MƓurs de province
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MƓurs de province

François Ricard

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MƓurs de province

François Ricard

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Le QuĂ©bec est, jusqu'Ă  nouvel ordre, une simple province, et les QuĂ©bĂ©cois sont des « provinciaux ». Dans ce recueil de textes, qui fait suite Ă  ses « Chroniques d'un temps loufoque », François Ricard nous fait prendre conscience des avantages qu'il y a Ă  vivre dans une province et Ă  ne pas se trouver aux commandes du monde, ne serait-ce que la possibilitĂ© de voir celui-ci d'un peu loin, donc de le critiquer plus librement.Mettant Ă  profit ce recul favorable Ă  la rĂ©flexion, il nous invite Ă  nous pencher sur des questions qu'on Ă©vite le plus souvent: Qu'est-ce qu'ĂȘtre moderne aujourd'hui? L'anti-intellectualisme est-il le flĂ©au que l'on dit dans notre sociĂ©tĂ©? Le français est-il en voie de devenir une langue obsolĂšte, mĂȘme – et surtout – en France? La littĂ©rature quĂ©bĂ©coise – pour peu qu'elle existe – serait-elle l'avenir de la littĂ©rature française? Le salut peut-il passer par la poĂ©sie?L'auteur propose, en passant, le concept de « nĂ©oprovincialisme » pour dĂ©crire notre situation. Car n'est-ce pas en province que sont dĂ©sormais accueillies les idĂ©es nouvelles avec un enthousiasme et une unanimitĂ© qu'on ne voit guĂšre au mĂȘme degrĂ© dans les sociĂ©tĂ©s oĂč elles ont Ă©tĂ© inventĂ©es? Ce qui l'amĂšne Ă  jeter un regard Ă  la fois intriguĂ© et amusĂ© sur quelques phĂ©nomĂšnes qui caractĂ©risent notre quotidien: accommodements raisonnables, « Outgames », rĂšgles d'Ă©quitĂ© en emploi, « grand humour » auquel atteignent parfois certains de nos esprits les plus fins. Bref, les grands et les petits bonheurs de la vie provinciale. « MƓurs de province », oĂč l'essayiste ne manque pas Ă©galement de rendre un hommage Ă©mu Ă  quelques ĂȘtres qui l'ont marquĂ©, est un livre qui n'a aucune vĂ©ritĂ© ni aucun salut Ă  proposer, n'obĂ©issant Ă  rien d'autre qu'au besoin de ne jamais perdre de vue la complexitĂ© et la vanitĂ© de nos pensĂ©es et de nos existences, sans oublier, bien sĂ»r, le plaisir d'Ă©crire.

