Les Voies de la puissance
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Les Voies de la puissance

Penser la géopolitique au XXIe siÚcle

Frédéric Encel

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Les Voies de la puissance

Penser la géopolitique au XXIe siÚcle

Frédéric Encel

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À propos de ce livre

Impossible de parler de gĂ©opolitique sans Ă©voquer l'idĂ©e de puissance. Rapports de force, zones d'influence, conflits – politiques, Ă©conomiques, militaires – sont la matiĂšre des relations internationales. La puissance, qu'elle menace ou qu'elle protĂšge, dĂ©termine les conditions d'existence des États et des populations. Le livre s'interroge d'abord sur les critĂšres de la puissance?: ses instruments, ses manifestations et jusqu'aux illusions qu'elle engendre. Il dresse ensuite un Ă©tat des lieux de la planĂšte, panorama impeccablement documentĂ© et actuel des principales entitĂ©s Ă©tatiques et des enjeux rĂ©gionaux saillants. Il dĂ©crit enfin de nouveaux acteurs non Ă©tatiques qui imposent, sur la scĂšne mondiale, des effets de puissance parfois inĂ©dits. S'appuyant au besoin sur des rappels historiques qui sont moins des leçons que des exemples Ă©difiants, FrĂ©dĂ©ric Encel rĂ©ussit Ă  proposer un tableau cohĂ©rent de l'Ă©tat du monde et Ă  dĂ©gager les grandes tendances de son Ă©volution. Une mine d'informations, une somme d'analyses et de dĂ©cryptages des grandes orientations stratĂ©giques qui se dessinent sous nos yeux. FrĂ©dĂ©ric Encel, docteur HDR en gĂ©opolitique, est professeur de relations internationales et de sciences politiques (Paris School of Business) et maĂźtre de confĂ©rences Ă  Sciences Po Paris. Il est membre du comitĂ© de lecture de la revue HĂ©rodote.

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Informations

Éditeur
Odile Jacob
Année
2022
ISBN
9782415001131

PREMIÈRE PARTIE

CritĂšres, moyens et instruments de la puissance

CHAPITRE 1

ReprĂ©sentations d’un soi collectif

Soi implique l’altĂ©ritĂ©. Se penser signifie penser autrui. Se penser collectivement comme un nous impose de penser les autres collectifs comme eux. Or, ce nous prĂ©vaut systĂ©matiquement – les hommes ne vivent pas seuls, les DiogĂšne et autres saints SimĂ©on le Stylite sont excessivement rares, et Mowgli et Tarzan n’ont existĂ© qu’en lĂ©gende – et ce n’est pas parce qu’une population est bigarrĂ©e et composĂ©e de gens d’origines ou d’appartenances diverses qu’elle ne se reprĂ©sente pas comme un nous, soit au quotidien, soit Ă  la faveur de circonstances exceptionnelles tel qu’un pĂ©ril extĂ©rieur. Mais, qui dit pĂ©ril extĂ©rieur dit bien reprĂ©sentation de celui-ci par ce nous intĂ©rieur. Dire « nous », en rejetant ce qui le distingue d’eux, n’a guĂšre de sens, du moins dans une analyse gĂ©opolitique. Aussi bien, vouloir abolir les frontiĂšres et les diffĂ©rences consiste Ă  abolir le nous. On peut parfaitement souhaiter un monde dans lequel les distinctions auront en effet Ă©tĂ© abolies et avec elles, croit-on logiquement, les motifs de querelles. Sauf que cela ne se peut pas car les hommes ne sont pas (encore) des clones. Et quand bien mĂȘme un sortilĂšge permettrait de faire des humains des quasi-semblables, ceux-ci dĂ©nicheraient encore trĂšs probablement de quoi se constituer et se distinguer en nouveaux collectifs sur de nouvelles bases, et, partant, trouver matiĂšre Ă  s’affronter


