Chapitre 1 :
Espaces multiples
La poudre noire est probablement lâune des inventions chinoises les plus cĂ©lĂšbres, avec le sismographe, la boussole ou encore lâimprimerie : elle a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour la premiĂšre fois en 919 comme agent dĂ©tonnant et en 970 comme agent propulsif. Au XVIe siĂšcle, lorsque le mandarin Wang Hou imagine dây recourir pour dĂ©coller du sol, il ne possĂšde pas de solution technique satisfaisante pour allumer simultanĂ©ment les 47 fusĂ©es de sa machine volante, dotĂ©e Ă©galement de deux cerfs-volants. Il fait donc appel Ă 47 esclaves, chargĂ©s dâenflammer chacun une fusĂ©e. Lâun dâentre eux met malencontreusement le feu Ă la machine volante de Wang Hou : le mandarin meurt brĂ»lĂ© et, au lieu de rejoindre effectivement le ciel, entre dans la lĂ©gende de lâexploration de lâespace. Les ingĂ©nieurs et les dignitaires chinois qui, en novembre 1999, procĂšdent au lancement du premier vaisseau habitable chinois depuis le dĂ©sert de Gobi connaissent lâhistoire de leur lointain prĂ©curseur ; ils savent aussi que, dans la course Ă lâespace, ils ont Ă©tĂ© prĂ©cĂ©dĂ©s par dâautres nations : les premiers « fils du Ciel » de lâĂ©poque moderne ne sont pas les descendants des empereurs de Chine, mais sont tous nĂ©s en Occident, quâils soient russes ou amĂ©ricains.
Il faut prendre la mesure de ce simple constat historique : nous ne pouvons pas nous interroger sur les raisons dâĂȘtre, les motivations et les conditions de nos entreprises dâexploration et dâutilisation de lâespace sans tenir compte de la diversitĂ© des modes dâapprĂ©hension, de comprĂ©hension, de reprĂ©sentation du ciel, vĂ©hiculĂ©s par nos cultures, dâhier et dâaujourdâhui. Il nây a pas un seul espace, mais plusieurs.
Ciel sacré
Une chose est certaine : pas une seule des cultures humaines nâa ignorĂ©, nâignore aujourdâhui la voĂ»te cĂ©leste. LâarchĂ©oastronomie en trouve des traces parmi les premiers vestiges humains, aux parois des cavernes prĂ©historiques ou sur des objets taillĂ©s, gravĂ©s. Les reprĂ©sentations de la Lune ou des PlĂ©iades dans la grotte de Lascaux en France sont vieilles de plus de 15 000 ans. Le disque de Nebra, dĂ©couvert en Saxe allemande Ă la fin du XXe siĂšcle, fait de bronze et dâor, daterait de 1600 av. J.-C. : il reprĂ©sente la Lune, le Soleil et probablement les PlĂ©iades . . .
Faut-il rechercher plus tĂŽt encore les racines dâun tel intĂ©rĂȘt, autrement dit dans le terroir biologique et animal dâoĂč notre espĂšce a Ă©mergĂ© ? Le hurlement nocturne du loup a donnĂ© naissance Ă nombreuses lĂ©gendes ; lâexplication est pourtant simple : en relevant la tĂȘte, lâanimal augmente la puissance et la diffusion de sa vocalisation ; la prĂ©sence de la Lune nây est probablement pour rien. Faut-il pour autant nier lâeffet des variations lumineuses et donc cĂ©lestes sur les ĂȘtres les plus « simples », dĂšs lors quâils possĂšdent quelque capteur photosensible ? Qui nous dit que certains de nos cousins primates ne lĂšvent pas eux aussi les yeux vers le ciel pour jouir de sa lumineuse mais froide beautĂ©, pour laisser creuser dans leur conscience animale la prĂ©sence dâun ailleurs, dâun autre monde, dâautres ĂȘtres, semblables ou diffĂ©rents dâeux ? Laissons cette question aux biologistes et aux Ă©thologues en tous genres ; il nous suffit ici de constater que le ciel a toujours fascinĂ© les humains.
