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Une histoire de Montréal
Paul-André Linteau
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Une histoire de Montréal
Paul-André Linteau
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Ă propos de ce livre
Paul-AndrĂ© Linteau est sans doute le plus grand spĂ©cialiste de l'histoire de MontrĂ©al. En cette annĂ©e du 375e anniversaire de la mĂ©tropole quĂ©bĂ©coise, il nous propose cette synthĂšse de l'histoire de la ville depuis la prĂ©histoire jusqu'au dĂ©but du XXIe siĂšcle. Il en fait ressortir les grandes tendances â socioĂ©conomiques, politiques et culturelles â et met en lumiĂšre les influences françaises, britanniques puis amĂ©ricaines qui ont orientĂ© son dĂ©veloppement. Il raconte les origines de la diversitĂ© ethnique et culturelle de MontrĂ©al et montre comment, de petite colonie missionnaire, la ville est devenue une grande mĂ©tropole et le principal foyer culturel du QuĂ©bec et des francophones d'AmĂ©rique.
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Nordamerikanische Geschichtechapitre 1
Une Ăźle et ses premiers occupants
MontrĂ©al a Ă©tĂ© fondĂ©e en 1642, mais son territoire Ă©tait connu et frĂ©quentĂ© depuis beaucoup plus longtemps. Avant de retracer cette histoire, il importe de sâarrĂȘter Ă ses caractĂ©ristiques gĂ©ographiques, car elles ont conditionnĂ© son dĂ©veloppement. Nous verrons aussi dans quel contexte de premiers humains se sont intĂ©ressĂ©s Ă ce lieu et comment certains ont choisi de lâhabiter.
Un site remarquable
Il y a 13 000 ans, avec toute la plaine environnante, cette rĂ©gion est recouverte par la mer de Champlain, dâoĂč Ă©merge le sommet du mont Royal. Environ 5 500 ans plus tard, le retrait des eaux fait apparaĂźtre une vaste Ăźle en forme de boomerang, bordĂ©e au sud par le fleuve Saint-Laurent et au nord par la riviĂšre des Prairies. Longue de 50 kilomĂštres et dâune superficie de 483 km2, cette Ăźle est au cĆur de lâarchipel dâHochelaga, qui comprend aussi les futures Ăźles JĂ©sus, Perrot et Bizard ainsi que des dizaines dâautres Ăźles plus petites. Son paysage est dominĂ© par la colline du mont Royal et par les terrasses qui la prolongent.
Un Ă©lĂ©ment incontournable de la gĂ©ographie de cet endroit est la prĂ©sence du Saint-Laurent, qui forme, avec les Grands Lacs, un puissant rĂ©seau hydrographique pĂ©nĂ©trant jusquâau cĆur du continent nord-amĂ©ricain. Un peu partout dans le monde, les grands fleuves ont Ă©tĂ© des berceaux de civilisation et ont favorisĂ© lâĂ©mergence de villes importantes, dâautant plus que la navigation a longtemps reprĂ©sentĂ© le principal moyen de transport sur de longues distances. Le Saint-Laurent ne fait pas exception. Il joue un rĂŽle central dans le dĂ©veloppement du Canada et du Midwest amĂ©ricain et sur ses rives apparaissent plusieurs citĂ©s dâenvergure, dont MontrĂ©al. Cette ville y occupe dâailleurs un emplacement stratĂ©gique, lĂ oĂč se jette la puissante riviĂšre des Outaouais, empruntĂ©e par les peuples amĂ©rindiens, puis par les commerçants de fourrure, et qui constitue pendant trĂšs longtemps un trajet plus direct pour atteindre la rĂ©gion des Grands Lacs. Comme nous le verrons, elle confĂšre Ă MontrĂ©al un atout important Ă lâĂ©poque du commerce des fourrures.
