durant sa longue carriĂšre de cowboy. Les figurants sioux ou comanches se distinguaient par leur habiletĂ© Ă rouler sous des chevaux qui, eux aussi, jouaient le rĂŽle des abattus, des bĂȘtes et des cavaliers qui savaient tomber raides morts au signal du metteur en scĂšne. MalgrĂ© ces petits rĂŽles, les Indiens aiment la country. Pourquoi ? Nous tenons lĂ une piste, pour ne pas dire une bonne question, une question directe qui nous renseigne sur les dialogues entre les cultures dans lâhistoire. Il est des affinitĂ©s souterraines qui transcendent les conflits de surface. Dans le monde des Cowboys, il y a des Indiens ; dans le monde des Indiens, il y a des Cowboys.
Le Cowboy nâest pas gentil pour lâIndien, qui le lui rend bien. Mais les deux finissent par se rejoindre sur les plateaux de la libertĂ© perdue. Plateaux de cinĂ©ma et pans de vie. Dans les deux cas, lâĂȘtre libre nâest pas invitĂ© Ă la convention des gens bien installĂ©s. Les Cowboys savent quâils nâappartiennent pas au village constituĂ©. Les Indiens savent aussi quâils campent autour de la sociĂ©tĂ©. Le Cowboy couche dans lâĂ©table. Il entre dans le village Ă lâaube. Les errants se reconnaissent. Le Cowboy et lâIndien chevauchent cĂŽte Ă cĂŽte dans leur soif de dignitĂ©.
Ce sont des parents ennemis réunis dans leur destin commun.
Ils se disputaient la Prairie, aucun ne lâaura eue. Leur poteau de torture sera un poteau de clĂŽture.
Les deux, le Cowboy et lâIndien, aiment les chevaux et les beaux costumes. Ils aiment les couvre-chefs, les franges, les perles, les couleurs, les mouchoirs rouges. Ils aiment lâespace sauvage. Ensemble, ils seront tristes face Ă lâarrivĂ©e de la locomotive, annonciatrice de la fin du monde. Le chemin de fer est une marque indĂ©lĂ©bile, la marque de la civilisation. Les Cowboys attaqueront les trains. Les Indiens attaquent les convois et les diligences. Ensemble, ils aiment le whisky. Ils sont gibiers de cavalerie.
Charles Bronson est cowboy et indien, Anthony Quinn a le visage de tous les personnages. Les traits du premier sont un modĂšle de mĂ©tissage, slave et mongol en rĂ©alitĂ©, le fameux mariage de lâOrient et de lâOccident. MĂ©lange ultime. Le visage du second, mexicain et indien, nâa pas besoin de commentaires. Munis de pareilles bouilles, ces acteurs incarneront les Indiens, les Mexicains, les Grecs joyeux ou les bandits polonais, les Italiens, les Français, les Sangs-MĂȘlĂ©s du monde entier. Gabriel Dumont, un authentique guerrier mĂ©tis, les rĂ©sume assez bien. Mais qui se souvient de son magnifique visage ? Ou mĂȘme de son nom ?
Le fermier porte des bretelles qui lâattachent Ă la charrue. Quand passe lâĂ©tranger, le fermier lâabrite pour une nuit. Il soigne les chevaux du cowboy. Il donne une Ă©cuelle Ă la bĂȘte et une autre Ă lâhomme. Mais le Cowboy va repartir. Ils se seront peu parlĂ©. Dâailleurs, le Cowboy a peu de choses Ă dire. Le mutisme du Cowboy rejoint bien celui de lâIndien. Le solitaire est souvent patibulaire. Il serait inutile dâessayer dâexprimer lâindicible. Ă moins de se mettre Ă chanter, Ă faire de la musique. Mais encore, le solitaire nâest pas un virtuose. Il gratte la guitare, il souffle dans lâharmonica.
Sa ballade est légÚre. Il voyage léger.