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Informations

Année
2014
ISBN
9782764642917

PETITS ET GRANDS BONHEURS
DE LA VIE DE PROVINCE

Lettre à l’ami reparti
Mon cher L***,
Ainsi, vous ĂȘtes retournĂ© vivre en France.
Ayant choisi de quitter Paris oĂč vous habitiez depuis vingt-cinq ans et d’immigrer chez nous en bonne et due forme, vous aurez vĂ©cu Ă  MontrĂ©al, tout prĂšs de nous, avec nous, pendant quatre belles annĂ©es, vous intĂ©grant Ă  notre milieu d’une maniĂšre exemplaire, vous montrant constamment attentif Ă  la vie et Ă  la littĂ©rature d’ici, gĂ©nĂ©reux de votre temps, ouvert, bĂątissant de solides amitiĂ©s et nous faisant profiter, surtout, de votre culture, de l’infatigable vivacitĂ© de votre esprit, de votre rire, de votre prĂ©sence Ă  la fois stimulante et rĂ©confortante, toutes choses dont nous ne vous remercierons jamais assez. Puis vous avez dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă  l’expĂ©rience. Je sais que vous n’avez pas pris cette dĂ©cision de gaietĂ© de cƓur, mais votre dĂ©part m’a dĂ©solĂ©, et vous me manquerez, vous me manquez dĂ©jĂ  beaucoup.
Pourquoi Ă©tiez-vous venu vous Ă©tablir ici, je ne l’ai jamais trĂšs bien compris. À l’époque oĂč vous prĂ©pariez votre immigration, vous vous en souvenez, je vous prĂ©venais : MontrĂ©al est une ville agrĂ©able, certes, le QuĂ©bec est une terre accueillante, la vie y est calme et gentille, les gens sont adorables, nos tempĂȘtes de neige superbement poĂ©tiques, et l’activitĂ© culturelle est un feu roulant de fĂȘtes et de spectacles ; mais au point de vue intellectuel, ou en fait de vie littĂ©raire, c’est le dĂ©sert ou presque. Au dĂ©but peut-ĂȘtre, cette tranquillitĂ© aurait pour vous quelque chose d’édĂ©nique, vous reposant de la foire parisienne dont vous me disiez tant de mal, vous donnant le sentiment de vous trouver dans un milieu moins frivole et plus authentique ; mais Ă  la longue, tout cela risquerait de vous ramollir, de vous envelopper dans une sorte de demi-coma bienheureux et de vous rendre plus ou moins semblable Ă  nous, provinciaux repus et indolents, habituĂ©s Ă  se satisfaire de peu et Ă  vaincre sans pĂ©ril. J’exagĂ©rais un peu, Ă©videmment, histoire d’éprouver votre rĂ©solution et de vous faire rĂ©flĂ©chir. Mais votre confiance Ă©tait plus forte que mes craintes et vous avez tenu bon, ce dont je vous ai su grĂ©, car en venant vous Ă©tablir chez nous, vous me forciez en quelque sorte Ă  me rĂ©concilier avec mon propre milieu et Ă  le voir d’un Ɠil moins dĂ©primĂ©. Mais il reste que je n’ai jamais Ă©tĂ© parfaitement convaincu de la justesse de votre choix – je veux dire : de sa justesse pour vous, car pour nous, votre prĂ©sence parmi nous Ă©tait et n’a jamais cessĂ© d’ĂȘtre une bĂ©nĂ©diction.
C’est pourquoi, je peux vous l’avouer maintenant, si votre retour en France me chagrine, il ne me surprend pas vraiment, puisqu’il confirme d’une certaine maniĂšre, Ă  mes yeux, ce que je vous avais dit de mon pays (auquel pourtant je suis fonciĂšrement, passionnĂ©ment attachĂ©) et de ma sociĂ©tĂ© (pour laquelle je n’éprouve pas du tout le mĂȘme attachement, je dois dire). Je ne vous demande pas si j’avais tort ou raison de vous mettre en garde, ni pour quelles raisons vous avez dĂ©cidĂ© de repartir, car vous me rĂ©pondriez que ce sont des raisons avant tout professionnelles, et je vous croirais, bien sĂ»r, mĂȘme si je soupçonne qu’il y a peut-ĂȘtre, qu’il y a probablement autre chose