Le fleuve Saint-Laurent lui-mĂȘme reprĂ©sente une remarquable voie de transport mais, Ă partir de MontrĂ©al, son cours est parsemĂ© de nombreux rapides (il y en a aussi dans la riviĂšre des Prairies) qui forment autant dâobstacles Ă la navigation. Cela commence avec les rapides de Lachine, que les barques ou les navires en provenance de QuĂ©bec ne peuvent pas franchir. Pour aller plus loin, il faut dâabord tout dĂ©barquer puis effectuer un long portage terrestre jusquâĂ Lachine. Cet emplacement gĂ©ographique fait donc de MontrĂ©al un lieu de rupture de la navigation et de dĂ©chargement obligatoire des marchandises. Câest lĂ lâorigine de la vocation portuaire de MontrĂ©al et du rĂŽle que cette ville sera appelĂ©e Ă jouer en tant quâinterface entre la navigation ocĂ©anique et le transport intĂ©rieur.
Au-delĂ du fleuve, lâĂźle se trouve au cĆur de la vaste plaine de MontrĂ©al, elle-mĂȘme parsemĂ©e, au nord comme au sud, de plusieurs cours dâeau, dont les riviĂšres Richelieu, LâAssomption et ChĂąteauguay. TrĂšs fertile, cette plaine deviendra, Ă partir du xviiie siĂšcle, une immense zone agricole â lâhinterland naturel de MontrĂ©al â dont la ville sera la principale place de marchĂ©. Le caractĂšre insulaire de MontrĂ©al reprĂ©sente dâailleurs un dĂ©fi. Pour que cette ville puisse Ă©changer avec sa plaine environnante et mĂȘme au-delĂ , il faut Ă©videmment franchir le Saint-Laurent ou la riviĂšre des Prairies. TrĂšs tĂŽt apparaissent des services de bac, remplacĂ©s par des ponts de glace en hiver. La construction de ponts permanents ne commencera quâau xixe siĂšcle et reprĂ©sentera par la suite un enjeu de communication essentiel.
Il ne suffit donc pas de disposer dâavantages naturels : il faut aussi les mettre en valeur. DâoĂč lâimportance historique de lâintervention humaine sur lâenvironnement. LâĂ©tude de celle-ci est fondamentale pour comprendre la construction et le dĂ©veloppement dâun espace urbain comme celui de MontrĂ©al.
Ă ce propos, il importe de souligner ici que les MontrĂ©alais ont Ă©laborĂ© depuis longtemps une bien curieuse façon de dĂ©signer les points cardinaux. Ce quâils perçoivent comme le nord de la ville est en rĂ©alitĂ© en direction ouest-nord-ouest. LâextrĂ©mitĂ© orientale de lâĂźle pointe en fait vers le nord-nord-est. Longueuil, sur la rive sud du fleuve, se trouve Ă lâest du Vieux-MontrĂ©al. Cela peut sâexpliquer en partie par le choix, partout au QuĂ©bec, de dĂ©signer par les vocables « nord » et « sud » les deux rives du fleuve. Ainsi, lâusage montrĂ©alais contredit la rĂ©alitĂ© gĂ©ographique et scientifique. Pour ĂȘtre compris, lâhistorien nâa dâautre choix que de suivre lâusage, mĂȘme sâil est faux. Câest donc ce qui est fait tout au long de ce livre, comme dâailleurs dans la plupart des ouvrages qui traitent de MontrĂ©al.
Au temps de la préhistoire
La prĂ©sence humaine dans la rĂ©gion de MontrĂ©al commence Ă se manifester il y a environ 6 000 ans. Profitant du retrait des eaux de la mer de Champlain, des populations, venues par le sud ou par lâouest, sây implantent. De petits groupes de chasseurs et de cueilleurs sây dĂ©placent au grĂ© des saisons, Ă la recherche de moyens de subsistance. Au confluent du Saint-Laurent et de lâOutaouais, la rĂ©gion se trouve au cĆur de rĂ©seaux dâĂ©changes trĂšs Ă©tendus, couvrant le nord-est de lâAmĂ©rique du Nord, un phĂ©nomĂšne que renforce lâadoption du canot dâĂ©corce comme moyen de transport.
Les populations prĂ©historiques disposent dâamplement dâespace sur les deux rives du Saint-Laurent. LâĂźle de MontrĂ©al elle-mĂȘme semble les attirer surtout pour une raison : la possibilitĂ© dây pratiquer la pĂȘche dans les eaux du fleuve ou de la riviĂšre des Prairies. Les vestiges archĂ©ologiques de cette Ă©poque, les plus anciens datant de 4 000 ans, indiquent la prĂ©sence de campements saisonniers sur les rives des Ăźles de lâarchipel dâHochelaga. De petits noyaux familiaux sây installent pour quelques mois pendant la saison de la pĂȘche. Pour dâautres, lâĂźle est un lieu de passage, un arrĂȘt provisoire dans des dĂ©placements couvrant de plus longues distances.
