Trois raisons expliquent lâimportance dâactiver les neurones liĂ©s Ă lâapprentissage visĂ©. Les deux premiĂšres raisons justifient pourquoi il faut activer les neurones et la troisiĂšme raison justifie pourquoi il ne faut pas activer nâimporte quels neurones, mais spĂ©cifiquement les neurones appropriĂ©s pour lâapprentissage visĂ©.
Pour changer les connexions neuronales
Longtemps, on a cru que le cerveau se dĂ©veloppait au cours du dĂ©veloppement fĆtal et de la petite enfance et que, aprĂšs, la structure et les connexions neuronales Ă©taient plutĂŽt fixes. Aujourdâhui, nous savons que le cerveau, mĂȘme chez lâadulte, fait preuve de plasticitĂ© et peut changer ses connexions neuronales pour apprendre. Câest sans doute lâune des dĂ©couvertes les plus importantes du XXe siĂšcle. Cette grande dĂ©couverte mĂšne Ă dĂ©finir un but clair derriĂšre chaque apprentissage : modifier significativement et durablement les connexions neuronales du cerveau.
Simplement savoir que le cerveau peut et doit changer pour apprendre peut certes enrichir notre conception de ce quâest lâapprentissage, mais cela ne nous indique pas comment favoriser lâapprentissage et les modifications neuronales nĂ©cessaires Ă cet apprentissage. Pour y arriver, il faut aller plus loin : il faut connaĂźtre par quels mĂ©canismes les connexions neuronales sâĂ©tablissent et se renforcent. Autrement dit, il faut connaĂźtre les rĂšgles qui rĂ©gissent et influencent la neuroplasticitĂ©.
Donald O. Hebb est lâun des premiers chercheurs Ă proposer un modĂšle expliquant ce qui provoque des modifications de connexions neuronales dans le cerveau1 (voir aussi chapitre 2). Il est aussi lâun des premiers Ă soutenir que la pensĂ©e et le comportement rĂ©sultent de la façon dont les neurones sont interconnectĂ©s. Les travaux de Hebb liĂ©s aux effets de lâapprentissage sur les connexions neuronales ont ouvert, avec dâautres, la voie Ă lâĂ©tude de la neuroplasticitĂ©.
LâidĂ©e centrale dans le modĂšle de Hebb est que des neurones qui sâactivent ensemble se connectent ensemble (neurons that fire together wire together). Autrement dit, si deux neurones prĂšs lâun de lâautre sâactivent en mĂȘme temps, ils se connectent ensemble et renforcent leur connexion. Ce renforcement des connexions augmente ainsi la probabilitĂ© que ces neurones sâactivent Ă nouveau ensemble. Un cycle de renforcement se produit : les neurones sâactivent ensemble et se connectent ensemble, ce qui fait quâils sâactivent davantage ensemble et quâils se connectent ensemble encore davantage. Lâactivation des neurones est donc centrale Ă lâĂ©tablissement des nouvelles connexions.
On soutient souvent en Ă©ducation et ailleurs quâil est important que lâapprenant soit actif dans ses apprentissages. Cette affirmation est juste. Cependant, ĂȘtre actif pour apprendre ne signifie pas nĂ©cessairement bouger ou accomplir une tĂąche nĂ©cessitant de manipuler du matĂ©riel. Ătre actif pour apprendre signifie, dâabord et avant tout, activer son cerveau. Pour apprendre, il faut que le cerveau sâactive. Lâimportant nâest donc pas de bouger ; lâimportant, câest dâactiver les neurones, car les neurones qui sâactivent ensemble se connectent ensemble.
Pour apprendre plus efficacement
Plusieurs Ă©tudes montrent dâailleurs quâun enseignement ayant recours Ă des stratĂ©gies ou des activitĂ©s exigeant que lâapprenant soit actif â en demandant Ă lâapprenant de rĂ©pondre Ă des questions, par exemple, ce qui implique lâactivation des neurones liĂ©s Ă lâapprentissage visĂ© â est plus efficace quâun enseignement oĂč lâapprenant est plus passif â oĂč lâapprenant ne doit quâĂ©couter les explications, par exemple, et oĂč, consĂ©quemment, la probabilitĂ© que les neurones soient activĂ©s est moins grande.
Une synthĂšse2 de plusieurs Ă©tudes sur le sujet a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e. Dans cette mĂ©ta-analyse, les chercheurs ont analysĂ© les rĂ©sultats de 225 Ă©tudes ayant comparĂ© lâefficacitĂ© dâun enseignement magistral en sciences, mathĂ©matiques ou ingĂ©nierie et celle dâun enseignement oĂč les apprenants doivent ĂȘtre actifs. Comme le montre la figure 7, les effets bĂ©nĂ©fiques dâun apprentissage actif sont clairs : on observe une diminution moyenne de 12 % du nombre dâĂ©tudiants en Ă©chec.