 Quelque chose que vous ne souhaitez pas me dire, parce que l’amitiĂ©, la discrĂ©tion ou la simple politesse vous en empĂȘchent. Et au fond, il est sans doute prĂ©fĂ©rable qu’il en soit ainsi.
Aussi, cher ami, au lieu de vous demander pourquoi vous ĂȘtes reparti, j’aimerais plutĂŽt que vous me rappeliez un peu pourquoi vous Ă©tiez venu. Qu’aviez-vous en tĂȘte – et dans le cƓur – lorsque vous avez formĂ© la rĂ©solution, aprĂšs plus d’un quart de siĂšcle de vie et de travail Ă  Paris, de rompre avec tout ça et de vous embarquer pour notre beau QuĂ©bec ? Pourquoi nous aimiez-vous au point de vouloir si fort vous Ă©tablir chez nous ? Cela nous ferait du bien de le savoir.
À moins que vous ne prĂ©fĂ©riez que nous bavardions de choses et d’autres, comme les « accommodements raisonnables » (ce dĂ©bat burlesque auquel vous avez eu droit pendant votre sĂ©jour et qui repart maintenant de plus belle). Ou encore, si vraiment vous ĂȘtes prĂȘt Ă  tout, on pourrait discuter du rĂ©chauffement de la planĂšte et du refroidissement de nos Ăąmes.
En tout cas, tĂąchons de garder le contact.
Salut et fraternité (comme disait Péguy).
P.-S. – Depuis votre dĂ©part, je redĂ©couvre une chose que votre prĂ©sence et votre esprit si authentiquement cosmopolite m’avaient un peu fait oublier, soit le provincialisme du petit milieu dans lequel je vis. Ou plutĂŽt, ce que j’appellerais son nĂ©oprovincialisme, car il s’agit d’une forme de provincialisme qu’on ne voyait guĂšre autrefois, ni ici ni ailleurs, mais dont le monde actuel a permis l’éclosion et offre un grand nombre d’exemples, ici comme ailleurs. Jadis, on disait que la province, par rapport Ă  la capitale, Ă©tait plus conservatrice, plus guindĂ©e, rĂ©fractaire aux nouveautĂ©s et aux expĂ©riences, et toujours plus ou moins en retard, avec son attachement au sol, au passĂ©, Ă  ce que Michelet appelait ses « prĂ©jugĂ©s envieillis ». Dans les provinces, notait Stendhal, « tout va lentement, tout se fait peu Ă  peu, il y a plus de naturel ». Aux yeux des mĂ©tropolitains, cette lenteur Ă©tait gĂ©nĂ©ralement un objet de moquerie ou de pitiĂ©. Mais voilĂ  que la vieille opposition s’est inversĂ©e, et que c’est maintenant la province, ce sont maintenant les sociĂ©tĂ©s plus ou moins Ă©loignĂ©es du centre et sans grande influence sur le reste du monde qui incarnent le mieux l’avant-garde. On pourrait mĂȘme dire qu’elles sont l’avant-garde de toutes les avant-gardes, dans la mesure oĂč les idĂ©es nouvelles, loin d’y rencontrer la rĂ©sistance tĂȘtue de jadis, y sont accueillies au contraire avec un enthousiasme (parfois appelĂ© courage ou audace) et une unanimitĂ© qu’on ne voit guĂšre au mĂȘme degrĂ© dans les sociĂ©tĂ©s oĂč ces idĂ©es, la plupart du temps, ont Ă©tĂ© inventĂ©es. La province, autrefois, souffrait du complexe de l’arriĂ©rĂ©, du dĂ©modĂ©. Elle est devenue aujourd’hui le terrain par excellence de l’innovation et de la rupture avec le passĂ©, et c’est par lĂ  qu’on pourrait le mieux la dĂ©finir, je crois : la province est le lieu oĂč les idĂ©es nouvelles fleurissent et se rĂ©alisent avec le moins de retenue, de la maniĂšre la plus pĂ©remptoire et la plus assurĂ©e qui soit, favorisĂ©es par le besoin gĂ©nĂ©ral (c’est-Ă -dire l’obligation) d’aller toujours plus vite, de se trouver toujours en avance, Ă©mancipĂ©, libre de tout ce qui pourrait ressembler Ă  un tabou ou Ă  une hĂ©sitation, et prĂȘt Ă  toutes les aventures, surtout dans le domaine moral et symbolique. C’est un peu tout cela, d’ailleurs, qui fait les petits et grands bonheurs de la vie de province