La nécessaire unité intérieure

Sans paix Ă  l’intĂ©rieur, pas de puissance Ă  l’extĂ©rieur. Il en va de cette rĂšgle pour toute institution et tout collectif. Pour projeter une puissance commerciale, diplomatique et militaire, un collectif doit se prĂ©senter devant les autres avec un minimum d’unitĂ©, avec un leadership – de grĂ© ou de force – exonĂ©rĂ© de trop lourdes entraves internes, et en pleine possession de ses moyens d’action. Cela vaut aussi sur le plan militaire, et pas seulement dans les domaines institutionnel et social. Le calamiteux bourbier espagnol a incitĂ© l’Autriche Ă  bĂątir une nouvelle coalition militaire contre NapolĂ©on Ier en 1809. Ce fut Ă©galement le cas pour les rĂ©gimes totalitaires bellicistes – fasciste et nazi notamment – qui rĂ©primĂšrent leurs « ennemis intĂ©rieurs » et ouvrirent des camps de travail forcĂ© et de concentration bien avant de projeter leur puissance guerriĂšre Ă  leurs frontiĂšres – mais pas seulement. AprĂšs tout, l’État belge, authentique dĂ©mocratie libĂ©rale, a fait la guerre en Libye en 2011 (que ce fut sous l’égide de l’ONU et dans le cadre d’une coalition emmenĂ©e par la France et le Royaume-Uni ne change rien) et, de surcroĂźt, sans mĂȘme disposer d’un gouvernement autre que celui sortant censĂ© expĂ©dier les affaires courantes !
Les six cas de figure historiques suivants Ă©tayent, parmi bien d’autres, cette rĂ©alitĂ© dichotomique :
  1. 1) au cours de la guerre de Cent Ans, les phases de replis et de dĂ©faites respectivement françaises et anglaises Ă©pousent assez fidĂšlement les phases de guerre civile et/ou de vacance du pouvoir de part et d’autre de la Manche au XVe siĂšcle, Ă  l’image de la lutte entre Armagnacs et Bourguignons sur fond de folie de Charles VI de Valois, et de la guerre des Deux-Roses en Angleterre ;
  2. 2) l’une des variables explicatives de la trĂšs cruelle rĂ©pression menĂ©e en VendĂ©e par les armĂ©es rĂ©volutionnaires, en 1793-1794, tient Ă  la nĂ©cessitĂ© de broyer toute contestation du rĂ©gime qui pourrait grever la puissance de l’État nouvellement rĂ©publicain, en particulier dans une rĂ©gion ouverte sur une puissance maritime traditionnellement hostile, l’Angleterre ;
  3. 3) le rĂ©publicain Adolphe Thiers fait impitoyablement Ă©craser la Commune au printemps 1871 afin d’éviter la contagion rĂ©volutionnaire (mĂȘme si certains communards sont eux-mĂȘmes rĂ©publicains, tel Charles Delescluze), et ainsi restaurer au plus vite l’État en stabilisant son nouveau rĂ©gime rĂ©publicain postimpĂ©rial, restauration conditionnĂ©e Ă  son unitĂ© et bien vue par la Prusse/Allemagne victorieuse ;
  4. 4) en janvier 1919 Ă  Berlin, les rĂ©volutionnaires spartakistes de Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg sont anĂ©antis par les corps francs et des forces nationalistes, mais avec la bienveillance d’un nouveau pouvoir de centre-gauche souhaitant redresser l’État – dans son nouveau cadre rĂ©publicain – grĂące Ă  un accord avec les puissances victorieuses et le retour Ă  la stabilitĂ© ;
  5. 5) l’Angola du prĂ©sident JosĂ© Eduardo dos Santos, bien que minĂ© par une guerre civile pluridĂ©cennale entre 1975 et 2002, a, certes, pu continuer Ă  exporter son pĂ©trole, mais dans la seule mesure oĂč les gisements de cette manne se situaient en pleine possession du rĂ©gime. Et encore, si l’État angolais a survĂ©cu Ă  cette crise endĂ©mique, il n’a pu en aucun cas projeter une quelconque puissance au-delĂ  (d’une partie seulement) de son territoire ;
  6. 6) en Syrie, si le rĂ©gime de Bashar el Assad n’a effectivement pas chutĂ© (ni mĂȘme Ă©voluĂ© constitutionnellement ou idĂ©ologiquement d’un iota) aprĂšs une dĂ©cennie de guerre civile extrĂȘmement destructrice, l’État a perdu Ă  peu prĂšs toute capacitĂ© d’interaction extĂ©rieure, lui qui avait successivement rĂ©ussi Ă  menacer militairement IsraĂ«l (1973), Ă  envahir, contrĂŽler et piller durablement le Liban (1976-2005), et Ă  mener des campagnes terroristes d’envergure contre la France et les États-Unis jusqu’à se faire admettre Ă  tort comme incontournable au Proche-Orient