LâIndien taciturne et le Cowboy de mĂȘme personnifient ensemble le contraire du Don Quichotte de CervantĂšs. Ils ne se racontent pas dâhistoires. Ils ne fabulent pas. Ils ne sont pas chevaleresques, ils ne sâinventent pas des causes. Ils savent la fin de lâhistoire puisquâils sont la fin de lâHistoire. La veuve sera malheureuse, lâorphelin sera orphelin. Et eux sâen iront seuls dans le silence de la perte.
Sitting Bull a travaillĂ© dans le cirque de Buffalo Bill et les guerriers iroquois faisaient le cri de guerre chez Barnum Ă la fin du XIXe siĂšcle. Le thĂ©Ăątre de lâOuest mettait en scĂšne des Indiens et des Cowboys en mĂȘme temps que se dĂ©roulaient les Ă©vĂ©nements de Wounded Knee. Nous sommes si tragiquesâŠ
RĂ©cemment, jâĂ©tais au lac Cimon (Simo Shakaigan). Les Indiens dâaujourdâhui sont des Cowboys modernes. Il y a dans tous les Cowboys un Indien qui sommeille. Entendez cette musique de fond, une sorte de nostalgie universelle traversant lâĂąme des perdants. Cette musique est la consolation perpĂ©tuelle dâune peine dont personne ne veut parler.
Sous un grand chapiteau, jâai donnĂ© une longue confĂ©rence. Jâai parlĂ© pendant deux jours. Durant les pauses, la musique country jouait trĂšs fort. Mais au retour, lâĂ©coute Ă©tait religieuse, lâassistance nombreuse. Jâavais devant moi de riches visages : une grande partie de la communautĂ© anishinabe (algonquine) du lac Cimon. Des chapeaux de cowboy, des casquettes, des bandeaux colorĂ©s, des lunettes de soleil, des vieux visages de vieilles femmes, des petits enfants qui couraient partout et des chiens entre mes pattes de confĂ©rencier. Jâavais moi-mĂȘme les bottes aux pieds.
La radio communautaire de Simo Shakaigan diffuse exclusivement de la musique country. CaptĂ©e par Val-dâOr en raison de la proximitĂ© gĂ©ographique, cette radio est devenue la prĂ©fĂ©rĂ©e des gens de Val-dâOr. Abitibiens et Algonquins se rejoignent finalement sur ce terrain.
Ma confĂ©rence terminĂ©e, jâai parlĂ© Ă mon char. Je lui ai dit : « Allez mon beau, enligne la 117, nous retournons Ă MontrĂ©al pour faire une Ă©mission de radio sur la country-western. »
Â
Â
Monsieur Germain et mademoiselle Laberge
Il ne suffit pas dâĂȘtre jeune pour ĂȘtre humain. Il faut faire ses classes. Dans ces classes, il y a des professeurs. Le regard imprĂ©cis que nous jetons sur lâĂ©cole vient de lâincapacitĂ© de notre monde Ă sâinscrire dans le flux du temps. Difficile de nous projeter quand tout se fige dans lâinstant. Nous avons un rapport trouble avec le calendrier. Ătre jeune ne peut pas ĂȘtre un but ni mĂȘme une vertu. Cela passe. Ătre jeune, câest se prĂ©parer Ă ne plus lâĂȘtre. Les professeurs sont des passeurs, ce sont les artisans de ce passage. Alors, câest important.
Cependant, rien nâest simple. Les professeurs se retrouvent aux premiĂšres loges dâune contradiction grandissante : notre monde ne valorisant ni le souvenir ni le devenir, la jeunesse nâest plus un point de dĂ©part, mais dĂ©sormais un but. Les accords et les calculs du temps ont perdu de leur importance. Il nây a plus dâaprĂšs, il nây a plus dâavant. Alors câest embĂȘtant.