Comme dans toute mĂ©ta-analyse, les chercheurs ont rĂ©alisĂ© un calcul mathĂ©matique permettant de dĂ©terminer ce quâon appelle lâampleur de lâeffet (aussi appelĂ©e « taille de lâeffet » ou effect size). Cette mesure est une valeur numĂ©rique obtenue en combinant les donnĂ©es statistiques de plusieurs Ă©tudes qui permet de savoir Ă quel point lâeffet dâune approche par rapport Ă une autre est grand. Elle permet de dĂ©terminer la tendance gĂ©nĂ©rale dâun ensemble dâĂ©tudes. ConnaĂźtre lâampleur de lâeffet est trĂšs utile, car cela indique non seulement si une approche est efficace ou non, mais aussi Ă quel point elle est efficace. En effet, dire quâune approche fonctionne ou ne fonctionne pas nâa pas beaucoup de sens en Ă©ducation, puisque la plupart des approches favorisent lâapprentissage. La question pertinente est de savoir quelles sont les approches qui aident davantage les apprenants.
Lâampleur de lâeffet calculĂ©e dans la mĂ©ta-analyse sur les approches actives est de 0,47. En langage technique, cela signifie que lâutilisation des approches actives amĂ©liore en moyenne les rĂ©sultats des Ă©tudiants de 0,47 Ă©cart-type â lâĂ©cart-type Ă©value Ă quel point les notes obtenues sont variables dâun Ă©tudiant Ă lâautre. Dans cette Ă©tude, Ă©tant donnĂ© lâĂ©cart-type de lâĂ©chantillon, lâampleur de lâeffet de 0,47 correspond Ă une amĂ©lioration des notes des Ă©tudiants de 6 % â et Ă une diminution du taux dâĂ©chec de 12 %.
Si lâĂ©cart-type entre les notes des Ă©tudiants avait Ă©tĂ© plus grand, une ampleur de lâeffet de 0,47 aurait Ă©tĂ© associĂ©e Ă une augmentation des notes plus grandes. Ă lâinverse, si lâĂ©cart-type des notes des Ă©tudiants avait Ă©tĂ© plus petit â si les Ă©tudiants avaient presque tous la mĂȘme note â, le gain en pourcentage aurait Ă©tĂ© plus faible. Lâampleur de lâeffet nâest donc pas une mesure absolue, mais relative de lâefficacitĂ© dâune approche. En Ă©ducation, il est reconnu quâune ampleur de lâeffet supĂ©rieure Ă 0,4 indique une approche qui est plus efficace que la moyenne des approches3. Le recours Ă des approches actives (vs passives) produit donc une ampleur de lâeffet lĂ©gĂšrement supĂ©rieure Ă la moyenne des autres approches.
Bien que la mĂ©ta-analyse soit un outil extrĂȘmement intĂ©ressant et pertinent pour connaĂźtre lâefficacitĂ© globale dâune approche, elle comporte aussi une importante limite. En effet, en faisant une synthĂšse de plusieurs Ă©tudes, elle ne permet pas de comparer lâefficacitĂ© relative dâune stratĂ©gie spĂ©cifique par rapport Ă toutes les autres stratĂ©gies de la mĂȘme approche. Par exemple, des mĂ©ta-analyses4 rĂ©vĂšlent que de donner des devoirs aux Ă©lĂšves de lâĂ©cole primaire (6-10 ans) nâinfluence pas de façon trĂšs importante leur rĂ©ussite â les devoirs jouent cependant un rĂŽle plus dĂ©terminant dans la rĂ©ussite Ă partir de lâadolescence. De ces mĂ©ta-analyses, on pourrait infĂ©rer que les devoirs ne sont pas efficaces au primaire et que lâon devrait les abolir. Mais la mĂ©ta-analyse ne distingue pas entre les diffĂ©rents types de devoirs, elle fait une moyenne de lâeffet de tous les types de devoirs utilisĂ©s dans les Ă©tudes. Or, comme nous le verrons plus loin, certains types de devoirs sont beaucoup plus efficaces que dâautres. La question nâest donc pas tant de donner des devoirs ou non, mais plutĂŽt dâidentifier quels types de devoirs sont les plus efficaces.