Jâutilise le mot de fascination pour dĂ©signer le double mouvement dâattrait et de rejet, le double sentiment de bonheur et dâangoisse, de paix et dâeffroi que lâesprit humain peut Ă©prouver au spectacle de la voĂ»te cĂ©leste. Câest le sentiment quâĂ©prouvaient les Ăgyptiens lorsquâils se reprĂ©sentaient la dĂ©esse Nout, dont le corps constellĂ© dâĂ©toiles est arquĂ© au-dessus de la Terre, dont le rire provoque le tonnerre et les larmes la pluie. Chaque soir, la dĂ©esse avale le soleil pour lui redonner naissance chaque matin. Ainsi Nout est-elle la protectrice des vivants et des morts : la tradition Ă©gyptienne la compare Ă la truie qui dĂ©vore ses propres petits. Pouvons-nous aujourdâhui prĂ©tendre ne plus subir pareille fascination, parce que nous possĂ©dons les moyens dâobserver les recoins les plus Ă©loignĂ©s de notre univers, parce que des humains ont foulĂ© de leurs bottes le sol lunaire ? Il suffit de lâannonce dâune Ă©clipse solaire ou de lâinformation a posteriori du passage dâun astĂ©roĂŻde au voisinage de notre planĂšte pour que les attentes et les peurs les plus ancestrales se rĂ©veillent dans nos esprits scientifiques, rationalistes . . . et religieux. Emmanuel Kant a donc raison dâĂ©voquer la vĂ©nĂ©ration suscitĂ©e par la vue du ciel Ă©toilĂ© : aux yeux des humains, le ciel possĂšde tous les attributs du sacrĂ©.
Cosmos interdit
Au sacrĂ© sont associĂ©es les idĂ©es de sacralisation, dâinterdiction et, par opposition, de transgression, de profanation ; le ciel ne leur a pas Ă©chappĂ©. Mais, plus encore que les religions, câest sans doute Aristote qui a fixĂ© les frontiĂšres les plus solides, les plus infranchissables entre la terre et le ciel (je laisse de cĂŽtĂ© lâenfer). Que la terre occupe le centre de la rĂ©alitĂ© relĂšve de lâexpĂ©rience la plus commune : le soleil « se lĂšve » et « se couche » en passant au-dessus de nos tĂȘtes ; les astres tracent des sillons dont le centre se confond apparemment avec notre propre Terre. En lâabsence de toute autre donnĂ©e ou de toute autre contrainte, comment penser et dĂ©fendre une idĂ©e diffĂ©rente du gĂ©ocentrisme ? Celui dâAristote qui a longtemps dominĂ© la pensĂ©e et les cultures en Occident est associĂ© Ă un strict dualisme.
Si la Terre occupe le centre du monde, en est lâomphalos, le nombril, il nâest pas pour autant un sommet, un emplacement qui confĂšre Ă celui qui lâoccupe la noblesse et le prestige. Il est plutĂŽt un cloaque, le lieu oĂč sont rĂ©unies toutes les impuretĂ©s du monde et, parmi elles, lâespĂšce humaine qui ne se plaĂźt que dans la fange, le chaos et la guerre. Si le Soleil tourne sur sa sphĂšre de cristal Ă lâinstar dâun gigantesque projecteur chargĂ© dâĂ©clairer la scĂšne terrestre, câest pour que la divinitĂ©, CrĂ©ateur tout puissant ou Grand Architecte, ne perde pas un dĂ©tail, pas un instant de lâhumaine comĂ©die. Ă moins que ces sphĂšres qui portent aussi les planĂštes soient chargĂ©es de cacher au regard des ĂȘtres cĂ©lestes les souillures et les vices qui sâaccumulent sur Terre. De cette antique organisation du monde, de cette opposition entre le cosmos (le mot grec dĂ©signe une « belle totalitĂ© ordonnĂ©e ») et la Terre telle quâAristote lâa Ă©laborĂ©e puis la tradition philosophique et thĂ©ologique dĂ©fendue jusquâĂ lâaube des temps modernes, il convient de ne chercher Ă exclure aucune des deux interprĂ©tations. Apparemment opposĂ©es lâune Ă lâautre, elles ont pourtant coexistĂ©, survĂ©cu dans les cultures occidentales, au grĂ© des traditions et des humeurs des Terriens jusquâau dĂ©but du XVIIe siĂšcle.
Cette comprĂ©hension ou plutĂŽt cette interprĂ©tation cosmique du ciel a pour consĂ©quence dâen interdire lâaccĂšs aux humains : pour eux, il nâest pas question de rejoindre les sphĂšres cĂ©lestes, du moins avec leur corps ou durant leur existence terrestre ; seuls les plus sages, les plus saints, les plus spirituels dâentre eux peuvent espĂ©rer y parvenir au terme dâune existence parfaite, ascĂ©tique, bref quasiment angĂ©lique. Lâinterdiction est tellement efficace quâelle sâimpose mĂȘme Ă lâimaginaire occidental : les Ćuvres littĂ©raires relatant le voyage (corporel) dâun ĂȘtre humain dans le ciel sont tellement rares quâelles ont valeur dâexceptions qui confirment la rĂšgle.