Retourner Ă lâĂ©cole en septembre est dĂ©jĂ une leçon dâhumilitĂ©. Câest le mouvement perpĂ©tuel dâune humanitĂ© qui accumule le savoir et qui se doit de le transmettre. Il faut toujours recommencer, nous sommes des ĂȘtres inachevĂ©s. MĂȘme le professeur en apprend tous les jours. Imaginez lâĂ©lĂšve. Il faut que jeune apprenne, il faut quâadulte montre. Rien au monde ne changera lâordre des choses. Il est curieux de constater jusquâĂ quel point lâĂ©cole, qui est le lieu de toutes les tendances et de toutes les modes, constitue quand mĂȘme le lieu de la continuitĂ©. LâĂ©cole sera toujours Ă©lĂ©mentaire.
Dans une sociĂ©tĂ© superficielle, lâessentiel nâest pas le premier sujet. Nous parlons beaucoup dâĂ©ducation mais nous contournons la question. LâĂ©ducation est un budget, lâenseignement un poste et lâĂ©cole un local. Nous faisons des programmes. Lâhiver peut revenir et sĂ©vir. La sociĂ©tĂ© se remet au travail dans la certitude du devoir accompli, du moment que les enfants sont retenus Ă lâĂ©cole. Nous ne tenons pas tellement Ă savoir combien difficile est le mĂ©tier de professeur dont la mission consiste justement Ă transmettre du savoir et Ă allumer des rĂ©verbĂšres. Du moment que lâenveloppe est respectĂ©e.
Nous souvenons-nous assez de lâimportance de nos premiĂšres annĂ©es ? LâĂ©cole donne des armes et des armures, elle donne la carte routiĂšre de la vie. LâĂ©cole est toujours une Ă©cole de conduite. Elle donne des Ă©lans, elle fabrique du savoir-vivre. Nous nâavons pas dâautre choix que de faire la somme du passĂ©. Dâautres avant nous ont regardĂ© les Ă©toiles, classĂ© les plantes, nommĂ© les animaux, construit des ponts, fait des calculs. Dâautres avant nous ont peinĂ©, rĂ©flĂ©chi, trouvĂ©, expĂ©rimentĂ©, espĂ©rĂ©. Tout est histoire et cette histoire doit ĂȘtre apprise. La passion de bien faire doit ĂȘtre constamment reprise. Et nous avons des rĂȘves. Les professeurs nous conduisent. Le mĂ©tier dâenseignant est on ne peut plus grand.
Contre lâanonymat de la tĂąche, contre les paradoxes de notre monde, enseigner est un acte dâespoir. Albert Camus disait tout devoir Ă un seul professeur. Monsieur Germain captivait lâattention de tous les Ă©lĂšves. Lorsquâil parlait, plus rien nâexistait ; il faisait disparaĂźtre tous les bruits, toutes les distractions. MĂȘme les mouches sâarrĂȘtaient de voler. On ne pouvait donc pas les entendre. La magie est la chose la plus simple qui soit, elle est si ordinaire que nous ne la voyons plus opĂ©rer. Lâinstituteur de Camus nâĂ©tait pas flamboyant : il semble quâil ait Ă©tĂ© profondĂ©ment humain. Il parlait de sa vie, de sa jeunesse (nous avons tous une jeunesse) et il tissait des liens entre les sujets.
Camus Ă©tait issu dâun quartier pauvre. Il eĂ»t Ă©tĂ© facile de le classer et de classer lâaffaire. Ses chances de devenir un des Ă©crivains les plus importants de son siĂšcle Ă©taient nulles. Pendant que Sartre se prĂ©parait dans sa chambre close Ă devenir Jean-Paul Sartre en lisant trois bouquins par jour, Camus renversait les poubelles des ruelles, se battait dans les terrains vagues, jouait au football. Mais, entre lui et son destin se trouvait un prof, monsieur Germain.
Il nâest pas facile dâĂȘtre un petit enfant, il nâest pas facile dâĂȘtre jeune. Toute cette vie Ă remonter, toute cette vie devant soi, imaginez. Quand jâĂ©tais petit, jâavais peur. Câest mademoiselle Laberge qui mâa sauvĂ©. Je ne me souviens pas de son programme mais je me souviens de son visage. Elle respirait lâespoir du monde. MalgrĂ© les batailles dans la cour, contre la pauvretĂ©, contre tout espoir justement, elle mâa donnĂ© le goĂ»t de ne jamais dĂ©sespĂ©rer.
