Le scandale et l'incommensurable
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Le scandale et l'incommensurable

Engendrement et assujettissement par la parole chez Hervé Bouchard, Pierre Perrault et Hector de Saint-Denys Garneau

Laurance Ouellet Tremblay

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Engendrement et assujettissement par la parole chez Hervé Bouchard, Pierre Perrault et Hector de Saint-Denys Garneau

Laurance Ouellet Tremblay

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L'écriture de ce livre est née de la conviction que la parole humaine détient force de vie et de liaison, mais qu'elle nous sépare aussi de nous-même en médiatisant notre rapport à la concrétude du monde et aux lois de la matière. Au centre de ce paradoxe apparaît le sujet parlant – désirant – qui, tout en utilisant les mots de l'Autre, est tenu d'apprendre à s'exprimer en son propre nom afin de s'insérer dans l'ordre symbolique et d'assumer, selon les mots d'Hervé Bouchard, le « rôle de sa vie ».À travers la lecture des oeuvres de trois auteurs préoccupés par la question de l'inadéquation de la parole au réel – celles d'Hervé Bouchard, Pierre Perreault et Hector de Saint-Denys Garneau –, cet ouvrage cherche à mettre en lumière « la part de scandale de la parole créatrice », c'est-à-dire l'inévitable aliénation qu'implique cette dernière au coeur même de l'invention. Convoquant les études littéraires, la théorie psychanalytique ainsi que certains éléments de philosophie, on verra que toute velléité de contrôle absolu du déploiement de la parole humaine – incommensurable – se révèle illusoire lorsque l'assujettissement au langage sert d'assise à une réflexion sur notre activité créatrice.

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Información

CHAPITRE I

Parents et amis sont invités
à y assister
d’Hervé Bouchard:
écrire entre l’appelée et l’excédé