RĂ©flĂ©chir sur l’unitĂ© intĂ©rieure d’un État, c’est poser la question de l’allĂ©geance Ă  celui-ci, et donc observer, lĂ  encore, des reprĂ©sentations. Pour rester sur le cas syrien, Ă©voquer une « guerre fratricide » entre 2011 et 2021 prĂȘte Ă  confusion, sauf Ă  admettre que dix-huit millions d’individus, sur la seule base de leur possession d’une carte d’identitĂ© syrienne, se reprĂ©sentent peu ou prou comme des frĂšres ou Ă  tout le moins des compatriotes. Existe-t-il une conscience nationale spĂ©cifiquement syrienne ? Peut-ĂȘtre, mais les Druzes de Syrie ne se reprĂ©sentent-ils pas prioritairement comme des Druzes ? Et les ArmĂ©niens comme des ArmĂ©niens (gagnant d’ailleurs pour beaucoup Erevan lorsque grandit le pĂ©ril) ? Et les Alaouites au pouvoir – mĂȘme s’ils se dĂ©fendent de l’exercer en tant que tels, eux qui ne reprĂ©sentent que 10 % de la population – depuis l’avĂšnement de Hafez el Assad en 1970, comme des Alaouites ? Et les sunnites, ultramajoritaires mais exclus du pouvoir depuis cette date, se perçoivent-ils comme tels ou comme des musulmans ? Tous ces collectifs intra- ou extranationaux ont existĂ© bien avant la crĂ©ation par la France quasiment ex nihilo de la Syrie contemporaine entre 1922 et 1945. Si c’est bien officiellement comme syrien et au nom de la nation Syrie (Bilad al Sham) que le rĂ©gime prĂ©tend combattre, c’est au nom de l’islam (et de l’Oumma, communautĂ© des croyants musulmans, dont la Syrie fait partie) que ses opposants islamistes, par exemple, mĂšnent pour leur part la lutte. D’autres cas de figure sont trĂšs Ă©loquents et traduisent une grande diversitĂ© de situations. Ainsi en Afghanistan, État dont les frontiĂšres furent tracĂ©es suite au « grand jeu » anglo-russe de la fin du XIXe siĂšcle, la conscience nationale relĂšve du thĂ©orique ; l’allĂ©geance de chacun revient tout prioritairement Ă  son clan et Ă  son collectif ethnolinguistique (Tadjiks, Ouzbeks, Pachtounes, etc.). Aux États-Unis, en revanche, pendant la guerre de SĂ©cession (1860-1865), nordistes comme sudistes se reprĂ©sentent comme amĂ©ricains, et c’est Ă  ce titre, et dans la conviction respective d’ĂȘtre plus respectueux que l’adversaire de ce que signifie ĂȘtre amĂ©ricain, qu’on le combat. La guerre civile russe de 1917-1922 prĂ©sente un schĂ©ma diffĂ©rent encore : les Russes blancs combattent primordialement comme russes pour la Russie dans ses dimensions Ă  la fois religieuse (en l’espĂšce chrĂ©tienne orthodoxe), nationale, voire civilisationnelle (langue, traditions, folklore
) – tandis que les bolcheviks combattent comme rĂ©volutionnaires internationalistes, au nom de l’humanitĂ© entiĂšre et Ă  la maniĂšre de son avant-garde. Ces derniers prĂ©fĂšrent du reste cĂ©der Ă  l’Allemagne de larges et riches pans de territoires ukrainiens et biĂ©lorusses en contrepartie d’un traitĂ© de paix (Brest-Litovsk, 1918) afin de mieux faire la guerre Ă  l’intĂ©rieur et ainsi de sauver leur nouveau rĂ©gime.
En dĂ©finitive, qu’il s’agisse de guerres civiles au sein d’institutions politiques (des citĂ©s et empires antiques aux États modernes en passant par les duchĂ©s et comtĂ©s fĂ©odaux) ou de dĂ©chirements internes au sein de familles, de tribus ou de clans rĂ©gnants, le dĂ©ploiement de la puissance du collectif en pĂątit gravement. C’est vrai des fractures au sein de la population, entre le pouvoir et la population, mais aussi au sommet du pouvoir (luttes de succession, rĂ©volutions de palais, coups d’État). DĂ©cidĂ©ment, souvent soucieuse, voire organisatrice, de divisions affaiblissantes chez les autres, la puissance exige Ă  l’inverse une grande stabilitĂ© chez soi
 Mais sur quelles bases fĂ©dĂ©ratrices l’établir ?

Collectif religieux : le plus ancien
(et l’un des plus solides !)