Au cours du premier millĂ©naire de notre Ăšre, les populations de la rĂ©gion ont tendance Ă augmenter. Elles recourent de façon croissante au poisson pour sâalimenter, de sorte que les saisons de pĂȘche sâallongent et que les campements sâagrandissent pour devenir peu Ă peu des hameaux. Les vestiges archĂ©ologiques de la Pointe-du-Buisson, au sud-ouest de MontrĂ©al, rĂ©vĂšlent bien ces transformations. Au fil des siĂšcles, imitant en cela dâautres peuples Ă©tablis plus au sud du continent, les populations locales commencent Ă se convertir Ă lâagriculture, ce qui leur permet de nourrir un plus grand nombre de personnes. Elles cultivent en particulier le maĂŻs ainsi que des haricots et des courges. Le passage Ă la production agricole conduit Ă la sĂ©dentarisation de groupes qui, jusque-lĂ , avaient eu un mode de vie nomade.
Graduellement se constituent de vĂ©ritables villages agricoles pouvant compter plusieurs centaines dâhabitants. Pour les loger, on invente la maison longue, oĂč se regroupent quelques familles. Ce processus se dĂ©roule trĂšs graduellement et paraĂźt achevĂ© quelques siĂšcles avant lâarrivĂ©e des EuropĂ©ens. Dans la foulĂ©e Ă©merge une nouvelle identitĂ© ethnoculturelle : les Iroquoiens du Saint-Laurent.
Les Iroquoiens du Saint-Laurent
Ce nom a Ă©tĂ© attribuĂ© Ă partir des annĂ©es 1960 par des chercheurs qui voulaient dĂ©signer le groupe autochtone occupant la vallĂ©e du Saint-Laurent au moment oĂč la France y envoie des expĂ©ditions officielles, entre 1534 et 1543. Comme ce groupe est disparu au xvie siĂšcle, la façon dont ses membres se nommaient eux-mĂȘmes ne nous a pas Ă©tĂ© transmise. Ces AmĂ©rindiens appartiennent Ă la grande famille linguistique des Iroquoiens, tout comme dâautres nations, dont celles des Hurons-Wendats, des Iroquois, des ĂriĂ©s ou des Neutres, mais ils constituent un peuple distinct. Ils forment un groupe culturel spĂ©cifique vers 1300 et leur Ă©mergence est le rĂ©sultat de lâĂ©volution de groupes Ă©tablis antĂ©rieurement dans la rĂ©gion. Dâabord installĂ©s Ă lâextrĂ©mitĂ© est du lac Ontario, ils Ă©tendent ensuite leur emprise le long du fleuve jusquâau-delĂ de QuĂ©bec. Les spĂ©cialistes relĂšvent des diffĂ©rences au sein de ce peuple, en particulier entre les groupes qui sâimplantent dans les environs de QuĂ©bec (StadaconĂ©) et ceux de MontrĂ©al (Hochelaga). Sâagit-il de deux nations distinctes ou de deux groupes rĂ©gionaux au sein dâune mĂȘme nation ? Nul ne peut le dire avec certitude.
Ă lâinstar des Hurons-Wendats de la baie Georgienne et des Iroquois Ă©tablis dans le nord de lâĂtat de New York actuel, les Iroquoiens du Saint-Laurent sont des sĂ©dentaires qui vivent principalement de lâagriculture et pratiquent la pĂȘche et la chasse pour complĂ©ter leur alimentation. Ils entretiennent sans doute avec les chasseurs-cueilleurs algonquiens et avec les autres nations iroquoiennes des relations de commerce, mais celles-ci ne sont manifestement pas exemptes de conflits, puisquâils entourent leurs Ă©tablissements dâun systĂšme de dĂ©fense.