Il n’est pas question de mourir. Il est question de jouer à renaître, d’aller chercher dans le récit d’un mort la vérité et la vie1.
Le prêtre alpiniste
L’histoire est simple, voire banale: nous aurions toutes et tous pu la vivre. Parents et amis sont invités à y assister, drame en quatre tableaux avec six récits au centre d’Hervé Bouchard est un livre qui raconte la mort, parle à partir de deux morts – celle du père Beaumont, chef de famille décédé soudainement dans sa berceuse, et celle de l’orphelin de père numéro six, suicidé à vélo. Drame divisé, comme l’indique son long titre, en quatre tableaux scindés de six courts récits, ce texte aux multiples ruses langagières met en scène une famille de Jonquière complètement déstabilisée par ces morts qu’elle charrie et autour desquelles elle devra s’organiser. Le premier tableau de l’opus s’ouvre d’ailleurs sur la scène d’exposition du corps du père Beaumont au salon funéraire et présente cinq orphelins de père prénommés, selon l’ordre de leur naissance, numéro un, deux, trois, quatre et cinq, ainsi que leur mère, la veuve Manchée, alors enceinte de l’orphelin de père numéro six. Ces personnages, stupéfaits par la disparition de l’autorité de la parole paternelle, seront amenés au fil du texte à se raconter à travers l’impensable de cette expérience de la perte, se ­confrontant à une épreuve de la parole – chant funèbre polyphonique ou notice nécrologique à la mémoire problématique –, nécessaire à la continuation de leur histoire, et ce, pour la suite du monde.
Chez Bouchard, la mort de l’autre s’inscrit à même les corps des personnages, qui se voient, dès le commencement du livre, tronqués, altérés par cette absence irrémédiable. Si les orphelins de père «peuvent être joués par un seul et même pourvu que sa tête de seul et même s’ajuste facilement et rapidement à des corps de différentes tailles» (PA, p. 12), leur mère, la veuve Manchée, femme mal amanchée, n’est guère moins éprouvée physiquement que ses fils: sidérée par le décès subit de son mari, les bras lui en sont littéralement tombés, la faisant prisonnière, à l’image d’une Pasiphaé des temps modernes, d’une robe de bois que personne n’a encore réussi à lui enlever et qui lui sert de tuteur comme à une plante. Ces corps entravés, voire grotesques, sont réunis dès l’ouverture du texte autour du cadavre du père: «Regarde ton père Beaumont, il est dans la mort, il a ses mains dans la mort, son corps vidé est dans la mort […] Il est notre mort, sa mort, nous la vivons» (PA, p. 17), déclare l’orphelin de père numéro un, mettant ainsi l’accent sur cette expérience de la disparition – de l’autre, mais de soi aussi, par projection partagée par les membres de la famille Beaumont. La mort, ici, agit dans la vie; «point trou» autour duquel gravite toute l’entreprise narrative de Parents et amis, non seulement elle altère le corps de la veuve et de l’orphelin, mais module également leur rapport à la parole, faisant apparaître les trois figures de l’assujettissement qui guideront ma lecture: celle de l’appelée, des appauvris et de l’excédé.
Avec Parents et amis, paru en 2006 au Quartanier, Hervé Bouchard a tordu la notion de «genre» et fait entendre une voix novatrice en littérature québécoise dans la mesure où il s’est revendiqué d’une conception singulière de l’écriture littéraire, chez lui définie comme «l’expression de la parole vivante de l’homme, laquelle est sans mesure2». Je veux ici préciser que cette acception ne cherche pas à faire de l’écriture une activité de transcription de la parole orale, mais bien une manifestation esthétique de ce qu’impose la parole au sujet: ce qui à la fois l’assujettit et le fonde. Dans cette perspective, l’une des volontés fortes du texte de Parents et amis consiste à remettre en doute, à même l’écriture, le «naturel» du parler et à casser, inlassablement, l’idée de cette parole qui nous appartiendrait et que nous pourrions modeler à notre guise. Chez Bouchard, comme chez Novarina, parler ne va pas de soi; prendre parole fragilise et assujettit le corps, mais se taire n’est pas une option, exigence de la parole que cherche à faire entendre le texte de Parents et amis par une pratique singulière de l’oralité:
C’est une forme d’oralité qui est évidemment très factice. C’est une oralité qui est très écrite, mais qui se dit très bien. Je ne me réclame pas d’une oralité qui veut reproduire le parler, la conversation de la rue. En général, je n’aime pas lire les textes en joual, par exemple. Parce que les textes en joual obligent à une médiatisation supplémentaire. On est obligé de traduire les mots que l’on voit pour les entendre comme on les aurait entendus s’ils n’avaient pas été écrits. Ça, je veux me défaire de ça. C’est pour ça que j’écris tous les mots la plupart du temps correctement. À moins de vouloir une sonorité particulière. C’est une oralité qui ne veut pas reproduire un parler, mais le flot spontané de la parole. Une parole qui est d’une franchise crue3 […]
Bouchard se réclame ici d’une oralité qui se situe hors de la dichotomie anthropologique du parler et de l’écrit, une oralité rejoignant ce que le théoricien du langage Henri Meschonnic a décrit comme «un primat du rythme et de la prosodie dans la sémantique, dans certains modes de signifier, écrits ou parlés. L’intégration du discours dans le corps et dans la voix, et du corps et de la voix dans le discours4». La préséance que donne au rythme l’oralité «très écrite» de Bouchard nécessite de remettre en doute la définition de «l’oral vu comme “source” [et] l’écrit comme […] figé, […] qui n’a su qu’étendre l’opposition du signifiant et du signifié à celle du parlé et de l’écrit5». «Poétiquement, l’oral peut être du figé aussi», affirme encore Meschonnic; «l’écrit est confondu avec sa matérialité imprimée6», ce qui laisse croire que «l’oral [est] le parlé, que le passage à l’écrit [est] la perte de la voix, du geste, de la mimique, de tout l’accompagnement du corps à l’énoncé proféré7». Pourtant, l’oralité qu’inscrit Bouchard dans le texte cherche à dépasser cette opposition en instituant le phénomène de la parole comme plus complexe que le seul fait de parler à voix haute, et celui de l’écriture comme trace et témoin du frayage de la parole dans le corps: «c’est une oralité littéraire, ou écrite; c’est une écriture qui parle. C’est une écriture qui produit de la salive, qui fait appel à la bouche8». L’oralité, chez Bouchard, n’a donc pas cette vocation joualisante qui tenterait de mimer le parler populaire à l’aide d’un travail sur le signifiant – «j’écris tous les mots la plupart du temps correctement» –, mais désire plutôt approcher le statut et la source, le «flot spontané» de la parole au moyen de ruses rythmiques dont je reparlerai bientôt mais que je peux déjà décliner sous quatre formes principales: celle de la réplique, de la répétition, de la translation et, la dernière mais non la moindre, celle de la liste.