Ailleurs, dans dâautres cultures, si lâinfluence dâAristote est absente, les rĂȘves de rejoindre la Lune ne paraissent pas avoir souvent hantĂ© les nuits et les imaginaires. Il y est volontiers question dâĂȘtres cĂ©lestes, divins qui peuplent le ciel et les astres ou visitent la terre, mais pas dâhumains embarquĂ©s dans de cĂ©lestes expĂ©ditions. Le ciel nâest pas toujours interdit, mais il reste nĂ©anmoins inaccessible.
LâĂ©chelle cĂ©leste
AllĂ©gorie de lâascension spirituelle, lâĂ©chelle cĂ©leste apparaĂźt dans lâart chrĂ©tien dâOccident dĂšs le IVe siĂšcle et se dĂ©veloppe, tout en se renouvelant, au cours du Moyen Ăge. Si elle exprime un fervent dĂ©sir du ciel, elle transmet aussi des Ă©lĂ©ments fondamentaux de la pensĂ©e religieuse mĂ©diĂ©vale. Le monde est crĂ©Ă© par Dieu, selon un processus dualiste de sĂ©paration entre le ciel et la terre ; Ă la chute morale des ĂȘtres humains (ce qui est appelĂ© le pĂ©chĂ©) correspond le salut offert par le Christ « descendu du ciel » pour que les croyants puissent y retourner ; ce retour est une progression spirituelle par degrĂ©s.
La leçon de lâĂ©chelle cĂ©leste est paradoxale : le chemin de lâĂ©lĂ©vation est aussi celui de lâabaissement ; la montĂ©e par la contemplation est aussi la descente par la compassion, la charitĂ©. Sâajoute lâidĂ©e que la saintetĂ© nâest pas un Ă©tat donnĂ© dâemblĂ©e Ă la naissance, mais quâelle est la consĂ©quence dâune vie de recherche personnelle, nous pourrions dire dâexploration !
Lâespace des hommes
En 1543, meurt Nicolas Copernic. Lâhistoire raconte quâil a reçu, sur son lit de mort, lâouvrage dans lequel il dĂ©fend la thĂšse de lâhĂ©liocentrisme : le Soleil, et non la Terre, occuperait le centre du monde. En rĂ©alitĂ©, avant lâecclĂ©siastique polonais, dâautres penseurs ont Ă©laborĂ© et enseignĂ© des cosmologies hĂ©liocentriques : Philolaos de Crotone, au Ve siĂšcle avant notre Ăšre, HĂ©raclide du Pont au milieu du IVe et Aristarque de Samos peu de temps aprĂšs lui ont dĂ©fendu, mais en vain, une vision hĂ©liocentrique du cosmos. Les astronomies indienne et musulmane vĂ©hiculent Ă©galement lâhĂ©liocentrisme. Dans lâOccident mĂ©diĂ©val, aprĂšs Jean Buridan et Nicole Oresme, le cardinal Nicolas de Cues met aussi en question le gĂ©ocentrisme dominant. « Pourquoi hĂ©siterions-nous plus longtemps, Ă©crit-il, Ă lui attribuer [Ă la Terre] une mobilitĂ© sâaccordant par sa nature avec sa forme, plutĂŽt quâĂ Ă©branler le monde entier dont on ignore et ne peut connaĂźtre les limites ? » Et dans son ouvrage De la docte ignorance, publiĂ© en 1440, il ose affirmer : « La vie, telle quâelle existe ici-bas sur Terre sous forme dâhommes, dâanimaux et de plantes, supposons quâelle existe, sous une forme plus Ă©levĂ©e, dans les rĂ©gions solaires et stellaires2. » Soixante ans plus tard, LĂ©onard de Vinci Ă©met lâhypothĂšse que la Terre serait un astre de mĂȘme nature que la Lune. Et Giordano Bruno, avant de mourir sur le bĂ»cher Ă Rome en 1600, parle de mondes et de terres en nombre infini. Pourtant, lorsquâau dĂ©but de lâannĂ©e 1610 GalilĂ©e publie dans le Sidereus Nuncius, Le Messager cĂ©leste, les rĂ©sultats de ses observations menĂ©es durant le mĂȘme hiver Ă Padoue Ă lâaide dâune lunette de sa fabrication, il fait vĂ©ritablement Ćuvre de rĂ©volutionnaire.