L’affinitĂ© spirituelle ou religieuse, sans nĂ©cessairement incarner le ciment le plus frĂ©quent des citĂ©s et groupements de citĂ©s antiques, ne pouvait pas ĂȘtre complĂštement absente. Partager une mĂȘme divinitĂ©, vĂ©nĂ©rer un mĂȘme rĂ©cit mythique, et procĂ©der au mĂȘme dispositif cultuel et liturgique rapprochent naturellement et permettent au pouvoir de tendre le ressort des Ă©nergies, y compris guerriĂšres. Un rĂ©gime disposant d’un collectif relativement uni sur le plan confessionnel pourra en effet l’instrumentaliser Ă  souhait contre l’autre devenu ennemi de confession diffĂ©rente, et cela mĂȘme si, d’une part, l’objet du conflit Ă©chappe Ă  toute considĂ©ration religieuse, et, d’autre part, les collectifs opposĂ©s sont plus ou moins sĂ©cularisĂ©s. Entre IsraĂ«l et la Syrie (depuis 1948), entre l’ArmĂ©nie et l’AzerbaĂŻdjan (depuis 1991), les conflits prĂ©valent entre États, certes distincts sur le plan confessionnel, mais assez sĂ©cularisĂ©s, et sans rapport direct avec des Ă©lĂ©ments ou des espaces d’importance rĂ©ellement thĂ©ologique. Louis XIV, bien que petit-fils de prince protestant (Henri IV), joua Ă  fond de la corde religieuse en renforçant la nature profondĂ©ment catholique de son royaume au dĂ©triment de sa composante protestante, fĂ»t-elle loyale. Bigot, le Roi-Soleil pensait nĂ©anmoins sans doute autant Ă  la puissance de l’État qu’à son propre destin dans l’au-delà
 Ce faisant, il affaiblit en rĂ©alitĂ© le royaume de France en poussant Ă  l’exode plusieurs centaines de milliers de protestants industrieux qui allaient enrichir la Suisse, les principautĂ©s d’Allemagne, les Provinces-Unies (futurs Pays-Bas notamment) et l’Angleterre puis indirectement les États-Unis, la France y perdant dramatiquement sur des temps longs. Notons deux autres cas, fort diffĂ©rents, d’États qui s’appauvriront considĂ©rablement en ressources crĂ©atives, commerciales et scientifiques : l’expulsion par les Rois Catholiques des Juifs d’Espagne puis du Portugal refusant la conversion en 1492, et le fanatisme antisĂ©mite (de nature bien plus raciale que religieuse) du IIIe Reich quatre siĂšcles et demi plus tard impliquant le dĂ©part forcĂ© de nombreux ingĂ©nieurs juifs dans les annĂ©es 1933-1939.
Pour autant, les monothĂ©ismes prĂ©sentent quelques caractĂ©ristiques propices Ă  structurer citĂ©s, empires et nations, et Ă  penser l’espace, le temps, la guerre et la paix ou encore l’économie. Le plus ancien ouvre la voie : ainsi le judaĂŻsme se fonde-t-il sur un texte trĂšs politique au sens oĂč les affaires d’une citĂ© et d’un peuple y sont toutes narrĂ©es et commentĂ©es. Cela dit, depuis au moins la rĂ©daction du Talmud aux premiers siĂšcles de l’ùre chrĂ©tienne, le judaĂŻsme, d’un cĂŽtĂ©, a renoncĂ© au prosĂ©lytisme et Ă  l’exogamie, de l’autre, s’est concentrĂ© sur sa propre eschatologie syncrĂ©tique de nation/confession. Le sionisme comme mouvement politique europĂ©en du XIXe, bien que non seulement laĂŻc et anticlĂ©rical mais largement athĂ©e Ă  ses dĂ©buts, a gĂ©nĂ©reusement puisĂ© dans ce que le corpus biblique lui offrait d’expĂ©rience ou d’exemplaritĂ© politique mais aussi agraire ou encore institutionnel – voire, lorsque naĂźtra le fruit politique du sionisme, l’État d’IsraĂ«l –, militaire et stratĂ©gique. Aujourd’hui, poser la question de savoir si, pour l’État d’IsraĂ«l, le judaĂŻsme constitue un attribut de puissance expose Ă  une rĂ©ponse complexe et ambivalente. D’abord, dĂ©sincarnĂ© de la dimension Ă  tout le moins politique et culturelle (linguistique notamment) du judaĂŻsme, cet État verrait sa raison d’ĂȘtre pour partie questionnĂ©e. Ensuite parce qu’au moins un courant religieux, celui des haredim (craignant-Dieu, ou ultraorthodoxes) ne s’assume pas sioniste, mĂ©prise l’État-nation israĂ©lien comme hĂ©rĂ©sie prĂ©- et antimessianique quand il ne le dĂ©fie pas ouvertement, rejetant son systĂšme de conscription, sa diplomatie, son socle institutionnel dĂ©mocratique et les droits de l’homme. Or, comme cette population, reprĂ©sentant dĂ©jĂ  plus de 15 % des Juifs israĂ©liens, accuse le plus fort taux de fĂ©conditĂ© (soit le nombre d’enfants par femme en Ăąge de procrĂ©er) au monde, 7,5, elle double tous les vingt ans