La vie humaine est une Ă©cole permanente. Ce serait quasiment le dernier refuge de la communautĂ© dans le passage du temps. Ici, on Ă©lĂšve des nouveaux humains. Voici de beaux adultes en face de beaux jeunes. Serions-nous la premiĂšre sociĂ©tĂ© dans lâhistoire oĂč le jeune nâaspire quâĂ ĂȘtre jeune ? Difficile dâĂȘtre un passeur dans une sociĂ©tĂ© qui nie le temps qui passe. Il nây a aucun avantage Ă ĂȘtre adulte dans un monde oĂč la maturitĂ© est une sorte de dĂ©crĂ©pitude. Si ĂȘtre jeune est la seule ambition de lâĂȘtre, alors fermons lâĂ©cole.
Â
Â
Les bibittes
Quand je rentre dâun long voyage sur la route, en Ă©tĂ©, je suis toujours heureux de voir mon pare-brise mouchetĂ©, pour ainsi dire picotĂ©, par autant de bibittes Ă©crasĂ©es. Dans ma tĂȘte, mes voyages se mesurent Ă lâimportance de ce tableau de chasse sur le devant de ma machine. Plus il y en a, plus je reviens de loin. Cette vie morte est bien huileuse, elle tache sans bon sens. Elle se rĂ©cure mal, comme si ces traces de vie cherchaient Ă sâimprimer pour de bon. MalgrĂ© tout, je voudrais bien voir le squeegee qui toucherait Ă mes bibittes. Pas question dâeffacer dâun seul coup les marques de mes tournĂ©es. Ces mouches sont les miennes et je tiens Ă prendre le temps dâapprĂ©cier ce quâelles reprĂ©sentent. Ce sont des signes des temps et, qui plus est, des temps que lâon traverse.
Le monde est rempli de bibittes. Peu importe que votre automobile soit luxueuse ou ordinaire, les bibittes ne font pas la diffĂ©rence. Dans le pare-brise, sur le pare-chocs, elles cognent, elles beurrent, elles cherchent Ă lutter contre nous. Jamais on nâa vu un brĂ»lot essayer dâĂ©viter une collision avec un camion. Dans lâordre de lâhĂ©catombe, lâessuie-glace devient un essuie-sang. Routiers, nous connaissons tous ce combat dĂ©goĂ»tant contre cette sorte de purĂ©e. Une mouche, câest gras.
Fendre lâair revient Ă fendre un rideau de bibittes qui, la nuit surtout, se prennent un Ă©lan pour mieux embrasser la lumiĂšre de nos phares. Les bibittes qui font cela passent de vie Ă trĂ©pas sans souffrir, nous lâimaginons bien. Lâimpact doit ĂȘtre tel que la souffrance nâa pas le temps de se faire sentir. De plus, ces impacts rĂ©pĂ©tĂ©s, quoique menus, ont Ă coup sĂ»r une micro-influence sur la consommation dâessence. Il suffirait de trouver le poids dâun maringouin moyen, aprĂšs piqĂ»re, pour le multiplier par le nombre de bibittes au pouce carrĂ© imprimĂ©es sur le nez dâune voiture ; nous pourrions ensuite mettre cette somme en relation avec le poids moyen de lâautomobile la plus vendue, compte tenu de sa vitesse moyenne et de la vitesse pareillement moyenne de la bibitte de rĂ©fĂ©rence, sans oublier la tempĂ©rature de lâair, lâimportance du vent ainsi que la reconstitution virtuelle des angles de collision. Notre connaissance de la rĂ©sistance de lâair sâen trouverait enrichie.