Les femmes jouent un rĂŽle important dans cette sociĂ©tĂ© et sont Ă la tĂȘte des familles et des clans. Ce sont elles qui cultivent la terre. Elles fabriquent aussi de la poterie ornĂ©e de motifs originaux qui tĂ©moignent des traits culturels distincts des Iroquoiens du Saint-Laurent et constituent, aux yeux des archĂ©ologues, un des marqueurs de leur identitĂ©.
Ces Iroquoiens vivent dans des villages entourĂ©s dâune palissade de bois, dont les plus importants comptent au-delĂ de 1 000 habitants. Ils construisent de grandes maisons de forme oblongue dans lesquelles rĂ©sident un certain nombre de familles appartenant Ă un mĂȘme clan. Ces habitations sont faites dâun treillis de bois recouvert dâĂ©corce. Les champs cultivĂ©s entourent le village. Au bout dâune pĂ©riode de 10 Ă 20 ans, quand les champs sont devenus moins fertiles, les habitants dĂ©mĂ©nagent leur village Ă un autre endroit, gĂ©nĂ©ralement Ă proximitĂ© du prĂ©cĂ©dent.
Dans la grande rĂ©gion de MontrĂ©al, les archĂ©ologues ont mis au jour une dizaine de sites villageois iroquoiens, surtout aux abords du lac Saint-François. Ils ont aussi repĂ©rĂ© un grand nombre de sites de campement des deux cĂŽtĂ©s du fleuve, y compris sur les rives de lâĂźle de MontrĂ©al. Cependant, ils nâont jamais pu retrouver lâemplacement du plus gros village, celui dâHochelaga.
Hochelaga / Tutonaguy
On sait pourtant que les Iroquoiens Ă©rigent dans lâĂźle de MontrĂ©al un important village agricole, puisque lâexplorateur français Jacques Cartier le visite en 1535, lors de son deuxiĂšme voyage au Canada, et quâil en produit ensuite une description Ă©crite. Ainsi, la prĂ©sence amĂ©rindienne Ă MontrĂ©al, temporaire et saisonniĂšre pendant des millĂ©naires, devient permanente. Depuis combien de temps cette population y est-elle installĂ©e de façon sĂ©dentaire ? Peut-ĂȘtre quelques dĂ©cennies, au plus deux ou trois siĂšcles, mais on ne peut pas le savoir de façon prĂ©cise.
Ă son deuxiĂšme voyage au Canada, en 1535, Jacques Cartier sâĂ©tablit prĂšs du village iroquoien de StadaconĂ©, dont il avait rencontrĂ© des habitants prĂšs de GaspĂ© lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente. Son projet dâaller jusquâĂ Hochelaga ne plaĂźt pas aux chefs stadaconiens, qui tentent de lâen dissuader. Cartier choisit donc de partir en catimini, sans amener avec lui les AmĂ©rindiens qui pourraient lui servir dâinterprĂštes. Il dĂ©barque Ă MontrĂ©al, probablement au pied du courant Sainte-Marie, le 2 octobre, mais câest seulement le lendemain quâil parcourt Ă pied le sentier le menant au village, oĂč il est accueilli par plusieurs centaines dâIroquoiens. Lâabsence dâinterprĂštes lâempĂȘche de comprendre toutes les informations que lui donnent ses hĂŽtes.
Le village dâHochelaga dĂ©crit par Cartier correspond au portrait gĂ©nĂ©ral des autres villages iroquoiens dont les archĂ©ologues ont pu Ă©tudier les vestiges. Il est entourĂ© dâune haute palissade Ă laquelle sont accrochĂ©es des galeries permettant aux dĂ©fenseurs de lancer des projectiles contre les assaillants. Une seule porte dâentrĂ©e donne accĂšs au village. Ă lâintĂ©rieur, Cartier voit une cinquantaine de maisons, longues de 50 pas et larges de 12 Ă 15 pas. Chacune est subdivisĂ©e en espaces distincts pour chaque famille et dotĂ©e dâun foyer central oĂč sont cuits les aliments. Le visiteur estime la population Ă 1 000 personnes, mais dâaprĂšs le nombre et les dimensions des maisons, il faudrait probablement, selon lâethnologue Bruce Trigger, compter environ 1 500 habitants, ce qui ferait ...