 En revanche, on peut admettre qu’un autre courant religieux, sioniste-nationaliste celui-lĂ  – d’oĂč provient le Premier ministre successeur de Benyamin Netanyahou, Naftali Bennett –, a dĂ©jĂ  contribuĂ© Ă  la montĂ©e en force de Tsahal (l’armĂ©e israĂ©lienne), et, en particulier, de ses unitĂ©s d’élite. De façon gĂ©nĂ©rale, pour les 80 % de Juifs d’IsraĂ«l qui le vivent comme une religion nationale, et vraisemblablement aux yeux d’une part importante des sept millions de Juifs de diaspora, le judaĂŻsme, quels que soient ses pratiques et dĂ©finitions, demeure une identitĂ© structurante et souvent mobilisatrice dans les crises1.
Le christianisme et l’islam, religions prosĂ©lytes et Ă  vocation universelle pour leur part, ont souvent rempli leur rĂŽle de structurants clanique, ducal, califal, royal, impĂ©rial ou/puis national, dans leurs variantes catholique, orthodoxe, rĂ©formĂ©e, sunnite ou chiite respectives. Pour autant, comme avec le judaĂŻsme en IsraĂ«l, il n’apparaĂźt pas certain que l’emploi politique de ces confessions par le pouvoir sĂ©culier (soit ne pas suffisamment rendre Ă  Dieu ce qui lui appartient quand on est CĂ©sar
) ait toujours constituĂ© un instrument pourvoyeur de puissance. Comme toujours, tout dĂ©pend de la façon dont la population s’approprie et accompagne cette instrumentalisation thĂ©ologique, des bĂ©nĂ©fices sociaux (tsedaka, zakat, aumĂŽne) ou consolatoires et de la cohĂ©rence identitaire qu’elle procure, des encouragements ou justifications sacraux Ă  la guerre qu’elle livre, sachant que les querelles liturgiques ou thĂ©ologiques provoquent assurĂ©ment un affaiblissement du collectif qui en pĂątit, au moins jusqu’à la victoire rĂ©elle d’un camp spirituel sur un autre. Depuis les annĂ©es 1980, des États musulmans combattent violemment des groupes islamistes radicaux au nom de l’islam
 et vice versa, un schĂ©ma intraconflictuel qu’avait connu auparavant la chrĂ©tientĂ© Ă  maintes reprises et jusqu’aux combats fratricides entre chrĂ©tiens maronites libanais en 1990.
On eut tort de croire que l’avĂšnement des idĂ©ologies nationalistes et marxistes ainsi que leurs dĂ©rivĂ©es diverses, dĂšs le second XIXe siĂšcle et tout au long du XXe, avaient relĂ©guĂ© les appartenances religieuses de façon pĂ©renne sinon dĂ©finitive. Il n’en a rien Ă©tĂ© et le retour du religieux – et donc de son corollaire, l’instrumentalisation Ă  des fins politiques – s’est avĂ©rĂ© massif sur une grande partie de la planĂšte. Dieu Ă©tait peut-ĂȘtre « mort » comme le pensait Nietzsche, mais certainement pas ses oracles. La recherche de puissance par le truchement de la cohĂ©sion identitaire du collectif passe Ă  nouveau (et parfois, comme en Inde, bien davantage qu’autrefois) par le religieux, sinon le mystique, y compris en Occident, des États-Unis de Donald Trump (2017-2021) Ă  la Pologne du parti ultraconservateur Droit et Justice PiS en passant par le BrĂ©sil de l’évangĂ©lique Jair Bolsonaro.

La nation : le plus récent

Parmi les grands concepts politiques et les reprĂ©sentations collectives, la nation est l’un des plus rĂ©cents. Avant la RĂ©volution française, le terme Ă©tait certes employĂ© en France, mais par les autoritĂ©s royales surtout et pour dĂ©signer des groupes religieux ; on parlait alors de la nation protestante ou de la nation juive, au sens contemporain de communautĂ©s de fidĂšles sans que le terme recouvre autre chose qu’un Ă©tat/statut de naissance (natio). C’est sur le champ de bataille de Valmy, le 20 septembre 1792, lorsqu’un gĂ©nĂ©ral acquis Ă  la RĂ©volution, François Christophe Kellermann, harangue ses troupes au cri de « Vive la nation ! », que le concept prend une nouvelle acception, politique et non plus cultuelle, inclusive, voire universaliste, plutĂŽt qu’exclusive car on peut thĂ©oriquement rejoindre cette nation f...

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