Si je refaisais ma vie, jâentreprendrais une thĂšse de doctorat sur la diversitĂ© des bibittes que lâon retrouve sur le nez des voitures en Ă©tĂ©. Papillons, mouches noires, brĂ»lots, mouches Ă chevreuil, frappe-abord, libellules, maringouins, je ferais des cohortes, des types et des classes, je concevrais un programme et tirerais des conclusions. Certaines bibittes meurent sans le vouloir. Elles ne tiennent pas Ă se faire Ă©craser mais il arrive quâune voiture les frappe inopinĂ©ment. Ce sont des accidents. Dâautres se suicident carrĂ©ment. Nous sommes en prĂ©sence de bibittes malheureuses qui se sont mirĂ©es dans lâĂ©tang qui les aura vues naĂźtre. Elles se trouvent laides Ă mourir et se cherchent un mur pour en finir. Dâautres encore, la majoritĂ© peut-ĂȘtre, sont simplement victimes de leurs croyances. Elles croient en ces lumiĂšres vers lesquelles elles sâĂ©lancent. Un maĂźtre mouche leur aurait jadis expliquĂ© que ces feux-lĂ mĂšnent Ă la terre promise des bibittes, une plage dans le ciel oĂč des millions dâhumains Ă sang chaud dorment nus sur le sable et oĂč les bibittes sont si grandes que personne ne les tue.
La dĂ©couverte de ces phĂ©nomĂšnes tient Ă nos excĂšs de vitesse. Les bibittes meurent de notre mobilitĂ©. Nous filons jour et nuit et elles sont lĂ , dans le chemin. Lorsquâil y a une Ă©closion de mouches noires autour dâune flaque sauvage, les mouches se mettent Ă voyager. Elles traversent des distances incroyables Ă la recherche dâune peau Ă piquer et de sang Ă sucer. Quand elles croisent une route frĂ©quentĂ©e, elles se divertissent et elles se prĂ©parent Ă la collision sacrĂ©e. Nos machines attirent les bibittes. Pour des raisons inexpliquĂ©es, il y a un lien entre les moustiques et la mĂ©canique.
VoilĂ la nouvelle nature sauvage qui rapatrie les cours Ă scrap dans le giron de ses grands paradis. Le crotale aime le mĂ©tal, le homard aime les chars, le porc-Ă©pic gruge les filins Ă©lectriques et les plus beaux papillons rĂȘvent aux lumiĂšres des usines et aux flammes des raffineries. Les oiseaux viennent manger les bibittes Ă©crapouties sur les capots des vieilles carcasses. Oui, les oiseaux mangeurs de mouches viennent picosser les radiateurs encore tiĂšdes de nos machines au repos. Vivement la vie. Car ce nâest pas demain que la vie va mourir. Les bibittes, câest connu, nous survivront. Le rĂ©chauffement de la planĂšte les arrange assez.
LâĂ©tĂ© ramĂšnera toujours le temps du pare-brise mouchetĂ©. Je suis heureux quand je tue mes premiĂšres bibittes, au printemps. Cela me dit que je roule encore. Câest un signe, une marque, une bonne nouvelle par rapport aux cycles de notre vie. Avons-nous le respect de tout ce qui nous frappe quand nous nous transportons ?
Il y a un univers dans chaque bibitte. LâĂ©crapoutissement dâun univers, cela, quand mĂȘme, donne Ă penser.
Je suis en vacances
Il faut que nos vies soient bien dures pour attacher une si grande importance aux vacances. Jamais, peut-ĂȘtre, le monde nâaura traĂźnĂ© pareille fatigue. Nous sommes riches comme personne ne lâa Ă©tĂ© avant nous. Nous sommes confortablement installĂ©s, bien intentionnĂ©s, nous sommes bons. Nous devrions crier de joie, chanter notre bonheur, publiciser le paradis terrestre. Mais non : nous traĂźnons notre lassitude comme un poids que nos ancĂȘtres eux-mĂȘmes nâauraient pas portĂ©, eux qui bĂ»chaient Ă la sciotte, lavaient les couches Ă la main, marchaient dâune place Ă lâautre, se faisaient souffri...