Une parole qui engendre les corps

C’est parle ou meurs, il n’y a pas d’alternative9.
Hervé Bouchard
Placée face à l’œuvre, je n’ai d’autre choix que d’envisager Parents et amis comme un texte qui pose d’entrée de jeu l’énigme de sa forme, en donnant à lire un drame constitué de quatre tableaux entrecoupés en leur centre par six récits racontés par différents personnages et supposant donc une rupture hautement narrative dans le registre d’énonciation dramatique. Comment concevoir cette définition? L’œuvre est-elle un texte théâtral, un drame à proprement parler? Si oui, que faire de ces six récits, autonomes les uns des autres, qui viennent en interrompre l’exposition et rendre impossible, considérant leur caractère plus narratif, une mise en scène fidèle et intégrale du texte10? Bouchard confirme d’ailleurs l’intentionnalité du brouillage alors qu’il admet, dans une causerie écrite accordée à l’essayiste et psychanalyste José Morel Cinq-Mars, avoir eu l’exacte intention «de faire un drame en quatre tableaux avec six récits au centre, de mêler encore les genres narratif, poétique et dramatique, sachant bien [qu’il] faisai[t] une pièce injouable, un roman théâtral plutôt11». Parents et amis n’est donc pas un texte théâtral demandant la venue d’acteurs et de metteurs en scène pour déployer toute son envergure, et le réduire à cette définition afin de déchiffrer sa complexité serait régler trop vite l’effraction du genre commise par l’œuvre, car celle-ci n’a pas été écrite spécialement pour la scène. Par ailleurs, accoler au texte la simple étiquette de récit serait faire fi de l’abondante et signifiante présence des codes théâtraux que sont personnages, acteurs, figurants, didascalies et tableaux, codes n’ayant vraisemblablement pas été convoqués par hasard. Valère Novarina affirmerait sans hésiter qu’il s’agit d’un théâtre des paroles – qu’il appelle aussi théâtre utopique ou théâtre des oreilles –, procédé d’écriture au cœur duquel les codes de la théâtralité occupent une place prédominante, mais métaphorique, leur permettant ainsi d’agir sur l’évolution du texte tout en éludant les contraintes liées à une mise en scène réelle.
Le théâtre des paroles novarinien englobe donc l’ensemble de ces pièces problématiques «dont les dimensions, le nombre de protagonistes, les indications scéniques interminables et abstraites empêchent normalement toute représentation, confinant de ce fait leur existence au seul livre, dont les pages deviennent alors la scène virtuelle12». Dans cette optique, l’appartenance de Parents et amis au théâtre des paroles me permettra de réfléchir à la définition de l’acteur hors de son seul métier de comédien, celui qui demande de monter sur les planches du théâtre. Mais pour le moment, je chercherai à comprendre comment la fracture travaillée et volontaire du genre dont se réclame l’œuvre de Bouchard permet de brouiller et de déplacer les mécanismes de représentation du corps des personnages en définissant ceux-ci à l’extérieur de la stabilité de l’image.
Dans son ouvrage Poétique du drame moderne, l’essayiste et homme de théâtre français Jean-Pierre Sarrazac souligne la nécessité encore vitale de penser le texte dramatique moderne dans le rapport étroit et nécessaire qu’il entretient avec son «devenir scénique: ce qui, en lui, en appelle au théâtre, à la scène. Au point même que ce qui fait l’enjeu du texte, à savoir le drame […], peut devenir second par rapport à son existence scénique13». Que faire, dès lors, de la pièce Parents et amis qui, si elle avait à inclure les soixante-dix-neuf pages des récits du centre en son sein, perdrait assurément de sa cohérence lors de sa représentation devant public? C’est la question de la représentation, d’abord dans son acception théâtrale, qui s’impose ici: comment faire tenir sur scène, comment représenter ce texte de théâtre qui n’en est pas un? Mon désir n’est pas de cerner la forme que pourrait revendiquer une mise en scène idéale de Parents et amis, mais bien de m’interroger sur la manière dont le statut hybride de l’œuvre influence l’exercice de représentation dans le texte; l’image mentale. Comment représenter ce théâtre où les corps des personnages ne sont définis que par les énonciations qui les peignent et les éclairent, celles des autres et les leurs propres? À cet égard, la toute première didascalie nous informe d’emblée d’un détournement dans la représentation classique, descriptive, des corps en présence, dessinant ceux-ci de manière à mettre en doute tout processus d’imagerie stable et concret, positif, que pourrait s’en faire le lecteur:
L’orphelin de père numéro six passe le premier tableau dans le ventre de la veuve Manchée. L’acteur déguisé en orphelin de père numéro six caché dans le ventre de la veuve Manchée, il ne doit pas dépasser. Aussi la veuve porte-t-elle une robe de graisse jusqu’aux genoux. Si la veuve Manchée s’appelle la veuve Manchée, c’est qu’elle est Manchée. Si elle est Manchée, c’est qu’on ne voit pas ses bras, c’est qu’elle manque de sous, c’est qu’elle est en morceaux, c’es...

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