Cette limite propre Ă toute mĂ©ta-analyse se retrouve dans la mĂ©ta-analyse sur les approches actives : elle fait Ă©tat de lâeffet global dâune variĂ©tĂ© de stratĂ©gies visant Ă rendre lâapprentissage plus actif. Or, pour en savoir plus sur la façon optimale de rendre lâapprentissage actif et efficace, il faut non seulement connaĂźtre lâeffet moyen des interventions, mais aussi lâefficacitĂ© relative des diffĂ©rentes interventions utilisĂ©es dans les Ă©tudes. En outre, et comme nous le verrons tout au long de ce livre, il est toujours prĂ©fĂ©rable de connaĂźtre les raisons qui rendent une approche plus efficace quâune autre si lâon veut pouvoir mettre en application les rĂ©sultats obtenus dans un certain contexte et les transposer intelligemment Ă un autre contexte.
Autre nuance Ă apporter Ă la mĂ©ta-analyse sur les approches actives : mĂȘme si lâenseignement magistral nâest pas aussi efficace, en gĂ©nĂ©ral, quâun enseignement utilisant des stratĂ©gies dâapprentissage actif, cela ne signifie pas que lâenseignement magistral est entiĂšrement Ă proscrire. Ce qui est le plus important, câest que le cerveau des apprenants soit actif, et les Ă©tudiants peuvent avoir les neurones activĂ©s mĂȘme lors dâun enseignement magistral. Des Ă©tudes5 montrent en effet quâobserver quelquâun accomplir ou apprendre une tĂąche peut activer les mĂȘmes neurones que ceux de la personne observĂ©e, Ă lâexception des neurones liĂ©s au mouvement puisque la personne qui observe est immobile. On se rĂ©fĂšre souvent Ă cette activation, en bonne partie Ă©quivalente chez la personne observĂ©e et la personne qui observe, quand on parle des neurones miroirs.
Cela dit, mĂȘme si lâenseignement magistral peut effectivement contribuer Ă lâactivation des neurones, ce nâest pas nĂ©cessairement le cas. Et lĂ est tout le problĂšme. La probabilitĂ© que les Ă©lĂšves ne soient pas attentifs lors dâun cours magistral, quâils soient incapables de suivre les explications parce quâils sont en surcharge ou quâils ne possĂšdent pas les connaissances antĂ©rieures nĂ©cessaires pour intĂ©grer lâinformation prĂ©sentĂ©e est bien plus Ă©levĂ©e que lorsque lâenseignement fait appel Ă des activitĂ©s obligeant lâapprenant Ă accomplir une tĂąche et Ă ĂȘtre actif.
Pour créer des connexions neuronales pertinentes
Dans le modĂšle de Hebb, il faut que les neurones sâactivent ensemble pour quâils se connectent ensemble. Cependant, pour quâun apprentissage ait lieu, il faut non seulement que les neurones sâactivent, mais aussi, et surtout, que les « bons » neurones sâactivent. Le principe dâactivation neuronale nâest donc pas seulement dâactiver les neurones, câest Ă©galement dâactiver les neurones liĂ©s Ă lâapprentissage visĂ© (et pas les autres), câest-Ă -dire dâactiver les neurones liĂ©s Ă la connaissance ou Ă la stratĂ©gie quâil faut dĂ©velopper.
Plusieurs raisons peuvent faire en sorte que le cerveau sâactive, mais quâil nâactive pas les neurones qui doivent se connecter pour apprendre. Une premiĂšre raison, la plus Ă©vidente, est que lâon pense Ă autre chose quâaux contenus Ă apprendre. Un Ă©tudiant qui nâest pas attentif en classe, car il pense Ă ce quâil fera le soir, activera son cerveau pour imaginer sa soirĂ©e, mais il nâactivera pas les neurones liĂ©s Ă lâapprentissage visĂ©.
MĂȘme chose pour un Ă©tudiant qui navigue sur les rĂ©seaux sociaux durant un de ses cours : il active son cerveau, mais il nâactive pas les neurones liĂ©s Ă lâapprentissage quâil doit rĂ©aliser. Une Ă©tude6 Ă©tablit dâailleurs que des Ă©tudiants qui utilisent leur ordinateur durant leur cours, notamment pour aller sur les rĂ©seaux sociaux, ont une moins bonne comprĂ©hension du contenu abordĂ© pendant le cours que les autres Ă©tudiants (55 % vs 66 %). Si lâĂ©tudiant est Ă proximitĂ© dâun autre Ă©tudiant qui fait autre chose sur son ordinateur, il apprend Ă©galement significativement moins (56 % vs 73 %), mĂȘme sâil nâa lui-mĂȘme aucun ordinateur. Une hypothĂšse plausible pour expliquer ce rĂ©sultat est que les Ă©tudiants activent durant leur cours dâautres neurones que ceux liĂ©s Ă leur apprentissage.
On pourrait penser que les Ă©tudiants peuvent Ă©couter en classe en mĂȘme temps quâils naviguent sur Internet. Les Ă©tudes7 montrent que, contrairement Ă la croyanc...