Une escroquerie légalisée (édition européenne)
Précis sur les "paradis fiscaux"
Alain Deneault
- 132 pages
- French
- ePUB (adapté aux mobiles)
- Disponible sur iOS et Android
Une escroquerie légalisée (édition européenne)
Précis sur les "paradis fiscaux"
Alain Deneault
Ă propos de ce livre
Lorsque nos infrastructures se dĂ©tĂ©riorent, que les prestations sociales sont gelĂ©es, que nos conditions d'existence se prĂ©carisent, c'est Ă cause des paradis fiscaux. Source d'inĂ©galitĂ©s croissantes et de pertes fiscales colossales, le recours aux paradis fiscaux par les grandes entreprises et particuliers fortunĂ©s explique les politiques d'austĂ©ritĂ©. Qui plus est, les Ătats ont lĂ©galisĂ© des stratagĂšmes offshore qui contreviennent au principe mĂȘme du fisc. En cinq chapitres d'une redoutable efficacitĂ©, Alain Deneault soulĂšve la question politique de cette escroquerie lĂ©galisĂ©e. Comment dĂ©finir les lĂ©gislations de complaisance, quelles sont les consĂ©quences dramatiques de cette spoliation et comment contrer la souverainetĂ© privĂ©e ainsi confĂ©rĂ©e aux puissants? Il est urgent de mettre fin Ă cette architecture insensĂ©e par laquelle les contribuables financent non seulement les services publics dont les entreprises profitent, mais aussi les banques via le service de la dette, le tout en s'appauvrissant.Cet essai, d'abord publiĂ© au QuĂ©bec, a Ă©tĂ© entiĂšrement adaptĂ© au contexte europĂ©en avec la collaboration de Lucie Watrinet.
Foire aux questions
Informations
1 Ce que lâon sait
- Une absence dâimposition â Ces Ătats complaisants prĂ©voient un taux dâimposition nul ou quasi nul sur certaines catĂ©gories dâentitĂ©s, de comptes et dâacteurs. Ă Jersey ou Ă la Dominique, par exemple, les particuliers fortunĂ©s ne paient pas dâimpĂŽts sur le revenu; Ă Hong Kong, les trusts sont exemptĂ©s de toute charge fiscale; aux Ăles CaĂŻmans, les sociĂ©tĂ©s exemptĂ©es voient leurs revenus apparaĂźtre en franchise dâimpĂŽt, tandis quâau Luxembourg, en plein cĆur de lâEurope, les actifs dĂ©tenus par une «sociĂ©tĂ© de participation financiĂšre» ne sont pas imposĂ©s.
- Un systĂšme de lois aberrant â Les paradis fiscaux se sont dotĂ©s de systĂšmes de lois complaisants ou dĂ©risoires, sciemment destinĂ©s Ă neutraliser le droit en vigueur ailleurs dans le monde. Dans une lĂ©gislation complaisante, le droit se fait ultra-permissif auprĂšs des privilĂ©giĂ©s qui ont le pouvoir dây accĂ©der, plutĂŽt que de sâimposer Ă eux tel un rĂ©gime de contraintes. Pour le dire autrement, les seules contraintes quâon y observe portent sur des initiatives qui pourraient mettre Ă mal le rĂ©gime dâimpunitĂ© et dâanonymat mis en place. La loi votĂ©e dans les lĂ©gislations de complaisance, sous lâinfluence des institutions financiĂšres, des entreprises multinationales et de leurs cabinets dâaffaires, se prĂ©sente, au sens photographique, comme le nĂ©gatif de la loi telle quâelle est en vigueur dans les Ătats de droit. Ainsi, la «loi» du Liechtenstein en ce qui concerne la fondation de trusts dispose, selon le rĂ©sumĂ© formel quâen fait le site dâinformation pro-offshore LowTax, que «lâacte notariĂ© du trust nâa pas Ă contenir les noms des bĂ©nĂ©ficiaires. DĂ©posĂ© auprĂšs du registraire des fiducies, il ne sera pas accessible au public, et des Ă©lĂ©ments ultĂ©rieurs (par exemple, les bĂ©nĂ©ficiaires nominaux) ne devront pas ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©s5». Aucun