Ses observations (la Lune nâest pas lisse et polie, mais aussi accidentĂ©e et rugueuse que la Terre ; Jupiter est accompagnĂ©e de trois, puis de quatre satellites) lui font comprendre que le monde, quâil soit terrestre ou cĂ©leste, est partout composĂ© de la mĂȘme matiĂšre, partout rĂ©gi par les mĂȘmes lois. Le monde nâest pas divisĂ© en une Terre et un cosmos ; le monde est unique, composĂ© de mĂȘmes matiĂšres, dirigĂ© par les mĂȘmes lois ; le monde est un univers. Plus rien ne justifie alors que la Terre, notre Terre, en occupe le centre : elle est une planĂšte parmi dâautres, elle tourne avec elles et comme elles autour du Soleil.
Ă Prague, oĂč il occupe le poste de mathĂ©maticien impĂ©rial Ă la cour de Rodolphe II, Johannes Kepler confirme les observations et les conclusions de GalilĂ©e : les antiques sphĂšres de cristal sont brisĂ©es ; le monde est un univers dĂ©nuĂ© de toute frontiĂšre et de toute clĂŽture, de tout centre aussi, de toute circonfĂ©rence enfin car il apparaĂźt comme infini. Aucune position, aucun lieu nâaccorde Ă celui qui lâoccupe prĂ©Ă©minence ou dĂ©chĂ©ance. LâhumanitĂ© nâa plus quâĂ digĂ©rer son humiliation ou Ă se rĂ©jouir de sa rĂ©habilitation. Lorsquâil rĂ©dige une lettre de soutien au Messager cĂ©leste et aux idĂ©es Ă©mises par GalilĂ©e, Kepler ne se contente pas dĂ©fendre les thĂšses de son collĂšgue italien : en rĂ©alitĂ©, il rĂ©dige « lâacte de conception » de lâastronautique, autrement dit des voyages dans lâespace. Car, il en est convaincu, « il ne manquera certainement pas de pionniers quand nous aurons maĂźtrisĂ© lâart de vol. » Le siĂšcle qui sâest achevĂ© dix ans plus tĂŽt a Ă©tĂ© celui de la dĂ©couverte, de lâexploration et du dĂ©but de la colonisation des AmĂ©riques ; le premier tour du monde a Ă©tĂ© accompli quatre-vingt dix ans plus tĂŽt. Alors, Kepler ne doute pas un instant que la perspective dâun autre Nouveau Monde, cĂ©leste cette fois, suscitera bientĂŽt un Ă©lan semblable parmi les plus audacieux des humains. Aussi la comparaison avec la maĂźtrise de la navigation et les exploits des marins europĂ©ens sâimpose Ă lâastronome : « Qui avait pu penser que la navigation Ă travers le vaste ocĂ©an se rĂ©vĂ©lerait moins dangereuse et plus tranquille que celle dans les golfes, proches mais menaçants, de lâAdriatique, de la Baltique ou de lâAsie ? » Et Kepler poursuit : « CrĂ©ons des navires et des voiliers appropriĂ©s Ă lâĂ©ther cĂ©leste et beaucoup de ne seront pas effrayĂ©s par ces immensitĂ©s vides.. » Il paraĂźt tout de mĂȘme avoir un doute sur le dĂ©lai nĂ©cessaire Ă construire les premiers vaisseaux de lâespace ; alors, avec un rĂ©el bon sens, il prĂ©fĂšre ajouter : « Entretemps, nous prĂ©parerons, pour ces courageux voyageurs des cieux, les cartes des corps cĂ©lestes â moi celles de la Lune et vous, GalilĂ©e, celles de Jupiter3. » Sâappuyant rĂ©solument sur les observations de son collĂšgue de Padoue et sur leurs communes conclusions, enthousiasmĂ© par la pensĂ©e que lâhumanitĂ© pourrait un jour Ă©chapper Ă sa prison terrestre, Kepler est donc convaincu que, dĂ©sormais, rien ne sera ni trop haut, ni trop loin, pour que lâhumain ne dĂ©cide et nâentreprenne de le rejoindre. Confiant aux ingĂ©nieurs la tĂąche dâinventer la navigation vers les astres, lâastronome prĂ©fĂšre se consacrer Ă lâĂ©laboration des cartes dont pourront se munir les premiers explorateurs et navigateurs du ciel : ce travail de cartographie lui paraĂźt indispensable afin de deviner, de dĂ©couvrir, mĂȘme de loin, les mondes et les Ăźles, les Ă©cueils et les rĂ©cifs que les conquistadors de lâespace rencontreront au cours de leur navigation. Ces cartes doivent mĂȘme susciter lâenvie, nourrir lâaudace de partir explorer ces mondes encore inconnus. Kepler qui, pour gagner sa vie, pratique lâastrologie en paraĂźt convaincu : le temps oĂč les humains, punis par quelque puissance cĂ©leste de demeurer emprisonnĂ©s sur Terre, se contentent de lire leur destin dans le ciel sera bientĂŽt terminĂ© ; demain, sâenthousiasme-t-il, lâhumanitĂ© ira elle-mĂȘme inscrire sa destinĂ©e au milieu des Ă©toiles ! Le ciel nâest plus le seul domaine des anges et des dieux ; le ciel peut devenir lâespace des hommes.