Praline et les hassidim
Je voudrais proposer aux faiseurs de dictionnaires l’introduction dans notre belle langue française de deux mots nouveaux, aux sens voisins mais diffĂ©rents : murayen (ou murayien ; j’hĂ©site encore sur l’orthographe) et murayesque. Le premier, qui s’emploierait uniquement comme adjectif, renverrait soit Ă  la singularitĂ© des livres de Philippe Muray (on parlerait du style murayen, de l’humour murayen, voire de l’Ɠuvre murayenne), soit, dans un sens plus large, Ă  un certain regard sur les choses, Ă  une certaine attitude de l’esprit et de la sensibilitĂ© dont les Ă©crits de Muray offrent jusqu’ici l’unique exemple. Dire de quelqu’un qu’il a une vision murayenne du monde, ou d’un livre qu’on y perçoit des accents murayens, ce serait dire de l’un ou de l’autre que sa maniĂšre de considĂ©rer l’existence ou la sociĂ©tĂ© se caractĂ©rise par une luciditĂ© impitoyable, le refus de toute compromission comme de tout attendrissement, un mĂ©pris souverain de toutes les formes de bĂȘtise, et surtout un humour aussi irrĂ©sistible que dĂ©vastateur. Mais il est Ă  craindre, dans le monde oĂč nous sommes et oĂč Philippe Muray n’est plus, que ce mot ne tombe rapidement en dĂ©suĂ©tude.
Ce qui n’est pas du tout le cas du vocable murayesque, promis au contraire Ă  un trĂšs bel avenir. FormĂ© sur le modĂšle de quelques autres termes maintenant admis par l’usage, comme « dantesque », « moliĂ©resque », « donquichottesque », « ubuesque » ou mĂȘme « rocambolesque », ce nouveau mot pourrait s’employer aussi bien comme adjectif (« Cette scĂšne est murayesque ») que comme substantif (« Le murayesque n’est pas absent de cette scĂšne »). En guise de dĂ©finition, je proposerais ceci : Digne de figurer dans un roman, un essai ou un poĂšme de Philippe Muray. Le murayesque, en d’autres mots, dĂ©signerait cette catĂ©gorie de l’existence et de la sociĂ©tĂ© contemporaines dont l’auteur de L’Empire du Bien, des Exorcismes spirituels et d’AprĂšs l’histoire a Ă©tĂ© le dĂ©couvreur et l’infatigable explorateur. On pourrait donc dire, pour formuler autrement notre dĂ©finition et en faire voir l’extension quasi illimitĂ©e : le murayesque, c’est, dans le monde qui nous entoure, ce qui dĂ©clencherait la verve et l’hilaritĂ© de Philippe Muray.
Mais trĂȘve de gĂ©nĂ©ralitĂ©s. Rien ne vaut une illustration concrĂšte pour bien saisir le sens d’un mot. En voici une :
Soit une grande ville multiculturelle d’AmĂ©rique du Nord. Pour faire court, appelons-la MontrĂ©al. Soit, dans cette ville comme dans toutes les villes multiculturelles du monde, un gymnase situĂ© au milieu d’un quartier dans lequel le nombre d’artistes ou d’intellectuels par kilomĂštre carrĂ©, la quantitĂ© de livres par appartement et le niveau de conscientisation idĂ©ologique (donc d’agnosticisme) sont parmi les plus Ă©levĂ©s de la ville. Dans ce gymnase, deux ou trois fois par semaine, des clients, trĂšs majoritairement de sexe fĂ©minin et dont la moyenne d’ñge avoisine les cinquante ans, viennent suer sang et eau en rĂ©pĂ©tant pendant des heures des mouvements qui n’ont aucune utilitĂ© dans la vie, comme pĂ©daler Ă  fond de train sur des vĂ©los immobiles, courir sur des tapis qui roulent en direction inverse de leur course, soulever et abaisser des poids qui reprennent aussitĂŽt leur position initiale, ou chevaucher toutes sortes d’appareils compliquĂ©s qui n’ont d’autre fonction connue que d’ĂȘtre chevauchĂ©s. Elles disent, les usagĂšres du gymnase, qu’elles font cela pour des raisons de santĂ©, histoire de garder la forme, d’assouplir les muscles, d’amĂ©liorer le cardio, bref, d’ĂȘtre mieux dans leur peau et, ainsi, de rester des citoyennes productives, aimables et autonomes. Mais il ne faut pas ĂȘtre grand clerc pour comprendre que ce qui motive aussi leurs gesticulations, ainsi que les autres souffrances volontaires que s’infligent tant d’autres femmes du mĂȘme Ăąge, comme le jeĂ»ne, l’épilation par Ă©lectrolyse ou les chirurgies plastiques, ce sont au fond des choses aussi simples et peu branchĂ©es que le dĂ©sir de maigrir et la nĂ©cessitĂ© de raffermir des chairs en voie d’affaissement accĂ©lĂ©rĂ©, c’est-Ă -dire le besoin de rester belles et dĂ©sirables malgrĂ© les ans. On ne saurait le leur reprocher, bien sĂ»r, d’autant que ces efforts, la plupart du temps, restent vains, ce qui les rend encore plus mĂ©ritoires.
Mais revenons Ă  notre ville multiculturelle. Soit, donc, juste Ă  cĂŽtĂ© dudit gymnase dont il n’est sĂ©parĂ© que par une ruelle large d’à peine cinq mĂštres, un bĂątiment servant Ă  la fois de synagogue, de lieu de rencontre et de salle d’étude pour la communautĂ© hassidique des environs, une communautĂ© liĂ©e au courant dit Satmar, lequel se distingue par son refus acharnĂ© du changement et une mĂ©fiance inconditionnelle Ă  l’égard des idĂ©es et des mƓurs modernes, que celles-ci soient le fait de Juifs ou de gentils. Établie dans le quartier depuis des gĂ©nĂ©rations, cette communautĂ© rĂ©ussit Ă  vivre dans une autarcie presque complĂšte, fermement repliĂ©e sur elle-mĂȘme et contente de son sort. Il s’est Ă©tabli entre elle et son voisinage non hassidique une sorte d’entente cordiale basĂ©e sur ce que des Ă©diles vertueux appellent respect ou tolĂ©rance, mais qui est en fait une parfaite ignorance mutuelle, exempte de part et d’autre de toute hostilitĂ© (au moins dĂ©clarĂ©e) comme de toute vellĂ©itĂ© de rapprochement. Pendant que la vie du quartier, autour des hassidim, bat son plein comme si ceux-ci n’existaient pas, on les voit, eux, vĂȘtus comme des nobles polonais du dix-neuviĂšme siĂšcle, coiffĂ©s de leur shtreimel d’oĂč pendent les pĂ©ote soigneusement frisĂ©es, se diriger tranquillement vers la synagogue, accompagnĂ©s de leurs Ă©pouses au port modeste et de leur innombrable et pĂąle progĂ©niture, faisant eux aussi comme si le monde qui les entoure n’existait pas. Quand un hassid croise un goy, il baisse la tĂȘte ou regarde ailleurs ; et le goy fait de mĂȘme. Dans son for intĂ©rieur, sans doute, chacun dĂ©plore la vie et l’allure de l’autre, mais n’en dit mot, sauf Ă  ses proches. Entre les deux communautĂ©s, celle des hassidim et celle des citoyens modernes, la pa...

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