contrĂŽle public ne sera alors envisageable, et la possibilitĂ© mĂȘme de transmettre des informations Ă des pays tiers est abolie, mĂȘme sur un plan technique. Au Liberia, une sociĂ©tĂ© peut thĂ©sauriser les opĂ©rations dâabsolument toute entitĂ© crĂ©Ă©e dans le monde et y faire nâimporte quoi, hormis les superficielles restrictions que prĂ©voit le rĂ©gime. La loi est Ă©crite de telle maniĂšre que tout devienne permis; le terme any rĂ©apparaĂźt continuellement: any business, any purpose, any nationality, any jurisdiction6⊠Câest la rĂ©alisation du cri de ralliement jadis gĂ©nĂ©reux, «il est interdit dâinterdire», mais sous un jour macabre. Au Canada, paradis rĂ©glementaire pour les entreprises extractives, la mĂȘme logique sâapplique. Le conseiller en responsabilitĂ© sociale des entreprises dĂ»ment nommĂ© par le gouvernement canadien ne peut enquĂȘter sur les allĂ©gations dâactivitĂ©s dĂ©lictueuses ou criminelles des entreprises enregistrĂ©es au pays que si celles-ci lây autorisent: «Le conseiller nâentreprendra pas dâexamens de sa propre initiative des activitĂ©s dâune entreprise extractive canadienne, ne formulera pas de recommandations contraignantes, ni de recommandations de politique publique ou lĂ©gislative, nâĂ©tablira pas de nouvelles normes de rendement, et nâagira pas comme mĂ©diateur officiel entre les parties7», prĂ©vient le lĂ©gislateur. Tout comme le gouverneur de la Banque centrale des Bahamas nâa aucun pouvoir sur le secteur financier lui-mĂȘme8. Les lĂ©gislations de complaisance retournent la loi comme un gant et rendent licite ce qui est interdit ou normalement objet de contrĂŽle ailleurs. Experte onusienne en matiĂšre dâanti-blanchiment, Marie-Christine Dupuis-Danon Ă©crit dans son ouvrage Finance criminelle quâaujourdâhui ces lĂ©gislations complaisantes poussent «un nombre croissant dâindividus et dâentreprises Ă ne plus se demander si un acte est rĂ©prĂ©hensible par lui-mĂȘme, mais sâil existe un moyen de lâeffectuer en toute lĂ©galitĂ© quelque part dans le monde9». Et ce, non seulement dans les paradis fiscaux scabreux, mais Ă©galement dans de plus en plus de lĂ©gislations traditionnelles qui sâen inspirent.
- Le secret bancaire â Les lĂ©gislations dont il sâagit peuvent ĂȘtre des pays Ă part entiĂšre ou des entitĂ©s administratives comportant certains attributs lĂ©gislatifs dâun Ătat, comme les territoires britanniques dâoutre-mer ou les diffĂ©rents Ătats formant les Ătats-Unis. Elles ont, Ă un titre ou un autre, les prĂ©rogatives de voter un certain nombre de lois, de faire valoir leur souverainetĂ© sur leur territoire et de se laisser reprĂ©senter politiquement par une assemblĂ©e lĂ©gislative, et ce, avec tous les symboles que cela appelle: drapeau, emblĂšme, frontiĂšres et territoire, institutions publiques, Ă©ventuellement monnaie. Ainsi, les activitĂ©s quây mĂšnent officiellement, Ă distance depuis leurs ordinateurs, les opĂ©rateurs de Francfort, les spĂ©culateurs de Londres, les industriels de Toronto ou les trafiquants de New York peuvent difficilement faire lâobjet dâenquĂȘtes de la part de reprĂ©sentants des Ătats oĂč ils se trouvent vraiment, dĂšs lors quâils ont tĂ©lĂ©guidĂ© des entitĂ©s crĂ©Ă©es dans ces ailleurs que sont les paradis fiscaux. Dâautant plus que dans ces lĂ©gislations, les dispositifs lĂ©gaux sur le «secret bancaire» compliquent considĂ©rablement les enquĂȘtes