Du rĂȘve Ă la rĂ©alitĂ©
La rĂ©volution dĂ©clenchĂ©e par GalilĂ©e et Kepler nâa seulement touchĂ© le monde des sciences ; elle nâa pas seulement annoncĂ© les techniques astronautiques qui verront le jour trois siĂšcles et demi plus tard ; elle a aussi libĂ©rĂ© les imaginations : le voyage vers la Lune, vers les Ă©toiles devient le thĂšme de nombreuses Ćuvres de la littĂ©rature et la culture occidentale. Avant mĂȘme de rĂ©diger sa rĂ©ponse Ă GalilĂ©e, sa Conversation avec le Messager cĂ©leste, Kepler lui-mĂȘme a Ă©crit une fiction, intitulĂ©e Somnium, seu opus posthumum de astronomia, autrement dit Le Songe ou lâAstronomie lunaire : il Ă©voque un voyage sur une Ăźle mystĂ©rieuse, Levania, autrement dit la Lune. Toutefois, il y est davantage question de sorcellerie, de pouvoir des esprits, dâinfluence dĂ©moniaque que dâastronomie et dâastronautique . . .
Francis Godwin est volontiers considĂ©rĂ© comme le premier des auteurs modernes Ă avoir imaginĂ© un voyage sur la Lune : en 1638, il partage dans The Man in the Moon sa vision dâune nature lunaire enchanteresse et dâune humanitĂ© plus rĂ©ussie que la nĂŽtre. Vingt ans plus tard, Cyrano de Bergerac prĂ©sente Les Ătats et Empires de la Lune (1657) puis Les Ătats et Empires du Soleil (1662). En 1765, Marie-Anne de Roumier publie les sept volumes des Voyages de Milord CĂ©ton dans les sept planĂštes qui racontent une vĂ©ritable Ă©popĂ©e astronomique ; en 1835, câest au tour dâEdgar Poe dâexpĂ©dier Hans Pfaal dans la Lune Ă lâaide dâune nacelle.
Le XIXe siĂšcle marque la fin de lâexploration systĂ©matique du globe terrestre menĂ©e par lâOccident depuis la fin du XVe siĂšcle ; il ne reste plus aux Terriens que le ciel pour assouvir leur curiositĂ©, leur soif dâexplorer. Dâun exercice littĂ©raire, le voyage spatial devient alors un projet scientifique ; la lunette astronomique, nĂ©e avec le XVIIe siĂšcle, est promue au rang de vĂ©hicule : grĂące Ă elle et parfois avec une bonne dose dâimagination, les astronomes scrutent la Lune, les planĂštes et les Ă©toiles. Dans la veine de la Conversation de Kepler, ils se chargent de mettre au point une cartographie de la surface de Mars aussi prĂ©cise que celle des cartes terrestres . . . du moins le prĂ©tendent-ils. Angelo Secchi, Giovanni Schiaparelli et Percival Lowell dessinent mĂȘme dâextraordinaires rĂ©seaux de canaux Ă la surface de la planĂšte rouge : lâimagination nâĂ©pargne pas la science, Ă ses risques et pĂ©rils. Ce XIXe siĂšcle est fascinant : il accueille avec le mĂȘme enthousiasme les Voyages extraordinaires de Jules Verne et les publications de Camille Flammarion. Dans la PluralitĂ© des mondes habitĂ©s, lâastronome et vulgarisateur français affirme que « la Terre nâa aucune prĂ©Ă©minence marquĂ©e dans le systĂšme solaire de maniĂšre Ă ĂȘtre le seul monde habitĂ©, et que, ...