menĂ©es par des Ă©missaires des Ătats de droit. Un agent du fisc Ă©tats-unien, un enquĂȘteur de la Gendarmerie royale du Canada ou encore un juge dâinstruction français Ă©prouvera de la difficultĂ© Ă savoir ce quâil en est des activitĂ©s douteuses enregistrĂ©es aux Bermudes dâun ressortissant de son pays, bien que les opĂ©rations aient Ă©tĂ© de fait commandĂ©es depuis New York, Toronto ou Paris. Les lois sur lâopacitĂ© administrative des entitĂ©s, votĂ©es tant Ă Singapour quâau Panama, en passant par Guernesey10, ont longtemps interdit Ă lâagent dâune institution financiĂšre ou judiciaire de divulguer quelque information que ce soit Ă un tiers, le plus souvent sous peine de sanctions pĂ©nales, comme ce fut le cas au Luxembourg pour Antoine Deltour, auteur de rĂ©vĂ©lations fracassantes sur les ententes ad hoc de cet Ătat avec des entreprises pratiquant chez lui lâĂ©vitement fiscal11. LâOrganisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques (OCDE) et le G20 se sont engagĂ©s en 2015 Ă dĂ©ployer un dispositif contraignantles multinationales Ă rendre disponibles automatiquement pour les autoritĂ©s fiscales qui les demandent les informations comptables concernant les entitĂ©s quâelles contrĂŽlent dans les diffĂ©rents pays oĂč on les trouve. Mais cette avancĂ©e dite de lâĂ©change automatique dâinformation pays par pays comporte bien des insuffisances: comme lâont relevĂ© plusieurs observateurs, plusieurs pays du Sud ne parviendront pas Ă se conformer aux modalitĂ©s exigĂ©es par les institutions internationales et nâaccĂ©deront donc pas eux-mĂȘmes aux donnĂ©es en jeu, quand, inversement, restent tues les informations relatives aux trusts, Ă la domiciliation offshore ainsi quâaux actifs consignĂ©es dans des coffres offshore ou des zones franches12.
- Une absence dâactivitĂ© rĂ©elle â Sauf dans de rares cas, les institutions financiĂšres, entreprises et particuliers nantis ayant recours aux paradis fiscaux nâont pas Ă y mener une activitĂ© physique, tangible. Des actifs ne «sont» dans les paradis fiscaux quâĂ titre formel. Une entreprise du secteur bananier peut, sur papier, vendre Ă une filiale quâelle contrĂŽle Ă Jersey dâimportantes cargaisons de fruits sans que jamais ses navires de transport ne voguent rĂ©ellement sur la Manche, de mĂȘme quâune importante multinationale de lâĂ©lectronique peut trĂšs bien cĂ©der Ă son entitĂ© des Bermudes les droits dâutilisation de sa propre marque, qui prĂȘtent consĂ©quemment Ă une activitĂ© commerciale, sans pour autant disposer de bureaux Ă Hamilton, la capitale. Un cabinet dâavocats spĂ©cialisĂ© veille sur place Ă gĂ©nĂ©rer pour elle une existence strictement juridique. Les opĂ©rations rĂ©alisĂ©es dans les paradis fiscaux se rĂ©vĂšlent de pure forme. Les sociĂ©tĂ©s-Ă©crans quâon y crĂ©e sont souvent identifiĂ©es Ă de simples «boĂźtes aux lettres», comme le rĂ©cent scandale des Panama Papers en a fait lâĂ©clatante dĂ©monstration par le systĂšme de prĂȘte-nom quâil rend possible. Ugland House, un immeuble de quatre Ă©tages occupĂ© entre autres par le cabinet dâavocats Maples and Calder, fondĂ© par le Britannique John Maples et le Canadien Jim Macdonald dans les annĂ©es 1960, hĂ©berge aujourdâhui Ă lui seul 18 000 entreprises dans la capitale des Ăles CaĂŻmans, George Town13. Cette lĂ©gislation compte donc une entreprise internationale pour trois habitants! Au 1209 de la rue North O...